Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

L'univers des galaxies

La galaxie M91 anémiée photographiée par Adam Block avec le télescope Schulman RCOS de 0.81 m de l'observatoire du Mt Lemmon installé en Arizona. Document Adam Block/Mt Lemmon SkyCenter/U.Az.

Effet de la pression dynamique sur la production d'étoiles (V)

Nous avons expliqué à propos de la Voie Lactée qu'un vent interstellaire souffle dans la Galaxie. Ce vent constitué de particules est émis par l'atmosphère supérieure des étoiles actives (cf. le vent solaire) y compris par les supernovae. Il est également parfois généré par des processus non-thermiques (interaction entre un trou noir supermassif et son disque d'accrétion interne, etc.). Ce vent se propage dans le milieu galactique formant le vent interstellaire (MIS ou "ISM wind" en anglais). Tout objet venant à sa rencontre subit une pression dynamique ("ram pressure" en anglais).

Lorsque de nombreuses étoiles et notamment des supernovae rassemblées dans une même région - par exemple le coeur d'une galaxie - émettent ces rayonnements et modifient la structure de la galaxie ou le taux de formation des étoiles, on parle de supervent. L'effet de ce supervent est surtout visible dans les galaxies Starburts, c'est-à-dire à sursauts d'étoiles (voir plus bas).

On suppose que les supervents galactiques se produisent lorsque les éjecta des supernovae ou des vents stellaires interagissent avec une force suffisante pour que l'énergie cinétique de la matière éjectée soit convertie en énergie thermique. Il en résulte une rafale massive de gaz surchauffé en expansion rapide pouvant s'étendre sur toute la longueur d'un galaxie comme dans le cas de M82 (voir plus bas).

La pression dynamique exercée par ce vent interstellaire est proportionnelle au carré de la vitesse relative. Ce vent interstellaire est parfois tellement puissant, surtout lorsqu'il est renforcé par l'explosion des supernovae, qu'il souffle le gaz constitué d'hydrogène atomique et la poussière vers le bord du disque de la galaxie, c'est le processus de balayage ou plutôt d'arrachage appelé "stripping". Il a pour effet de réduire drastiquement le taux de production d'étoiles; la galaxie perd sa source d'énergie et vieillit précocement.

On retrouve ce phénomène de balayage du gaz dans beaucoup de galaxies et notamment dans la spirale barrée M91 (NGC 4548) située dans l'amas de la Vierge présentée à droite, qualifiée de galaxie "anémiée".

Décrivons quelques galaxies emblématiques subissant les effets de cette pression dynamique.

M94

M94 est un cas intéressant de galaxie dans laquelle on peut facilement observer les effets de la dynamique interne sur la formation des bras spiralés et des étoiles. C'est une galaxie spirale classée (R)SA(r)ab située à environ 16 millions d'années-lumière dans la constellation des Chiens de Chasse. Elle fut cataloguée par Messier en 1783. Cette galaxie est deux fois plus petite que la Voie Lactée. Dans le ciel, elle s'étend sur 11.2' x 9.1' soit ~1/9e de la surface de la Lune (à peine plus que M82 ou M51) et brille à la magnitude 8.99.

M94 est le membre le plus important du "Groupe M94" qui comprend entre 16 et 24 galaxies selon les études. En fait, seuls quelques membres seulement sont gravitationnellement liés, les autres suivant le mouvement d'expansion de l'Univers. Ce groupe fait partie du superamas Virgo au même titre que l'Amas Local dont fait partie la Voie Lactée.

Comme le montrent les photographies suivantes, à l'inverse de la majorité des galaxies spirales qui présentent un bulbe central sphéroïde constitué de vieilles étoiles, Kormendy et Kennicutt ont montré en 2004 que M94 contient un pseudo-bulbe; son noyau ne présente pas le grand bulbe stellaire classique mais contient une structure centrale brillante où se forment de nombreuses étoiles et qui ressemble à un bulbe quand on la voit de face. Mais dans le cas de M94, ce pseudo-bulbe a la forme d'un anneau entourant une région centrale de forme ovale qui de loin ressemble à une barre nucléaire.

Ce qui frappe le plus sur les photographies de M94 est la présente d'un anneau interne d'étoiles bien visible en lumière blanche et UV qui lui valut son surnom de galaxie "Starburst", traduit en français par galaxie "feux d'artifice" ou "scintillante". Cet anneau de 3500 années-lumière de rayon (35") est le lieu d'une forte activité stellaire alimentée par le gaz qui est entraîné dans cette région par la pseudo-barre nucléaire. Cet anneau brillant est principalement constitué de jeunes étoiles bleues et abrite de nombreuses et vastes régions HII.

Gros-plan sur le noyau et l'anneau interne de la galaxie spirale M94 en lumière blanche et en hydrogène-alpha. On constate la grande concentration de jeunes étoiles et de régions HII. Documents NASA/ESA/STScI et NASA/ESA/STScI/CADC traité par Robert Gendler.

Comme on le voit ci-dessous, les photographies à longues poses de M94 révèlent également la présence d'un anneau externe plus diffus et moins lumineux situé à 18000 années-lumière du centre (300").

Une étude publiée en 2009 a montré que ce second anneau n'est pas fermé et est oval. Il s'agit en fait d'une structure complexe formée à partir des bras spiralés qui apparaît principalement en proche IR et UV. Cette même étude a montré que cet anneau externe est actif. Il contient environ 23% de la masse stellaire totale de M94 et contribue à environ 10% des jeunes étoiles.

Malgré les apparences, le taux de formation stellaire dans la partie externe du disque et donc dans cet anneau externe est environ deux fois supérieur à celui de l'anneau interne car cette région périphérique présente un meilleur rendement par unité de masse stellaire. Ce second anneau contient de nombreuses régions HII, des rémanents de supernovae et des étoiles jeunes âgées d'environ 10 millions d'années.

Plusieurs hypothèses ont été évoquées pour expliquer la présence de cet anneau externe parmi lesquelles l'accrétion d'une galaxie satellite ou l'interaction gravitationnelle avec un système stellaire proche. Toutefois, des analyses ultérieures contredisent ces scénarii et ont conclu que l'anneau interne de M94 représente une distorsion ovale qui est à l'origine de la formation de l'anneau externe. En effet, en tournant sur elle-même, la pseudo-barre nucléaire génère un couple qui altère la dynamique de la distribution de la matière qui se répartit dans les deux anneaux représentant des zones de résonances du disque. La théorie du chaos et des phénomènes turbulents trouvent ici une magnifique application à grande échelle. On retrouve une dynamique similaire dans les barres principale et secondaires de la Voie Lactée.

