CHAPITRE PREMIER

LE CATASTROPHISME DANS L'ANTIQUITÉ

 

Le souvenir obsessionnel de grands cataclysmes

L'idée que la Terre a souvent été victime de catastrophes de grande ampleur, d'origine cosmique ou terrestre, n'est pas nouvelle. C'était un point commun à toutes les mythologies des peuples anciens, aussi loin que l'on remonte dans le temps, même si le nombre et les causes de ces cataclysmes variaient d'une mythologie à l'autre. Il faut noter que la notion même de catastrophisme a évolué avec le temps, au fur et à mesure des observations et des découvertes des Anciens. Et il ne faut jamais oublier que de Sumer jusqu'à Anaximandre (610-547), personne n'osa envisager sérieusement une Terre autrement que plate (figure), et jusqu'à Aristarque de Samos (310-230) autrement que le centre du monde.

Très longtemps, de la préhistoire au Néolithique, le catastrophisme fut uniquement mythologique avant de devenir progressivement astrologique et cyclique quand les Anciens comprirent que la Lune et les planètes reprenaient indéfiniment les mêmes positions relatives dans le ciel.

Le catastrophisme mythologique : des dieux et des légendes

Nous allons d'abord voir quelques légendes prises dans les mythologies du monde entier, pour bien montrer le caractère universel des bouleversements et catastrophes qui ont meurtri les Anciens.

Mythologie aztèque : les quatre soleils

Les anciens Aztèques racontaient que quatre mondes, ou quatre soleils, ont précédé le nôtre et qu'ils furent détruits par des cataclysmes de grande ampleur.

« Quatre fois le monde fut détruit. La première fois, le soleil s'éteignit et un froid mortel s'abattit sur la terre. Seul un couple humain put s'échapper et perpétuer l'espèce. La deuxième fois, un vent magique souffla de l'ouest, et tous les hommes, sauf deux encore, furent transformés en singes. La troisième fois, ce fut le feu qui accomplit l'œuvre de destruction. Les rayons d'un soleil gigantesque firent flamber la planète, tandis que les coups de foudre répondaient aux rugissements des volcans déchaînés. Il y eut deux rescapés, et l'homme ne mourut pas. Enfin vint le quatrième cataclysme, celui de l'eau. Le ciel tomba sur la terre et ce fut le déluge. Tout disparut sous les flots, étoiles, soleils et planètes. L'obscurité s'étendit sur l'abîme. Mais l'homme survivait toujours. » 1

Les quatre destructions quasi totales du monde furent successivement le fait du froid, du vent, du feu et de l'eau. On retrouve ces quatre agents de destruction dans de nombreuses autres mythologies (figure).

Mythologie chinoise : Kong-Kong, le dragon

En Chine, les textes anciens font allusion à de sérieux cataclysmes qui se seraient produits à l'époque de l’empereur Yao, que l'on situe en général au IIIe millénaire avant J.-C.

« Jadis, Kong-Kong disputa l'empire à Tchouan-hiu et, dans sa rage, donna un coup de corne au mont Pou-tcheou. La colonne qui soutenait le Ciel (au coin N.-O.) fut cassée, l'amarre de la Terre (au coin S.-E.) fut rompue, le Ciel se pencha vers le nord-ouest et c'est pourquoi le soleil, la lune, les étoiles se déplacent dans cette direction. La Terre eut une ouverture au sud-est, et c'est ainsi que les eaux, les rivières, le sol, la poussière se précipitent dans cette direction. » 2

Mythologie égyptienne : Sekhmet, la lionne en furie

Dans la mythologie égyptienne, Sekhmet était le nom de la déesse de la guerre, représentée généralement comme une lionne ou comme une femme à tête de lionne. Elle devenait parfois aussi l'œil de Rê, le dieu soleil, et était chargée de détruire ses ennemis. Elle répandait les épidémies sur toute l'Egypte quand le dieu voulait se venger. Une légende liée à un drame cosmique racontait que sur les ordres de Rê, elle se jeta sur les hommes révoltés avec une telle frénésie et une telle méchanceté que le dieu soleil redoutant l'extermination de la race humaine dut lui demander d'arrêter le carnage. Comme elle refusait obstinément d'obtempérer, il dut employer un curieux stratagème, une ruse comme seuls les dieux en avaient le secret :

