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L'univers des galaxies

Les galaxies bleues (VI)

Les galaxies bleues reprennent sous un nom générique plusieurs morphologies galactiques très différentes mais qui présentent malgré tout des similitudes comme par exemple un taux très élevé de production d'étoiles (starburst) ou un nombre important d'étoiles pauvres en métaux (donc jeunes et bleutées). Il y a notamment les galaxies naines bleues compactes ou BCD (Blue Compact Dwarf), les Petits Points Bleus ou LBD (Little Blue Dots) et les "Blueberries" (les myrtilles). Mentionnons à part les galaxies bleues diffusant la lumière intra-amas car leurs propriétés sont différentes.

Les galaxies naines bleues compactes (BCD)

Les BCD tirent leur nom des régions extrêmement bleues de formations stellaires qui se trouvent souvent dans leur noyau. Un exemple typique est la galaxie ESO 338-4 présentée ci-dessous à gauche située à 100 millions d'années-lumière dans la Couronne Australe. Elle doit sa forme chaotique à une interaction galactique qui a perturbé les nuages de gaz et de poussière et conduisit à la formation rapide d'une nouvelle génération d'étoiles.

La région centrale de cette galaxie est peuplée d’étoiles jeunes et brillantes consommant énormément d'hydrogène. Ces étoiles sont massives et vouées à une courte existence. En effet, malgré leurs vastes réserves d'hydrogène, les réactions de nucléosynthèses qui se déroulent dans le noyau de ces étoiles brûlent leur combustible à un taux accéléré et elles auront épuisé toutes leurs réserves dans quelques millions d’années, soit au moins cent fois plus vite que le Soleil. La plupart de ces étoiles exploseront en supernovae.

A gauche, la galaxie naine compacte bleue (BCD) ESO 338-4 située dans la constellation de la Couronne Australe. Au centre et à droite, la galaxie naine irrégulière BCD I Zwicky 18 située à 59 millions d'années-lumière dans la Grande Ourse photographiée par le HST en 2003. Documents NASA/ESA/STScI et NASA/ESA/HubbleSite.

I Zwicky 18

I Zwicky 18 présentée ci-dessus au centre et à droite est une galaxie naine irrégulière découverte dans les années 1930 par Fritz Zwicky dans la Grande Ourse. Sa distance fut réestimée à 59 millions d'années-lumière. Elle est classée par les naines bleues compactes et les galaxies Starbursts (à sursaut d'étoiles). Sur la photo prise par le HST ci-dessus au centre, la partie brillante mesure environ 15" ou 3300 années-lumière.

I Zwicky 18 présente une intense activité stellaire (les zones blanches-bleutées au centre de la galaxie). Les filaments bleus vaporeux en périphérie sont des bulles de gaz chauffées par les vents stellaires et le rayonnement ultraviolet des jeunes étoiles. Dans l'image générale (au centre), on distingue une galaxie compagne juste au-dessus à droite de la galaxie naine qui est en interaction avec elle. Ce compagnon peut avoir déclenché la récente formation d'étoiles de cette galaxie. Les taches rouges entourant la galaxie naine sont d'anciennes galaxies éloignées entièrement formées.

Les premières mesures indiquaient que cette galaxie était âgée d'environ 500 millions d'années (cf. NASA). Mais de nouvelles études ont montré que certaines étoiles se sont formées il y a au moins 1 milliard d'années et peut-être même il y a 10 milliards d'années (cf. ESA, 2007).

Les analyses spectrométriques ont montré que cette petite galaxie est presque exclusivement composée d'hydrogène et d'hélium. Sa composition est donc similaire à celles des galaxies qu'on pouvait trouver dans le jeune Univers.

Des chercheurs ont découvert que cette galaxie abrite une très grande région d'hélium ionisé, des structures qui sont normalement plus fréquentes dans les galaxies très éloignées et pauvres en métaux (cf. F.Legrand, 2000). Cette ionisation de l'hélium signifie que cette galaxie contient des objets émettant un rayonnement suffisamment intense pour ioniser les atomes d'hélium. On en déduit qu'il est possible que I Zwicky 18 produise encore des étoiles de Population III. Des systèmes binaires X massifs (HMXB) peuvent aussi expliquer cette ionisation (cf. C.Kehrig et al., 2021).  Dans tous les cas, cela signifie que cette galaxie n'est pas aussi jeune qu'elle paraît.

