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Le milieu interstellaire

La nébuleuse de la Carène, NGC 3372, est un complexe HII géant qui regorge de nuages de poussière et de molécules, formant localement de véritables murs obscurs et impénétrables à la lumière. Document Robert Gendler.

Région HI et région HII

Comme son nom l'indique, le milieu interstellaire comprend toute la matière contenue entre les étoiles formant une galaxie. Il se compose d'hydrogène présent sous deux formes, atomique ou moléculaire et sous deux états, neutre ou ionisé. L'hydrogène neutre représente 76% de la masse visible ou environ 90% des atomes. Il est donc omniprésent dans les galaxies tout en se concentrant dans le disque mais également bien au-delà ainsi que nous le verrons.

Dans la Voie Lactée qui représente une masse visible (stellaire) d'environ 1500 milliards de masses solaires, le gaz interstellaire représente entre 10 et 15% de la masse visible soit plus de 150 millions de masses solaires tandis que la poussière interstellaire représente 1% de la masse totale de gaz soit ~15 millions de masses solaires (cf. Sparke et Gallagher).

Les deux états de l'hydrogène interstellaire étant très abondants dans les galaxies, les astrophysiciens ont défini deux types de régions interstellaires :

- La région HI désigne un milieu interstellaire neutre, d'ordinaire en équilibre thermodynamique. On y trouve seulement de l'hydrogène atomique (H) et des molécules stables, donc des éléments non ionisés par les étoiles proches. La température du milieu est inférieure à 100 K et peut approcher le zéro absolu. Ce gaz n'est donc pas un plasma (dans lequel les atomes sont ionisés). Nous n'y trouverons donc pas de nébuleuses. De nombreuses galaxies elliptiques et irrégulières sont riches en régions HI. A l'inverse, le noyau des galaxies spirales contient très peu de régions HI.

- La région HII caractérise au contraire un milieu interstellaire ionisé par un rayonnement d’intense énergie. C'est une région où la masse de gaz est en partie à l'état de plasma (selon que le niveau d'ionisation est partiel ou total) composé d'ions libres et d'électrons qui sont excités électroniquement par le rayonnement des étoiles proches (on parle de rayonnement de freinage ou Bremsstrahlung, également appelé "free-free" par les physiciens). Ce rayonnement est thermique mais il peut devenir non thermique et synchrotron s'il est émis par des électrons relativistes spiralant dans un champ magnétique intense, par exemple suite à l'explosion d'une supernova ou près d'un trou noir. Le rayonnement est alors polarisé.

Les régions HII sont des nuages brillants où l'hydrogène prédomine, leur spectre affichant les fameuses raies de Balmer, les particules absorbant ou émettant un rayonnement visible ou invisible. Ces régions sont pour la plupart des endroits privilégiés où nous pourrons éventuellement trouver des protoétoiles en formation et des nurseries stellaires.

A gauche, la nébuleuse du Trèfle, M20, du Sagittaire photographiée par Jay R. GaBany au moyen d'un télescope RCOS de 500 mm d'ouverture équipé d'une caméra CCD. Temps d'intégration total de 10 heures. Au centre, image LRGB de la nébuleuse NGC 1999, "le trou de la serrure" d'Orion photographiée par Adam Block avec un télescope RCOS de 810 mm de diamètre équipé d'une caméra CCD SBIG STX. Temps d'intégration total de 8 heures. A droite, gros-plan sur Abell 21, la nébuleuse planétaire de la Méduse, photographiée par le VLT de l'ESO. Voici une vue générale de la nébuleuse prise par Frank Breslawski.

Les bras de la galaxie d'Andromède M31 par exemple révèlent des nébuleuses d'émissions (les taches rouges et certaines taches bleues) classées régions HII. La nébuleuse d'Orion (M42), de la Lagune (M8), du Trèfle (M20, à gauche), de l’Aigle (M16), de la Tarentule (30 Doradus ou NGC 2070) ou de la Carène (NGC 3372 ci-dessus) sont des régions HII. Ici le rayonnement des étoiles ionise l'espace avec tellement d'énergie qu'il comprime et repousse les nuages de poussière dans d'immenses nuages obscurs à la structure chaotique. Dans certaines nébuleuses, les jeunes étoiles ionisent l'hydrogène sur plus de 1000 années-lumière.