La galaxie spirale M94 et son anneau externe pâle, en fait l'extension des bras. A droite, l'aspect global de la galaxie aux longueurs d'ondes visibles, IR et UV. On remarque que les bras sont beaucoup plus brillants dans ces rayonnements émis par la poussière et le gaz et que les différentes composantes ne s'alignent pas. Documents Jay GaBany et IAC/IAUC.

Sur le plan chimique, M94 est classée parmi les LINER (Low Ionization Nuclear Emission Region), c'est-à-dire dont le noyau présente une faible émission ionisée. L'analyse spectral révèle bien la présence de gaz ionisé mais à un niveau d'ionisation très faible, les atomes ayant perdu peu d'électrons. C'est également l'un des LINER de type 1 (à raies d'émission larges) le moins lumineux recensé à ce jour.

M94 est également classée parmi les AGN (Active Galactic Nucleus), c'est-à-dire qu'il s'agit d'une galaxie à noyau actif. En effet, son noyau présente des raies de l'hydrogène alpha élargies dont Constantin et Seth ont montré en 2011 qu'il s'agit de la signature de sources UV, radio et X qui seraient associées à un trou noir d'au moins 100000 M et qui atteindrait plusieurs millions de masses solaires en intégrant son disque d'accrétion.

Enfin, M94 est l'une des rares galaxies présentant très peu voire pas du tout de matière sombre. Une étude publiée en 2008 par Joanna Jalocha et ses collègues a montré qu'à partir des mesures de luminosité faites dans la bande infrarouge, le rapport masse-luminosité M/L = 1.2 alors que dans M31 par exemple le rapport M/L varie entre 20 et 60 et dépasse largement la centaine dans les amas de galaxies.

La masse totale de M94 a été estimée à 3.43x1010 M alors que si on tient compte du modèle de la matière sombre, on obtient une valeur de 5x1010 M dont 70% de la masse serait dans le halo sombre. Cela signifie qu'à peine 20% de la masse baryonique de M94 n'est pas visible et que ce sont principalement les étoiles et les nuages de gaz d'hydrogène qui déterminent le taux de rotation du disque et l'aplatissement des courbes de vitesses à grande distance du disque (cf. le problème de la matière sombre).

Ce résultat est inhabituel et reste controversé car les modèles actuels des galaxies n'expliquent pas comment une galaxie pourrait se former sans présence d'un halo de matière sombre ou comment une galaxie pourrait perdre sa matière sombre. Quant à la théorie alternative de MOND qui tient compte d'une variation de la force de gravité, elle fut invalidée. Pour l'heure, ce faible rapport M/L doit être vérifié par d'autres astronomes et retesté dans les modèles de formation des galaxies.

NGC 4921

En 2015, l'astronome Jeffrey D.P. Kenney de l'Université de Yale et ses collègues ont publié dans "The Astronomical Journal" un article sur la galaxie spirale NGC 4921 dont on voit une photographie ci-dessous, décrivant les effets de la pression dynamique engendrés par les vents intergalactiques sur sa composition et son évolution.

La partie centrale de la galaxie NGC 4921 de l'amas de Coma révèle toute la puissance de la pression dynamique du vent intra-amas sur le milieu interstellaire. Cette image publiée en 2015 est un composite en pseudo couleurs RGB (R/IR, B/V, B et V) réalisé par Robert Colombari à partir des images prises par le HST en 2006 et 2007. Document NASA/ESA/STScI.

NGC 4921 est une belle galaxie spirale vue de face de magnitude apparente +13 qui se situe à 310 millions d'années-lumière dans l'amas de Coma. Cette galaxie spirale présente des bras serrés autour d'un bulbe stellaire barré (SB(rs)ab). Comme dans toutes les galaxies saines, les nouvelles étoiles se forment à partir du gaz et des poussières présentes dans le milieu interstellaire, représentés par les bras bleutés plus denses contenant énormement de nuages d'hydrogène neutre, le principal carburant des étoiles.

En parallèle, la trajectoire orbitale de cette galaxie dans l'amas de Coma la conduit près du centre de l'amas, l'attirant à travers le gaz chaud ionisé (plasma) du milieu intra-amas qui agit comme un fluide visqueux.

Ce que Kenney et son équipe ont démontré, c'est que cette galaxie subit une pression dynamique interne et surtout externe très importante suite à son déplacement.

Comme on le voit ci-dessous, un gros-plan sur NGC 4921 montre tout autour du noyau une structure complexe de poussière qui semble avoir été soufflée vers l'extérieur comme une vague subissant l'assaut du vent. Et l'analogie est tout à fait justifiée.

La partie inférieure de la photo (encadrée en jaune) présente des structures intéressantes. Selon Kenney, "le côté [supérieur] de la galaxie paraît peu influencé par la pression dynamique du vent intra-amas, la poussière présente étant probablement protégée des vents par le reste de la galaxie."

En revanche, "le côté opposé [et inférieur] de l'image qui est le bord d'attaque, révèle des détails sans précédent sur les effets des vents intergalactiques", fait remarquer Kenney. "La pression dynamique repousse les nuages de poussière jusqu'à ce qu'ils forment un front épais de matière sombre qui s'accumule", à l'image de débris que l'on pousse devant soi, "les zones les plus denses formant d'immenses piliers" qui s'étendent localement sur près de 2 kpc soit 6500 années-lumière.

Comme on le voit  à gauche, ces formations rappellent celles de la célèbre photo des "Piliers de la Création" de la nébuleuse M16 prise par le Télescope Spatial Hubble en 1995, mais dont le mode de formation est différent (cf. cet article) et la taille des milliers de fois plus petite malgré les apparences.

On observe également dans la région tumultueuse de NGC 4921 de remarquables structures très fines. Certains nodules sombres sont précédés par des zones brillantes bleues claires qui émergent du front de poussière. Selon Kenney, "ces formations seraient le résultat de la séparation des nuages de gaz denses des zones de plus faible densité sous l'effet du vent intergalactique."

La cohésion de ces régions denses et sombres serait assurée par des champs magnétiques dont les lignes de force peuvent influencer la forme des nuages. En effet, sans ces champs magnétiques, les zones situées en bordure extérieure du front de poussière s'organiseraient uniquement en fonction de la densité du milieu interstellaire; elles formeraient une crête crenelée continue composée d'une succession de pics et de creux.