Toutefois, son taux de formation stellaire est inférieur à celui des galaxies du même âge. On ignore pourquoi elle forma si peu d'étoiles dans le passé, et pourquoi elle forme autant de nouvelles étoiles actuellement.

Les Petits Points Bleus (LBD)

Comme leur nom l'indique, les LBD ressemblent à de petits points bleus sur les photographies des amas de galaxies. Ils n'existent que dans l'univers lointain à z > 2 et jusque z ~ 5 soit entre 10 et 12.2 milliards d'années-lumière. Ces objets se sont donc formés environ 1.5 milliard d'années après le Big Bang, c'est-à-dire à la même époque que les proto-amas de galaxies et sont donc très jeunes (ils représentent moins de 1% de l'âge de l'Univers au moment de leur observation).

Debra Meloy Elmegreen du Vassar College et Bruce Elmegreen de la Division Recherche d'IBM ont publié en 2017 dans les "Astrophysical Journal Letters" (en PDF sur arXiv) les résultats de leur étude des LBD dont quatre photos sont présentées ci-dessous (z est moyenné pour l'amas). Ces LBD furent identifiés dans l'amas de Pandore (Abell 2744) et MACS J0416.1-2403 présenté un peu plus bas.

Les agrandissements révèlent des objets compacts bleus aux contours flous de 0.15" de diamètre, ce qui représente un diamètre physique de ~300 à 1175 années-lumière selon leur distance, ce qui est en moyenne 10 fois plus petit que le Grand Nuage de Magellan (7000 a.l.). Leur masse représente quelques millions de masses solaires seulement, soit environ 10000 fois moins que la masse visible de la Voie Lactée ou 1000 fois moins que celle du Grand Nuage de Magellan (10 milliards de M). Ce sont donc des objets très petits et peu massifs.

Au-dessus, gros-plans sur quelques "Petits Points Bleus" ou LBD identifiés dans les amas de galaxies de Pandore (Abell 2744) et MACS J0416.1-2403. En dessous, les simulations. Documents D.Meloy Elmegreen et B.Elmegreen (2017).

Les analyses révèlent que ces petites galaxies n'ont pas de structure ni de disque externe très étendu et résident à la limite de la résolution des télescopes de la classe VLT ou Hubble. En revanche, ces LBD présentent des taux de formations stellaires très élevés : 10000 étoiles/an contre 3.1 étoiles/an pour les Blueberries et 2.9 étoiles/an pour la Voie Lactée de nos jours. Une telle production est capable de former des amas globulaires massifs (au moins un par LBD). Selon les chercheurs, ces LBD n'ont pas disparu à l'époque actuelle mais se sont transformés et représenteraient les amas globulaires massifs et très âgés situés en périphérie des galaxies naines.

Les Blueberries

Ce sont des galaxies naines bleues à sursauts d'étoiles (de la famille des galaxies Starbursts) présentes dans l'univers local (z ≤ 0.05 soit ≤ 680 millions années-lumière). Elles ressemblent aux LBD et aux "Petits Poids" (les "Green Peas" qui sont des LAE à faible redshift) mais sont plus pâles et créent un peu moins d'étoiles. Dans deux études publiées par Huan Yang et ses collègues en 2017 et en 2018, les chercheurs confirment que ces galaxies mesurent moins de 3000 années-lumière de diamètre, elles présentent une très forte ionisation ([OIII]/[OII] ~10-60) et affichent l'une des plus faibles métallicités parmi les galaxies Starbursts.

Selon Yang et ses collègues, si on les compare aux autres petites galaxies apparentées comme les LBD, les "Petits Pois" et les galaxies émetteurs Lyman-α (LAE) à haut redshift, elles seraient les contreparties des galaxies "Petits Pois" et des LAE et donc leurs cousines ou leurs jeunes soeurs.

