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Le trou noir

La limite de Schwarzschild (II)

Comme nous l'avons évoqué, en 1932, Subrahmanyan Chandrasekhar alors à l'Université de Cambridge et Lev Landau de l'Université de Moscou ont démontré que des astres parvenus au stade final de leur évolution, froids et sans réactions nucléaires pouvaient s'effondrer sous leur propre poids, au point de dépasser le stade d'étoile à neutrons. Si l'étoile à présent inerte atteint le rayon critique de Schwarzschild pour une masse finale supérieure à environ 3 M, elle se trouve dans un équilibre instable où la gravitation essaye de vaincre les forces cinétiques qui règnent dans le noyau.

Ainsi que nous l’avons entrevu à propos de l’évolution des étoiles à neutrons, sous l'effet de la gravitation, passé la limite de Landau-Oppenheimer-Volkoff ou limite LOV (également appelée limite Tolman-Oppenheimer-Volkoff ou limite TOV), la force de répulsion engendrée par la pression du gaz de neutrons dégénéré devient insuffisante. Cela s'explique facilement avec une petite formule.

Quelques uns des spécialistes ayant élaboré le concept d'étoile effondrée jusqu'à la singulartité (sans encore le nommer trou noir). De gauche à droite, Karl Schwarzschild, Albert Einstein, Roy Kerr, Robert Oppenheimer, Lev Laudau et Yakov Zel'dovitch. Documents AIP/HG, Voigt, AIP et Sonoma.

Lorsqu'une particule est au repos, la force gravitationnelle varie en fonction inverse du carré de la distance. Une fois en mouvement, cette force varie en fonction inverse du cube de la distance. Dès lors, les forces de répulsions du noyau n'ont plus la possibilité de retenir les forces gravitationnelles. Pour équilibrer cette force, les neutrons doivent acquérir une vitesse très proche de celle de la lumière. Et c'est ici que Ralph Fowler bloqua sur la solution. En effet, en vertu de la loi d'équivalence d'Einstein E = mc2, la masse des particules dégénérées devient aussi très importante. Cette masse supplémentaire accélère l'effondrement de l'étoile, si bien qu'en cherchant à se maintenir en équilibre, les neutrons accentuent l'effet gravitationnel. La masse du coeur de l’étoile franchissant la limite de Landau-Oppenheimer, l'étoile parvient à se contracter un peu plus et perce le front de résistance des neutrons. Si elle franchit ensuite le rayon de Schwarzschild, sans exploser elle se dérobe au regard des observateurs et constitue ce qu'on appelle un trou noir. Eddington l'avait bien pressentit mais il ne l'avait pas bien exprimé mathématiquement.

L' effondrement d'une étoile massive est d'autant plus rapide que sa propre masse accélère l'effet gravitationnel. Document ThinkQuest adapté par l'auteur.

En fait la matière continue à s'effondrer à une vitesse supérieure à celle de la lumière mais sous une limite invisible dénommée l'horizon des évènements qui n’est autre que le rayon de Schwarzschild. L'espace-temps est tellement incurvé sous sa propre densité d'énergie qu'il est réduit à l'échelle de Planck, soit 20 ordres de grandeur en dessous de la taille du proton ou 10-33 cm !

La deuxième erreur d'Einstein

En 1939, Einstein qui était persuadé que l'Univers était statique et donc qu'il n'avait jamais connu d'état condensé et avait toujours était tel qu'il était, était opposé à la théorie de "l'atome primitif" de Lemaître et publia un article dans lequel il développa mathématiquement l'idée qu'un système physique ne pouvait pas être plus petit que le rayon de Schwarzschild.

Einstein prit l'exemple de l'évolution d'un amas de particules en contraction. A mesure que son rayon diminue, la gravitation devient plus forte et finalement, lorsque le rayon tend vers le rayon de Schwarschild, les particules atteignent la vitesse de la lumière, ce qui est impossible selon la relativité. Einstein conclut sa démonstration en déclarant que de ce fait "les singularités de Schwarzschild n'existent pas dans la réalité physique."

Il est ironique de constater qu'Einstein utilisa sa propre théorie pour nier l'existence des trous noirs ! Comme quoi on peut être un génie et clairvoyant et malgré tout conserver des préjugés comme le fit en son temps Eddington vis-à-vis de la théorie de Chandrasekhar.

Quelques spécialistes des trous noirs. De gauche à droite, Subrahmanyan Chandrasekhar, Igor Novikov, John Wheeler, Roger Penrose, Donald Lynden-Bell et Leonard Susskind. Documents Université de Syracuse (USA), V.I.Goldanskii, U.Texas, Conexion Event Management, Kavli Prize et Alchetron.

L'étude des singularités

Les singularités sont des entités extrêmement importantes car on peut en tirer quelque chose en analyse complexe, cette branche des mathématiques qui étudie les fonctions définies sur un domaine du plan complexe (fonctions holomorphes). Ainsi, les singularités peuvent être définies par des fonctions analytiques, c'est-à-dire des fonctions déterminées en chacun des points de leur domaine ou région. Grâce à cette représentation, on peut étudier leurs comportements réels car la dérivée d'une fonction holomorphe est une dérivée réelle dans son sens mathématique. On peut donc évaluer sa vitesse, sa masse, etc. A l'inverse, les singularités complexes sont des points dans le domaine de la fonction mais dont la fonction n'est plus analytique. Ici c'est la grande inconnue.

Les singularités sont classées en deux grandes catégories : les singularités isolées et non isolées.

Les singularités isolées comprennent plusieurs espèces dont le point singulier, les pôles de différents ordres, les singularités essentielles ou pôles d'ordre infini, les singularités logarithmiques, les singularités de Whitney, les singularités remplaçables, ces dernières pouvant être associées à des nombres complexes et remplacées par une fonction imaginaire où intervient le théorème de Riemann, etc.

Les singulatités non isolées peuvent représenter les limites naturelles d'un domaine (univers sans bord) ou une impasse (branche coupée).

Par définition on ne peut pas étudier une singularité complexe si par exemple elle concerne les propriétés d'une structure à l'échelle de Planck, car aucune théorie actuelle ne peut expliquer les propriétés de la matière ou des interactions en dessous de cette échelle. Comment procéder ? Personne ne le sait vraiment et seuls des mathématiciens, des astrophysiciens théoriciens ou des physiciens théoriciens spécialisés dans les formes de géométries spatiales et les distorsions de l'espace-temps peuvent s'aventurer sur ces sentiers non balisés. Ils essayent par exemple d'y appliquer les lois de la gravité quantique mais on découvre que les dimensions perdent leur caractère continu et se séparent en intervalles individuels ou quanta. C'est en ce sens que la matière et le temps n'existent plus sous le rayon de Schwarzschild car nos lois ne sont pas encore capables de décrire cet environnement dont les représentations non seulement concrète mais également formelle relèvent du défi intellectuel.

