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Les quasars et autres galaxies à noyau actif

Illustration d'un quasar abritant un trou noir supermassif actif émettant un puissant jet bipolaire à plus de 100 kpc. Document T.Lombry.

Le modèle unifié des galaxies à noyau actif (VI)

Les quasars et toutes les galaxies à noyau actif (radiogalaxies, galaxies de Seyfert, Blazars, Lacertae, LINER, etc) semblent apparemment différents mais les astrophysiciens qui les ont observés sous tous les aspects pensent qu'ils présentent en réalité tous la même structure. En effet, si on change l'orientation de la ligne de visée, ce qui apparaît en vue polaire comme une galaxie ayant un noyau très lumineux ressemble vu de profil à un tore de poussière entourant un disque de gaz au centre duquel un noyau actif émet un puissant jet bipolaire. On peut donc postuler que même s'il existe de réelles différences entre certains AGN, ils ont des similarités de base à différentes échelles.

Tous les AGN et radiosources que nous venons de décrire semblent avoir plusieurs points communs :

- Ils se situent à de grandes distances (z = 0.125 à z > 7)

- Ils présentent une densité d’énergie intense (3000 M2 vers z = 2)

- Ils transforment jusqu'à 1000 M en énergie chaque année

- Ils brillent pendant plusieurs millions d'années, consommant l'équivalent de 100 milliards d'étoiles

- Ils émettent une énergie phénoménale (jusqu’à 1061 ergs/s, plus de 1025 W/Hz vers 1420 MHz)

- Le noyau des AGN est extrêmement lumineux (jusqu'à 1015 L)

- Les sources sont très compactes et très massives

- Le rayonnement n'est pas d'origine thermique (issu des réactions thermonucléaires stellaires)

- Le rayonnement émis varie très rapidement (jusqu’à quelques heures)

- On observe l'émission de jets de plasma et parfois de lobes radios à des vitesses relativistes.

Comment peut-on expliquer l'ensemble de ces phénomènes à travers une seule et même théorie ? L'hypothèse de travail se base sur la théorie d'Einstein. Il est impossible qu'une source de rayonnement non cohérente puisse interagir à travers une galaxie à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Sa lumière globale ne peut pas varier plus rapidement que le temps nécessaire à sa propagation dans toute la dimension de cette source. Ces variations se produisant de façon importante en l'espace d'une année, ces objets doivent donc avoir une dimension maximale inférieure à l'année-lumière. Mais comment une région de quelques semaines ou quelques mois-lumière peut-elle émettre autant d'énergie que 10000 galaxies ?

A gauche, la galaxie elliptique géante et radiosource M84 (NGC 4374) alias 3C 272.1 située à 60 millions d'années-lumière avec, en rouge l'image obtenue à 6 cm par le VLA et en vert celle optique obtenue par le Télescope Spatial Hubble. Au centre, les jets spectaculaires émis par le quasar (DRAGN) 3C 31 (NGC 383 ou Arp 331) situé à 240 millions d'années-lumière. A gauche, l'image radio obtenue à 3.6 et 21 cm (en rouge) par le VLA superposée sur une image optique (en bleu) du Télescope Spatial Hubble. A droite, l'image rayons X de 3C 31 enregistrée par le satellite Chandra en 2016. Documents NASA/ESA/STScI, NRAO/AUI2006/Alan Bride et NASA/CXC.

Toutes ces manifestations, à la fois rapides et violentes en termes de puissance et de perturbations du milieu ne semblent avoir qu'une seule origine possible : la présence dans le noyau de ces galaxies d'une source d'énergie compacte, très massive et très puissante. Un seul objet est susceptible d'expliquer ces propriétés : le trou noir et dans ce cas ci un supermassif.