Les galaxies bleues diffusant la lumière intra-amas

Ces galaxies diffusent la lumière intra-amas (intracluster light) émise par de jeunes étoiles bleues généralement nichées dans un nuage de poussière et de gaz. Elles résultent d'une fusion récente de galaxies. On observe ce phénomène de manière spectaculaire dans l'une des galaxies de l'amas Abell S1063 alias RXC J2248.7-4431 situé dans la constellation de la Grue à z = 0.35 soit 3.9 milliards d'années-lumière et dans l'amas de galaxies MACS J0416-2403 situé dans la constellation d'Eridan à z = 0.42 soit ~4.5 milliards d'années-lumière présentés ci-dessous. Cette lueur est produite par toutes les étoiles orphelines qui n'appartiennent plus à aucune galaxie, ayant été éjectées lors d'une interaction violente lors de la fusion galactique et dérivant librement dans l'amas.

A gauche, l'une des galaxies "bleues" de l'amas de galaxies Abell S1063. En réalité la couleur n'est pas aussi bleue (voir le texte). On distingue également les effets d'une lentille gravitationnelle (les arcs brillants). A droite, l'amas de galaxies MACS J0416.1-2403 dont voici une photo prise grâce au HST et décalée vers l'infrarouge où elle rayonne le plus. Dans les deux cas, la lueur enveloppant ces galaxies provient de la lumière intra-amas produite par de jeunes étoiles orphelines moins riches en métaux que les étoiles ordinaires. Cette lueur est un bon indicateur de la répartition de la matière sombre dans l'amas. Documents NASA/ESA/STScI et M.Montes/U.NSW.

Soulignons que ces photos sont des empilements couleurs (RGB) d'images individuelles prises en noir et blanc. L'équipe de Mireia Montès a choisi le bleu arbitrairement pour augmenter le contraste des galaxies situées à l'arrière-plan. C'est la même lueur qui est émise par le rayonnement X (cf. ce composite optique/X/radio de MAC J0416). En réalité, si nous pouvions observer de près ces deux amas sans aucun filtre, en raison du nombre important d'étoiles relativement pauvres en métaux, ils seraient légèrement moins rouges que les galaxies massives des amas dont le pic spectral se situe en infrarouge, raison pour laquelle les chercheurs les ont représentées arbitrairement en bleu.

Les astronomes ont constaté que la lumière intra-amas correspond étroitement avec la carte de distribution des masses dans le champ gravitationnel global de l'amas. Cela fait de cette lueur intra-amas un bon indicateur de la répartition de la matière sombre invisible dans cet amas. Abell S1063 et MACS J0416.1-2403 sont de rares exemples où cette lueur "bleue" est la plus apparente offrant une correspondance bien meilleure que les cartographies rayons X utilisées dans le passé pour tracer la matière sombre.

Enfin, on peut étudier les galaxies et préciser leur morphologie en analysant leurs profils radioélectrique et magnétique grâce aux émissions des régions HI.

Profil HI des galaxies

Nous avons vu précédemment que la pression dynamique a un effet sur la production d'étoiles et sur l'évolution des galaxies de même que l'influence gravitationnelle mutuelle des galaxies peut expliquer la morphologie de ceratines d'entre elles. D'autres facteurs expliquent également la forme des galaxies.

Il existe une corrélation entre la morphologie des galaxies et leur constitution. En effet, une galaxie ne se forme pas uniquement par l'effet de la gravitation sur la masse de gaz et stellaire mais obéit également à l'effet induit par le champ magnétique environnant et des forces extérieures.

Grâce à l'hydrogène atomique (région HI, milieu interstellaire neutre), nous pouvons dresser la carte radioélectrique non seulement de la Voie Lactée mais également de la plupart des galaxies comme on le voit ci-dessous. Ces analyses superposées aux cartes du champ magnétique mettent en évidence l'organisation de la matière, du gaz et des étoiles, dans le disque, les bras et le halo des galaxies. Ainsi, parmi les galaxies spirales observées en lumière blanche, un tiers d'entre elles épousent le profil radioélectrique, pour citer parmi les plus connues M31, M51 et M81.