Or ce n'est pas ce qu'on observe dans cette galaxie. Les piliers s'élèvent à partir d'une surface inférieure apparemment lisse. Selon Kenney, "ils sont le résultat d'une forme de matière de faible densité qui serait "collée" à la matière plus épaisse; cela correspond au comportement d'un gaz sous l'influence de champs magnétiques." On reviendra sur cet effet en dernière page car il explique l'aspect de certaines galaxies, notamment vues de profil.

A gauche, formation de "piliers" de poussière dans un secteur situé à quelque 60000 années-lumière du coeur de la galaxie NGC 4921. Ils ont été formés par la pression dynamique du vent intra-amas et renforcés par des champs magnétiques. Ces piliers rappellent les fameux nuages denses mais de taille bien plus modeste de la photo de droite prise par le HST en 1995 surnommée les "Piliers de la Création", une future nurserie d'étoiles en formation située au coeur de la nébuleuse M16 dite de l'Aigle située à 7000 années-lumière dans le Serpent. L'encart est une mosaïque de plusieurs photos RGB (R=S II, G=H-alpha, B=O III) de M16 prises avec le télescope de 0.9 m du Kitt Peak. Documents Jeffrey D.P.Kenney/NASA/ESA/STScI rectifié par l'auteur et NASA/ESA/STScI/J.Hester/P.Scowen (U.Az).

L'étude de Kenney et ses collègues a également montré que l'effacité du processus de balayage du gaz des galaxies peut être réduite par la présence de champs magnétiques. En effet, comme un aimant, les lignes de force du champ magnétique peuvent retenir le gaz et les fronts de poussière, évitant la formation de "trous" dans ce front par la force du vent intra-amas. Les trous qui se formeraient éventuellement dans ce front de matière augmenteraient la surface de la poussière exposée au vent dominant, accélérant le processus de balayage et la perte du gaz au détriment des futures étoiles et de la bonne santé de la galaxie.

On estime qu'à travers le processus de balayage, une galaxie peut perdre jusqu'à 90% de son gaz. On peut donc déjà prédire que cette belle galaxie va donc vieillir très rapidement et probablement se transformer en galaxie lenticulaire puis devenir elliptique.

NGC 4921 est l'une des rares galaxies où il est possible de voir clairement la manière dont la matière interstellaire du disque est affectée par la pression dynamique du vent intra-amas. Il y a toutefois d'autres indices suggérant qu'il existe d'autres processus plus importants que les champs magnétiques à l'oeuvre dans ce processus de stripping. La recherche continue.

Enfin, notons que cette région de matière condensée contient des étoiles variables Céphéides dont les fluctuations lumineuses sont liées de manière précise et connue à la quantité d’énergie qu'elles émettent. Par conséquent ces étoiles constituent d'excellents échelons cosmologiques à courtes distances, des "chandelles standards", les supernovae prenant le relai à grandes distances.

NGC 4666 et NGC 4668

Le couple de galaxies NGC 4666 (au centre) et NGC 4668 (en dessous à gauche) photographié avec le télescope MGP de 2.2 m de l'ESO installé au Chili. Une troisième galaxie naine et pâle fut découverte en 2004 près de NGC 4666 ainsi qu'un petit amas de galaxies en 2010 qui se situe à environ 3 milliards d'a.l. et visible dans le coin inférieur droit.

Dans certains cas, comme NGC 4666 et NGC 4668 présentées à droite et situées à 80 millions d'années-lumière dans la Vierge, bien que séparées l'une de l'autre de plus de cent mille années-lumière, leur rapprochement a déclenché la formation massive d'étoiles dans chaque galaxie.

Dans une étude de leurs émissions radioélectriques (des régions HI à 1.42 GHz cm et du CO à 115 GHz) publiée en 2004, le radioastronome Fabian Walter du NRAO et ses collègues ont montré que NGC 4666 subissait l'explosion des nombreuses supernovae et présentait de violents vents stellaires émis par des étoiles massives situées dans les région de créations d’étoiles, ce qui engendre une importante éjection de gaz hors de la galaxie, formant ce qu'on appelle un "supervent".

Le troisième type de vent cosmique provient du déplacement des galaxies regroupées en amas à travers le gaz chaud ionisé présent dans le milieu intra-amas (MIA) dans lequel elles sont plongées et dont l'origine pourrait remonter à l'époque de leur formation.

En évoluant près du centre de l'amas où la quantité de gaz est la plus élevée, la galaxie génère un vent intra-amas qui peut balayer son gaz où l'évaporer s'il est très chaud (c'est l'évaporation thermique). En effet, le gaz intra-amas est généralement beaucoup plus chaud que le gaz interstellaire (température de brillance de 1 million de degrés contre 10-100 K pour les régions HI froides associées à des métaux bien que certains milieux interstellaires atteignent 10000 K).

La galaxie le pénétrant à grande vitesse, la pression dynamique et la chaleur de ce fluide sont capables d'évaporer le gaz de cette galaxie et de la vider littéralement de sa substance jusqu'à la démanteler. Un exemple catastrophique est donné par la galaxie ESO 137-001 de l'amas Abell 3627 qui a perdu plus d'un quart de son disque. Nous reviendrons plus loin sur la morphologie atypique de cette galaxie.

La combinaison de ces processus a pour effet de balayer des millions de masses solaires d'hydrogène de la galaxie qui ne seront plus disponibles pour créer des étoiles. Dans certaines conditions, cette pression dynamique épuise littéralement la galaxie qui finit sa vie telle une épave.

Les galaxies Starbursts (à sursauts d'étoiles)

Au cours de leur évolution, toutes les galaxies peuvent présenter une période de forte activité marquée par la production de nouvelles étoiles, ce qu'on appelle des sursauts d'étoiles (starbursts). Celles qu'on observe généralement ont subi des fusions galactiques, la force du vent interstellaire (ou du supervent), les ondes de choc et le brassage des gaz ayant favorisé la formation de nouvelles étoiles.

Les galaxies Starbursts (SB) sont des galaxies formant des étoiles à un taux ou SFR (Star Formation Rate) inhabituellement élevé variant entre quelques masses solaires par an pour une SB, ~50 M/an pour une LIRG et ~1000 fois celui d'une galaxie normale pour une ULIRG (cf. M.Whittle). Rappelons que le SFR ~2.9 M/an pour la Voie Lactée de nos jours (cf. K.Torii et al., 2019).