Les nuages de gaz des régions HII présentent une pression beaucoup plus élevée qu'à l'extérieur car ils présentent une température élevée pouvant dépasser 10000 K. Ces nébuleuses sont donc en expansion, un mouvement qui est visible sur des photographies prises par exemple à 10 ou 20 ans d'intervalle.

Du fait que ces nappes de gaz fuient par leur périphérie dans le milieu interstellaire, la durée de vie moyenne d'une région HII est de l'ordre de 10000 ans. Toutefois le gaz libéré peut rester ionisé et chaud bien plus longtemps, en fait jusqu'à la recombinaison de l'hydrogène, un processus qui dure environ 6 millions d'années pour une densité de 0.03 atome/cm3, valeur qu'on rencontre dans le milieu interstellaire en dehors des nébuleuses. On reviendra page suivante sur la température des nébuleuses.

A gauche, une image en haute résolution des nuages de poussière entourant M45 obtenue par Bakry Basoo au moyen d'une caméra CCD ASI 533MC Pro munie d'un filtre IR-cut et d'un téléojectif Rokinon de 135 mm à f/2.8. Temps d'intégration total de 6 heures. A comparer avec cette image plus étendue réalisée par Rogeli Bernal Andreo. A droite, la région d'Orion avec la Tête de Cheval B33 à gauche et M42 à droite photographiée par Bray Falls. Temps d'intégration total de 6 heures. Ces deux images révèlent la densité importante des cirrus galactiques" (les IFN de Sandage) dans la ligne de visée de ces objets jusqu'à respectivement 444 et ~1500 années-lumière du Soleil.

Preuve de notre ascendance stellaire et cosmique, l'abondance des éléments He, C, N, O, Ne et S au sein de la nébuleuse d'Orion par exemple est très proche de celle du système solaire, à l'exception du fer. Cela montre également que ces éléments neutres constituant la poussière interstellaire sont détruits par le rayonnement stellaire dans les régions HII, à l'exception des matières les plus réfractaires qui contiennent du fer, élément qu'on retrouve en quantité presque identique (un ordre de grandeur) dans le Soleil.

Cette seule observation permet de dire que le système solaire s'est formé dans une région HII contenant des gaz lourds formés suite à l'explosion d'une supernova. Le Soleil est donc une étoile de deuxième voire de troisième génération.

Précisons que la "richesse" du milieu n'intervient pas dans ce classement car le même gaz peut passer de HI à HII à l'échelle des temps cosmiques si une source d'énergie comprime le gaz ou l'ionise (étoile chaude qui se forme au voisinage, onde de choc suite à l'explosion d'une supernova, jet de plasma d'un trou noir supermassif, etc.).

La densité du milieu n'a pas grand chose à voir non plus avec l'état d'ionisation; on peut avoir des régions très denses et neutres (HI), voire des "clumps" (noeuds ou bouquets) dans certaines nébuleuses planétaires ou rémanents de supernovae comptant environ 10000 atomes/cm3 et inversement observer des régions HII très peu denses, rassemblant parfois quelque dizaines d'atomes/cm3. On y reviendra.

Dimensions des poussières interstellaires

La nébuleuse N11B située dans le Grand Nuage de Magellan. Riche en gaz et en poussière, c'est une nurserie d'étoiles. Document NASA/ESA/STScI.

Pour expliquer l'extinction de la "lumière" sur un large spectre de fréquences (des UV à l'infrarouge proche), le milieu interstellaire doit contenir des grains de poussière de différentes tailles, de manière à absorber sélectivement le rayonnement à certaines longueurs d'ondes. Cette poussière est classée en trois catégories :

- les grains de taille moléculaire. Ils sont constitués de molécules d'hydrocarbures aromatiques polycycliques, les fameux PAH (Polycyclic Aromatic Hydrocarbons). Probablement plans, ils sont constitués de quelques dizaines d'atomes.

