Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

La toxicité de la poussière lunaire

La combinaison de l'astronaute Harrison Schmitt couverte de poussière lors de son séjour de 75 heures sur la Lune au cours de la mission Apollo 17 le 12 décembre 1972. Voici l'état tout aussi alarmant de la combinaison de son compagnon Eugene Cernan. Documents NASA/Spaceflight et NASA/Apollo 17/NSSDC.

Une odeur de poudre sur la Lune (I)

Ainsi que nous l'avons appris au cours des missions Apollo dans les années 1960 et 1970, la poussière lunaire est extrêment abrasive et omniprésente. En l'espace de quelques heures de travail à l'extérieur du LEM, toute la combinaison des astronautes, de la tête aux pieds, s'est couverte d'une fine pellicule de poussière grise collante comme du talc, griffant les objectifs et corrodant les joints ainsi qu'en témoigne la combinaison d'Harrison Schmitt présentée à droite.

Par chance, le contact avec la poussière lunaire n'était que passager et n'occasionna jamais de graves problèmes. Mais si le projet de bâtir une base lunaire se concrétise un jour, les astronautes qui vivront sur la Lune durant des semaines et des mois et travaillant des heures durant à l'extérieur ressembleront vite à des mineurs plutôt qu'à des scientifiques en combinaison blanche !

Dans tous les cas ils devront trouver une méthode efficace pour éviter que cette poussière ne s'accumule dans les lieux de vie.

Pire, sous une exposition prolongée à l'environnement lunaire, les futurs astronautes courent le risque de constater la défaillance des engins mécaniques, des combinaisons spatiales, des sas d'aération voire même de subir des malades pulmonaires. Bref, après le vide, la poussière est le plus grand danger qu'encourent les astronautes séjournant sur la Lune.

Telle est la conclusion alarmante à laquelle est parvenu Russell L. Kerschmann[1] pathologiste et spécialiste des sciences de la vie au centre de recherche Ames de la NASA (ARC).

Selon les chercheurs du LPI, le "régolite est un terme terrestre, également utilisé pour la Lune. Il est défini comme un terme général pour la couche ou manteau de roche fragmentée et de matière non consolidée, qu'elle soit résiduelle ou transportée et de caractère très varié, qui forme presque partout la surface du terrain ou recouvre le substrat rocheux. Il comprend des débris rocheux de toutes sortes, [y compris] des cendres volcaniques...". Le régolite comprend donc de la poussière et des fragments météoritiques ainsi que des fragments de roches anciennes ou brèches (qu'on classe généralement séparément selon leur texture).

Voyons les risques que représente cette poussière lunaire, pour quelles raisons elle se colle sur les objets et comment peut-on s'en prémunir.

Si nous connaissons effectivement les effets pervers de la poussière lunaire, jusqu'ici les scientifiques n'avaient pas vraiment porté leur attention sur les risques pour la santé qu'encouraient les astronautes. Les géologues qui avaient travaillé jusqu'ici sur les roches lunaires n'avaient jamais indiqué la moindre toxicité ou risque associé aux manipulations en laboratoire des pierres de basalte.

Toutefois, deux évènements sont significatifs. En décembre 1972, au cours de la mission d'Apollo 17, Harrison Schmitt et Eugene Cernan revenaient juste d'une longue exploration lunaire autour de la vallée Taurus-Littrow, située près de la mer de la Sérénité. Gravissant l'échelle métallique, des empreintes de poussière lunaire avaient marqué le plancher du module lunaire Challenger. Après l'avoir pressurisé et respirant l'air de l'habitacle, Schmitt fit remarquer : "ça sent comme la poudre ici dedans." "Oui, en effet", reconnut Cernan. En fait la poussière lunaire s'était transformée en aérosol odorant et planait dans la cabine qui se trouvait toujours dans un état proche de celui de l'apesanteur.

Un peu plus tard, Schmitt s'était plaint d'avoir été incommodé et légèrement malade suite au contact avec la poussière lunaire. Il avait eu une réaction allergique que ne manqua pas de noter Kerschmann. Ses symptômes qualifiés de "rhume des foins de la poussière lunaire" ont disparu le lendemain sans laisser de traces. Après avoir passé 75 heures sur la Lune et 12.5 jours dans l'espace, l'équipage revint sur Terre et on oublia pratiquement cette histoire.