« Rê fit préparer des cruches de "didi", liquide colorant en rouge, qui sont mélangées à de la bière. Pendant toute la nuit, alors que Sekhmet dort, la bière rouge est versée sur toute la terre d'Égypte. A son lever, la déesse pense voir un fleuve de sang dû au massacre des hommes. Elle se mire dedans, puis commence à laper. Bientôt totalement ivre, elle oublie sa mission et s'en retourne auprès des dieux en épargnant les survivants. » 3

On remarque dans cette légende le fait souvent noté que le monde prit une couleur rouge à l'occasion de ce cataclysme, du fait de la pigmentation de la matière abandonnée dans l'atmosphère terrestre par la désintégration et l'émiettement du corps céleste.

Sekhmet est associée au cataclysme d'origine cosmique du XIIIe siècle avant J.-C. que nous étudierons en détail au chapitre 19. Des textes égyptiens racontent que le feu de Sekhmet a brûlé les pays du neuvième cercle et chassé de leurs terres les habitants du nord de la Terre (figure).

Mythologie germano-scandinave : le Ragnarök

Pour les Germains et les autres peuples du Nord, la fin du monde était symbolisée par le Ragnarök, ou Crépuscule des dieux. Cette catastrophe cosmique de grande ampleur est racontée en détail (mythologique, pas scientifique !) dans le poème intitulé la Voluspa et qui fait partie du grand ensemble de l'Edda. De ce récit complexe qui met en place de nombreux dieux, nous retiendrons les quelques extraits représentatifs suivants :

« Au Sud apparaît Surt, que suit la troupe innombrable des géants du feu ; son épée lance des éclairs ; tout autour de lui des flammes jaillissent du sol crevassé. A son approche les rochers s'écroulent, les hommes s'affaissent sans vie. La voûte du ciel, ébranlée par le tumulte de cette armée en marche, embrasée par l'haleine de fournaise qui l'environne, éclate en deux…

Les grands dieux sont morts. Et maintenant que Thor, protecteur des demeures humaines, a disparu, les hommes sont abandonnés ; il leur faut quitter leurs foyers ; la race humaine est balayée de la surface de la terre. La terre elle-même va perdre sa forme. Déjà les étoiles se détachent du ciel et tombent dans le vide béant... Le géant Surt inonde de feu la terre entière ; l'univers n'est plus qu'un brasier ; des flammes jaillissent de toutes les fentes des rochers ; la vapeur siffle de toutes parts ; toute plante, toute vie sont anéanties ; seul le sol nu subsiste...

Et voici que toutes les mers, que tous les fleuves débordent. De tous côtés les vagues pressent les vagues. Les flots, qui se gonflent en bouillonnant, recouvrent peu à peu toutes choses. La terre s'enfonce dans la mer. L'immense champ de bataille où s'étaient affrontés les maîtres de l'univers cesse d'être visible.

Tout est fini. Et maintenant tout va recommencer. Des débris du monde ancien naît un monde nouveau... » 4

L'épopée cosmologique du Ragnarök est particulièrement intéressante pour qui étudie, comme nous, les cataclysmes cosmiques de l'Antiquité. Elle est aujourd'hui définitivement associée au dernier grand cataclysme cosmique qu'a subi la Terre et qui a eu lieu à la fin du XIIIe siècle avant J.-C., et dont nous parlerons en détail au chapitre 19. Surt, Sekhmet, Typhon, Phaéton, Absinthe, Anat et d'autres encore sont les noms différents de l'objet cométaire (ou d'origine cométaire) qui est entré en collision avec la Terre, à une époque où de nombreuses civilisations étaient déjà bien en place et prospéraient, semant tout au long de son parcours la panique, la ruine et la mort. C'est ce même cataclysme qui est associé aux dix plaies d'Égypte et que nous retrouverons au chapitre 2, sous un éclairage assez différent : l'éclairage biblique.