- les très petits grains ou VSG (Very Small Grains). Il s'agit en général de grains de graphite (atomes et molécules de carbone, C) dont la taille varie entre 1-20 nm (2x10-5 mm).

- les gros grains ou BG (Big Grains) dont les dimensions sont supérieures à 20 nm (taille moyenne de 200 nm). Ils sont principalement constitués de graphite (C) et de silicates (SiO2) enrobés de glace.

Comme nous l'avons expliqué, cette poussière est mélangée à une plus ou moins grande quantité de gaz. Comme sur Terre, cette poussière absorbe la lumière. Le processus dépend de plusieurs facteurs et notamment de la taille des poussières, de sa température et de son état d'équilibre. Ainsi, si la longueur d'onde du rayonnement est plus petite ou comparable (à un facteur dix près) à la taille des particules, l'énergie des photons sera absorbée par les atomes et les électrons vont passer dans un état excité. Par analogie, c'est exactement l'image d'un bâteau qui affronte une mer démontée composée de petites vagues; ayant une longueur d'onde inférieure ou égale à celle du bâteau, l'énergie des vagues est absorbée par la coque, secouant violemment le bâteau. En revanche, si la longueur d'onde du rayonnement est plus grande que la taille des particules, il y aura peu de transfert d'énergie aux grains de poussière et donc peu d'effets à l'instar d'un petit bâteau naviguant sur une houle de grande amplitude.

Etant donné leur petite taille, les PAH absorbent plus facilement la lumière UV des jeunes étoiles tandis que les particules de grandes tailles absorbent principalement la lumière visible et notamment celle émise par les vieilles étoile situées dans le coeur des galaxies.

Le rayonnement est peu absorbé dans la partie infrarouge du spectre (>1000 nm ou 1 micron), ce qui offre l'opportunité aux astronomes d'utiliser les télescopes spatiaux infrarouge (IRAS, ISO, WISE, Spitzer, JWST) et les radiotélescopes sub/millimétriques (ALMA, SMA, GBT, etc) pour percer les nuages obscurs de la Voie Lactée et la région centrale des galaxies. On y reviendra notamment à propos de la morphologie des galaxies.

En absorbant cette énergie, la poussière se réchauffe. Si les grains sont suffisamment gros, ils absorbent les photons UV émis par l'étoile et répartissent l'énergie acquise entre les atomes. Ils conservent ainsi leur température et se mettent en équilibre thermique avec le rayonnement, réémettant ensuite un rayonnement selon la courbe du corps noir. Statistiquement, un grain de poussière à l'état stationnaire qui reçoit une énergie UV réémet une quantité égale d'énergie en infrarouge lointain.

La nébuleuse IC 1805, la nébuleuse du Coeur, alias Sharpless 2-190 située à 7500 années-lumière dans le bras de Persée dans la constellation de Cassiopée. Document Roberto Colombari.

Comme nous l'avons dit, en général cette température est très froide (18 à 22 K soit -255 à -251°C) mais dans les galaxies actives affichant une grande production d'étoiles et où le rayonnement interstellaire est intense, la température moyenne des grains peut atteindre 40 K soit -233°C.

Il existe des cas extrêmes, notamment dans les disques protoplanétaires par exemple, où par chauffage et friction les grains de poussière peuvent atteindre plus de 500 K soit 227°C dans la région tellurique équivalente à celle du système protosolaire et même plusieurs milliers de degrés dans la région des astéroïdes.

Les plus petits grains de poussière comme les PAH sont moins massifs que les gros grains, ils se réchauffent donc plus rapidement en raison de leur plus faible inertie thermique et montent donc très rapidement en température, jusqu'à dépasser 1000°C. Mais vu leur taille, ils absorbent moins fréquemment le rayonnement et de ce fait leur température n'est pas constante; ces molécules émettent donc surtout un spectre de raies d'émissions qui fluctue en fonction de leur taux d'absorption des photons.