Historiquement, les théoriciens ont travaillé sur un "schéma d'unification" pour expliquer comment un même objet pouvait apparaître sous différents aspects. En 1977, les théoriciens ont proposé que l'obscurcissement par la poussière était un élément de ce schéma. Puis en 1982, Robert Antonucci de l’Université de Californie à Santa Barbara présenta dans la revue "Nature" un dessin simplifié représentant un tore opaque entourant le "moteur" central. À partir de ce moment, le tore obscurcissant est devenu une caractéristique du modèle unifié de tous les types d'AGN. Ensuite, Antonucci proposa un modèle unifié plus complet dans un article de 48 pages publié en 1993.

Finalement, en 1995 le physicien Paolo Padovani de l'Université de Rome et l'astronome Megan Urry du STScI résumèrent ce modèle unifié dans un article très détaillé intitulé "Unified Schemes for Radio-Loud Active Galactic Nuclei" dans lequel figurait une version simplifiée du graphique présenté ci-dessous à gauche repris depuis dans de nombreuses publications. En 2013, l'équipe de Volker Beckman publia une nouvelle illustration de ce modèle unifié présenté ci-dessous au centre.

A gauche, représentation schématique de notre compréhension du modèle unifié des AGN proposé en 1995 par Paolo Padovani et Megan Urry. Le type d'objet observé dépend de plusieurs facteurs : l'angle de visée, le fait que l'AGN produise ou non un jet important (radio-loud ou radio-quiet) et du taux d'accrétion sur le trou noir supermassif central (puissance électromagnétique faible ou élevée). Au centre, le modèle unifié des AGN amendé proposé en 2013 par l'équipe de Volker Beckman. A droite, une version plus complète publiée par Jessica Thorne et ses collègues en 2022. Voir le texte pour les explications. Ci-dessous, le centre de la radiogalaxie Cygnus A (3C 405) analysé en 2019 grâce au réseau radiointerférométrique VLA Karl Jansky entre 18-48 GHz avec une résolution atteignant 45 mas. La structure allongée, perpendiculaire aux jets radios et centrée sur le noyau mesure 0.48" ou 528 pc pour une largeur totale de 0.26" ou 286 pc. C'est la première image directe confirmant ce modèle. Voici l'image annotée. Document VLA/C.L.Carilli et al. (2019).

Le schéma de Padovani et Urry fut confirmé en 2019 grâce à l'observation de la radiogalaxie Cygnus A alias 3C 405 présenté ci-dessus, au moyen du réseau radiointerférométrique VLA Karl Jansky par l'équipe de Chris Carilli du NRAO. Cette image montre que lorsqu'on observe de profil un trou noir extragalactique actif (avec un jet) caché au coeur d'une lointaine galaxie et présentant un tore de poussière opaque à la lumière, on a l'impression d'observer une radiogalaxie ou une galaxie de Seyfert 2. Si on observe le même objet de face, on a l'impression d'observer un blazar ou une Lacertide (BL Lac). Enfin, quand on l'observe sous un angle intermédiaire, on a l'impression qu'il s'agit d'un quasar ou d'une galaxie de Seyfert 1, qu'il soit radio ou non. Nous détenons enfin une explication qui résout bon nombre d'énigmes.

Mais c'était peut-être trop beau pour être vrai car de nouvelles études suggèrent qu'il faut corriger ce modèle.

Un modèle unifié radiorégulé

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2017, sur base de sondages des AGN en rayons X, Claudio Ricci de l'Institut d'Astrophysique de l'Université Pontificale Catholique du Chili et ses collègues ont montré que dans les environnements en accrétion proches des trous noirs supermassifs, "la rétroaction radiative sur les gaz poussiéreux est le principal mécanisme qui régule la distribution de la matière." Autrement dit, les caractéristiques des AGN ne dépendent pas seulement de l'angle de visée mais de également leur activité.

Dans une autre étude publiée dans les "MNRAS" en 2019, l'équipe de David Alexander de l'Université de Durham analysa grâce au sondage FIRST (Faint Images of the Radio Sky at Twenty-centimeters) à 1.4 GHz, l'énergie de 10000 quasars rouges et bleus situés entre 0.2 < z < 2.4 et conclut que leur couleur ne dépend pas de leur orientation mais plutôt d'une phase évolutive.