Mais par la suite, les sélénologues découvrirent que les échantillons lunaires ramenés sur Terre présentaient effectivement des propriétés particulières qui alertèrent les chercheurs.

Qu'est-ce que la poussière lunaire ?

- Régolite (fragments d'impacts météoritiques) de la taille de la cendre

- Taille moyenne de 19 microns (40 % plus petit qu'un cheveux)

- Composition : SiO2 (44.72%) et Al2O3 (14.86 %)

- Propriétés : légère, magnétique, très poreuse, dentelée, tranchante, allergène

Réaction de la poussière lunaire aux UV

Si nous voulons à l'avenir éviter ce genre de problème ou de plus graves encore que nous allons décrire, nous devons tout d'abord comprendre pourquoi la poussière se soulève-t-elle et reste en suspension au-dessus du sol lunaire. Ce n'est pas seulement lié à l'effet de la faible pesanteur régnant sur la Lune car dans des conditions normales, la poussière retombe sur le sol comme sur Terre, le phénomène est seulement un peu plus lent comme en témoigne la poussière soulevée par les roues de la jeep lunaire d'Apollo 17.

Le 26 juin 2000, Scott Robertson et son équipe du laboratoire LASP de l'Université du Colorado ont publié un article dans les "Physical Review Letters" pouvant expliquer la lévitation de la poussière lunaire. Robertson et son équipe sont partis de l'hypothèse que la lévitation de la poussière lunaire était provoquée par les photons ultraviolets issus du rayonnement solaire qui éjectaient des électrons des grains de poussière individuels, les chargeant positivement. Le même phénomène pouvait s'appliquer aux roches de surface, libérant des électrons et chargeant négativement les grains de poussière proche du substrat. Restait à démontrer cette théorie.

L'expérience de Robertson et son équipe consista à jetter des particules de zinc, de cuivre et de graphique de la taille de grains de sable dans une chambre sous vide illuminée par la lumière ultraviolette d'une lampe à arc. Les grains tombaient d'une hauteur d'environ 30 cm dans une coupe de Faraday qui mesurait directement la charge électrique de chaque grain. Chaque particule de poussière présentait globalement la quantité de charge positive attendue.

A gauche, l'empreinte de la botte de Buzz Aldrin au cours de la mission Apollo 11 le 20 juillet1969. Son pied s'est enfoncé de plusieurs centimètres dans la poussière de régolite lunaire. A droite, échantillon de régolite récolté par la mission Apollo 17 en 1972. A manipuler avec des gants et un masque ! Documents NASA/Apollo11/NSSDC (réf. AS11-40-5878) et Université Washington à Saint Louis (WUSTL).

L'expérience suivante consista à placer une plaque de zircon près des grains en chute pour simuler l'effet des roches lunaires émettant des électrons sous les UV (photoélectrons). Cette expérience produisit des particules de poussière chargées négativement, ce à quoi nos scientifiques s'attendaient également.

Un physicien peut donc en conclure que si les charges négatives retombent sur la surface, une petite quantité de charges positives peuvent flotter à quelques dizaines de centimètres au-dessus de la surface. Les particules chargées positivement seraient maintenues au-dessus du sol dans une couche de moins de 30 cm d'épaisseur dans laquelle les forces gravitationnelles attireraient les particules vers la surface lunaire tandis que la surface lunaire positive tendrait à les repousser.

Au final, ces expériences doivent permettre de simuler les effets de la poussière flottant par lévitation au-dessus du substrat. Complétées par la "fausse poussière", les simulants de régolite développés par la NASA, ces expériences permettent dès aujourd'hui de simuler en laboratoire la qualité et les propriétés de la surface lunaire et d'envisager les propriétés des matériaux de l'avenir qui devront protéger les astronautes lors des sorties extravéhiculaires.

Si nous parvenons à comprendre de quelles manières la poussière lunaire se charge, les scientifiques pourront mettre au point des méthodes afin de mieux protéger les objectifs des appareils photos et des futurs télescopes, les instruments abandonnés dans le vide de l'espace ainsi que la combinaison des astronautes des effets négatifs des particules chargées.