A ces niveaux élevés de formation stellaire, on estime que les réserves de gaz et de poussière de la galaxie s'épuisent en l'espace de 100 millions d'années. Cela signifie que cette phase de production stellaire intensive doit avoir débuté relativement récemment et va se terminer dans un avenir pas trop lointain, bien avant la mort du Soleil.

Les zones de production stellaire peuvent être réparties dans toute la galaxie, mais la plupart des étoiles sont observées dans une petite région autour du noyau ou dans les bras spiralés récemment réalimentés en combustible (en hydrogène). Bien que le mécanisme soit encore mal compris, on estime que la formation d'étoiles est déclenchée par les interactions de marée lorsque deux galaxies se croisent ou fusionnent comme dans le cas de la galaxie M82 située dans la Grande Ourse et des galaxies "des Antennes" NGC 4038/39 présentés ci-dessous. La présence d'un barre ou d'un anneau nucléaire peut aussi entraîner une accumulation de gaz et de poussière dans les régions centrales de la galaxie et booster la production d'étoiles comme dans le cas de M94 (voir plus bas).

A lire : Starbirth: Star formation timescales in M82, R. de Grijs, 2001

Star formation & Starburst galaxies, Mark Whittle/U.Virginia

Trois galaxies en phase "starburst" de sursauts d'étoiles. A gauche, M82 qui subit l'influence de M81 et dont le sursaut de production d'étoiles est à l'origine de la spectaculaire éjection de matière (en rouge on observe des filaments d'hydrogène atomique) transportée par un supervent stellaire issu du coeur de la galaxie. M82 présent un taux de formation stellaire SFR de ~20 masses solaires par an. Au centre, une vue générale de NGC 4038/39, les galaxies "des Antennes" qui auront fusionné dans quelque 400 millions d'années. Voici une photo détaillée de la région centrale révélant de nombreuses régions HII et une intense activité stellaire. Son SFR est ~16 masses solaires/an. A droite, une morphologie et une activité similaires s'observent dans la galaxie Haro 11 (H11) dont le SFR est de ~20 masses solaires par an. Documents Subaru, Star Shadows/CTIO et al. et ESO/VLT/NASA/ESA/STScI.

Bien qu'elles soient cachées aux longueurs d'ondes visibles par la poussière qui les enveloppe, des étoiles massives se forment à partir du gaz disponible et émettent fortement en UV. Quand elles sont nombreuses et illuminent toute une galaxie, elles peuvent être associées à des galaxies naines bleues compactes (BCD) ou des "Blueberries" (voir page suivante). Paradoxalement, ces longueurs d'ondes sont également absorbées par la poussière environnante et réémises sous forme d'infrarouge, faisant des galaxies Starbursts l'un des objets infrarouges les plus lumineux de l'univers (cf. les ULIRG). Ironiquement, c'est également le taux de formation rapide des étoiles qui met fin à la période de sursauts d'étoiles. Les explosions de supernovae et les vents stellaires des étoiles massives nouvellement formées peuvent suffire à balayer le gaz de la galaxie, stoppant ainsi toute formation stellaire.

Des galaxies Starbursts ont également été observées dans l'univers primitif et semblent plus répandues qu'aujourd’hui. Ces galaxies, distantes d'environ 12 milliards d'années lumière semblent avoir les mêmes caractéristiques que les galaxies Starbursts proches et indiquent que les interactions entre les galaxies étaient beaucoup plus fréquentes dans le passé. On reviendra sur les galaxies Starbursts à propos de la contamination extraterrestre car les radioastronomes y ont détecté parfois une centaine de raies moléculaires dont des iCOM.

NGC 253

Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal Supplement Series" en 2024, une équipe internationale de chercheurs dirigée Nanase Harada du NAOJ en collaboration avec l'ESO et le NRAO a étudié au radiotélescope la galaxie NGC 253, une grande galaxie spirale brillante (SBc de magnitude apparente +8 et mesurant 26.4' x 6') située à environ 10 millions d'années-lumière dans la constellation du Sculpteur.

NGC 253 est un exemple typique de galaxie starburst riche en gaz et en poussière affichant un taux de formation stellaire ou SFR environ 30 fois supérieur à celui de la Voie Lactée de nos jours.

Les facteurs conduisant à ce taux élevé de formation stellaire ne sont pas encore bien compris. En revanche, nous savons que la naissance, l'évolution et la mort des étoiles modifient la composition moléculaire du gaz environnant. On en déduit qu'en caractérisant ce gaz (déterminant sa nature, ses propriétés et sa distribution) on peut apprendre beaucoup de choses sur l'environnement des étoiles et donc mieux comprendre dans quelles conditions elles se forment. C'est l'objet de l'étude ALCHEMI (ALMA Comprehensive High-resolution Extragalactic Molecular Inventory) conduite par Harada et ses collègues.

Cette séquence d'images montre la composition chimique des nuages de gaz et de poussière à l'origine des sursauts de formations d'étoiles de la galaxie starburst NGC 253 extraite de l'atlas ALCHEMI réalisé par des équipes d'astronomes d'ALMA, de la NAOJ et du NRAO. Les différentes couleurs représentent la répartition des gaz moléculaires (bleu), les régions de densité relativement élevée (orange), les étoiles à maturité (magenta) et le gaz moléculaire affecté par l'ionisation des rayons cosmiques (cyan). Les régions rouges sont des zones choquées composées de gaz CO notamment de plus faible densité entourant les régions de formations stellaires de plus forte densité et de jeunes étoiles (jaune). Document N.Harad et al. (2024).

Grâce à la grande sensibilité et la haute résolution du réseau radiointerférométrique ALMA installé au Chili, les auteurs ont pu déterminer l'emplacement des molécules indicatives des différentes étapes du cycle de vie des étoiles. Comme illustré ci-dessus, l'étude ALCHEMI a révélé la présence de divers gaz moléculaires de haute densité susceptibles de favoriser la formation active d'étoiles dans cette galaxie. La quantité de gaz dense présente au centre de NGC 253 est plus de 10 fois supérieure à celle présente au centre de la Voie Lactée, ce qui pourrait expliquer pourquoi NGC 253 forme aussi rapidement des étoiles.