Des problèmes à l'horizon

Dans une singularité, à l'échelle de Planck, la matière où ce qu'il en reste se trouve dans un état qui obéit aux lois encore mal maîtrisées de la gravité quantique : la matière subit des accélérations gravitationnelles et des pressions inouïes et en même temps la moindre perturbation, même le déplacement d'un électron engendre des fluctuations quantiques tellement chaotiques et violentes, que même le temps perd sa signification, devenant une composante spatiale qui se déchire en permanence sous forme de quanta en vertu des relations d'incertitudes de Heisenberg.

Quelques spécialistes des trous noirs. De gauche à droite, Stephen Hawking, Kip Thorne, Michio Kaku, Jean-Pierre Luminet, Matt Visser et Samir Mathur. Documents Jaime Travezan, D.R., D.R., Eric Fougere, D.R, D.R.

Passé la limite ou rayon de Schwarzschild, c'est-à-dire sous l'horizon externe, les calculs montrent que la matière est définitivement inaccessible. Manquant de théorie complète, on considère que la matière perd ses propriétés car nous ne pouvons plus la modéliser sur bases des théories "classiques" : dans le cadre de la relativité générale, la matière est condensée et finit par atteindre la singularité dans son sens mathématique, un point singulier où mathématiciens et physiciens théoriciens butent sur des solutions d'équations qui divergent; la masse d’un trou noir par exemple devient infinie tout comme la courbure de l'espace-temps. Et comme on ne peut appréhender le concept d'infini, nous sommes aujourd'hui dans une impasse intellectuelle ou plutôt dans une singularité !

Les théories alternatives

Cordes et boucles

Actuellement, les singularités nous empêchent de comprendre la véritable nature des trous noirs et d'avoir sinon une compréhension totale du moins une vue complète des processus physiques extrêmes. Il faut donc proposer des solutions.

Depuis quelques années, quelques percées se dessinent, notamment la théorie des cordes qui propose quelques solutions intéressantes, en particulier grâce aux travaux de Samir Mathur (cf. le concept de balle floue) ainsi que la théorie de la gravité quantique à boucles médiatisée par Carlo Rovelli qui traite l'espace-temps de manière quantifiée.

Seul inconvénient, il s'agit d'ébauches de théories que les physiciens et les astrophysiciens peinent à valider par l'expérience. Or un concept même formalisé mais non validé peut rester longtemps dans les limbes de l'imagination. D'ailleurs ce sont les théories les plus nombreuses. Tous les chercheurs et tous les auteurs s'intéressant au sujet ont probablement déjà reçu un jour le texte d'une théorie émise par un lecteur qui la plupart du temps ne l'avait  même pas formalisée. Si toutes les théories trouveront toujours quelques supporters, il en faudra plus pour renverser un paradigme.

Si Mathur et Rovelli ont déjà été un pas plus loin, ils savent aussi que leurs chances de réussir est quasi nulle. En effet, dans le monde des cordes de Mathur, il a une chance sur 10520 de trouver la bonne théorie. Quant à Rovelli, sa théorie n'est pas capable de prédire l'existence de la matière et de l'énergie sombres alors qu'elles représentent les princiales composantes de l'univers. De plus, elle contient trop de paramètres libres qui la rendent suspecte et peu prédictive. Bref, pour l'instant si les auteurs affirment que leur théorie prédit quelques phénomènes (mais qui n'ont toujours pas été observés), les autres chercheurs sont loin d'y voir une solution à leurs problèmes.

La théorie du noyau de Planck

Le physicien Igor Nikitin du Fraunhofer Institute for Scientific Algorithms and Computing (SCAI), en Allemagne, s'intéresse à la "singularité radicale". Il proposa dans un article publié sur "arXiv" en 2021 que les trous noirs seraient des étoiles sombres abritant une physique exotique. Selon Nikitin, à la place d'une singularité, un trou noir contiendrait un noyau de Planck, c'est-à-dire un microscopique point de matière réduit et compressé à l'échelle de Planck.

Dans ce modèle de trou noir, il n'y a pas d'horizon des évènements, les trous noirs ne sont donc pas complètement noirs, et peuvent émettre des particules classiques ou exotiques. Avec un trou noir contenant un noyau de Planck, il n'y aurait aucun endroit où la force gravitationnelle dépasserait la vitesse de la lumière. En revanche, pour un observateur extérieur, l'attraction gravitationnelle serait si forte qu'elle ressemblerait et agirait comme un horizon des évènements.

Dans ce cas, comment départager les deux modèles ? Selon Nikitin, seules des observations extrêmement sensibles, pour lesquelles nous n'avons pas encore la technologie, pourraient les distinguer. Si c'est une déception pour nos jeunes thésards, il reste une lueur d'espoir pour les futures générations.

Document Mondolithic Studio.

La théorie du noyau de Planck appartient à la physique des idées révolutionnaires qui font exploser des paradigmes. Mais l'histoire des sciences nous a prouvé que les problèmes radicaux nécessitent des solutions radicales. Il faut donc un jour se décider à renverser quelque chose d'établi et remplacer le concept de "singularité" par celui de "noyau de Planck" par exemple.

Si ce n'est peut-être pas aussi facile que de substituer un mot par l'autre, ce n'est pas si exagéré en soi, même si la théorie est à peine ébauchée, sans les mathématiques ni la physique pour formaliser et décrire ce genre d'environnement.

Cela ne plait évidemment pas aux chercheurs de la "vieille" école dont tout le cursus académique puis les recherches sont fondées sur des concepts validés et non sur des idées en l'air. Car même si les hypothèses font partie de la démarche scientifique, elles doivent être démontrées et un jour validées par des mesures.

Pour cette raison, Nikitin propose plusieurs prédictions. Si la théorie du noyau de Planck s'avérait correcte, elle pourrait avoir d'agréables conséquences : "Si les trous noirs sont vraiment des étoiles de Planck et qu'ils émettent constamment un flux de matière sombre, ils pourraient expliquer les mouvements des étoiles dans les galaxies." Pour rappel, cette matière sombre n'interagit pas avec la lumière et représente les deux tiers de la masse de l'univers. Nikitin propose aussi que les sursauts des FRB correspondent à la chute d'un objet sur un noyau de Planck.