A voir : Astronauts falling on the Moon

Chute des astronautes et dépôt de poussière sur leur combinaison EMU

Apollo 16 Lunar Rover

Soulèvement de la poussière par la rover lunaire

Effets biologiques de la poussière lunaire

Kerschmann n'a jamais oublié l'incident survenu à Harrison Schmitt. Récemment il étudia les effets de la poussière minérale sur la santé humaine. Avec le projet de colonisation de la Lune puis de Mars, ces deux mondes étant très poussiéreux, l'inhalation de cette poussière peut être très mauvaise pour les astronautes, concède Kerschmann.

Harrison Schmitt confirme : "La poussière est le problème environnemental N°1 sur la Lune. Nous devons comprendre quels sont ses effets biologiques car il y a toujours un risque que la mécanique tombe en panne." En effet, toute inhalation de poussière pourrait provoquer des accidents d'autant plus graves qu'il n'y a pas "d'hôpital de campagne" sur la Lune et pas moyen de se soigner avant un retour sur Terre, soit 5 ou 6 jours plus tard seulement. Ce problème doit donc être résolu avant les prochaines missions.

Le pilote du module lunaire Harrison Schmitt rejoignant la jeep lunaire lors de son séjour sur la Lune au cours de la mission Apollo 17 en décembre 1972. Doc NASA/Apollo 17/NSSDC.

On sait donc aujourd'hui que la poussière lunaire est dangereuse à respirer. Elle est semblable à la poussière de silice terrestre. C'est à dire que c'est une substance solide, cristallisée, plus abrasive que la cendre et qui peut provoquer la silicose, une maladie qui endommage les poumons et que certains mineurs de fond et les maçons ne connaissent que trop bien.

Cette poussière lunaire est mêlée à des morceaux de verre et de minerais connus sous le nom d'agglutinats qui ont été formés dans la chaleur des impacts météoritiques. Les agglutinats n'ont jamais été découverts sur Terre et les scientifiques s'inquiètent à juste titre que le corps humain ne pourrait peut-être pas les expulser efficacement s'il sont inhalés.

Le quartz, qui est la principale cause de silicose, n'est pas chimiquement toxique : "vous pourriez le manger et ne pas tomber malade," précise l'astrobiologiste David S. McKay du centre spatial Johnson de la NASA que nous connaissons déjà pour son analyse de la météorite martienne ALH84001. Mais, poursuit-il, "quand le quartz est fraîchement mêlé à des particules de poussière inférieures à 10 microns (5 fois plus petits qu'un cheveux moyen) et est aspiré dans les poumons, il peut s'enfoncer profondément dans les alvéoles pulmonaires où l'oxygène et le gaz carboniques sont échangés." Dans ces conditions, les poumons ne peuvent plus évacuer la poussière par les muqueuses ou la toux.

Trois exemples peuvent nous démontrer combien la silicose et les maladies associées sont fatales. Quand les globules blancs du système immunitaire commettent la bévue d'essayer d'engloutir ces particules tranchantes comme des rasoirs pour les conduire dans la circulation sanguine et les expulser de l'organisme, ils meurent découpés de toutes parts, telle une opération suicide.

Sous sa forme aiguë, la silicose remplit les poumons de protéines issues du sang et la victime suffoque lentement par noyade, présentant des symptômes semblables à la pneumonie et très douloureux.

Nous avons expliqué dans d'autres articles que des phénomènes similaires se produisent au cours des éruptions volcaniques tel le funeste destin que connurent les animaux vivant dans l'est du Wyoming il y a 10 millions d'années lorsque le supervolcan de Yellowstone entra en éruption, et plus récemment les habitants de Pompéi après l'éruption du Vésuve en l'an 79.

Des mineurs de Virginie Occidentale sont également décédés après avoir respiré de la fine poussière de quartz au cours de forages effectués à sec, alors qu'ils n'avaient été exposés que durant quelques mois seulement à cette poussière. Ceci n'arrivera pas nécessairement aux astronautes, mais c'est un problème dont les ingénieurs doivent avoir conscience et prévenir.

Prochain chapitre

Les effets mécaniques de la poussière lunaire

Page 1 - 2 -


[1] Conclusion présentée par Russell L. Kerschmann du centre Ames de la NASA (ARC) au cours de l'atelier de travail sur la toxicité du sol lunaire intitulé "Biological Effects of Lunar Dust" qui s'est tenu à l'hôtel Radisson Hill de Sunnyvale en Californie du 29 au 31 mars 2005.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