Grâce à ALMA, les chercheurs ont également détecté plus de 100 espèces moléculaires, dont beaucoup sont révélatrices de différents processus de formation et d'évolution stellaires. C'est bien plus de molécules que ce que l'on trouvait dans les études précédentes. Parmi ces molécules, ALCHEMI a fourni un atlas de 44 espèces moléculaires, doublant le nombre disponible en dehors de la Voie Lactée. En faisant appel à l'intelligence artificielle et en appliquant un outil d'apprentissage automatique à cet atlas, les chercheurs ont pu identifier quelles molécules constituent les meilleurs indicateurs pour retracer l’histoire de la formation et de l'évolution des étoiles.

Les auteurs vont à présent tenter d'appliquer la même méthode et leurs connaissances à d'autres galaxies.

Rappelons qu'en 2017, grâce à ALMA, des radioastronomes avaient également détecté des molécules organiques complexes (COM) dans le noyau de NGC 253. On y reviendra.

NGC 1365

Située à quelque 56 millions d'années-lumière dans le Fourneau, NGC 1365 est surnommée la "Grande Galaxie Spirale Barrée". C'est une très belle galaxie de type SB(s)b qui brille à la magnitude 10.3. Elle mesure 11.2' x 6.2' soit ~200000 années-lumière de diamètre. Outre le fait de présenter deux grands bras symétriques élégamment projetés et deux petits bras secondaires, sa particularité est de présenter un anneau interne. C'est également une galaxie ultra lumineuse en infrarouge ou ULIRG du fait qu'elle contient beaucoup de poussière. C'est aussi une galaxie de Seyfert, c'est-à-dire un AGN de type 1.

Bien qu'ayant déjà fait l'objet de nombreuses études depuis sa découverte par James Dunlop en 1826, elle a rarement été étudiée en infrarouge. Or, les observations dans l'infrarouge moyen permettent souvent de découvrir des détails essentiels sur les nuages de gaz moléculaires et le gaz ionisé qui aident à comprendre la distribution et la cinématique de l'ancienne population stellaire qui domine la masse des galaxies. Ces observations peuvent également fournir des informations importantes sur l'histoire de la formation des étoiles et les propriétés du noyau de ces galaxies, souvent actif.

La Grande Galaxie Spirale Barrée NGC 1365 du Fourneau est une galaxie de Seyfert de type 1. A gauche, une image composite combinant des photos prises au KPNO et par le Télescope Spatial Hubble traitée par Robert Gendler. A droite, une photo prise en infrarouge (à 1061, 1187 et 2090 nm) par la caméra HAWK-I du VLT de l'ESO révèle sa forte luminosité.

Les premières photos de NGC 1365 prises en infrarouge en 2022 par le télescope spatial James Webb présentées ci-dessous montrent que la barre de poussière n'est pas aussi proéminente qu'elle apparaît en lumière visible. En revanche, on distingue beaucoup mieux l'anneau circumnucléaire et l'AGN.

En 2019, une équipe d'astronomes européens dirigée par Nastaran Fazeli de l'Université de Cologne en Allemagne réalisa des observations de NGC 1365 dans le proche infrarouge au moyen du spectrographe de champ intégral SINFONI du VLT afin d'en savoir plus sur la cinématique des gaz et des étoiles dans cette galaxie. Les chercheurs se sont concentrés sur la région circumnucléaire d'environ 800 pc ou 2600 années-lumière de diamètre (cf. N.Fazeli et al., 2019 et en PDF sur arXiv).

Les chercheurs ont découvert que l'anneau circumnucléaire présente de forts "hot spots" ou points chauds qui émettent dans les longueurs d'ondes optiques et présentent des âges stellaires inférieurs à 10 millions d'années avec un gradient d'âge sur le côté ouest de l'anneau. Autrement dit, le coeur est encore suffisamment riche en gaz pour produire de jeunes amas d'étoiles.

L'étude a également révélé d'intenses raies d'émissions larges et étroites de gaz ionisé dans la région nucléaire, ainsi que de la poussière chaude portée à ~1300 K. Selon les chercheurs, ces propriétés sont typiques d'une galaxie de Seyfert 1.

Images de la barre centrale et du coeur de NGC 1365 prises par l'instrument MIRI du JWST et traitées par Judy Schmidt. A gauche, on distingue clairement l'anneau circumstellaire. Voici une vue générale. Au centre, on voit le petit noyau galactique actif (AGN). La grande quantité de poussière est également très apparente. A droite, Judy Schmidt a combiné les images du HST (blanc-bleuté) et du JWST (orange-brun), révélant la structure des filaments de poussière spiralant autour du noyau.

Les chercheurs ont calculé que NGC 1365 abrite un trou noir supermassif de 5 à 10 millions de masses solaires. Ils ont également calculé que le gaz moléculaire chaud représente environ 615 M, ce qui correspond à un réservoir de gaz moléculaire froid d'une masse comprise entre 200 et 800 millions de masses solaires. De plus, la masse de gaz ionisé représente environ 5.3 millions de masses solaires.

Les analyses montrent que le taux de formation stellaire ou SFR varie entre 0.013 et 0.049 M/an, et dans les ouvertures à l'intérieur de l'anneau circumnucléaire, le SFR varie entre 0.005 et 0.023 M/an, des valeurs assez faibles dans l'absolu. Mais rapporté à la densité de surface, c'est l'une des galaxies les plus productrices découvertes à ce jour. Les densités de surface de formation stellaire ou SFSD (star formation surface density) varient entre 2 et 8 M/an par kpc2 dans l'anneau et entre 1 et 4 M/an par kpc2 dans l'anneau intérieur. Les valeurs typiques de SFSD sont de 1 à 50 M/an par kpc2 sur des échelles de centaines de parsecs et sont plus élevées dans les régions centrales, atteignant environ 50-500 M/an par kpc2 sur des échelles de dizaines de parsecs, et pouvant même atteindre environ 1000 M/an par kpc2 sur des échelles du parsec.

Effet de la pression dynamique externe

L'âge d'une galaxie ainsi que sa morphologie, autrement dit son degré évolutif, ne dépendent pas uniquement de sa place dans le diagramme de Hubble comment on l'a longtemps imaginé telle une progression dynamique, logique et séquentielle. Ce concept est correct mais insuffisant pour expliquer toutes les morphologies de galaxies.

Comme nous venons de l'expliquer à propos des fusions et du harassement des galaxies, nous avons des preuves aujourd'hui que leur évolution dépend autant des interactions qu'elles subissent avec d'autres galaxies au cours de leur histoire que de processus séculaires internes. Ces deux découvertes sont importantes car elles sont restées insoupçonnées durant des décennies du fait de la puissance limitée des télescopes du siècle dernier.