Mais son idée a déjà été critiquée. En effet, la matière sombre n'influence pas seulement le mouvement des étoiles mais intervient dans beaucoup d'autres phénomènes dont l'expansion accélérée de l'univers. Si ce noyau de Planck existe, il faudra aussi expliquer sa formation lors du Big Bang. A ce jour, aucun chercheur n'a vraiment envie de se séparer du modèle cosmologique Standard même dans sa version quantique améliorée, ni de son zoo de particules élémentaires, même des plus exotiques. Jusqu'à preuve du contraire, ces deux théories cadres, celle du Big Bang et celle des particules élémentaires, expliquent bien plus de phénomènes que n'importe quelle autre nouvelle théorie généralisée. Si Nikitiv limite l'effet du noyau de Planck à une poignée de phénomènes, sa théorie ne résistera probablement pas à un examen plus approfondi.

Ceci dit, cela reste un bon exemple d'idée pouvant expliquer la nature des trous noirs, car nous savons que nous ne sommes pas tout à fait sur la bonne voie et qu'il est possible qu'il existe des liens entre ces nouvelles idées et les autres grands mystères non résolus de l'Univers.

Mais soyons modestes et traitons un problème à la fois. A ce jour, les trous noirs, ces monstres gravitationnels ainsi nommés parce que rien ni aucune lumière ne peut échapper à leurs griffes, restent de loin les objets les plus mystérieux de l'Univers.

Nous n'irons pas plus loin dans cette description, tout d'abord parce que le sujet est déjà très indigeste pour les spécialistes, mais surtout parce qu'il n'existe pas encore de théorie complète de la gravité quantique; les étagères sont vides ! Quant à ceux de la physique exotique, ce nom est synonyme de tabou et la plupart des physiciens ne veulent même pas en parler, ayant déjà assez de difficultés pour comprendre la nature telle qu'elle est.

Nous nous trouvons donc dans une situation très particulière dans laquelle les théoriciens doivent trouver de nouveaux outils de travail en essayant de marier la physique quantique et la relativité générale dans une théorie unifiée des champs.

En attendant ce jour qui sera marqué d'une pierre blanche, continuons d'examiner les trous noirs dans le cadre de la théorie de la relativité générale, celle qui fait encore partie du paradigme supporté par la majorité des physiciens et astrophysiciens.

A voir : Simulation de production d'un trou noir dans ATLAS, CERN

Retour au modèle Standard

Comment peut-on expliquer l'état de la "matière" dans un trou noir ? En fait, on ne peut pas encore l'expliquer sur base du modèle Standard car la théorie de la relativité générale ne tient pas compte de la physique quantique. Heureusement, différentes théories permettent d'élaborer un modèle compatible (cohérent) avec les observations, ce que nous allons décrire dans les prochaines pages. Mais "compatible" ne signifie pas exact, encore moins réel, raisons pour lesquelles les simulations et les modèles actuels de trous noirs souffrent de quelques approximations et n'expliquent pas l'ensemble des phénomènes observés.

Le lecteur attentif peut se demander comment peut-on étudier une singularité et développer des modèles si nos théories ne s'y appliquent pas ? Comment peut-on d'un côté affirmer qu'un trou noir est une singularité et donc un concept inaccessible à l'expérience et d'un autre côté proposer des simulations décrivant ses propriétés et ses effets sur l'environnement ?

Représentations artistiques d'un puits gravitationnel dans un espace-temps statique. Documents T.Lombry et adapté de CanStock.

En fait, quand les astrophysiciens expliquent ce qu'est un trou noir au public y compris aux journalistes scientifiques, ils ont tendance à simplifier et à prendre des raccourcis intellectuels qu'ils ne prendraient pas devant leurs confrères où chaque mot technique à un sens particulier.

Pour un scientifique le terme singularité fait directement référence au concept mathématique alors qu'évoquer un trou noir fait penser à l'objet astrophysique; les deux concepts ne s'appliquent pas dans le même contexte et en pratique mieux vaut ne pas les mélanger.

Concrètement, il y a deux points de vue et deux façons d'étudier les trous noirs. D'une part l'approche théorique où l'on théorise, conceptualise les équations d'état et la singularité avec leurs effets gravito-métriques et quantiques mais déliés de tout lien avec la réalité même si l'analyse peut conduire à des prédictions concrètes (cf. le rayonnement de Hawking, les forces de marée, etc., sur lesquels nous reviendrons). D'autre part l'approche pratique, astrophysique fondée sur des données observables, c'est-à-dire les effets que produisent les trous noirs sur leur environnement et mesurés avec des instruments. 

Ce que les astronomes détectent avec leur radiotélescope ou les satellites ne sont pas du tout des singularités spatio-temporelles mais des émissions X, thermiques ou lumineuses ainsi que des effets optiques (déformations) qui sont les signatures de l'interaction du trou noir avec la matière ou le rayonnement qui l'entoure. Ensuite, c'est le rôle des astrophysiciens théoriciens ou des physiciens théoriciens de vérifier si leurs hypothèses et leurs modèles numériques sont conformes aux observations et prédisent effectivement ce type de phénomène où s'il convient de les modifier ou les affiner sur bases des nouvelles données ou de nouvelles lois.

Dans cet article, nous allons d'abord décrire les trous noirs théoriquement comme cela débuta historiquement puis nous verrons ce que les observations nous ont apprises et dans quelles mesures les modèles se rapprochent de la réalité.

Mais avant de décrire concrètement la topologie et les effets d'un trou noir, décrivons brièvement les différentes catégories de trous noirs.

Illustration réaliste d'un trou noir de Kerr passant devant un champ stellaire dont il déforme l'image par effet gravitationnel. Simulations préparées pour les effets spéciaux du film "Interstellar" de Christopher Nolan (2014). Documents Paramount Pictures/Warner Bros Pictures.

Nous verrons à propos des supernovae que certaines étoiles massives de type O peuvent imploser en trou noir sans exploser et donc sans laisser de trace. En fait, elles tournent très lentement sur elles-mêmes ce qui empêche le gaz qu'elle libère de bloquer leur effondrement sur le trou noir. Elles disparaissent donc du ciel discrètement.