Dans les régions constituées de PAH, les émissions se situent surtout entre 3-15 microns. S'il s'agit de VSG, la longueur d'onde augmente entre 10-70 microns tandis que pour les gros grains de poussière, la matière émet principalement dans l'infrarouge lointain entre ~70 et 1000 microns ou 1 mm de longueur d'onde.

On déduit de ce phénomène que le spectre des galaxies variera également en fonction de leur composition, la distribution spectrale d'énergie étant un indicateur de la présence ou non de poussière et de jeunes étoiles.

Notons que ces PAH étant de petites molécules, si le rayonnement stellaire est trop intense (UV), ces molécules peuvent se briser par photodissociation. Ce sont des conditions qu'on retrouve souvent près des jeunes amas ouverts tout auréolés de nappes gazeuses bleutées et dans les galaxies naines bleues compactes (BCD) où le milieu interstellaire est plongé dans le rayonnement UV et contient très peu de poussière, les étoiles n'ayant pas eu le temps de produire de métaux.

Enfin, à propos de la chimie organique, une étude japonaise(cf. M.Tsuge et al., 2023) a montré que le carbone atomique pouvait diffuser sur les grains de poussière interstellaires glacés sous une température de 30 K soit -243°C en laboratoire, tandis que dans l'espace la diffusion des atomes de carbone peut déjà être activée à seulement 22 K soit -251°C. On y reviendre à propos du système solaire et de la formation des molécules organiques.

Densité du milieu interstellaire

On dit généralement que l'espace est vide, dépourvu de matière. Sur Terre, comme le rappelle le CERN, pour éviter les collisions entre les molécules de gaz, on estime qu'il faut atteindre une densité d'environ 3 millions de molécules/cm3 soit une pression de 1.3x10-10 mbar (10-10 Torr ou 10-10 millimètre de mercure). C'est la pression qui règne dans les tubes des faisceaux de particules dans le LHC du CERN. On considère le vide comme un espace comprenant ~100 particules/cm3 ou un peu moins (cf. la pression en météo). Mais par rapport à certaines endroits de l'univers, ce n'est pas encore un vide très poussé. C'est pourtant ce qu'on peut faire de mieux.

Quelle est la densité du milieu interstellaire ? Dans l'environnement du Soleil, le gaz interstellaire est relativement peu présent : on dénombre une particule d'un micron pour 12 m3 d'espace, soit environ 0.5 atome/cm3. Cela représente un vide bien plus poussé que ceux produits dans les "laboratoires du vide" les plus perfectionnés. Par comparaison, sur Terre au niveau de la mer, dans 1 cm3 d'air il y a environ 53 milliards de milliards de molécules, ce qui explique pourquoi les planétologues qualifient les atmosphères planétaires de milieu "dense" comparé à la densité moyenne de l'espace ou même des nébuleuses.

Milieu

Densité

(particule par cm3)

Température

(K)

Masse

(M)

Atomique (HI)

Froid

~25

~100

4x109

Tiède

~0.25

~8000

4x109

Moléculaire (H2)

~1000

1-100

3x109

Ionisé

Régions HII

~1-104

~10000

5x107

Diffus

~0.03

~8000

109 ?

Chaud

~6x10-3

~5x105

108 ?

Les différentes phases du milieu interstellaire de la Voie Lactée. En pratique le milieu atomique tiède est en partie ionisé et la séparation entre phase froide et tiède est un peu plus complexe. Adapté de F.Combes et J.Lequeux, "La Voie Lactée", EDP Sciences, 2013.

Dans une nébuleuse, la densité des particules est très variable : comme nous l'avons évoqué, elle oscille entre quelques dizaines et centaines de particules/cm3 dans les régions ionisées (les régions HII entourant les étoiles récemment formées), entre 1000 et 10000 particules/cm3 dans les régions neutres (par exemple les régions photodissociées situées à la limite entre les régions HII et les nuages moléculaires), et peut atteindre 10000 à 1 million de particules/cm3 dans les nuages moléculaires froids et sombres tels ceux d'Orion ou de la Carène. En moyenne, dans une galaxie comme la Voie Lactée, le milieu interstellaire représente environ 5% de la masse totale des étoiles.