A part les fusions et le balayage ou l'arrachage du gaz (merge et stripping), il existe un autres facteur important lié à l'environnement qui affecte la morphologie des galaxies : la pression dynamique externe.

Nous avons vu précédemment que les galaxies subissent fortement l'influence du vent interstellaire qui génère une pression dynamique interne proportionnelle au carré de la vitesse relative capable d'évacuer une bonne partie du gaz contenu dans une galaxie, le cas de NGC 4921 et ses vagues de poussière étant très révélateur.

Grâce aux télescopes spatiaux observant les galaxies dans les rayonnements X (Chandra) et infrarouge (Spitzer et JWST), les astronomes ont découvert que les galaxies rassemblées en amas sont enveloppées dans d'immenses nuages de gaz chaud intra-amas. Loin d'être inactif, ce milieu agit comme un fluide visqueux qui perturbe parfois la morphologie des galaxeis au point que certaines sont littéralement déchiquetées et vouées à une mort prématurée.

Pour décrire ce phénomène et ses conséquences sur la morphologie et l'évolution des galaxies, nous allons prendre quelques exemples spectaculaires.

NGC 4522

NGC 4522 est située à environ 60 millions d'années-lumière dans l'amas de la Vierge et représente l'une des rares galaxies où l'effet de "stripping" est aussi spectaculaire comme on le voit ci-dessous et est en train d'expulser une bonne partie de sa matière. Pour comprendre l'origine de ce phénomène, elle a été étudiée en détails à différentes longueurs d'ondes.

Les astronomes ont calculé que cette galaxie se déplace à plus de 2700 km/s soit 10 millions de km/h à travers l'amas. Sa vitesse est tellement rapide que des vents très violents se développent à travers la galaxie qui laisse dans son sillage une bonne partie de son gaz par l'effet de cette pression dynamique, à l'image du nageur dont les cheveux sont rejetés en arrière sous l'effet de son déplacement dans l'eau.

La galaxie NGC 4522 de l'amas Virgo photographiée en lumière blanche par la caméra ACS du Télescope Spatial Hubble (gauche) et en infrarouge par le télescope spatial Spitzer (droite). Les taches brunes ou rouges représentent de manière spectaculaire des nuages d'hydrogène expulsés par la pression du vent induit par le gaz chaud intra-amas, ce qu'on appelle le "stripping". Ce gaz perdu représente des dizaines de millions d'étoiles que cette galaxie ne fabriquera pas. Les zones bleues à gauche et à droite de l'image prise par le Télescope Spatial Hubble sont des zones de formation d'étoiles. Document NASA/ESA/STScI et Suresh Sivanandam/DIAA.

NGC 4522 subit de plein front les effets du gaz intra-amas qui, bien qu'invisible sur ces photos apparaît clairement dans le rayonnement X en raison de sa température de brillance élevée. A terme, cette galaxie va perdre tout son éclat et prendre progressivement une forme elliptique, le signe de la vieillesse.

D'après les modèles, une galaxie spirale contenant peu d'hydrogène atomique peut se transformer en elliptique si son taux de formation stellaire est inhibé pendant quelques milliards d’années, comme c'est actuellement le cas de NGC 4921 évoquée précédemment.

D100 extirpée de son gaz

Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2019, l'équipe de William J. Cramer de l'Université de Yale présenta les résultats d'une étude de la galaxie spirale D100 située à 330 millions d'années-lumière dans l'amas de Coma. Comme on le voit ci-dessous, des images prises par le Télescope Spatial Hubble et le télescope Subaru de 8.2 m installé à Mauna Kea à Hawaï montrent une petite galaxie spirale privée de son hydrogène en train de plonger vers le centre de l'amas. Sous l'effet de la pression dynamique, une immense traînée de gaz et de poussière s'échappe de son noyau. A terme, cette galaxie perdra tout son gaz et deviendra une galaxie relique morte car privée de la matière nécessaire à la formation de nouvelles étoiles. Elle ne brillera que par la faible lueur rouge des vieilles étoiles. Actuellement, les bras spiraux de cette galaxie sont en train de disparaitre et son coeur contient de moins en moins de jeunes étoiles.

La galaxie D100 est l'exemple le plus spectaculaire des effets de la gravité sur une galaxie tombant au centre d'un amas. Au cours de ce processus, la galaxie D100 trace littréralement son sillon dans la matière intergalactique composée de gaz et de poussière comme le fait l'étrave d'un bateau qui repousse l'eau devant lui et laisse derrière lui un long sillage turbulent. Lorsque cette galaxie aura perdu tout son hydrogène, elle accusera une mort prématurée, ne pouvant plus créer de nouvelles étoiles. On estime que le processus de déperdition de son gaz débuta il y a environ 300 millions d'années.

La galaxie D100 située à 330 millions d'années-lumière dans l'amas de Coma (en haut à droite). D99 est située juste en dessous à gauche. D100 mesure environ 20000 x 30000 a.l. A gauche, il s'agit d'un compositage de quatre images B (475 nm) et NIR (814 nm) réalisées par le HST entre 2010 et 2018. A droite, on y a superposé une image prise en hydrogène alpha par le télescope Subaru révélant l'extension de sa queue d'hydrogène et de poussière sur 200000 années-lumière sous l'effet de la pression dynamique. A ce jour, c'est l'image la plus spectaculaire de ce processus. Documents NASA/ESA/ M.Sun et W.Cramer.

Si ce type de processus est commun dans ce genre d'amas de galaxies, le cas de D100 est unique à plusieurs égards et les photos parlent d'elles-mêmes. Sa longue queue mince est sa caractéristique la plus inhabituelle. Composée d'un mélange de poussière et d'hydrogène gazeux, sa queue s'étend sur près de 200000 années-lumière, soit environ deux fois le diamètre de la Voie Lactée, pour une largeur de seulement 7000 années-lumière. Selon Jeffrey Kenney de l'Université de Yale et coauteur de cette étude, "la queue est remarquablement bien définie, droite et lisse, et ses bords sont nets. C’est une surprise car une telle queue n’est pas observée dans la plupart des simulations informatiques. La plupart des galaxies soumises à une pression dynamique sont plutôt désordonnées. Les bords nets et les structures filamenteuses de la queue suggèrent que les champs magnétiques jouent un rôle important dans sa formation. Des simulations montrent que les champs magnétiques forment des filaments de gaz. Sans champs magnétiques, la queue serait plus grumeleuse que filamenteuse."