Les catégories de trous noirs

Bien que tous les trous noirs résultent d'un effondrement gravitationnel, ils n'ont pas tous la même origine et n'évoluent pas tous de la même façon. Il existe trois principaux types de trous noirs plus trois types supplémentaires plus spéculatifs :

Le trou noir stellaire

Il s'est formé suite à l'effondrement d'une étoile massive (au moins ~3 M sur la Séquence principale). D'un rayon réduit à quelques kilomètres, sa densité est extrêmement élevée et présente un disque d'accrétion. C'est le plus commun.

Répartition des masses des trous noirs stellaires (2016). Document Collaboration LIGO-Virgo adapté par l'auteur.

Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2019, Shing-Chi Leung de l'Institut Kavli de Physique et de Mathématique de l'Université de Tokyo et ses collègues précisent qu'en théorie, la masse d'un trou noir stellaire ne dépasse pas soit 52 M pour les étoiles dont la masse initiale atteint 80 à 130 M sur la Séquence principale soit peut dépasser ~150 M pour les rares étoiles de plus de 300 M sur la Séquence principale (entre les deux, la supernova détruit totalement le coeur stellaire). 

Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de trou noir dont la masse serait comprise entre environ 60 et 150 M. Selon les simulations, les étoiles dont la masse est comprise entre 65 et 130 M subissent un processus appelé instabilité de paire entraînant leur explosion en supernova (cf. les PISN), ne laissant aucun résidu stellaire ni vestige (SNR) derrière elle. En fait, les trous noirs tombant dans cette catégorie de masses ne se sont pas formés suite à l'effondrement gravitationnel d'une étoile mais résulte de la fusion de deux trous noirs stellaires.

En pratique, il est déjà rare de trouver un trou noir stellaire dépassant 30 M. Dans l'évènement GW170729 détecté par LIGO le 29 juillet 2017 qui résulte de la coalescence (fusion) d'un trou noir binaire, les deux objets avaient une masse de respectivement ~50.6 et 34.3 M avant leur colescence en un objet de 80.3 M. Le trou noir de ~50 M est très probablement le vestige d'une supernova à instabilité de paire pulsationnelle ou PPISN.

Il y a cependant au moins une exception, l'évènement GW190521 détecté le 21 mai 2019 où l'un des deux noirs ayant fusionné avait une masse initiale de 85 M, tombant donc dans la "zone interdite" et ne devrait pas exister ! On y reviendra.

Estimation du nombre de trous noirs stellaires par galaxie. 100 millions est un chiffre raisonnable. Document J.Bullock et al. (2016).

Selon une étude statistique, on compte un trou noir stellaire pour 1000 étoiles sachant qu'une supernova sur 1000 se transforme en trou noir. Il existerait donc plus de 100 millions de trous noirs stellaires dans la Voie Lactée. Cet ordre de grandeur fut confirmé par une autre étude statistique réalisée par James Bullock de l'Université de Californie à Irvine et son équipe publiée en 2017 dans les "MNRAS" (en PDF sur arXiv).

Bien que les trous noirs soient en théorie très nombreux, paradoxalement étant donné leur petite taille, ils ne sont pas faciles à débusquer, même en tenant compte des effets sur leur environnement sur lesquels nous reviendrons.

A ce jour, on a localisé une bonne dizaine de trous noirs stellaires potentiels dont le plus proche se situe à 1600 années-lumière; il s'agit de XTE J1819-254 situé dans le Sagittaire. Découvert en 1999 grâce au satellite Beppo-SAX, il fut tout d'abord confondu avec une étoile variable d'où sa première désignation V4641 Sgr. En réalité il s'agit d'un système binaire X composé d'une étoile bleue massive de type spectral B9 III et d'un trou noir stellaire de 7.1 M qui lui arrache de la matière en émettant des bouffées de rayons X (2-12 keV) et des contreparties optiques (cf. R.M. Hjellming et al., 2000). Sa période est de 2.8 jours.

Mais le plus connu est le système binaire spectroscopique Cygnus X-1 découvert en 1965 par Louise Webster et Paul Murdin. A l'époque où les trous noirs étaient encore une hypothèse très peu supportée et même rejetée par son directeur de thèse, le jeune Murdin prit la précaution de ne jamais citer le mot "trou noir" dans son célèbre article publié dans la revue "Nature" en 1972 sauf à la dernière ligne :  "il pourrait s'agir d'un trou noir", sans oser l'affirmer bien qu'il avait estimé sa masse à 6 M. Aujourd'hui, on sait que l'estimation de sa distance était erronée. Il se situe à ~6100 années-lumière et sa masse est d'environ 15 M. C'est donc effectivement un trou noir.

Un autre candidat est le système binaire X GRS 1915+105 alias V1487 Aquilae situé à 35900 années-lumière dans l'Aigle constitué d'une étoile ordinaire de classe spectrale KIII et d'un trou noir stellaire de 14 M. C'est le premier trou noir stellaire découvert dans la Voie Lactée présentant des jets superluminiques. Il est également classé parmi les Nova X et les microquasars, deux indices suggérant que la source de ses émissions n'a rien de conventionnelle (ce n'est pas une étoile). On y reviendra.

Le trou noir de masse intermédiaire (IMBH)

Le trou noir de masse intermédiaire, IMBH en abrégé (Intermediate-Mass Black Hole), parfois appelé trou noir intermédiaire présente une masse comprise entre celle du trou noir stellaire et du trou noir supermassif soit entre environ 100 et 100000 M. Etant donné sa masse élevée, il ne résulte pas d'un effondrement stellaire mais plutôt de l'accrétion d'objets massifs.

Ce type de trou noir expliquerait les émissions de rayons X des sources ULX (Ultra-Luminous X-ray sources) découvertes dans les amas ouverts et globulaires ainsi que dans le coeur de la Voie Lactée. En effet, ces émissions sont plus puissantes que celles émises par les étoiles effondrées mais moins puissantes que celles des trous noirs supermassifs actifs.

Plusieurs candidats potentiels ont été détectés dont M82 X-1 en 2005 et un objet dans l'amas globulaire Oméga Centaure en 2008 mais l'interprétation reste incertaine et controversée.

En 2013, Amy Reines du NRAO et ses collègues publièrent dans "The Astrophysical Journal" les résultats de l'analyse de 151 galaxies naines extraites du sondage SDSS R8 dont 136 candidates présentaient un AGN et donc potentiellement un trou noir actif. Grâce à un modèle galactique dénommé "starlight" qui permet de soustraite la population stellaire, dans toutes ces galaxies les chercheurs découvrirent des trous noirs d'une masse virielle comprise entre 100000 et 1 million de masses solaires.