A lire : HI Line, NRAO

A gauche, carte de contours radioélectriques et d'orientation du champ magnétique (obtenu par rotation des vecteurs E de 90°) de NGC 253 observée à 2.8 cm de longueur d'onde par le radiotélescope de l'Effelsberg (disque et gaz diffus à grande échelle) et à 20 cm par le VLA (halo) et dont voici la photo en lumière blanche. La résolution est de 70". Document Beck et al. Au centre, carte de contours radioélectrique à 20 cm de M31. Document Lewis F. Geraint et al. A droite, la carte de contours radioélectriques de M51 établie à 6 cm par le VLA (continuum à large bande) et à 2.8 cm (gaz diffus) par le radiotélescope de l'Effelsberg superposée à l'orientation du champ magnétique. On voit clairement que les bras spiraux suivent les lignes de force du champ magnétique. Document NRAO/AUI. Vous trouverez d'autres cartes de contours sur le site des observatoires radioastronomiques ainsi que dans la base NED du Caltech.

Etant donné que le milieu est très peu excité, les émissions des courants d'hydrogène neutre proviennent avant tout des collisions entre atomes. C'est ainsi qu'en étudiant les galaxies à 2.8 cm (10.7 GHz) ou autour de 21 cm (~1420-1427 MHz) de longueur d'onde, les radioastronomes peuvent découvrir la structure spirale d'une galaxie irrégulière par exemple ou découvrir que les bras des galaxies spirales sont un véritable piège pour le gaz froid.

Même pour une galaxie vue de profil comme NGC 253 présentée ci-dessus à gauche, la carte de contours radioélectriques révèle quantité d'informations. Elle permet par exemple de découvrir des bras spiralés jusqu'à plus de 10 kpc au-dessus du plan galactique ou des nuages de gaz bien au-delà de l'extension visible de la galaxie, y compris, le cas échéant, dans le halo comme dans l'exemple de M31.

En revanche, la force du vent interstellaire qui souffle dans une galaxie elliptique ne permet en général pas d'y déceler des masses de gaz neutre (voir plus bas). Ces galaxies abriteront donc moins d'étoiles de deuxième ou troisième génération que les galaxies spirales. Les seules elliptiques ayant des régions HI sont d'ordinaire associées à un compagnon spiralé ou ont récemment aborbé une plus petite galaxie.

Toutefois, certaines galaxies (par ex. NGC 891, NGC 3628 ou NGC 1808) ne présentent pas de halo radioélectrique étendu. Ces galaxies ont un disque dir épais relativement mince pouvant atteindre 3000 années-lumière d'épaisseur (contre à 3000 à 15000 années-lumière pour la Voie Lactée).

Quelques galaxies remarquables vues de profil parmi beaucoup d'autres présentant des bandes équatoriales de poussière parfois mêlées de régions HII. A gauche, la galaxie "Sombrero" M104 prise par le HST et traitée par Diaz Bobillo. A sa droite NGC 5775, NGC 4565 et la radiosource NGC 5128 "Centaurus A" dont voici une image composite de l'ESO/NASA prise en 2009 en optique (RGB), IR proche à 870 nm (orange), radio submillimétrique (jets extérieurs orange) et X (bleu et halo central). Documents NASA/ESA/STScI et ESO.

A l'autre extrémité, on trouve par exemple la galaxie d'Andromède M31 et NGC 4565. L'émission radioélectrique du disque épais est indétectable et est au moins 200 fois plus faible que celle de NGC 891 par exemple dont voici une photo. Cela signifie que soit le taux de formation d'étoiles est très faible dans M31 et NGC 4565 et sous le seuil de détection soit que l'effet dynamo (génération d'un champ magnétique par un corps conducteur se déplaçant) n'opère pas dans le halo de ces galaxies.

Parmi les autres galaxies présentant également une bande sombre de poussière, citons la galaxie NGC 5866 présentée un peu plus haut, M104 "Sombrero" et ESO-510-13 qui est gauchie. Toutes révèlent de gigantesques structures poussiéreuses qui s'alignent le long des lignes de force du champ magnétique.