Selon les chercheurs, "l'excès de quasars rouges est principalement dû à des systèmes compacts et faibles en radio (à la limite des types radio-quiet et radio-loud). Ces observations sont en accord avec le modèle évolutif des quasars."

Enfin, dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2022, la postdoctorante Tonima Tasnim Ananna du Collège de Dartmouth aux Etats-Unis et ses collègues ont fait la synthèse d'une décennie d'analyses des données rayons X des AGN au moyen du satellite Swift-BAT de la NASA. Ils ont découvert que les structures toriques entourant les trous noirs supermassifs ne sont pas toutes identiques et dépendent de leur stade évolutif. C'est le taux d'accrétion relatif appelé le "rapport d'Eddington" et non l'angle de visée qui détermine les signatures lumineuses des trous noirs supermassifs et donc les caractéristiques observées des AGN, rejoignant les idées des équipes d'Alexander et Ricci.

Par conséquent, les chercheurs suggèrent de réviser le modèle unifié des AGN. Les AGN obscurcis et non obscurcis par la poussière ne sont pas similaires, non pas en raison de l'angle de visée mais en raison de leurs caractéristiques intrinsèques. Ils proposent un modèle unifié "radiorégulé" comme le suggéra l'équipe de Ricci en 2017.

Voyons à présent comment se comportent les quasars à grande échelle, car une découverte surprenante nous attend.

L'alignement des quasars

En décembre 2015, Damien Hutsemékers et ses collègues du Département d'Astrophysique, Géophysique et Océanographie (AGO) de l’Université de Liège ont publié dans la revue "Astronomy & Astrophysics" les résultats d'une étude portant sur un échantillon de 93 quasars connus pour s'associer en longues chaînes s’étalant jusqu'à plus de 9 milliards d’années-lumière. Il s'agit du "Large Quasar Group" ou LQG constitué des groupes U1.27 (alias Huge-LQG comprenant 73 quasars) et U1.28 (alias CCLQG comprenant 34 quasars) situés vers z ~ 1.3 soit environ 8.8 milliards d'années-lumière décrits par Roger Clowes et al. en 2013. Rappelons que c'est la plus grande structure cosmique après le Grand Mur d'Hercule-Couronne Boréale.

Illustration de l'alignement de l'axe de rotation des quasars le longs des filaments de matière distribués à grande échelle dans le jeune univers (z~1.3). Document ESO/M. Kornmesser.

Les chercheurs ont étudié ces quasars au moyen du spectrographe FORS (FOcal Reducer and low dispersion Spectrograph) du VLT et ont fait une surprenante découvert : l"axe de rotation de ces quasars s'aligne sur la direction des filaments de matière qui tissent l'univers à grande échelle, et ce sur plusieurs milliards d’années-lumière. Cette découverte toute à fait inattendue mérite quelques explications.

Que dit la théorie à propos de ces structures et de cet alignement ? Nous avons expliqué à propos de la structure de l'univers que les modèles numériques prédisent l’existence de "toiles cosmiques" entre les objets extragalactiques. Ces structures devraient présenter une taille maximale de 350 Mpc soit 1.1 milliard d'années-lumière et l'univers devrait être homogène. Il ne devrait pas exister de structures plus grandes car, selon les calculs, l'univers n'aurait pas eu le temps de les former. Selon Hutsemékers, "les modèles montrent que sous l’influence de la gravité, les moments angulaires, c'est-à-dire les axes de rotation des galaxies suivent l'orientation de la structure à laquelle elles appartiennent."

