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Le trou noir supermassif de la Voie Lactée

Le champ magnétique autour de Sgr A* (II)

La gravité de Sgr A* domine la dynamique du centre de la Voie Lactée mais le rôle du champ magnétique est longtemps resté mystérieux faute de disposer d'outils pouvant observer ce champ magnétique. Depuis 2013, on peut le cartographier par des méthodes indirectes.

Pour rappel, la lumière des sources présentes au centre de la Voie Lactée sont bloquées par la densité des nuages de gaz et de poussière. Le rayonnement infrarouge ainsi que les rayons X et les ondes radio passent à travers ces nuages, de sorte que les astronomes peuvent observer plus clairement la région qui entoure Sgr A*.

En appliquant cette théorie, entre 2013 et 2015, une équipe internationale d'astronomes dirigée par Michael D. Johnson du Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian analysa Sgr A* par interférométrie VLBI (combinant les EHT, CARMA, SMT, SMA et JCMT) à 1.3 mm de longueur d'onde (~230 GHz) et une distance de ~6 rayons de Schwarzschild avec une résolution spatiale record de ~40 μas. Ils ont mesuré une polarisation linéaire des structures atteignant au maximum ~70% et une intensité maximale du flux de plasma en émission d'environ 3 mJy/μas2. Ils confirmaient ainsi pour la première fois par l'observation l'existence d'un champ magnétique autour d'un trou noir supermassif. Selon les modèles dont on voit une image ci-dessous à gauche, ces valeurs correspondent à une intensité magnétique de plusieurs dizaines de gauss, en accord avec les estimations précédentes (~30 G). Les résultats furent publiés dans la revue "Science" en 2015 (en PDF sur arXiv).

Un peu plus tard, comme on le voit ci-dessous au centre, en 2018 une équipe d'astronomes dirigée par Pat Roche de l'Université d'Oxford utilisant la caméra infrarouge CanariCam fixée sur le Gran Telescopio Canarias de 10.4 m installé à La Palma dressa la première carte en haute résolution des lignes du champ magnétique dans le gaz et la poussière tourbillonnant autour de Sgr A*. Les grains de poussière s'alignant perpendiculairement au champ magnétique, à partir de ces résultats les astronomes ont pu cartographier la forme et déduire l'intensité du champ magnétique qui, sinon, reste invisible. C'est la première fois qu'on observait les détails de la structure fine du champ magnétique autour de Sgr A* et qu'on traçait par la même occasion le flux de matière gravitant autour de ce trou noir.

A gauche, simulation MHD du champ de polarisation du flux de plasma entourant Sgr A* jusqu'à une distance d'environ 6 rayons de Schwarzschild en tenant compte des effets de la relativité générale. La polarisation moyenne pondérée par luminosité est de 26% et est compatible avec les données enregistrées par le VLBI à 1.3 mm de longueur d'onde. Au centre, cartographie de la région entourant Sgr A* dans un rayon de 1 a.l. Les couleurs indiquent l'intensité du rayonnement infrarouge (la chaleur) émis par les poussières chaudes contenues dans les filaments et les étoiles lumineuses proches du centre galactique. Les lignes représentent les directions du champ magnétique et révèlent les interactions complexes entre les étoiles et les filaments de poussière, y compris l'effet de la force gravitationnelle du trou noir Sgr A*. A droite, une image plus précise des lignes du champ magnétique superposée sur une image couleur de la bulle de poussière enveloppant Sgr A*. Document Michael D. Johnson et al. (2015), E. Lopez-Rodriguez et al. (2018) adapté par l'auteur et NASA/SOFIA/HST (2019).

Cette image couvre 1 année-lumière de chaque côté de Sgr A* et montre l'intensité du rayonnement infrarouge et trace les lignes du champ magnétique à l'intérieur des nuages de poussière et de gaz chauds qui apparaissent comme de petits traits dans l'image. Les filaments qui s'étendent sur plusieurs années-lumière se rassemblent près de Sgr A* où on distingue un point de convergence des orbites des courants de gaz et de poussière. On note également que le champ magnétique relie certaines des étoiles les plus brillantes du centre de la Galaxie. Malgré les puissants vents stellaires émis par ces étoiles, les filaments restent en place du fait qu'ils sont maintenus à l'intérieur des nuages par le champ magnétique (à l'image des protubérances solaires). En dehors des nuages de gaz et de poussière, le champ magnétique prend différentes directions. Selon la façon dont la matière se déplace, une partie peut éventuellement être capturée et engloutie par Sgr A*. Leurs résultats furent publiés dans les "MNRAS" en 2018.