Un autre bel exemple de galaxie présentant un disque ou du moins une bande d'accrétion est la radiosource NGC 5128 "Centaurus A" présentée ci-dessus à droite. La bande sombre est composée de gaz moléculaire et de poussière formant localement des régions HII (les zones roses brillantes et les nodules sombres).

Notons que les bras des galaxies spirales contiennent également de nombreux "trous HI" qui sont en corrélation avec les régions HII ionisées où apparaissent les nébuleuses et où se forment les étoiles.

J0613+52, une galaxie sans étoiles

Les astronomes ont toujours défini une galaxie comme un groupement compact d'étoiles, de gaz et de poussières à l'échelle galactique en rotation autour d'un noyau stellaire plus dense. Son spectre optique et son image radioélectrique sont donc très différents de ceux d'une nébuleuse.

Parmi les différents types de galaxies, la nature diffuse des galaxies à faible brillance de surface ou LSB (Light Surface Brightness) remet souvent en question les théories existantes sur la formation des étoiles et des galaxies. En apprendre davantage sur leurs propriétés permet aux astronomes de mieux comprendre la formation et l'évolution des étoiles et des galaxies, y compris de la Voie Lactée.

Depuis les années ~2003, une équipe de radioastronomes de l'Observatoire de Green Bank (GBO) et de l'Observatoire radioastronomique de Nançay fait des recherches systématiques dans la raie de l'hydrogène neutre (HI) à 21 cm pour débusquer des galaxies massives LSB. En vingt ans, ils ont étudié 350 galaxies. En 2023, au cours d'une campagne d'observation au GBT, suite à une erreur dans la saisie des coordonnées célestes, le radiotélescope GBT fut pointé dans la mauvaise direction. A la surprise générale, Karen O'Neil du GBO découvrit un signal HI ressemblant à celui d'une galaxie massive et ce, alors même qu'aucune galaxie n'apparaissait sur les images optiques relevées à la même position, comme le montrent les photos ci-dessous. L'objet catalogué J0613+52 est situé à 270 millions d'années-lumière. O'Neil présenta sa découverte lors du 243e meeting de l'American Astronomical Society qui s'est tenu début 2024 à New Orleans.

Selon O'Neil, "L'objectif était de déterminer les masses gazeuses et dynamiques de ces galaxies ultra-diffuses. Pour ce faire, nous les avons observées à partir de plusieurs instruments, et beaucoup d’entre elles plus d’une fois. [...] L'objet découvert est une galaxie constituée uniquement de gaz HI et ne contient aucune étoile visible. Les étoiles pourraient exister, mais on ne peut tout simplement pas les voir."

A gauche, la région de l'espace où se trouve la galaxie J0613+52. Optiquement, on ne voit que les étoiles de la Voie Lactée à l'avant-plan. Le champ couvre 1°x1°. A droite, représentation artistique de l'hydrogène gazeux HI détecté par le GBT dans la galaxie J0613+52 située à 270 millions d'années-lumière superposée à l'image optique. Cette galaxie tourne sur elle-même à la vitesse de 100 km/s. Les couleurs indiquent la rotation probable du gaz par rapport à l'observateur (rouge s'éloignant et bleu se rapprochant). Documents POSS II et NSF/GBO/P.Vosteen (2024).

La galaxie J0613+52 ne ressemble à aucune autre observée auparavant. Selon O'Neil, "Ce que nous savons, c'est que c'est une galaxie incroyablement riche en gaz. Elle ne présente aucune formation d'étoiles comme on pourrait s'y attendre, probablement parce que son gaz est trop diffus. Dans le même temps, elle est trop éloignée des autres galaxies pour qu'elles puissent contribuer à déclencher la formation d'étoiles lors de leurs rencontres. J0613+52 semble être à la fois intacte et sous-développée. Cela pourrait être notre première découverte d'une galaxie proche constituée de gaz primordial." Il pourrait s'agir de la galaxie la plus pâle découverte à ce jour.

Mais il y a encore beaucoup questions sans réponses. Une image optique à très longue pose réalisée dans plusieurs bandes spectrales étroites pourrait en révéler davantage et repousser les limites de la lumière stellaire observable. La faible densité du gaz de cette galaxie rend son observation très difficile, voire impossible, à d'autres longueurs d’onde. Toutefois O'Neil estime qu'une "étude complète du ciel par un instrument extrêmement sensible comme le radiotélescope de Green Bank pourrait découvrir d'autres objets du même type."