L'étude du groupe LQG a montré que cette surdensité de quasars forme une structure de plus d’un gigaparsec soit plus de 3.26 milliards d’années-lumière et était déjà formée à une époque où l’Univers n'avait que 5 milliards d’années. Cette structure est 10 fois plus vaste que les plus grandes structures observées à ce jour et 3 fois plus grande que les limites prédites par le modèle Standard. S'agit-il d'un regroupement aléatoire ou d'une véritable structure unique, il fallait faire toute la lumière sur cette découverte. Et le mot était approprié car c'était dans l’émission de la lumière du disque d’accrétion de ces quasars que se trouvait la réponse à cette énigme. En effet, compte tenu de leur éloignement, les quasars sont trop petits pour qu'on puisse observer directement leur structure interne et dans le cas présent seule l'étude spectroscopique de la lumière qu'ils émettent permet de déduire leurs caractéristiques.

Distribution des 73 quasars dans le groupe U1.27 découvert en 2012. Document MNRAS/R.Cowes et al.

Le second point intriguant est l'alignement des axes de rotation de certains de ces quasars. Comme tous les corps célestes, l'orientation de l’axe de rotation d'une galaxie animée d'un mouvement inertiel (sans influence d'une force gravitationnelle locale) est aléatoire. Il y a statistiquement très peu de chance que les axes de rotation de plusieurs galaxies soient alignés, et dans ce cas ce serait même un indice fort en faveur de leur appartenance à un même groupe (cf. l'exemple de la galaxie sombre VCC 1287 de l'association Virgo).

Les chercheurs ont donc déterminé l’orientation de l'axe de rotation des disques d’accrétion des différents quasars observés. Pour y parvenir, ils ont mesuré la polarisation de la lumière des quasars sachant que normalement la lumière n'est pas polarisée. Une extinction partielle d'un plan de vibration de la lumière révélerait que la lumière ne se propage pas de manière homogène et que l'objet serait orienté dans une direction préférentielle (comme la réfraction de la lumière sur ou plutôt dans la surface d'une fenêtre ou de l'eau crée une polarisation).

Dans le cas des corps célestes (Lune, lumière zodiacale, couronne solaire, nébuleuses, quasars, etc), cette polarisation peut être produite par des électrons (champ magnétique) ou de la poussière. Dans le cas des quasars, la direction de l'angle de polarisation est lié à celui du disque d'accrétion qui entoure le trou noir supermassif qu'ils abritent.

Les chercheurs ont découvert que sur les 93 quasars analysés, 19 candidats émettaient une lumière polarisée suffisamment intense pour être étudiée et découvrirent qu’ils étaient alignés entre eux malgré les milliards d’années-lumière les séparant. Plus étonnant, ils semblent aligner avec l’axe du filament dans lequel ils se trouvent. La probabilité que de tels alignements soit lié au hasard n'est que de 1%.

Si les simulations le prévoyaient, ce que les chercheurs ont observé dépassent les prévisions. Selon les chercheurs : "l’information sur la polarisation vient renforcer l'idée que nous sommes en présence d’une structure unique à ce jour dont les membres subissent un phénomène d’alignement. C'est peut-être la preuve qu’il manque un ingrédient dans nos modèles actuels."

Le spectrographe FORS1 installé au foyer Cassegrain de l'UT1 du VLT depuis 1998. Sa résolution spatiale est de 0.125" /pixel. Document ESO.

Il faut à présent comprendre la nature de ces alignements à aussi grande échelle. Ce type d'alignement fut déjà observé dans des galaxies proches en 2013, mais jamais jusqu'à alors dans des quasars et à si grandes distances. Selon les théories, il n'est pas établi que les quasars abritant un trou noir supermassif se comportent comme des galaxies moins massives, mais les chercheurs reconnaissent que "c'est une bonne première piste à creuser. Nous pouvons légitimement suspecter, en extrapolant ce qu’on connaît pour les galaxies, que le même mécanisme peut agir pour les quasars."