La toute première image montrant la polarisation de Sgr A* publiée en 2022. Ces lignes indiquent l'orientation du champ magnétiques autour de l'ombre du trou noir. Document Collaboration EHT.

La carte présentée ci-dessus à droite fut obtenue en 2019 par l'instrument HAWC+ de SOFIA (Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy) qui consiste en un avion Boeing 747SP équipé d'un télescope de 269 mm de diamètre) qui mesura la lumière infrarouge polarisée émise par les grains de poussière. L'image montre les lignes du champ magnétique superposée sur une image couleur de la bulle de poussière autour Sgr A*. La structure bleue en forme de Y représente de la matière chaude tombant vers le trou noir situé près de l'intersection des deux branches du Y. Les lignes de courant révèlent que le champ magnétique suit étroitement la forme de la structure de poussière. Chacun des bras bleus génère son propre champ magnétique totalement distinct du reste de l'anneau (en rose). Mais il existe également des endroits où le champ s'éloigne des principales structures de poussière, telles que les extrémités supérieure et inférieure de l'anneau. Les astrophysiciens estiment que le champ magnétique offrant une faible intensité, il s'étire en même temps que les filaments de gaz et de poussière sont attirés sous l'effet de la gravité vers Sgr A* et des nombreuses étoiles présentes dans cette région très dense de la Voie Lactée.

A ce jour, c'est l'image la plus détaillée de la structure magnétique entourant Sgr A* qui trace l'histoire de cette région au cours des 100 derniers millénaires.

A droite, la toute première image de la polarisation de la lumière autour de l'ombre du trou noir de Sgr A* obtenue par la collaboration EHT en 2022. Elle indique l'orientation du champ magnétique autour du trou noir.

Ces nouvelles observations révèlent que le champ magnétique est suffisamment puissant pour contraindre les mouvements turbulents du gaz. Si le champ magnétique canalise le gaz et qu'il est absorbé par le trou noir, celui-ci est actif car dans ce cas cela signifie qu'il consomme beaucoup de gaz. Mais en complément, il devrait émettre un jet bipolaire. Or ce n'est pas le cas. A l'inverse, si le champ magnétique canalise le gaz et qu'il se met en orbite autour du trou noir, dans ce cas il est silencieux du fait car il n'absorbe pas de gaz qui, autrement, formerait de nouvelles étoiles. Selon Darren Dowell du JPL, responsable de l'instrument HAWC+ et principal auteur de cette étude, "la forme en spirale du champ magnétique canalise le gaz dans une orbite autour du trou noir. Cela pourrait expliquer pourquoi notre trou noir est calme alors que d'autres sont actifs."

Les nouvelles observations de SOFIA et HAWC+ aideront à déterminer la façon dont la matière interagit dans l'environnement d'un trou noir supermassif, notamment en répondant à une question toujours sans réponse : pourquoi Sgr A* est-il silencieux et relativement pâle alors que ceux des autres galaxies sont  brillants et émettent un jet ?

Les résultats de cette étude furent présentés lors du 234e meeting semestriel de l'American Astronomical Society qui s'est tenu du 9-13 juin 2019 à St. Louis, aux Etats-Unis.

G2, un nuage de gaz tombant sur Sgr A*

Passage de G2 au périapse

En décembre 2011, grâce au VLT, Reinhard Genzel et son équipe du MPE ont découvert un nuage de gaz compact baptisé "G2" d'une masse d'environ trois fois celle de la Terre en train de tomber dans la zone d'accrétion de Sgr A*. Selon les auteurs, "l'orbite du nuage est très excentrique, avec un rayon d'approche le plus interne de seulement ~3100 fois l'horizon des évènements qui sera atteint en 2013. Au cours des trois dernières années, le nuage commença à être perturbé, probablement principalement par le cisaillement des marées résultant de la force gravitationnelle du trou noir" (cf. S.Genzel et al., 2011).