Notons que le télescope spatial Euclid de 1.20 m de diamètre de l'ESA lancé en juillet 2023 et le futur télescope terrestre Vera Rubin (ex-LSST) de 8.42 m installé sur le Cerro Pachón, au Chili, rechercheront des objets similaires par voie optique, tandis que d'autres télescopes et le futur radiotélescope géant du SKA (Square Kilometre Array) en cours de construction, tenteront de détecter leur gaz froid.

Structure et effet du champ magnétique

En utilisant la lumière visible, ultraviolette et infrarouge, nous pouvons distinguer les étoiles, le gaz et la poussière qui forment les galaxies. Cependant, une donnée nous manque, la polarisation de cette lumière qui nous renseigne sur un ingrédient presque invisible : le faible champ magnétique qui imprègne l'espace entre les étoiles et façonne l'évolution galactique.

Les étoiles ne produisent pas elles-mêmes de lumière polarisée car leurs ondes lumineuses vibrent dans toutes les directions. Mais lorsque la lumière des étoiles interagit avec les grains de poussière du milieu interstellaire, elle peut se polariser, vibrant selon des modes ou un plan particulier. Étant donné que les grains de poussière s'alignent le long des lignes de force des champs magnétiques ambiants, la carte de polarisation de la lumière diffusée par les grains de poussière reflète la direction de ces champs.

Les champs magnétiques sont discrets et peuvent être subtils dans l'espace, mais ils peuvent avoir un impact sur tous les corps célestes, de la formation des étoiles à la façon dont les trous noirs supermassifs capturent la matière (cf. l'image radioélectrique polarisée de M87*).

Prenons quelques exemples de galaxies ayant fait l'objet d'analyses par polarimétrie.

NGC 1097

Dans une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2021, Enrique Lopez-Rodriguez de l'Université de Stanford et ses collègues ont étudié par polarimétrie la galaxie NGC 1097 située à environ 45 millions d'années-lumière dans la constellation du Fourneau. C'est une galaxie spirale barrée présentant un anneau nucléaire où se forment de nombreuses étoiles (starburst). Elle est classée SB(s)b. C'est également un AGN classé parmi les galaxies de Seyfert et les LINERs qui abrite un trou noir supermassif de 140 millions de masses solaires (cf. K.Onishi et al., 2015).

Les barres galactiques sont fréquentes dans les galaxies à disque (spirales) et peuvent favoriser le transfert de matière vers le moteur central des AGN. Les premières études ont montré que NGC 1097 présente des forces magnétiques contrôlant le flux de gaz jusqu'à plusieurs milliers d'années-lumière, ce qui suggère que les champs magnétiques sont dynamiquement importants le long de la barre et de l'anneau nucléaire. Mais jusqu'à présent l'effet des champs magnétiques sur les flux de gaz dans le millier d'années-lumière central n'avait pas été caractérisé.

Les données polarimétriques et radio de la galaxie spirale barrée NGC 1097 montrent que les flux de gaz à l'extérieur et à l'intérieur de l'anneau nucléaire (en médaillon) suivent les lignes de force du champ magnétique, alimentant le trou noir supermassif situé en son centre. A droite, cliquez sur l'image pour lancer une animation des lignes de force du champ magnétique dans l’anneau nucléaire de 1 kpc de NGC 1097 (.GIF de 3.4 MB). Documents M.A. Prieto et al. (2019) et E.Lopez-Rodriquez et al. (2021).

Pour analyser le champ magnétique entre l'anneau nucléaire et le noyau, les chercheurs ont utilisé l'Observatoire SOFIA (Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy) constitué d'un télescope de 2.70 m embarqué à bord d'un Boeing 747SP équipé d'un polarimètre imageur FIR HAWC+ (High-resolution Airborne Wideband Camera-plus) à 89 microns pour cartographier les champs magnétiques dans les régions denses en gaz et des données radio d'archives à 3.5 et 6.2 cm de longueur d'onde de l'Institut Max Planck pour la Radioastronomie pour cartographier les régions raréfiées.