Malheureusement nos théories sont encore très incomplètes. Il est trop trôt pour imaginer un processus qui serait commun à l'origine de l'alignement de l'axe de rotation des galaxies proches et à celui des quasars les plus éloignés car rien ne prouve que la rotation d'une galaxie entière obéit aux mêmes principes que la rotation d'un trou noir supermassif.

Comme le dit Hutsemékers, s'ajoute à ces question le fait que ces alignements sont en contraction avec le principe cosmologique qui suppose que l'Univers est isotrope et homogène à grande échelle. Même si un principe n'est pas une loi, ces corrélations seraient une "anomalie" dont on ignore l'origine.

En revanche, ce qui est très positif, c'est que cette découverte renforce les observations des mesures de polarisation des objets extragalactiques souvent interprétées par un effet de polarisation de la lumière par le milieu interstellaire. Cette étude a démontré que ce n'est pas toujours un effet parasite mais bien un phénomène lié à un mécanisme physique au sein même de l'objet étudié.

Concluons avec les chercheurs : "Il y a là un aspect assez intrigant. Trouver une telle structure d’un gigaparsec, ce peut être une fluctuation statistique. Mais si nous commençons à en trouver d’autres, on devra revoir le modèle, et faire intervenir de nouveaux facteurs. D’un autre côté, il faut voir si nous ne sommes pas en présence d’une structure mal définie. Nous devons caractériser ces alignements pour vérifier qu’ils ont bien du sens. Tous ces travaux sur les quasars sont très récents, il y a encore beaucoup à faire. Nous sommes des observateurs davantage que des théoriciens, mais il faut se pencher plus longuement sur la question." Une nouvelle fois comme c'est souvent le cas dans les sciences de l'observation, l'expérience devance la théorie. On y reviendra dans le cadre de la philosophie des sciences et du clivage entre théorie et pratique.

Lien entre les quasars et la matière sombre

Les quasars comptent parmi les objets les plus brillants de l'univers. Bien qu'on ignore encore ce qui active et désactive la phase d'accrétion des trous noirs supermassifs cachés en leur centre, il est probable que les quasars jouent un rôle important dans la régulation de l'évolution des galaxies au cours de l'histoire cosmique. Pour cette raison, il est essentiel de comprendre la relation entre les quasars, leurs galaxies hôtes et leur environnement à très grande échelle.

Dans une étude publiée par l'équipe de James Geach de l'Université de Hertfordshire dans "The Astrophysical Journal" en 2019, les chercheurs ont combiné les données de la mission Planck de l'ESA avec le plus grand sondage sur les quasars réalisé à ce jour pour éclairer ce sujet fascinant.

Selon le scénario de la formation des grandes structures cosmiques basé sur le modèle ΛCDM, les galaxies se forment à partir de matière ordinaire (baryonique) dans les nœuds les plus denses du réseau filamenteux cosmique constitué principalement de matière sombre (ou noire) et froide de nature inconnue. La matière baryonique et la matière sombre se sont distribuées à l'échelle cosmique à partir de minuscules fluctuations d'énergie de l'Univers primordial qui laissa son empreinte dans le fond diffus cosmologique à 2.7 K (CMB) qui représente la plus ancienne "lumière" de l'histoire de l'Univers.

La carte du rayonnement cosmologique établie par Planck permet aux scientifiques d'affiner notre connaissance de l'âge, de l'expansion, de l'histoire et du contenu de l'Univers avec des niveaux de précision sans précédent. De plus, comme le prédisait la théorie de la relativité générale d'Einstein, les objets massifs courbent l'espace-temps, déformant la trajectoire de tous les corps environnants, y compris de la lumière qui passe à proximité (en fait ces corps vont toujours en ligne droite mais le long de géodésiques plus ou moins courbes). Dans le cas de la déviation de la lumière, on parle de lentille gravitationnelle et elle affecte également les mesures du rayonnement cosmologique enregistrées par Planck.