Comme on le voit ci-dessous, en moins de dix ans, la vitesse de G2 est progressivement passée de 1000 à 2500 km/s en suivant une orbite fortement excentrique (e=0.966). Mi-2013, il atteignit le périapse, à 2200 rayons de Schwarzschild du trou noir, ce qui correspond à 40 milliards de kilomètres ou 267 UA seulement de l'horizon des évènements du trou noir, soit environ 32 heures-lumière.

A lire : Le repas d'un trou noir bientôt servi, ESO, 2011

L'évolution du nuage de gaz chaud "G2" proche de Sgr A* prouve qu'il suit une orbite très excentrique et est attiré par le trou noir supermassif qui devrait l'absorber d'ici quelques années. Document MPE.

Suite à cet approche à "courte distance", on s'attendait à ce que G2 soit fortement perturbé et même mis en pièce au point que la grande partie de sa matière soit accrétée par Sgr A*. Cela devait temporairement donné lieu à une augmentation du taux d'accrétion et provoquer un sursaut d'éclat de Sgr A*. Mais à la place, aucun "feu d'artifice" n'est apparu et très peu de changement dans la luminosité de G2 après son passage au périapse.

Des mégaéruptions X

Le 14 septembre 2013, l'observatoire orbital Chandra détecta une éruption X d'une puissance record tout près de Sgr A*; cette mégaéruption fut 400 fois plus brillante que l'état normal et 3 fois plus intense que l'éruption de début 2012. L'objet G2 aurait pu en être la source, mais comme on le voit sur la vidéo suivante (ci-dessous à droite), l'éruption était de courte durée, caractéristique d'un objet bien plus proche du trou noir.

Les astronomes estiment que cette éruption ne provenait pas de l'objet G2 qui se trouvait à cette date à 24 milliards de kilomètres soit 160 UA du trou noir mais d'un autre objet se trouvant à quelques centaines de millions de kilomètres du trou noir soit quelques dizaines de minutes-lumière.

Sagittarius A* s'est ensuite calmé pour produire le 20 octobre 2014 une nouvelle éruption X qui fut 200 fois plus brillante que la normale.

A gauche, progression de l'objet compact G2 autour du trou noir supermassif de la Voie Lactée. Notez l'accélération de son déplacement (~1000 km/s en 2006 à plus de 3000 km/s en 2014) à l'approche du périapse en vertu de la loi des aires de Kepler. Voir l'animation sur le site de l'ESO. A droite, la mégaéruption X survenue le 14 septembre 2013 près de Sgr A*. Cliquer sur l'image pour lancer l'animation. Cette éruption provient d'une source non identifiée des centaines de fois plus rapprochée du trou noir que G2. Le petit objet bleu brillant et stable en dessous à gauche est un magnétar. Documents ESO et Chandra.

En utilisant les modèles de la région entourant Sgr A*, les chercheurs ont proposé deux hypothèses : l'éruption de septembre 2013 aurait été provoquée par un petit corps (on pense à un astéroïde) qui se serait rapproché trop près du trou noir et aurait été mis en pièce, ses fragments ayant été portés à haute température puis se seraient liquéfiés avant d'être aspirés sous l'horizon des évènements de Sgr A*; ou l'éruption aurait été provoquée par les lignes de forces du puissant champ magnétique entourant le trou noir qui auraient subit des déconnexions et reconnexions magnétiques - un processus commun sur le Soleil - et libéré d'énormes bouffées d'énergie. A ce jour, l'origine de cette éruption reste un mystère. Elle fut suivie par une seconde éruption X en octobre 2014, cette fois moitié moins intense mais qui demeure également inexpliquée.

Comme l'expliqua l'ESO dans un communiqué de presse publié en 2015, l'objet G2 s'est ensuite éloigné du périapse sans être détruit, ce qui permit de déduire que ce n'est pas un simple nuage de gaz mais plutôt un objet compact.

Pour mieux comprendre la nature de cet objet, le postdoctorant Brian J. Morsony de l'Université du Wisconsin à Madison et ses collègues ont étudié les paramètres de G2 (structure, densité, rayon d'accrétion, etc.) afin de déterminer de quelle manière ces facteurs ont pu affecter le taux d'accrétion et la luminosité de Sgr A*. Ils ont réalisé des simulations hydrodynamiques tridimensionnelles en code FLASH et publié leurs résultats dans "The Astrophysical Journal" en 2017. Selon les chercheurs, seulement 3 à 21% de la matière accrétée par Sgr A* dans les 5 ans qui suivirent le périapse provenaient de G2 mais seulement 0.03 à 10% de la masse totale du nuage fut accrétée par le trou noir.