A gauche, sélection par l'équipe de A.Reiners de galaxies naines contenant un AGN abritant un trou noir intermédiaire ou supermassif actif. Les images composites extraites du sondage SDSS R8 mesurent 50''x50". A droite, images optiques (HST) de 4 parmi les 10 galaxies abritant un trou noir intermédiaire découvertes par Ivan Katkov et ses collègues en 2018. La contrepartie rayons X où se trouve le trou noir intermédiaire est indiquée par le cercle rouge. Les nombres indiquent la masse virielle indiquée en masses solaires. Documents A.Reines et al. (2013) et I.Katkov et al. (2018).

Un autre candidat fut découvert en 2016 dans l'immense nuage moléculaire CO-0.40-0.22 mesurant environ 16 années-lumière (150 trillions de kilomètres) de diamètre situé à 200 années-lumière de Sagittarius A*, le trou noir supermassif situé au centre de la Voie Lactée. La masse de ce trou noir intermédiaire atteindrait 100000 M pour un rayon inférieur à 1 UA.

Puis, en 2018 l'astronome Ivan Katkov de l'Université d'État de Moscou (MSU) et ses collègues ont annoncé dans "The Astrophysical Journal" (en PDF sur arXiv) avoir identifié 10 trous noirs intermédiaires dans le coeur de galaxies extérieures dont 5 n'avaient jamais été détectés. Leur masse varie entre ~36000 et 316000 M.

Les chercheurs ont analysé les données d'environ 1 million de galaxies du sondage SDSS R7 à la recherche de traces lumineuses tels qu'en émettent les disques d'accrétion des trous noirs. Sur 305 candidats retenus, ils ont ensuite utilisé la méthode d'étalonnage développée par l'équipe de Amy Reines décrite ci-dessous à droite et comparé ces données à celles des satellites X Chandra et Swift pour localiser sans évoque ces trous noirs intermédiaires.

L'évènement GW190521 précité détecté en 2019 est associé au premier trou noir de masse intermédiaire (142 M) dont nous avons la preuve qu'il s'est formé suite à la fusion de deux trous noirs stellaires.

Enfin, dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2022, une équipe internationale d'astronomes dirigée par Renuka Pechetti de l'Université John Moores de Liverpool au Royaume-Uni aurait découvert un trou noir de masse intermédiaire d'environ 91000 M au coeur de l'amas globulaire B023-G078 situé dans le halo de la galaxie d'Andromède M31, à 2.5 millions d'années-lumière. On y reviendra (voir page 9).

A gauche, une image composite de M82 prise en 2010 combinant l'image X prise par le satellite Chandra, l'image visible prise par le HST et l'image infrarouge prise par le télescope spatial Spitzer. Le trou noir intermédiaire M82 X-1 est l'objet le plus brillant dans l'encart, dans le secteur nord-est. Au centre, illustration du trou noir intermédiaire découvert en 2016 dans le nuage moléculaire géant CO-0.40-0.22 situé au coeur de la Voie Lactée à 200 a.l. de Sgr A*. A droite, schéma expliquant la méthode utilisée en 2018 par I.Katkov et ses collègues pour déterminer de la masse d'un trou noir situé au coeur d'un AGN à partir des spectres optiques en utilisant la méthode d'étalonnage de A.Reines et son équipe. Rangée du haut : Zoom sur un trou noir ayant un disque d'accrétion et ionisant le milieu interstellaire dans sa galaxie hôte. Les nuages de gaz denses dans le voisinage immédiat du trou noir (0.001 -0.1 pc, région à large raie ou BLR) sont virialisés (relaxés) et se déplacent à des vitesses allant jusqu'à des milliers de km/s, élargissant ainsi les raies de recombinaison des transitions permises (hors raies interdites). Les nuages de gaz raréfiés plus éloignés du trou noir (≤ 1 kpc, région de raie étroite ou NLR) se déplacent beaucoup plus lentement (jusqu'à quelques centaines de km/s) et émettent également dans des raies ou transitions interdites. Toutefois, la forme de la raie étroite dépend de la morphologie exacte de la NLR. Rangées du milieu et du bas : Modélisation du contenu stellaire d'une galaxie en comparant son spectre à des modèles de population stellaires dont le modèle "starlight". Ensuite, correspondance des raies d'émissions résiduelles en utilisant la même forme non paramétrique pour toutes les raies détectées, puis en ajoutant des composantes gaussiennes à large raie dans les raies de l'hydrogène de Balmer. Si les résultats sont sensiblement différents, les chercheurs ont pu estimer la masse virielle du trou noir à partir de la largeur et de la luminosité des composantes de la raie large en utilisant l'étalonnage de Reines et son équipe. Documents NASA/ESA/CXC/H.Geng et al., Keio University et I.Katkov et al. (2018) adapté par l'auteur.

Ces découvertes suggèrent que des trous noirs de masse intermédiaire pourraient se cacher dans de nombreuses petites galaxies et seraient même omniprésents dans l'univers local. Mais du fait qu'ils brillent peu et sont invisibles à grandes distances, on ne peut les découvrir optiquement que dans la Voie Lactée ou les galaxies proches. C'est donc un défi de pouvoir les localiser parmi les innombrables étoiles qui sont rassemblées dans les bulbes galactiques. Il est donc normal de découvrir assez peu de trous noirs intermédiaires. Seules les installations LIGO et autre Virgo peuvent détecter des IMBH jusqu'à 10 milliards d'années-lumière.

Katkov et ses collègues vont à présent utiliser l'un des télescopes Magellan de 6.5 m installé à Las Campanas au Chili pour inspecter 13 autres candidats et espèrent en répertorier beaucoup plus grâce au satellite X eROSITA lancé en 2019.

L'astronome Abraham (Avi) Loeb de l'Université de Harvard précise qu'en général, plus la masse des trous noirs de masse intermédiaire est grande, plus les bulbes stellaires des galaxies qui les hébergent sont grands. Une relation similaire est également observée avec les trous noirs supermassifs. Cela suggère que le processus formant les trous noirs est le même que celui qui forme les galaxies; il commence par les plus petites galaxies et se poursuit jusque dans les plus grandes d'entre elles.