Mythologie grecque : Typhon et Phaéton

Il s'agit de deux légendes célèbres, surtout connues par les textes classiques d'Hésiode (VIIIe siècle) et d'Ovide (43 av. J.-C.-18). Apparemment, elles n'ont rien à voir entre elles. Pourtant, il paraît fort probable qu'elles se rapportent toutes deux au cataclysme cosmique de la fin du XIIIe siècle qui a eu des conséquences humaines et historiques très sérieuses.

Hésiode raconte dans sa Théogonie qu'à la suite d'une guerre entre Zeus et les Titans, guerre qui faillit détruire l'univers, un monstre flamboyant surmonté de cent têtes et baptisé Typhon (ou Typhée) fit son apparition dans le ciel, effrayant les populations. Zeus dut intervenir une nouvelle fois pour sauver le monde.

« ... Alors une œuvre sans remède se fût accomplie en ce jour ; alors Typhon eût été roi des mortels et des Immortels, si le père des dieux et des hommes de son œil perçant soudain ne l'eût vu. Il tonna sec et fort, et la terre à l'entour retentit d'un horrible fracas, et le vaste ciel au-dessus d'elle, et la mer, et les flots d'Océan, et le Tartare souterrain, tandis que vacillait le grand Olympe sous les pieds immortels de son seigneur partant en guerre, et que le sol lui répondait en gémissant. Une ardeur régnait sur la mer allumée à la fois par les deux adversaires, par le tonnerre et l'éclair comme par le feu jaillissant du monstre, par les vents furieux autant que par la foudre flamboyante. La terre bouillonnait toute, et le ciel et la mer. De tous côtés, de hautes vagues se ruaient vers le rivage. Un tremblement incoercible commençait : Hadès frémissait et aussi les Titans ébranlés par l'incoercible fracas et la funeste rencontre. Zeus frappa, il embrasa d'un seul coup à la ronde les prodigieuses têtes du monstre effroyable ; et, dompté par le coup dont il l'avait cinglé, Typhon mutilé, s'écroula, tandis que gémissait l'énorme terre. Mais, du seigneur foudroyé, la flamme rejaillit, au fond des âpres et noirs vallons de la montagne qui l'avait vu tomber. Sur un immense espace brûlait l'énorme terre, exhalant une vapeur prodigieuse ; elle fondait tout comme l'étain... sous l'éclat du feu flamboyant... » 5

Pline l'Ancien (23-79) dans le livre II de son Histoire Naturelle, au chapitre « Comètes et prodiges », parle également de Typhon. En accord avec tous les autres auteurs scientifiques de l'Antiquité, il le considère comme une comète.

« ... Les peuples d'Éthiopie et d'Égypte connurent une comète terrible, à laquelle Typhon, roi de ce temps-là, donna son nom : d'apparence ignée et enroulée en forme de spirale, effrayante même à voir, c'était moins une étoile qu'un vrai nœud de flammes. » 6

La légende de Phaéton est l'un des meilleurs contes d'Ovide qui en fit une des pièces maîtresses de ses Métamorphoses. Mais cette légende était bien antérieure à Ovide. Phaéton était le fils du Soleil. Pour satisfaire son orgueil, il demanda à son père de conduire son char l'espace d'une journée à travers le ciel. Entreprise démesurée qui se termina par une catastrophe cosmique, puisque le char de Phaéton quitta la route habituelle et se précipita vers la Terre. Là encore, Jupiter fut obligé d'intervenir pour sauver le monde et la race humaine.