A voir : G2 Gas Cloud Simulation, ESO

Black Hole Meltdown in the Galactic Center (avec explications)

Simulations de l'objet G2 (dans ce cas-ci un nuage de gaz) approchant du trou noir Sgr A*. A gauche, les lignes bleues correspondent aux trajectoires des étoiles. A droite, la densité de colonne (le nombre de particules contenues dans une section orthogonale dans la ligne de visée et correspondant à la densité de matière) en échelle logarithmique de l'évolution de G2 autour du périapse (de gauche à droite et de haut en bas, entre 5 ans avant et 10 ans après). Document ESO/S.Gillessen, MPE/Marc Schartmann (2011) et B.Morsony et al. (2017) adapté par l'auteur.

En comparant leurs simulations aux observations de G2 après son passage au périapse, Morsony et ses collèges en ont déduit que G2 n'est pas seulement un nuage de gaz. En fait, il existe probablement deux composantes : un nuage de gaz étendu et froid de faible masse responsable de l'essentiel des émissions de G2 avant qu'il n'atteigne le périapse et une composante très compacte pouvant être un fragment d'objet stellaire poussiéreux à l'origine des émissions qui dominaient après le passage au périapse. Les auteurs prédisent que les futures émissions ne devraient plus provenir du nuage de gaz mais uniquement du noyau compact ou de l'objet stellaire poussiéreux.

Andrea M. Ghez de l'UCLA et ses collègues ont étudié G2 au moyen du télescope Keck d'Hawaï équipé d'une optique adaptative et d'une caméra infrarouge (NIRC2) sensible à 2.1 et 3.8 microns. Ils suggèrent que "G2 est un produit de fusion d'étoiles binaires et qu'il apparaîtra finalement similaire aux étoiles B qui sont étroitement regroupées autour du trou noir (le soi-disant amas d'étoiles S)" (cf. G.Witrzel et al., 2014).

Florian Peiβker de l'Université de Cologne et ses collègues ont étudié G2 et concluent qu'il contient deux sources isolées et compactes sur des orbites différentes. G2 serait en fait composé de trois jeunes étoiles âgées d'environ 1 million d'années encore enveloppées dans l'épais nuage de gaz et de poussière qui leur donna naissance. Selon les auteurs, "ce sont les restes d'un jeune amas stellaire dissous dont la formation a été initiée dans le disque circumnucléaire. Cela indique une histoire commune" (cf. F.Peiβker et al., 2021)

Enfin, jusqu'en 2018 la queu d'émission G2 n'a plus connu d'éruptions de rayons X (cf. E.Bouffard et al., 2019).

Passage de S2 au périapse et vérification des effets de la relativité

Selon une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2017 par l'équipe de Maryam Habibi de l'Institut Max Planck de Physique Extraterrestre (MPE/MPG), S2 alias S0-2 est une étoile appartenant à un amas stellaire orbitant à une distance moyenne (demi-grand axe) de ~970 UA de Sgr A*. Sa période est de 16.05 ans et son périapse se situe à 120 UA du trou noir soit 18 milliards de kilomètres ou ~1400 Rs ou encore 17 heures-lumière. S2 est une jeune étoile bleue massive de type spectral B0 V-B3 V d'au moins 20000 K et de 10 à 15 M.

Le 19 mai 2018, les chercheurs ont observé le passage de S2 au périapse de Sgr A*. L'étoile était animée d'une vitesse de 7700 km/s soit 2.6% de la vitesse de la lumière ! (cf. R.Abuter et al., 2020). Attirée par une masse aussi importante, pour un observateur extérieur les effets relativistes deviennent apparents.

Comme on le voit ci-dessous, les chercheurs ont pu observer dans le spectre de S2 l'effet du rougissement gravitationnel à mesure qu'elle se rapprochait du périapse pour reprendre ensuite sa couleur normale. C'était la première fois que les astronomes observaient ce phénomène près d'un trou noir supermassif, validant une fois de plus la théorie de la relativité générale dans des conditions de champs très intense.