La meilleure preuve de l'existence des trous noirs de masse intermédiaire est probablement l'éruption survenue en 2003 suite à la destruction d'une étoile par un IMBH détectée grâce au satellite rayons X Chandra de la NASA et confirmée ensuite par le satellite XMM-Newton de l'ESA et le satellite gamma Swift de la NASA. En effet, dans une étude publiée dans la revue "Nature Astronomy" en 2018, Dacheng Lin de l'Université du New Hampshire et ses collègues, ont décrit les résultats de l'analyse d'une puissante éruption X de moins de 3 keV (luminosité de ~1043 erg/s) apparue à environ 40700 années-lumière du centre d'une grande galaxie lenticulaire cataloguée 6dFGS gJ215022.2-055059 présentée ci-dessous, vraisemblablement émise par l'une des étoiles d'un amas stellaire. Le phénomène s'affaiblit en l'espace de 10 ans en suivant approximativement le modèle des TDE ou perturbation par effet de marée (voir page 4). Le disque thermique s'est refroidi de manière significative à mesure que la luminosité X diminua, une caractéristique de l'état thermique souvent observé dans des trous noirs accrétants de masse stellaire.

A gauche, la galaxie 6dFGS gJ215022.2-055059 photographiée par le Télescope Spatial Hubble sur laquelle est superposé l'enregistrement de l'éruption rayons X (en dessous à gauche) détectée en 2003 grâce au satellite Chandra. Cette éruption X fut vraisemblablement produite lors de l'interaction d'un TDE avec un trou noir de masse intermédiaire. A droite, évolution de l'éruption X entre 2006 et 2009. Documents NASA/ESA/STScI/CXC.

Selon les auteurs, cette signature couplée à des luminosités X très élevées, des spectres de rayons X ultrasoniques et l'évolution caractéristique en loi de puissance de la courbe de lumière constituent des preuve solides que la source astrophysique abrite un trou noir de masse intermédiaire de plusieurs dizaines de milliers de masses solaires. Cet évènement démontre que l'un des moyens les plus efficaces pour détecter les trous noirs de masse intermédiaire est par le biais des éruptions X des TDE dans les amas stellaires.

Le trou noir supermassif (SMBH)

Situé au centre d'une galaxie, le trou noir supermassif ou SMBH (Super Massive Black Hole) est issu d'un effondrement stellaire qui s'est produit voici plusieurs milliards d'années voire même plus de 10 milliards d'années. Le trou noir supermassif a accrété tellement de matière que sa masse peut atteindre des dizaines de milliards de fois celle du Soleil ! Selon une étude publiée en 2015 à partir des données de Chandra, sa masse minimale est d'environ 50000 M et, selon la manière dont il se forme, il pourrait ne pas y avoir de limite supérieure.

En se basant sur les données de Chandra, statistiquement la masse des trous noirs supermassifs vaut 0.14% de celui du bulbe des galaxies. Toutefois, comme l'ont montré plusieurs études (cf. M.Mezcua et al., 2018; J.Thomas et al., 2021), cette loi ne s'applique plus dans les galaxies massives. En effet, à partir de la relation reliant l'émission X et radio à la masse d'un trou noir, les chercheurs ont constaté que la masse des trous noirs supermassifs est 10 fois plus grande que le prévoit les statistiques. Ainsi, dans un échantillon de 72 galaxies situées à moins de 3.5 milliards d'années-lumière abritant un trou noir supermassif, 40% ont une masse supérieure à 10 milliards de masses solaires, soit dix fois supérieure aux prédictions pour une raison inexpliquée qui va obliger les astrophysiciens à revoir leurs modèles.

A gauche, ilustration du trou noir supermassif Sgr A* de 4.3 millions de masses solaires situé au coeur de la Voie Lactée. A droite, un trou noir supermassif entouré d'un disque d'accrétion attirant une étoile et sa planète. Ci-dessous, vue rapprochée du disque d'accrétion d'un trou noir. Documents NASA/GSFC, Jeremy Schnittman et T.Lombry.

On trouve donc les trous noirs supermassifs au centre des galaxies dont la Voie Lactée (cf. Sagittarius A*) où ils sont actifs, c'est-à-dire émettant un jet bipolaire, tant qu'ils sont alimentés et que la force de gravité du disque d'accrétion est supérieure à la luminosité d'Eddington (voir plus loin). Les plus massifs se trouvent souvent au sein de galaxies elliptiques géantes.

Le diamètre d'un trou noir supermassif (mesuré sur l'horizon des évènements) varie entre environ 10 millions de kilomètres (dans le cas Sgr A*) soit 7 fois le diamètre du Soleil, et probablement plus de 300 milliards de kilomètres soit un rayon pouvant dépasser 1000 UA ! En revanche, le disque d'accrétion peut dépasser 63000 UA soit plus de 10 années-lumière de diamètre !

Ces trous noirs supermassifs sont tellement gigantesques qu'ils présentent une très faible densité au point qu'on ne ressent pas les forces de marée près des plus massifs. Certains sont même dépourvus de disque d'accrétion. Ce type de trou noir doit dépasser une masse de 30 millions de M, la masse de Hills (ou limite de Hills), pour être capable d'absorber les étoiles sans les disloquer.

On reviendra sur les paramètres des trous noirs et en particulier sur les supermassifs car leur présence explique l'activité de nombreuses galaxies à noyau actif (ULIRG, quasars et autres AGN). Quant à leur formation, elle fait toujours l'objet de débats controversés, bien qu'un certain consensus commence à se dégager depuis les années ~2020. On y reviendra dans l'article consacré aux trous noirs supermassifs.

Le trou noir par effondrement direct (DCBH)

Découvert en 2003 à partir de simulations numériques du quasar CR7 réalisées par Volker Bromm et Avi Loeb, le trou noir par effondrement direct, DCBH (Direct Collapse Black Hole) en abrégé, est un objet théorique mais dont l'existence se concrétise jour après jour. Généralement il s'agit d'un trou noir supermassif.

Illustration de l'objet 29323 analysé par Fabio Pacucci et ses collègues qui pourrait être un trou noir par effondrement direct. Si Hubble ne détecte pratiquement rien en lumière visible (image en dessous à droite), en rayons X, il brille autant qu'une galaxie proche (en haut à droite). Document NASA/CXC/M.Weiss/F.Pacucci.