« ... Sous l'action du feu, les nuages s'évaporent. Sur terre, les plus hauts sommets sont les premiers la proie des flammes. Le sol se fend, sillonné de crevasses et, toutes eaux taries, se dessèche. Les prés blanchissent, l'arbre est consumé avec son feuillage, et les blés desséchés fournissent eux-mêmes un aliment au feu qui les anéantit... De grandes cités périssent avec leurs murailles ; des nations entières avec leurs peuples sont, par l'incendie, réduits en cendre. Les forêts brûlent avec les montagnes... L'Etna vomit, ses feux redoublés, des flammes démesurées... Phaéton voit, de toutes part, le monde en flammes... Il ne peut plus supporter les cendres et la chaude poussière partout projetée, il est enveloppé de toutes parts d'une fumée brûlante : où va-t-il, où est-il ? dans l'obscurité de poix où il est plongé, il l'ignore, et les chevaux ailés le ballottent à leur gré. C'est alors, croit-on, que les peuples d'Éthiopie, par l'effet de leur sang attiré à la surface du corps, prirent la couleur noire. C'est alors que la Libye, toutes eaux taries par la chaleur, devint aride. Alors les nymphes pleurèrent la perte des sources et des lacs... Le Nil épouvanté s'enfuit au bout du monde, dérobant aux yeux sa source... Le sol se fend sur toute sa surface... La mer diminue de volume ; une plaine de sable sec s'étend où naguère s'étalait le flot ; les montagnes que recouvraient les eaux profondes surgissent... La Terre nourricière des êtres, avec une grande secousse qui ébranla le monde, s'affaissa un peu au-dessous de son niveau habituel... Pourquoi le niveau des mers décroît-il ? Atlas lui-même est à bout de forces, il a peine à supporter sur ses épaules le monde incandescent... Alors le père tout-puissant, ayant pris à témoin les dieux et celui-là même qui avait prêté son char, que s'il ne lui porte secours, le monde entier périrait victime d'un funeste sort, gagne au sommet du ciel le point élevé d'où il a coutume d'envelopper de nuages l'étendue des terres, d'où il met en mouvement le tonnerre et lance la foudre... Il tonne, et brandissant la foudre, il la lança sur le cocher auquel il fit perdre du même coup la vie et l'équilibre, et de ses feux redoutables il arrêta l'incendie. Les chevaux s'abattent et d'un soubresaut tentant de se redresser, ils arrachent leur cou au joug et échappent aux sangles rompues. Ici traînent d'un côté les rênes, là l'essieu détaché du timon, ailleurs les rayons des roues brisées, et les débris du char mis en pièces sont épars au loin.

Quant à Phaéton, ses cheveux rutilants en proie aux flammes, il roule sur lui-même dans le gouffre, laissant dans l'air au passage une longue traînée... Loin de sa patrie, à l'autre bout du monde, le très grand Éridan le reçoit et lave son visage fumant... » 7

Ce texte d'Ovide, version moderne de textes plus anciens est très instructif quand on y lit entre les lignes. Il nous apprend en fait plusieurs choses, bien qu'il mêle parfois le meilleur et le pire. Le pire est sans doute ce qu'il dit sur l'origine de la couleur noire des Éthiopiens ! Il nous apprend par contre que le Nil fut mis à sec, que la Libye devint aride, que le niveau de la mer baissa, que tout fut brûlé, qu'une poussière chaude empoisonna les aliments et qu'ensuite il y eut une période de ténèbres. Il signale également que l'Etna « vomit des flammes démesurées ». On ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec ce célèbre passage de l'Apocalypse que nous retrouverons au chapitre 2 :

« ... une étoile était tombée du ciel sur la terre, il lui fut donné la clef du puits de l'abîme. Elle ouvrit le puits de l'abîme. Il monta du puits une fumée comme d'une grande fournaise et le soleil et l'air furent obscurcis par la fumée du puits... » 8

On peut se demander à la lecture de ce texte, si un fragment de Phaéton (qui s'appelait rappelons-le Absinthe chez les Hébreux et Sekhmet chez les Egyptiens) n'est pas tombé dans la Méditerranée déclenchant par là même une éruption de l'Etna.