Prenons justement le cas de la nébuleuse de la Carène, NGC 3372 présentée ci-dessous dont les deux photos ne couvrent qu'une toute petite partie de cette immense nébuleuse. On distingue peu d'étoiles et énormément de poussière. Mais l'effet est trompeur car l'essentiel de la matière se trouve bien dans les étoiles, et ce ne sont pas les plus petites ! En effet, cette nébuleuse spectaculaire est un complexe HII et moléculaire géant qui s'étend sur 920 années-lumière, l'un des plus vastes de la Voie Lactée. Il se situe entre 6500 et 10000 années-lumière dans le bras de Carène-Sagittaire (cf. la carte de la Voie Lactée).

La nébuleuse de la Carène fait partie de l'association stellaire Carina OB1, une gigantesque association de jeunes étoiles très chaudes des classes spectrales O et B dont la masse varie entre 10 et 100 masses solaires.

A gauche, vue panoramique de la région centrale de la nébuleuse de la Carène, NGC 3372, située entre 6500-10000 années-lumière. La photo couvre à peine 13' soit le quart du diamètre apparent de la pleine Lune ou 52 années-lumière. Dans cette photo, Eta Carinae se situe dans la partie gauche et apparaît comme une petite tache brillante perdue dans cet immense nuage de poussière. Voici la photo annotée et un gros-plan sur Eta Carinae. L'ensemble de la structure est 18 fois plus vaste que cette photo et s'étend sur 920 années-lumière. A droite, zoom sur la nébuleuse du "Trou de serrure" (Keyhole") dont voici la vue générale qui se trouve dans la partie centrale gauche du panorama. Cette nébuleuse qui se trouve près du centre de la nébuleuse de la Carène présente un diamètre de 7 années-lumière. Documents NASA/ESA/STScI/CTIO et NASA/ESA/STScI.

Parmi ces amas stellaires, Trumpler 14 présenté ci-dessous à gauche, abrite l'étoile HD 93129A, une étoile géante bleue de type spectral O2 qui est l'une des plus lumineuses et des plus massives de la Voie Lactée. Elle affiche une température effective de 52000 K, l'une des plus élevées, une masse de 95 M, un rayon de 20 R et une luminosité globale (car il s'agit d'un système binaire composé de deux étoiles bleues) 2.5 millions de fois supérieure à celle du Soleil, ce qui la place tout en haut à gauche du diagramme H-R. Non loin de là se trouve l'amas Trumpler 16 qui abrite la célèbre Eta Carinae. Ce complexe géant comprend également les amas stellaires Cr 228, Cr 232, NGC 3293 et NGC 3324.

A partir de l'intensité des raies d'émissions du [N II] et [O III], en 2006 Thomas Oberts et son équipe ont évalué la densité électronique du milieu à seulement 32 particules/cm3 pour la composante faiblement ionisée soit une masse volumique d'environ 2.9x10-26 g/cm3. A titre de comparaison, si on ne considère que ce gaz d'électrons pour avoir une référence commune, c'est à peine 300 fois moins raréfié que le gaz d'électrons présent dans l'atmosphère terrestre à 90 km d'altitude, là où se forment les aurores (9.1x10-28 g/cm3 par une température d'environ -100°C ou 173 K).

A gauche, l'amas ouvert Trumpler 14 abritant l'étoile géante bleue HD 93129A (la plus brillante sur l'image). Au centre, agrandissement d'un nuage isolé de poussière de la nébuleuse de la Carène dont voici la vue générale observé en lumière blanche (en haut) et en infrarouge (en bas). La colonne s'étend sur 3 années-lumière. Le milieu est tellement dense que le rayonnement IR ne pénètre que partiellement ce nuage. On distingue toutefois les jets signalant la présence d'une protoétoile cachée derrière les nuages de poussière. On estime que ces jets sont projetés à la vitesse de 380 km/s (1.3 million de km/h) sur une distance supérieure à 15 années-lumière. A droite, la nébuleuse N90 située dans le Petit Nuage de Magellan (SMC). Le vent stellaire émit par les jeunes étoiles bleues est en train de repousser la poussière interstellaire (en brun). Située loin du coeur du SMC, on distingue également de nombreuses galaxies à l'arrière-plan. Documents ESO/VLT, NASA/ESA/SM4 ERO Team et NASA/ESA/STScI.