En 2016, Bromm et son équipe ont découvert grâce au télescope VLT que le spectre de l'objet CR7 situé à 12.7 milliards d'années-lumière à z = 7 présentait de manière inattendue des raies de l'hydrogène (raie Lyman alpha) plus brillantes que d'habitude et surtout celle de l'hélium II ionisé qui n'était pas prévue par les modèles, mais aucune trace d'éléments plus lourds. Dans leur article publié dans les "MNRAS", les chercheurs expliquent que la raie de l'hélium ionisé à 164 nm est la signature d'un gaz porté à environ 100000 K par le rayonnement UV intense qui peut être celui d'un amas stellaire de Population III.

Selon Bromm et ses collègues, CR7 serait le premier exemple où une nappe de gaz chaude et massive est en train de s'effondrer directement en trou noir supermassif sans passer par le stade intermédiaire d'étoile. Toutefois, il faut des conditions particulières comme une symétrie parfaite sinon le nuage se fragmente. Mais selon une autre étude publiée par David Sobral et ses collègues, CR7 serait plutôt un amas stellaire de Population III en train de réioniser l'univers.

Depuis cette annonce, dans le cadre du sondage CANDEL/GOODS-S du HST entre les longueurs UV et proche IR et complété par les données X du satellite Chandra, d'autres candidats de trous noirs par effondrement direct ont été découverts. Dans un article publié dans les "MNRAS" en 2016, Fabio Pacucci de l'Ecole Nationale Supérieure de Pise et ses collègues ont notamment décrit les objets catalogués 29323 et 33160. Dans les deux cas, la masse de gaz en effondrement direct représente au moins 100000 M soit la taille d'une galaxie.

Ensuite, dans le cadre du sondage UNCOVER du JWST, l'équipe d'Akos Bogdan du Centre d'Astrophysique Harvard & Smithsonian (CfA) de Cambridge, Mass., annonça dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2023 (en PDF sur arXiv), la découverte d'un trou noir supermassif probablement formé par effondrement direct au coeur du quasar UHZ1 situé à environ 13.2 milliards d'années-lumière du Soleil, derrière l'amas de galaxies de Pandore. C'est le premier DCBH identifié et le trou noir le plus lointain découvert à ce jour. On y reviendra (cf. page 9).

La formation d'un DCBH fut simulée en détail pour la première fois en 2018. Dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy", Kirk S. Barrow de l'Institut de Technologie de Géorgie à Atlanta et ses collègues ont découvert que ce type de trou noir émet d'importants rayonnements X et UV et s'accompagne de la formation de nombreuses étoiles pauvres en métaux. On peut utiliser ces indices pour essayer de les débusquer.

Lorsque le trou noir DCBH se formé à partir de ce qu'on appelle une "graine lourde", aussitôt une lutte se déclenche entre les émissions électromagnétiques - rayons UV et X essayant de s'échapper - et la gravité du trou noir qui tente de retenir la matière et le rayonnement. Il y a une limite, appelée la luminosité d'Eddington, au-delà de laquelle l'astre explose sous la pression de radiation. On y reviendra.

Selon les résultats de ces simulations dont deux exemples sont présentés ci-dessous, un DCBH est capable de déclencher la formation d'étoiles sur une période d'environ 500000 ans. En effet, comme tous les trous noir, un DCBH présente des phases d'activité calme et active. Les études radioastronomiques (cf. ALMA, LOFAR, etc) ont montré que c'est durant la phase active qu'il éjecte de grandes quantités d'énergie qui finalement peuvent expulser du gaz et de la matière de leur galaxie hote et influencer la formation de nouvelles étoiles (cf. la co-évolution des galaxies et des trous noirs supermassifs). Ces éjections de matière durent quelques dizaines à quelques centaines de millions d'années et on pense qu'elles se répètent, suivant un cycle périodique tant que le trou noir peut accréter de la matière.

Dans l'univers primitif , c'est-à-dire au dela de z ~10 où se formèrent exclusivement les DCBH, il existait des étoiles de première génération (Population III), généralement très massives et vivant peu de temps. Dans les 5 ou 6 millions d’années suivant leur formation, elles explosèrent en supernova et perturbèrent leur environnement en créant des ondes de choc. Ces différents phénomènes - émissions de rayons X, ondes de choc et la masse très élevées des DCBH par rapport à leur galaxie hote - sont des prédictions que les astronomes pourraient vérifier.

A gauche, simulations d'un DCBH installé au coeur d'une galaxie primordiale montrant la densité (à gauche) et la température (à droite) de la galaxie. On distingue les ondes de choc des supernovae se déployant depuis le centre, perturbant et chauffant la galaxie. A droite, formation d'un DCBH à partir d'une "graine lourde". Documents K.Barrow et al. (2018) et NASA/STScI/Leah Hustak.

Si d'autres découvertes le confirment, le DCBH offre l'avantage d'expliquer plus facilement la formation des trous noirs supermassifs moins de 500 millions d'années après le Big Bang, au-dela de z = 10. Pour en avoir la certitude, les astronomes disposent du télescope spatial infrarouge James Webb (JWST) opérationnel depuis 2022 dont la résolution est supérieure à celles des plus grands télescopes terrestres actuellement opérationnels (~0.1" ou 100 mas à la longueur d'onde de 2 microns avant traitement d'image contre 0.2" à 0.4" pour le VLT sans interférométrie et sans systèmes correcteurs). Sachant que l'optique adaptative CONICA/NAOS du VLT de 8.20 m offre une résolution de 2 mas à 2 microns et de 20 mas à 20 microns, le JWST qui travaille entre 0.6 et 28.5 microns nous offre des images d'une résolution incomparable qui permettent ensuite au télescope spatial à rayons X Chandra de se focaliser exactement sur l'objet étudié pour localiser par exemple le disque d'accrétion chaud d'un trou noir supermassif.

Le trou noir incroyablement grand (SLBH)

Selon une étude publiée dans les "MNRAS" en 2020 (en PDF sur arXiv) par Bernard J. Carr de l'Université Queen Mary de Londres et ses collègues, il existerait dans l'univers des trous noirs incroyablement grands ou SLBH (Stupendously Large Black Holes) d'une masse supérieure à celle des trous noirs supermassifs (notons que la catégorie des trous noirs hypermassifs n'existe pas. C'est tout au mieux une invention de rédacteurs).

Selon les théories actuelles, il existerait une limite supérieure à la taille (ou la masse) d'un trou noir supermassif (SMBH) en raison de la manière dont ces trous noirs se forment et se développent. L'existence de trous noirs encore plus massifs pourrait fournir aux chercheurs un outil puissant pour tester les modèles cosmologiques et améliorer notre compréhension de l'Univers primitif.