Comme le montre les images présentées ci-dessus, les données montrent que les lignes des champs magnétiques s'enroulent en spirale depuis la périphérie clairsemée jusqu'à l'anneau dense de poussière et de gaz où les étoiles se forment, mais le dépassent également jusqu'au centre même de la galaxie. Le gaz suivant les lignes de force des champs magnétiques, on peut clairement suivre le chemin emprunté par le gaz depuis l'extérieur de l'anneau vers le centre de la galaxie où il alimente le trou noir supermassif. Ces observations fournissent la preuve que ce n'est pas seulement la gravité qui guide le mouvement vers l'intérieur, mais aussi le champ magnétique.

NGC 4217

Le champ magnétique de la galaxie NGC 4217 enregistré par le VLA en 2020 superposé à son image optique prise grâce au KPNO dans le cadre du sondage SDSS. Documents Y.Stein et al./VLA/NRAO. Voici une image visible prise par Fabien Neyer.

Dans un article publié dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2020, Yelena Stein du Centre de Données astronomiques de Strasbourg (CDS) et ses collègues ont étudié la galaxie spirale NGC 4217 située à 67 millions d'années-lumière dans la Grande Ourse, présentée à droite. L'image montre toute l'étendue du champ magnétique de cette galaxie spirale vue de profil. Selon Stein, "Cette image montre clairement que lorsqu'on pense à des galaxies comme la Voie Lactée, il ne faut pas oublier qu'elles ont des champs magnétiques à l'échelle de la galaxie."

L'image est un compositage d'une photo prise en optique grâce au télescope du Kitt Peak dans le cadre du sondage SDSS (Sloan Digital Sky Survey), tandis que les lignes de force du champ magnétique, représentées en bleu, furent enregistrées par l'installation radioastronomique Karl Jansky (ex-VLA).

Les lignes de force du champ magnétique s'étendent jusqu'à 22500 années-lumière au-dessus du disque de la galaxie. Si on sait que les champs magnétiques jouent un rôle important dans la formation des étoiles au sein des galaxies, on ne comprend pas totalement comment des champs magnétiques aussi vastes sont générés et se maintiennent. La meilleure théorie actuelle fait appel au concept de la dynamo : les champs magnétiques sont générés par le mouvement du plasma dans le disque de la galaxie.

Quant à savoir ce qui génère les grandes extensions verticales, les théories sont plus spéculatives et les astrophysiciens espèrent que d'autres observations et analyses répondront à certaines des questions en suspens.

En revanche, d'autres galaxies vues de profil comme NGC 891, NGC 3628, NGC 4945, NGC 5775 ou NGC 1808 vue de biais, ne possèdent pas ces extensions magnétiques, ni d'ailleurs de halo radioélectrique. Comme la Voie Lactée, ces galaxies présentent un disque épais situé à environ 1 kpc soit 3200 années-lumière au-dessus du plan galactique et constitué de vieilles étoiles. Dans la plupart des cas, le champ magnétique est approximativement aligné dans le plan du disque.

NGC 4631

L'une des premières preuves de l'influence du champ magnétique sur la morphologie d'une galaxie fut apportée en 1988 par l'équipe de E.Hummel de l'Institut Max Planck de Radioastronomie (MPIFR) qui étudia l'émission radioélectrique polarisée de la "galaxie de la Baleine", NGC 4631 alias Caldwell 32 présentée ci-dessous à gauche située à environ 25 millions d'années-lumière dans les Chiens de Chasse.

Cette galaxie présente de grands lobes radioélectriques perpendiculaires à son plan qui correspondent aux émissions du gaz chaud qui l'enveloppe et uniquement détectable par ses émissions X. En lumière blanche, cette galaxie présente des bandes obscures de poussière.

Quand on superpose les trois images, on constate que les nuages de poussière s'alignent verticalement suivant les lignes du champ magnétique (cf. Y.Sofue, PASJ, 1987).

Des effets similaires ont été observés dans la galaxie NGC 253 du Sculpteur par C.L.Carilli et al. ou encore dans NGC 4666 par M.Dahlem et ses collègues.