En revanche, dans les nuages d'hydrogène neutre situés à la limite entre les régions HII et les nuages moléculaires, la densité atteint 1250 noyaux d'hydrogène neutre/cm3. Ces valeurs restent plus faibles que dans la plupart des autres nébuleuses, ce qui peut s'expliquer par l'étendue du nuage et le fait qu'une partie de la matière a déjà formé des étoiles particulièrement massives. Pourtant, avec le temps et si les conditions sont réunies, ce milieu diffus peut encore donner naissance à des étoiles bien plus massives et volumineuses que le Soleil.

Les nuages moléculaires géants

Si une nébuleuse brillante ou même obscure peut sembler dense au premier regard, en réalité elle est 10 à 100 fois moins dense qu'un nuage moléculaire. Dans un article publié dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 1990, Thomas Wilson de l'Institut Max Planck de Radioastronomie et son équipe ont étudié les nuages moléculaires géants de Cygnus X dont on voit une image panoramique ci-dessous prise en lointain infrarouge grâce au télescope spatial Herschel de l'ESA.

Cette région composée de gaz ionisé (région HII) est 10 fois plus massive que les grand complexes diffus comme Orion A (dont voici une photo et qui s'étend sur environ 8° au sud de la Ceinture d'Orion, englobe notamment NGC 2024, M42, M43, etc.), M17 ou de la Carène. On estime que Cygnus X mesure environ 200 pc soit ~650 années-lumière de diamètre et représente 3 millions de masses solaires soit autant qu'une petite galaxie ! A titre de comparaison, cela représente 3 fois la masse totale des nuages molécules présents dans un rayon de 1500 années-lumière autour du Soleil condensés dans une région 5 fois plus petite.

A gauche, une vue générale du complexe Cygnus X découvert par la radioastronomie en 1952. Il s'agit d'une radiosource diffuse et un complexe HII géant situé à environ 4500 années-lumière. Il est constitué de nuages interstellaires de gaz ionisé et de nuages moléculaires très massifs en effondrement. Cette région est dix fois plus massive que les régions HII d'Orion, M17 ou du Carène. Cygnus X comprend quelque 800 régions HII distinctes dans chacune desquelles des dizaines d'étoiles sont en gestation, de nombreuses étoiles Wolf-Rayet et O3 ainsi que quelques associations OB d'étoiles géantes très massives qui émettent des rayonnements de plus courte longueur d'onde que l'on voit dans la partie brillante à droite. Les objets rouges compacts sont des condensations de matière sur le point de former des étoiles massives. La région bleue et diffuse au centre correspond aux effets de l'ionisation du gaz par les étoiles jaunes et chaudes où souffle au vent interstellaire intense. La photographie fut prise en lointain infrarouge par le satellite Herschel de l'ESA. Voici la version annotée. A droite, gros-plan sur la région DR21 du complexe Cygnus X. Documents ESA/Herschel.

La structure HII cataloguée DR21 (d'après Downes et Rinehart, 1966) située sur la droite de l'image présentée ci-dessus (voir l'image annotée) et agrandie à droite s'étend sur plus de 150 années-lumière en largeur et sur environ 80 années-lumière d'épaisseur. Les observations en infrarouge lointain à 160 microns au moyen du télescope Herschel de 3.5 m de diamètre (contre 2.4 m pour le HST) de l'ESA ont montré qu'il s'agit d'un nuage moléculaire géant dont la masse des filaments varie entre 130 et 1400 M. Ce sont ces filaments qui alimentent les condensations brillantes où se forment les étoiles.

Grâce au télescope Herschel, en 2012 Martin Henneman du CEA de Saclay et son équipe ont évalué la masse de la crête centrale brillante (en jaune ci-dessus à droite) à 15000 M tandis que tout le complexe DR21 représente l'équivalent de 1 million de M soit une fraction sensible de toute la masse de gaz et de poussière interstellaire de la Voie Lactée.

