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La théorie des cordes au secours des trous noirs

Illustration artistique de la distorsion optique du disque d'accrétion entourant un trou noir. Document Interstellar/Warner Bros.

La conjecture de la balle floue

Pour cerner la nature des trous noirs, leur topologie, leurs propriétés et déterminer leur évolution, les physiciens théoriciens ont recherché une théorie plus complète de la gravité quantique permettant de reconcilier les deux points de vue : le monde probabiliste et indéterminé de la physique quantique et le monde déterministe régit par des variables locales de la relativité générale. C'est ainsi qu'est née la théorie des cordes et ses dimensions excédentaires bientôt encadrée par sa généralisation, la "théorie M" d"Edward Witten et consorts.

Dans cette nouvelle physique de la gravité quantique, le champ gravitationnel n'est plus plongé dans l'espace-temps, à l'image du puits sans fond. Dans ce concept, les champs quantiques génèrent l'espace-temps. 

Cela peut sembler plus difficile à comprendre, mais d'un point de vue mathématique, ce concept simplifie la physique car il propose une solution quantique à covariance générale, c'est-à-dire où la forme des lois est invariante et prend la même forme mathématique quel que soit le système de coordonnées, y compris en relativité (ce qui est déjà le cas par exemple de la théorie de l'électrodynamique).

Dans la théorie des cordes, l'image classique du trou noir est remplacée par celle d'une balle floue, que les Anglo-saxons appellent une "fuzzball" qui ne présente ni singularité ni horizon des évènements.

A la place, la région délimitée par l'horizon des évènements est décrite comme une balle de cordes enchevêtrées - les unités fondamentales de la théorie des cordes vibrant de manière complexe en donnant naissance à l'espace-temps et à toutes les particules et interactions. A la place de l'horizon des évènements, la "balle floue" présente comme son nom l'indique une surface floue, ressemblant plus à celle d'une étoile ou d'une planète.

Les travaux de Samir Mathur

C'est Samir Mathur, un théoricien de la théorie des cordes de l'Université d'Etat d'Ohio qui inventa la conjecture de la balle floue en 2003 en collaboration avec deux coauteurs alors étudiants, Borun Chowdhury aujourd'hui à l'Université d'Arizona et Steven Avery aujourd'hui à l'Université Brown. Mathur et ses collègues prétendaient qu'il s'agissait de la description quantique réelle d'un trou noir.

Mathur est le leader incontesté de ce nouveau concept. Son article intitulé "Dual geometries for a set of 3-charge microstates" fut publié dans le journal "Nuclear Physics B" en novembre 2004 et confirmé par les travaux d'autres chercheurs dont ceux d'Oleg Lunin de l'Université d'Etat de New York (SUNY) à Albany, Stefano Giusto de l'Université de Padova, Iosif Bena du CEA de Saclay et Nick Warner de l'Université de Sud Californie.

Leur modèle du trou noir était radicalement neuf en son temps car il suggéra qu'un trou noir présente une surface, bien que floue. Cela signifiait aussi que la matière ne tombe par dans un trou noir mais plutôt sur un trou noir.

Sa version de la "fuzzball" propose potentiellement des mécanismes pour démêler le noeud gordien qui permettrait de reconcilier les descriptions classique et quantique du trou noir, et à terme, du reste de l'Univers. Mais pour atteindre cet ambitieux objectif, les physiciens devront abandonner les notions démodées de singularités et d'horizon des évènements, un sacrifice que de nombreux chercheurs ne sont pas près d'accepter.

L'entropie manquante

Les travaux de Mathur sont nés des tentatives de calculer les propriétés quantiques d'un trou noir tout en essayant de résoudre le paradoxe lié à la perte de l'information lorsqu'elle traverse l'horizon des évènements.

Modélisation du rayonnement d'un trou noir. Document La Recherche.

Ces deux problèmes furent soulevés au début des années '70 par Stephen Hawking qui déclara que les trous noirs n'étaient pas réelllement noirs. En raison d'interactions quantiques, ils émettaient une toute petite quantité d'énergie sous forme de chaleur appelée le rayonnement de Hawking et présentaient donc une température. Si les trous noirs ont une température, ils présentent alors une entropie, ce qu'on décrit souvent comme une mesure de la quantité de désordre présente dans un système donné. On reviendra en détails sur cette notion lorsque nous décrirons les principes de la thermodynamique.