Grâce au télescope Subaru, les astronomes ont découvert la queue rougeoyante de D100 en 2007 mais c'est grâce au Télescope Spatial Hubble que la présence d'hydrogène chaud dans la queue fut associée à la formation d'étoiles. En effet, sans la résolution du HST, il était difficile de dire si les émissions incandescentes d'hydrogène provenaient d'étoiles contenues dans la queue ou s'il s'agissait simplement de gaz chaud extirpé de la galaxie. Selon Cramer, "ces observations optique faites par le HST montrent que le processus d'extraction du gaz a débuté à la périphérie de la galaxie et se poursuit vers le centre, ce qui est typique de ce type de perte de masse." D'après les images du HST, dans la région centrale de D100 il y a encore beaucoup de gaz comme en témoignent les nombreux sites de formations stellaires. Cette région est le seul endroit de la galaxie où du gaz existe encore et où se forment des étoiles. Mais à présent, sa mort prématurée est annoncée.

Une autre galaxie qui suivra le même destin que D100 est la galaxie spirale D99 située à proximité. Tout son gaz a été arraché il y a 500 millions à 1 milliard d'années. Sa structure spiralée se dissipe et sa population stellaire est constituée de vieilles étoiles rouges lui donnant une couleur orangée qui contraste fortement avec la couleur encore bleutée de D100. Selon Kenney, "D100 ressemblera à D99 dans quelques centaines de millions d'années."

ESO 137-001

Un autre exemple montrant l'effet violent et dévastateur du gaz chaud intra-amas est celui de la galaxie spirale ESO 137-001 présentée ci-dessous. Cette galaxie est située dans l'amas de la Règle (Norma) ou Abell 3627, dans la constellation du Triangle Austral près du "Grand Attracteur", à quelque 220 millions d'années-lumière.

Cette galaxie est animée d'une vitesse de 2000 km/s soit environ 7 millions de km/h. Au cours de sa course folle à travers le gaz chaud intra-amas, elle subit une pression dynamique catastrophique qui souffle son gaz et sa poussière malgré sa gravité qui ne peut maintenir sa cohésion interne, formant une longue traînée composée de plusieures queues. La direction et la position de la traînée indiquent la façon dont la galaxie se déplace (dans un amas, les galaxies tombant généralement vers le centre de l'amas).

La première photo composite visible/rayons X prise en 2014 présentée ci-dessous à gauche, montre en bleu ciel de petites queues noueuses s'étendant sur 130000 années-lumière contenant des régions HII brillantes d'hydrogène moléculaire; ces régions se sont formées à l'extérieur du disque, dans le sillage bleuté de la galaxie. Ces zones contiennent des amas d'étoiles représentant des dizaines de millions de masses solaires. La signature rayons X permet d'évaluer la longueur de la longue traînée de gaz expulsé de la galaxie à plus de 260000 années-lumière et représente plus de 1 milliard de masses solaires principalement constituées de nuages froids d'hydrogène moléculaire (cf. P.Jáchym et al., 2014). Avec une telle perte de gaz et de poussière, cette galaxie pourra difficilement créer de nouvelles étoiles et va vieillir prématurément.

Notons que la petite galaxie elliptique jaunâtre visible juste à droite d'ESO 137-001 est justement une galaxie ayant perdu tout le gaz et la poussière devant servir à former des étoiles.

A voir : Hubble Telescope Spies a Galaxy in Distress

ESO 137-001 en lumière blanche et X sous l'effet de la pression dynamique

Hubble: Active Galaxy NGC 1275

Images composites de la galaxie ESO 137-001 de l'amas Abell 3627. A gauche, un composite lumière blanche (HST, la galaxie) et rayons X (Chandra, la traînée bleue). Au centre, un composite lumière blanche (HST+MUSE VLT, la galaxie) et radio (ALMA, la traînée rouge). A droite, la première carte haute résolution de la distribution des gaz moléculaires froids dans le sillage de ESO 137-001 obtenue en 2019. Documents ESO, NASA/ESA/Chandra et P.Jáchym et al. (2019).

En 2023, une nouvelle image composite optique (HST+MUSE VLT) et radio (ALMA) présentée ci-dessus au centre a permis aux astronomes de cartographier les traînées de gaz expulsées par la galaxie. Les queues rouges sont des courants d'hydrogène tandis que les points chauds radios (les noeuds brillants) sont produits par l'émission d'oxyde de carbone provenant de l'intérieur du système.

Cette cartographie ouvre ainsi une nouvelle fenêtre sur les conditions nécessaires à la formation de nouvelles étoiles dans des environnements aussi extrêmes et changeants.

NGC 1275, Perseus A

La radiogalaxie NGC 1275, alias Perseus A (3C 84) présentée ci-dessous à gauche, se situe à environ 235 millions d'années-lumière. C'est la galaxie la plus brillante de l'amas de Persée qui brille à la magnitude apparente de 14.1.

La radiogalaxie NGC 1275, alias Perseus A est une galaxie de Seyfert 2 située dans l'amas de Persée. Document NASA/ESA/STScI.

NGC 1275 une galaxie elliptique géante de type cD (central dominante, c'est-à-dire vaste et diffuse) dont la masse représente 13 milliards de masses solaires. C'est également un AGN, une galaxie de Seyfert de type 2 qui rayonne fortement dans l'infrarouge (LIRG) et une source X très brillante. En revanche, elle ne rayonne pas en rayons γ au-dessus d'environ 250 GeV (les sources gamma intenses rayonnent jusqu'au delà de 1 TeV). Ces activités intenses et anormales pour une galaxie ordinaire sont les signatures typiques des interactions avec un trou noir supermassif.

NGC 1275 abrite un trou noir supermassif de 340 millions de masses solaires qui est en train de la cannibaliser en attirant ses nuages de gaz froid et de poussière.

En réalité cette galaxie en contient deux : NGC 1275 est située au centre, devant laquelle se trouve la galaxie HVS (High Velocity System) située 200000 années-lumière devant elle et qui s'approche d'elle à 3000 km/s et finira sans doute par fusionner avec elle. Les deux galaxies baignent dans le gaz chaud intra-amas de l'amas de Persée.

La distance qui sépare les deux galaxies permet à NGC 1275 d'exercer une force de marée sur la galaxie HVS qui, en se déplaçant dans le gaz intra-amas, subit les effets de la pression dynamique, libérant de gigantesque jets et des filaments de plasma qu'on distingue en rouge et en bleu sur la photographie.