Sur le plan de la cosmochimie, outre l'hydrogène, il contient de nombreuses molécules intéressantes sur le plan prébiotique comme le carbone, le formaldéhyde, l'ammoniac, les PAH et même de l'eau.

Cette région compte parmi les plus massives et les plus denses de la Voie Lactée au point qu'elle bloque totalement la lumière des étoile situées à l'arrière-plan. L'atténuation dépasse 1041 (dix mille billions d'heptillions) en lumière blanche. Même une nébuleuse obscure n'atteint pas un tel obscurcissement !

Comme les autres régions HII de Cygnus X, le complexe DR21 interagit fortement avec le vent insterstellaire, la pression de radiation, la gravité et les champs magnétiques, ce qui explique son aspect hautement turbulent, très instable et formant localement des condensations de gaz moléculaire. Selon une estimation de l'équipe de Michael Kuhn de l'Université d'état de Pennsylvanie, rien que la structure DR21 a formé 2900 étoiles, c'est-à-dire autant que la population stellaire regroupée dans les globules et autres amas préstellaires du complexe Orion A (toute la région s'étendant sur 8° en dessous de la Ceinture d'Orion).

A gauche, le complexe entourant la nébuleuse NGC 1999 (la région bleuâtre en dessous à gauche contenant une tache sombre vide de matière et une étoile variable) située à ~2° au sud et en bordure de la nébuleuse M42 d'Orion située à 1500 années-lumière. L'image s'étend sur plus de 30 années-lumière. Voici la version annotée. La région comprend de nombreuses jeunes étoiles qui traversent l'espace à plusieurs centaines de kilomètres par seconde, créant localement des arc de choc (en rouge) comme l'étrave d'un navire fendant les flots. Parmi les arcs de choc, citons les objets de Herbig-Haro HH222 ou nébuleuse de la cascade (en haut à droite) et HH401 en forme de cône (à droite du centre). Document Hα-LRGB réalisé par Mark Hanson avec des télescopes Planewave de 430 mm et 200 mm de diamètre équipés d'une caméra CCD SBIG 16803. Temps d'intégration total de 43 heures. A droite, l'arc de choc créé par l'étoile fugitive Zeta Ophiuchi. Il s'agit d'une image infrarouge prise par le télescope Spitzer traitée en fausses couleurs. Zeta Ophiuchi est une étoile bleue (O9V) de ~20 masses solaires et 65000 fois plus lumineuse que le Soleil se déplaçant à 24 km/s. Elle se situe à 460 années-lumière. Son vent stellaire comprime et chauffe la matière interstellaire dans la direction de son mouvement (vers la gauche), formant un arc de choc dont la partie rouge est la plus chaude. On pense que cette étoile faisait partie d'un système binaire dont le compagnon explosa en supernova, éjectant Zeta hors du système. L'image s'étend sur ~1.5° ou 12 années-lumière. Document NASA/JPL-Caltech/Spitzer.

Jusqu'à présent on pensait que sous l'effet d'une compression comme l'onde de choc d'une supernova ou le déplacement rapide d'une étoile, les flux supersoniques comprimaient les nuages moléculaires sous forme de filaments et si le milieu était suffisamment froid et massif, la gravité provoquait l'effondrement des régions les plus denses qui formeraient ensuite des condensations de gaz à l'origine des futures protoétoiles massives qu'on trouve typiquement dans les nurseries stellaires.

En réalité, si ce mécanisme semble logique, il n'est pas efficace car c'est oublier le rôle des champs magnétiques. En effet, ils renforcent les coeurs préstellaires qui peuvent ainsi résister à l'effondrement induit par l'autogravité.

Ce sujet étant vaste et nous conduisant à la formation des étoiles et à l'origine du Soleil, on reviendra sur la formation des coeurs préstellaires lorsque nous étudierons le développement du champ magnétique dans l'article consacré à la formation du système solaire.

Avant d'examiner le spectre des nébuleuses, nous devons encore définir quelques concepts.

Prochain chapitre

Température et couleur des nébuleuses

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