A voir : First Successful Test of Einstein’s General Relativity Near Sgr A*, ESO, 2018

Artist’s animation of S2’s precession effect

Ci-dessus à gauche, image proche infrarouge en bande K (2-2.4 microns) obtenue par l'imageur interférométrique GRAVITY du VLT de l'ESO indiquant la position de l'étoile S2 par rapport à Sgr A* et IRS16. Voici l'image sans légende du VLT. A droite, simulation du changement de la longueur d'onde de la lumière de l'étoile S2 lors de son passage au périapse à 120 UA de Sgr A* en mai 2018. C'est la première fois que ce rougissement gravitationnel conforme à la théorie de la relativité générale est vérifié dans l'environnement d'un trou noir supermassif. Ci-dessous à gauche, simulation de la précession de l'orbite de l'étoile S2 autour de Sgr A* sur base des données du VLT. A droite, l'orbite de l'étoile S2. Documents ESO/Gravity, ESO/L.Calçada et ESO adaptés par l'auteur.

Les données en proche infrarouge (bande K entre 2-2.4 microns) enregistrées par le VLT, en particulier par les instruments équipés d'optique adaptative SINFONI et NaCo et, depuis 2016 par l'imageur interférométrique GRAVITY, ont également permis de vérifier la précession de Schwarzschild, c'est-à-dire la rotation de l'orbite de l'étoile S2 autour de Sgr A* comme illustré ci-dessus (cf. R.Abuter et al., 2020).

Le prochain passage de S2 au périapse se produira en 2034 et sera notre prochaine meilleure occasion de l'observer.

Un disque de gaz froid

On estime que le disque d'accrétion de Sgr A* s'étend sur une fraction d'année-lumière autour de l'horizon des évènements du trou noir supermassif. Jusqu'à présent, les astronomes n'avaient pu visualiser que la partie ténue et chaude du disque qui forme un flux grosso modo sphérique sans rotation apparente. Sa température est estimée à 10 millions de K. Ce gaz incandescent brille principalement en rayons X, ce qui permet de l'étudier à l'aide des télescopes spatiaux à rayons X sur une distance de 105 rayons de Schwarzschild (Rs) soit 0.04 pc (~0.13 année-lumière) autour du trou noir.

En plus de ce gaz chaud, des observations antérieures effectuées avec des radiotélescopes millimétriques ont permis de détecter un grand nuage d'hydrogène relativement plus froid (100-10000 K) à quelques parsecs du trou noir. La contribution de ce gaz plus froid au flux d'accrétion sur le trou noir était jusqu'ici inconnue.

Bien que Sgr A* soit relativement calme, le rayonnement autour de lui est suffisamment intense pour que les atomes d'hydrogène s'ionisent et se recombinent continuellement. Ce processus produit une émission H30α distincte à 1.3 mm de longueur d'onde avec très peu de pertes dans la ligne de visée. Notons que cette raie d’émission présente un double pic, avec une largeur de raie correspondant à une vitesse maximale d'environ 2200 km/s.

Image du disque d’hydrogène froid qui circule à 1000 UA autour du trou noir supermassif Sgr A*. Le gaz qui s'éloigne apparaît en rouge, celui qui se rapproche en bleu. Le réticule indique l'emplacement du trou noir. Au centre, structure des 2 pc (6.5 a.l.) intérieurs de Sgr A*. A droite, une illustration du disque de gaz froid entourant Sgr A* dans un rayon de 0.04 pc ou ~0.13 année-lumière. Documents ALMA/NRAO, E.Murchikova et al. (2019) et NRAO/AUI/NSF, S.Dagnello.

Grâce à la sensibilité remarquable du réseau ALMA, à partir de données enregistrées en 2015, l'équipe d'Elena Murchikova de l'Institut des Etudes Avancées de Princeton a pu obtenir la toute première image du disque de gaz plus froid ionisé situé dans un rayon de 2000 Rs soit 0.01 année-lumière ou ~1000 UA de Sgr A*. Comme on le voit ci-dessus à gauche, ces observations ont permis aux astrophysiciens de cartographier l'emplacement et de suivre le mouvement de ce gaz qui présente clairement un effet Doppler prouvant qu'il circule autour du trou noir.