Tout objet présente une entropie et celle-ci doit toujours augmenter en vertu de la 2e loi de la thermodynamique. Mais l'image classique du trou noir telle que la décrit la relativité générale ne tient pas compte de cette entropie qui pourtant est un détail clé de sa description quantique.

L'entropie d'un objet est décrite par ses micros-états, c'est-à-dire par le nombre de manières dont les atomes peuvent se réarranger pour former le même objet à l'échelle macroscopique. Un oeuf brouillé par exemple a plus d'entropie qu'un oeuf entier car d'un point de vue macroscopique les atomes de l'oeuf brouillé peuvent être déplacés apparemment de mille et une manières sans altérer ses propriétés. A l'inverse, dans un oeuf entier, la séparation entre le jaune et le blanc limite les possibilités de réarrangements au niveau atomique.

Les trous noirs ne font pas exceptions aux lois de la thermodynamique. Selon le physicien Joseph Polchinski de l'Université de Californie à Santa Barbara, "l'entropie vient du comptage des états des atomes. Les trous noirs devraient donc avoir une sorte de structure atomique dont on pourrait dénombrer les états".

Le problème est que n'importe quel trou noir a bien plus d'états possibles que des milliers d'oeufs brouillés. Le calcul requiert la mesure de l'entropie à une échelle réellement  incommensurable. Toutefois, il est possible de déduire le nombre d'états en utilisant une formule imaginée par Jacob Bekenstein en 1972 qui montre que l'entropie d'un trou noir est proportionnelle à la taille de l'horizon des évènements qui l'entoure.

Par définition, on ne peut pas accéder et donc voir l'intérieur d'un trou noir pour compter ses états possibles. Mais dans le cadre de la théorie des cordes, la structure atomique d'un trou noir se présente sous la forme de cordes et de branes (un objet qui présente une variété de dimensions spatiales) qui, comme les atomes, peuvent également être réarrangés de nombreuses manières. On peut imaginer comment les cordes sont assemblées au sein d'un trou noir de manière à ce que l'entropie soit égale à celle calculée par la formule de Bekenstein.

Pour trouver cette valeur, les physiciens doivent utiliser des modèles qu'ils doivent ajuster pour calculer ces valeurs. Pour mieux comprendre ce principe, Polchinksi explique qu'"il existe un 'bouton' dans la théorie que vous pouvez tourner grâce auquel le trou noir n'est plus noir et permet de voir les cordes et les branes situés à l'intérieur". Ces modèles qui ne font pas appel à la gravitation permettent de calculer les micros-états.

Mais quand on restaure la gravitation, tout redevient noir. C'est ici que la conjecture de la balle floue de Mathur permet de calculer le nombre de micros-états dans des modèles tenant compte de la gravitation.

Selon le physicien théoricien Nick Warner, expert en théorie des cordes à l'Université de Sud Californie, une balle floue est plus éloignée du trou noir que de l'étoile à neutrons, une étoile dont la matière se trouve dans un état hyperdense mais où il n'y a pas de singularité ni d'horizon des évènements. Les étoiles à neutrons tirent leur existence des forces répulsives inter-atomiques; la matière est tellement comprimée que les électrons individuels occupent tous le même état quantique, une propriété qui est pourtant interdite en vertu des lois de la physique quantique (mais heureusement pour nous et pour l'Univers, une fois les électrons confinés, cette loi ne s'applique plus).

La théorie des cordes utilise un mécanisme similaire en ce sens que les champs sans masse fournissent une pression vers l'extérieur au lieu d'écraser les électrons. A l'image d'une longue corde qu'il est plus facile de faire vibrer qu'une corde courte en raison des tensions internes, quand des cordes quantiques se rejoignent et forment un long ruban, elles peuvent plus aisément s'étendre et présenter un plus grand diamètre. Elle "gonflent", libérant suffisamment de pression vers l'extérieur pour résister à l'effondrement qui conduirait à la singularité. Pour reprendre l'explication de Warner, "elles évitent la formation d'un trou noir grâce à une phase de transition vers un nouvel état de la matière". En calculant le nombre de micros-états dans les modèles simple de la fuzzball, il est possible de faire correspondre l'entropie à celle calculée par Bekenstein, un premier pas très prometteur.

Toutefois, même si la conjecture de Mathur est correcte et pourrait expliquer l'entropie manquante des trous noirs, cette solution ne résout pas le fameux "paradoxe de l'information" qui prétend que l'information est définitivement perdue dès qu'elle franchit l'horizon des évènements, c'est-à-dire l'horizon externe, dont voici un schéma de la topologie.

Deuxième partie

Un problème à l'horizon

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