A gauche, la galaxie NGC 4631 présentant des bandes de poussière alignées verticalement dans le sens des lignes du champ magnétique. Au centre, la combinaison des images visibles et X de la galaxie NGC 4631 révèle son immense halo de gaz chaud de 2.7 millions de degrés. Les régions où naissent les étoiles apparaissent en rouge et en blanc. A droite, NGC 253 photographiée avec un télescope RCOS de 400 mm f/11.3. Documents SDSS, NASA/STScI/Chandra et Star Shadows Remote Observatory/CTIO.

M33

Un autre bel exemple de l'influence de ce champ magnétique et de la poussière sur la morphologie et la formation de certaines galaxies est donné par M33, l'une des galaxies les plus proches située à environ 2.9 millions d'années-lumière dans la constellation du Triangle. C'est une petite galaxie spirale (type SA(s)cd) qui contient environ 40 milliards d'étoiles soit six fois moins que la Voie Lactée.

La photographie présentée à gauche est une combinaison en fausses couleurs d'une image enregistrée par le HST et le télescope Spitzer. Le canal bleu correspond à l'UV lointain émis par les jeunes étoiles irradiant l'espace d'une lueur bleue, le canal vert correspond au proche UV des étoiles d'âge intermédiaire illuminant l'espace d'une lueur verte et le canal rouge correspond à l'émission infrarouge de la poussière riche en molécules organiques.

L'image met en évidence (en rouge) les zones chaudes où la poussière a aborbé le rayonnement UV des jeunes étoiles situées dans les bras de la galaxie.

 Dans certaines régions de M33, on observe de grandes quantités de poussière ce qui suggère que soit les jeunes étoiles sont cachées par les nuages obscurs soit que des étoiles plus éloignées réchauffent la poussière. Dans certaines régions extérieures de la galaxie (en vert-bleu), c'est le contraire : il y a des nurseries de jeunes étoiles et très peu de poussière.

Enfin, une étude au radiotélescope confirme que les bras de M33 s'alignent le long des lignes de force du champ magnétique.

A gauche, combinaison des images UV, visibles et IR de la galaxie M33. Les zones chaudes sont codées en rouge. Document NASA/JPL. A droite, image composite (optique en gris, hydrogène en rouge, poussière en proche IR en jaune) de la galaxie M82 située à ~12 millions d'années-lumière de la constellation de la Grande Ourse. Le champ magnétique détecté par l'instrument à haute résolution HAWC+ embarqué à bord de SOFIA représenté par des lignes de courant, semble suivre les flux d'émissions bipolaires (en rouge) générés par les intenses éruptions nucléaires. Le vent galactique entraîne donc non seulement la matière mais également le champ magnétique. Document NASA/SOFIA/E.Lopez-Rodiguez; NASA/Spitzer/J. Moustakas et al.

M82

Les effets du champ magnétique sont également visibles dans la galaxie irrégulière M82 de la Grande Ourse présenté ci-dessus à droite. Grâce à l'observatoire SOFIA précité, en 2018 Terry Jay Jones de l'Université du Minnesota et ses collègues ont découvert que le supervent galactique émis depuis le centre de cette galaxie n'entraîne pas que de la matière : il entraîne également le champ magnétique. En effet, le supervent s'aligne le long des lignes du champ magnétique, entraînant avec lui une très grande quantité de gaz et de poussière dont la masse est estimée entre 50 et 60 millions de masses solaires. Cette matière est étirée sur 2000 années-lumière, autant que la largeur du faisceau du supervent. Les résultats de cette étude furent publiés dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2019.

Selon Terry Jones, "l'étude des champs magnétiques intergalactiques et de leur évolution est essentielle pour comprendre l'évolution des galaxies au cours de l'histoire de l'Univers." A ce titre, l'instrument SOFIA et son polarimètre FIR apportent de nouvelles perspectives sur les champs magnétiques.

Voyons à présent le cas particulier de la formation des galaxies elliptiques qui pose quelques problèmes aux astrophysiciens depuis plusieurs décennies.

Prochain chapitre

La formation des galaxies elliptiques

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