L'émission est centrée sur Sgr A* mais le côté décalé vers le rouge est situé à 0.11" soit 0.013 a.l. au nord-est tandis que le côté bleu est décalé d'une distance similaire vers le sud-ouest. Selon les chercheurs, il s'agit d'un disque en rotation d'une masse de 10-5 à 10-4 M soit 10% de la masse de Jupiter et dont la masse volumique moyenne d’hydrogène est d'environ 105 à 106 particules/cm3. L'émission étant plus forte que prévu, il est probable que la transition H30α est renforcée par l'émission maser (une émission monochromatique stipulée à l'image du rayonnement laser optique). Les résultats de ces analyses furent publiés dans la revue "Nature" en 2019.

Ces informations fourniront aux scientifiques de nouvelles informations sur la manière dont les trous noirs accrètent la matière et sur l’interaction complexe entre ce trou noir et son voisinage galactique.

Un deuxième trou noir massif ?

En décembre 2019, l'astrophysicienne Smadar Naoz de l'UCLA et ses collègues ont publié un article dans "The Astrophysical Journal Letters" (en PDF sur arXiv) dans lequel ils suggèrent qu'il existerait un deuxième trou noir massif en orbite autour de Sgr A* et proposent des méthodes pour prouver son existence. Selon les calculs des chercheurs, ce compagnon de Sgr A* graviterait sous l'orbite de l'étoile S2 et aurait une masse inférieure à 100000 M.

Configuration du système hypothétique à trois corps caché au coeur de la Voie Lactée constitué d'un trou noir binaire (Sgr A* + Mc) et de l'étoile S2. Document S.Naoz et al. (2019) adapté par l'auteur.

Pour comprendre cette idée, il faut remonter à l'époque où l'univers avait environ 100 millions d'années, à z > 600, à l'ère des toutes premières galaxies. Elles étaient beaucoup plus petites que les galaxies actuelles et au moins 10000 fois moins massives que la Voie Lactée. Au sein de ces premières galaxies, les toutes premières étoiles étaient très massives et ont terminé leur vie sous forme de trous noirs stellaires d'une masse comprise entre 10-1000 M. Au fil du temps, ces trous noirs ont glissé vers le centre de gravité situé au cœur de leur galaxie hôte.

Plus tard, ces petites galaxies ont évolué par fusion avec d'autres. Certains trous noirs ont subsisté à ce chaos, formant soit des systèmes binaires soit ils fusionnèrent formant des trous noirs supermassifs comme Sgr A*.

Si Sgr A* disposerait d'un compagnon en orbite rapproché autour de lui, ils s'attireraient mutuellement tout en perturbant les trajectoires des étoiles situées à proximité qui présenteraient des orbites décalées à chaque révolution, ce qu'on appelle une précession orbitale (cf. ce schéma de la précession de l'orbite de Mercure à titre d'exemple).

En simulant l'interaction gravitationnelle entre l'hypothétique paire de trous noirs et les étoiles environnantes, les chercheurs ont pu prédire les orbites des étoiles proches de Sgr A*. Il faut à présent comparer ces prédictions aux observations en espérant confirmer que les orbites des étoiles sont pertubées par le compagnon de Sgr A*.

En utilisant S2 qui boucle son orbite autour de Sgr A* en 16 ans, les chercheurs ont déjà pu exclure l'existence d'un deuxième trou noir supermassif de plus de 100000 M en orbite à plus de 200 UA de Sgr A*. En effet, s'il existait les chercheurs auraient détecté ses effets sur l'orbite de S2.

Mais cela ne signifie pas qu'il n'existerait pas un petit trou noir massif. Mais avec une masse < 50000 M il influencerait peu l'orbite de S2 et il serait difficile de mesurer son effet. A moins de mesurer une nouvelle fois le rougissement gravitationnel de l'étoile S2 comme on le fit en mai 2018 lorsqu'elle passa à environ 120 UA de Sgr A*.

A présent, il faut attendre le prochain passage de S2 au périapse en 2034 pour davantage tester les prédictions d'Einstein sur la relativité générale, y compris la précession de l'orbite d'autres étoiles. Si Sgr A* a effectivement un compagnon massif, son effet devrait être visible dans les mesures.

Parmi les solutions alternatives, il faudra attendre que le détecteur spatial d'ondes gravitationnelles eLISA soit opérationnel à l'horizon 2025-2028 pour espérer détecter les ondes gravitationnelles émises par les interactions entre les deux trous noirs.