L'analyse spectrale montre que les filaments sont poussés vers l'extérieur à une vitesse relativiste par la pression des bulles de plasma portées à 5 millions de degrés souflées par l'AGN, d'où l'émission de rayons X mous.

La quantité de gaz contenu dans un filament type est d'environ 1 million de masses solaires. Ils mesurent plus de 200 années-lumière de large et sont souvent rectilignes et s'étendent jusqu'à 20000 années-lumière. Ces filaments se sont formés lorsque le gaz froid présent dans le noyau de la galaxie fut entraîné dans le sillage du trou noir.

Les astronomes se sont longtemps demandés comment ces filaments restaient plus froids que le milieu ambiant et comment des structures aussi délicates résistaient dans un environnement aussi hostile depuis plus de 100 millions d'années. Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2008 (en PDF sur arXiv), Andrew C. Fabian de l'Institut d'Astronomie de l'Université de Cambridge et ses collègues ont suggéré qu'un champ magnétique maintient le gaz ionisé en place, empêchant l'effet de la gravité de le disloquer et l'évaporation thermique du gaz. Reste à présent à cartographier ce champ magnétique pour valider cette hypothèse. Etant relativement faible, ce ne sera pas une tâche facile.

Des réseaux de filaments similaires ont été découverts autour d'autres galaxies d'amas plus éloignées. Il ne s'agit donc pas d'un phénomène isolé.

La galaxie naine LEDA 677373

A environ 14.8 millions d'années-lumière se trouve la petite galaxie LEDA 677373 alias HIDEEP J1337-3320. Il s'agit d'une galaxie naine de seulement 1430 années-lumière de diamètre membre du Groupe Centaurus A/Messier 83, un groupe complexe de galaxies à cheval entre les constellations de l'Hydre, du Centaure et de la Vierge.

Comme on le voit ci-dessous à gauche sur cette image prise en 2016 par le Télescope Spatial Hubble, LEDA 677373 rassemble quelques étoiles pâles et du gaz lui donnant une coloration bleue. Elle compte parmi les galaxie naines bleues compactes ou BDC. Ces galaxies ont d'étranges propriétés mais étant donné leurs petites dimensions, seules les plus proches, celles appartenant au Groupe Local de galaxies peuvent êtrre étudiées.

A gauche, la galaxie naine LEDA 677373 située dans la constellation du Centaure à 14.8 millions d'années-lumière. La galaxie couvre environ 10". A droite, une image du champ de LEDA 677373 (marquée par la croix verte) et de M83 (en haut de l'image de magnitude 7.6 et couvrant 11'x10') située à 15 millions d'années-lumière. Le champ couvre environ 6°. Il s'agit du compositage d'une image du catalogue Simbad et de M83 photographiée avec une lunette apochromatique Officina Stellaire HiPer de 105 mm f/6.2 (temps d'intégration total de 1 heure à 1600 ISO avec calibration et traitement d'image).

LEDA 677373 contient une grande quantité de gaz qui pourrait former des étoiles. Toutefois, comme le disent les astronomes, cette galaxies "refuse obstinément" d'en former. Pour comprendre pourquoi, les astronomes l'ont étudiée à différentes longueurs d'ondes afin de déterminer l'âge de ses étoiles. Leurs observations ont montré que cette galaxie existe au moins depuis 6 milliards d'années et a donc eu tout le temps de former des étoiles.

Si elle n'a pas formé plus d'étoiles ce n'est pas parce que LEDA 677373 était "obstinée" mais plutôt parce qu'elle fut l'infortunée victime de la galaxie spirale barrée toute proche M 83 située à  seulement 200000 a.l. de distance (et 15 millions d'années-lumière de la Voie Lactée) qui semble lui avoir extirpé tout son gaz, l'empêchant de former de nouvelles étoiles.

Abell 2147 et 2151

Uun autre phénomène de balayage du gaz se manifeste également dans les deux amas de galaxies Abell 2147 et Abell 2151 distants d'environ 2° situés au coeur du superamas d'Hercule comprenant environ 200 galaxies situées entre 430 et 500 millions d'années-lumière, l'ensemble faisant partie du "Grand Mur CfA".

Dans l'amas Abell 2147 présenté ci-dessous à gauche, le gaz interstellaire de nombreuses galaxies est plus chaud que le gaz intra-amas, ce qui explique qu'il domine sur l'évaporation thermique liée au déplacement des galaxies dans le gaz chaud intra-amas.

Dans l'amas Abell 2151 présenté ci-dessous à droite, on découvre beaucoup de galaxies spirales mais peu d'elliptiques. C'est un jeune amas de galaxies baignant dans un milieu riche en gaz et en poussière.

A gauche, la partie centrale de l'amas Abell 2147 situé à ~475 millions d'années-lumière comprenant la chaîne de galaxies Arp 324. A droite, l'amas Abell 2151 situé à 450 millions d'années-lumière au coeur du superamas d'Hercule (SCl 160). Il se trouve à ~2° au NNE de l'amas Abell 2147. Photographie réalisée par Bob Franke avec un télescope RCOS de 317 mm f/9. Temps d'intégration total LRGB de 12.2 heures.

Etant donné son âge, la densité de galaxies par volume d'espace est encore faible et le rayonnement X est moins intense que dans l'amas Abell 2147. Toutefois, bien que l'attraction gravitationnelle n'ait pas encore resserré les membres du groupe et balayé le gaz des galaxies par la pression dynamique, Abell 2151 contient quelques galaxies en interactions (par ex. NGC 6050-IC 1179, NGC 6040A/B, NGC 6043A/B, NGC 6045-NGC 6045B-NGC 6045C, etc.).

Dans les deux cas, on constate que le processus de balayage du gaz contenu dans les galaxies est plus puissant que l'interaction gravitationnelle qui interagit entre elles.

Ces divers exemples supportent l'idée que l'évolution de la morphologie d'une galaxie dépend non seulement des interactions gravitationnelles qu'elle peut entretenir avec ses voisines mais également de l'intensité et de l'origine de la pression dynamique, qu'elle soit issue d'un processus de balayage ou d'évaporation thermique du gaz. Le champ magnétique joue également un rôle en bloquant la dispersion du gaz et en s'opposant dans une certaine mesure aux effets du champ gravitationnel.

Prochain chapitre

Les galaxies bleues

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 -


Back to:

HOME

Copyright & FAQ