Selon Geach, "Nous savons que les galaxies se forment et évoluent dans un "échafaudage" invisible de matière sombre que nous ne pouvons pas observer directement, mais nous pouvons exploiter les distorsions des lentilles gravitationnelles imprimées dans le fond micro-onde cosmique pour en savoir plus sur les structures de matière sombre autour des galaxies."

Visualisation du signal détecté à l'emplacement de 200000 quasars extraits du sondage SDSS DR14 superposé sur une carte des lentilles gravitationnelles établie par le satellite Planck de l'ESA publiée en 2018. Le pic en rouge est le résultat de la déviation et de l'amplification gravitationnelle du fond cosmologique micro-onde (CMB) par les halos de matière sombre abritant les quasars. Documents David Tree et al. (2019).

Les distorsions du CMB induites par les lentilles gravitationnelles sont petites mais mesurables et réarrangent l'image du ciel micro-onde sur des échelles d'environ 10' soit un tiers du diamètre apparent de la pleine Lune. En complément, grâce à des méthodes statistiques, de nombreuses petites déviations enregistrées autour de nombreux quasars peuvent être combinées afin d'obtenir un signal plus puissant. On obtient alors une nouvelle carte du ciel micro-onde sur laquelle se superpose l'emplacement des quasars. Cela donne les deux cartes présentées ci-dessus.

Geach et ses collègues ont analysé la dernière carte des lentilles gravitationnelles obtenue par la Collaboration Planck rendue publique dans le cadre du Planck Legacy Release en 2018, qu'ils ont combinée avec une carte de 200000 quasars extraits du sondage SDSS DR14 (2016). En combinant les données de Planck avec ce vaste échantillon de quasars, les chercheurs disposaient d'un moyen pour mesurer la masse des halos de matière sombre dans lesquels les galaxies hôtes des quasars évoluaient et ils pouvaient examiner les variations en fonction de la luminosité des quasars.

L'analyse de cette carte suggère que plus un quasar est lumineux, plus son halo de matière sombre est massif (c'est le pic rouge dans les cartes ci-dessus). Selon Geach, "c'est une preuve irréfutable qu'il existe une corrélation entre la luminosité d'un quasar, c'est-à-dire l'énergie libérée au voisinage immédiat d’un trou noir supermassif - une région couvrant peut-être quelques jours de lumière - et la masse du halo comprenant l'environnement du quasar et la matière sombre, une région qui s'étend sur des dizaines de millions d’années-lumière autour du quasar. Nous utilisons le fond cosmologique micro-onde comme une sorte de "rétro-éclairage" de l'Univers. Ce rétro-éclairage a été amplifié par la matière des lentilles gravitationnelles située à l'avant-plan. Et donc en corrélant les galaxies avec la carte gravitationnelle de Planck, nous disposons d'une nouvelle façon d'étudier les galaxies et leur évolution."

Comme l'a déclaré Jan Tauber, responsable scientifique du projet Planck à l'ESA, "l'héritage de Planck est assez étonnant, avec des données utilisées dans un éventail d'applications scientifiques beaucoup plus large que celui initialement conçu."

Cette découverte renforce les modèles de formation des quasars qui prédisent une corrélation entre la luminosité des quasars et la masse du halo, en particulier pour les quasars les plus lumineux, où les trous noirs supermassifs accrètent la matière à une vitesse proche du taux maximum.

Notons que l'étude s'est concentrée sur les quasars situés vers z ~ 1-2, c'est-à-dire situés à une distance comprise entre 7.8 et 10.4 milliards d'années-lumière, à une époque où l'Univers avait environ 4 milliards d'années. Ceci est proche de l'époque où on observe la croissance maximale des trous noirs supermassifs.

A l'avenir, en combinant les données de Planck à des sondages de quasars plus nombreux et plus éloignés (cf. le catalogue Quaia publié en 2024), les scientifiques espèrent pousser leurs recherches encore plus tôt dans l'histoire de l'Univers, jusqu'à l'époque de la formation des premiers quasars.

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