Illustration d'un SLHB. Document Getty Images.

Jusqu'à présent les chercheurs estiment que les trous noirs supermassifs se forment dans une galaxie hôte (comme c'est le cas de Sgr A* au coeur de la Voie Lactée) et atteignent leur taille gigantesque en accrétant des étoiles et des gaz de leur environnement ou par fusion avec d'autres trous noirs. Dans ce cas, selon les modèles, il existe une masse limite supérieure à environ 100 milliards de masses solaires (le record est actuellement de 40 milliards de masses solaires pour TON 618). On y reviendra à propos des trous noirs supermassifs..

Carr et ses collègues proposent une autre possibilité qui permettrait de former des SLBH qui échapperaient à cette limite et d'atteindre des masses varient entre 1012 et 1018 M. Ces objets pourraient être une autre variété de trous noirs primordiaux qui se seraient également former dans l'Univers primordial mais bien avant les galaxies.

Étant donné que les trous noirs primordiaux ne se forment pas à partir de l'effondrement d'une étoile, ils pourraient présenter un large éventail de masses, des très petits - de la taille du proton à cellle d'une montagne - et des gigantesques, plus grands que les SMBH.

Selon Carr, "Bien qu’il n’y ait actuellement aucune preuve de l’existence des SLBH, il est concevable qu’ils puissent exister et qu’ils également résider en dehors des galaxies, dans l’espace intergalactique, avec des conséquences observationnelles intéressantes. Cependant, de manière surprenante, l'idée des SLBH a été largement négligée jusqu'à présent. Nous avons proposé des options sur la façon dont ces SLBH pourraient se former et espérons que notre travail commencera à motiver les discussions au sein de la communauté."

Comme nous l'avons évoqué, le concept de SLBH est également intéressant sur le plan cosmologique. Des chercheurs ont montré que la matière sombre (ou noire) représente environ 27% de la densité totale de l'univers visible (à ne pas confondre avec l'énergie noire qui constitue environ 68% de l'univers et serait associée au vide de l'espace). Bien que nous ne puissions ni voir ni détecter la matière sombre, les chercheurs pensent qu'elle existe en raison de ses effets gravitationnels sur la matière visible, comme les étoiles et les galaxies. Cependant, nous ignorons sa nature.

A gauche, contraintes sur le nombre de SLBH en fonction de leur masse à partir d'effets dynamiques. L'axe x représente la masse possible du trou noir. L'axe y indique le rapport entre la densité des trous noirs et la densité de la matière noire, un f élevé signifiant un plus grand nombre de SLBH. Les contraintes établies sont le frottement dynamique du halo (DF), le manque de distorsions de marée dans les galaxies (G), les limites des structures à grande échelle (LSS), les limites d'accrétion des binaires X (XB), la limite d'incrédulité cosmologique (CIL) qui correspond à un trou noir primordial dans l'horizon cosmologique et la vitesse de la Voie lactée mesurée par rapport au rayonnement cosmologique micro-onde (CMB). A droite, contraintes sur le nombre de SLBH en fonction de leur masse à partir du chauffage attendu des trous noirs primordiaux (PBH). La ligne bleue indique la limite supérieure de l'abondance des SLBH. Documents B.Carr et al. (2020) adaptés par l'auteur.

Selon une théorie proposée par Bernard Carr (cf. B.J. Carr, 1976) et Stephen Hawking (Hawking & Page, 1976), les trous noirs primordiaux sont l'un des candidats potentiels du fait qu'ils se seraient formés dans les premiers instants de l'Univers, lorsque des fluctuations de sa densité auraient entraîné l'effondrement de certaines régions en trous noirs. Selon Carr, "Les SLBH eux-mêmes ne pourraient pas fournir la matière noire, mais s'ils existent, cela aurait des implications importantes pour l'Univers primitif et rendrait plausible l'idée que des trous noirs primordiaux plus légers la compose."

Autres espèces de trous noirs

En plus des trous noirs de Schwarzschild (sans rotation) et de Kerr (en rotation), il faut ajouter trois entités plus théoriques voire spéculatives :

- le trou noir de Reissner-Nordström surnommé le "trou noir électrique" qui est chargé électriquement. Généralement les particules chargées s'annulent avec leur opposé ou sont négligeables dans un corps célestes du fait que les effets du plasma créent un courant qui compense les charges. Mais en théorie un trou noir peut accumuler des charges électriques, des électrons et des protons qu'il a capturé dans le milieu interstellaire, ajoutant un paramètre Q mesurable qui représente le spin du moment cinétique (ou moment angulaire).

Un trou noir électrique. Document T.Lombry.

On a calculé que la charge électrique maximale d'un trou noir de 10 M peut atteindre ±1022 C soit 1040 fois celle de l'électron valant -1.602x10-19 C. Ce type de trou noir peut être statique (trou noir de Reissner-Nordström) ou en rotation (trou noir de Kerr-Newman) et s'il atteint une valeur de spin maximale, comme le trou noir de Kerr, ses deux horizons se rejoignent et se disloquent, mettant à nu la singularité (voir plus loin). On estime qu'il est peu probable que ce type de trou noir existe mais rien ne l'interdit.

- le trou noir primordial né durant la phase primordiale de l'Univers (entre 10-43 et 1 s) dont la masse oscille entre 10-5 g et 105 M selon l'époque de leur formation. La taille moyenne des plus petits est d'environ 10-11 mm. Leur durée de vie étant proportionnelle au cube de leur masse, ceux dont la masse atteignait 1012 kg se sont évaporés en moins de 14 milliards d'années. On y reviendra brièvement en cosmologie à propos du Big Bang et en détails en fin de dernière page car pour l'instant cela reste un concept qui n'a jamais été confirmé par l'observation, mais de nouveau rien n'interdit son existence.

- le trou noir virtuel né d'une fluctuation quantique et dont par nature la durée de vie est temporaire bien que ce terme soit relatif. Sa masse comme sa taille seraient à l'échelle de Planck. Avec le temps, certains d'entre eux peuvent toutefois atteindre une masse de 1 M et survivre 1064 ans tandis que ceux ayant une masse inférieure à 1012 kg se seraient évaporés aujourd'hui. Ce concept fut imaginé par Stephen Hawking en 1974 (voir également son article de 1996).

Voyons à présent la structure et les paramètres caractérisant un trou noir de Kerr, le plus commun.

Prochain chapitre

Topologie et paramètres

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