En guise de conclusion

La découverte de Sgr A* et de son environnement passionnent les astronomes et leur offre une opportunité unique pour étudier un trou noir supermassif proche et tous les effets qu'il produit. Selon Gabriele Ponti du MPE/MPG, "de tels évènements à la fois rares et intenses nous offrent une chance unique d'observer comment un simple nuage de matière est attiré par un trou noir et de mieux comprendre l'un des objets les plus bizarres de notre Galaxie".

Pour l'astrophysicien Jonathan McDowell du Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian de Cambridge, de telles observations sont d'une grande valeur car les trous noirs supermassifs sont communs dans l'Univers. "Nos théories décrivant ce qui se produit au centre d'un quasar comprennent toutes des choses tombant sur un trou noir supermassif. C'est la première fois qu'on peut observer de près de telles choses, bien qu'à un échelle plus petite. Nous faisons le pari que cela se produit à une plus grande échelle ailleurs dans l'univers".

A voir : Black Hole VR (Sgr A*), BlackHoleCam

Simulation GRMHD 3D du disque interne d'accrétion et du jet bipolaire du trou noir supermassif Sgr A* tels qu'ils seraient observés grâce à l'installation VLBI de l'Event Horizon Telescope, à 43, 86 et 230 GHz. Document M.Mościbrodzka et al. (2014). Voir aussi les animations sur BlackHoleCam.

En découvrant ces nuages de gaz et ces éruptions X tout près du trou noir supermassif de la Voie Lactée, les astronomes fondent beaucoup d'espoir sur les nouveaux grands télescopes en cours de construction ainsi que sur le JWST qui devrait permettre d'observer les trous noirs et les quasars de manière plus détaillée.

Après l'image un peu floue de Sgr A* obtenue en 2018 par le GMVA, l'étape suivante consiste à observer le disque d'accrétion de Sgr A* et peut-être l'origine du jet qu'il émet périodiquement grâce aux mêmes moyens interférométriques qu'utilisa l'équipe de Michael D. Johnson. Avec quelques mois de retard sur le planning, les premières images devraient être disponibles en 2022.

On reviendra sur l'activité de Sgr A* et notamment sur l'émission des bulles de Fermi et les mini-jets de plasma quand nous décrirons le centre de la Voie Lactée.

Pour plus d'informations

Le centre de la Voie Lactée (sur ce site)

Le trou noir (sur ce site)

Les trous noirs supermassifs (sur ce site)

Event Horizon Telescope (EHT)

Zooming into Sagittarius A*, ESO, 2018 (YouTube)

Resolved Magnetic-Field Structure and Variability Near the Event Horizon of Sagittarius A* (arXiv), Michael D. Johnson et al, 2017

Magnetic Field of Sgr A* Black Hole (PDF), A.Nikos, 2014

G2 and Sgr A*: A Cosmic Fizzle at the Galactic Center, B.J.Morsony et al., ApJ, June 2017

The Post-pericenter Evolution of the Galactic Center Source G2, P.M.Plewa et al., ApJ, 2017

A strong magnetic field around the supermassive black hole at the centre of the Galaxy (PDF), R. P. Eatough et al., Nature, sept. 2013

Three-dimensional moving-mesh simulations of galactic center cloud G2, P.Anninos et al, ApJ, Oct 2012

Simulations of the origin and fate of the galactic center cloud G2, M.Schartmann et al., ApJ, Aug 2012

L'ombre d'un trou noir (PDF), A.Broderik et A.Loeb/CfA, Pour la Science, 2012

Portrait of a Black Hole (PDF), A.Broderik et A.Loeb/CfA, Scientific American, 2009

Zoom into the Center of our Galaxy with Keck Observatory, Leo Meyer/Keck Obs.

Event Horizon Telescope (et les publications)

Sag A*: Record-Breaking Outburst from Milky Way's BH, Chandra, sept. 2015

G2 a survécu à son approche et consiste en un objet compact, ESO, mars 2015

Le repas d'un trou noir bientôt servi, ESO, 2011

The Event Horizon Telescope: exploring strong gravity and accretion physics, Angelo Ricarte et Jason Dexter, MNRAS, 2014.

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