Quoi qu'il en soit, ces légendes de Typhon et Phaéton, comme celle du Ragnarök, montrent bien comment à partir d'un fait réel marquant, les auteurs de l'Antiquité ont mis sur pied leur mythologie si compliquée, avec ses dieux multiples, ses héros innombrables, ses grands thèmes. Chaque récit reprend, transforme et embellit des événements authentiques dont la signification réelle dépassait l'entendement des peuples de l'époque. Mais une chose est sûre, ils savaient bien quand un cataclysme était d'origine cosmique. Les bouleversements terrestres qui en résultaient et les lourdes pertes en vies humaines étaient du concret, pas de l'imaginaire.

Le catastrophisme astrologique : alignements et cycles cosmiques

Déjà, dans la haute Antiquité, certains savants et philosophes des grandes civilisations entretenaient le mythe de l'éternel retour ou celui de la Grande Année qui étaient censés ramener la régénération périodique de la vie. Selon les écoles de pensée, le monde était soit éternel, soit périssable.

Pour les Anciens, l'histoire n'était qu'une suite de cycles cosmiques de durée variable. Le jour, la lunaison, les saisons, l'année, le cycle de Méton, pour les cycles de durée humaine. Et surtout la Grande Année (quelques milliers d'années en général), avec une création, un épanouissement (l'Age d'or, cher aux civilisations de l'Antiquité), un épuisement et enfin une destruction. Les cataclysmes par lesquels se terminaient chez les Grecs un cycle cosmique étaient soit le feu cosmique (ekpyrosis) qui brûlait le monde, soit le déluge (kataclysmos) qui au contraire l'inondait.

Sénèque (55 avant J.-C.-39), dans ses Questions naturelles, a cru pouvoir donner, d'après le prêtre chaldéen Bérose (IVe-IIIe avant J.-C.), les raisons de ces catastrophes périodiques :

« Déluge et embrasement arrivent, quand Dieu a trouvé bon de mettre fin à l'ancien monde et d'en commencer un meilleur. L'eau et le feu règnent sur les choses de la Terre. D'eux viennent également la naissance et la mort. Ainsi quand le renouvellement du monde est décidé, la mer fond d'en haut sur nos têtes, tout comme le feu fait rage, si un autre genre de catastrophe a été préféré. »

« Bérose, le traducteur de Bélus, attribue aux planètes la cause de ces bouleversements. Sa certitude à cet égard va jusqu'à fixer la date de la conflagration et du déluge universels. Tout ce qui est terreux, dit-il, sera embrasé lorsque les astres qui suivent maintenant des orbites différentes se réuniront tous dans le signe du Cancer et se rangeront en file, de manière qu'une ligne droite puisse passer par les centres de toutes les sphères. Le déluge aura lieu, quand ces mêmes planètes viendront prendre place dans le Capricorne. Le solstice d'été est amené par la première de ces deux constellations, celui d'hiver par la seconde. Ce sont donc des signes d'une grande puissance, puisque leur influence se manifeste par le changement même de l'année. » 9

On sait aujourd'hui que ces super conjonctions des sept astres errants connus des Anciens (le Soleil, la Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) ne sont en aucune façon capables de provoquer les cataclysmes cités par Bérose, mais celui-ci est affirmatif : leur cause est astronomique.

L'universalité de cette notion de cycles cosmiques est la preuve que des catastrophes importantes, pouvant causer la mort d'une partie appréciable des populations humaines, ont été le lot de toutes les parties du monde. Cependant, il faut insister sur le fait qu’il s'agissait d'événements locaux ou régionaux, qui n'ont pu concerner l'ensemble de la planète. Les effondrements périodiques du firmament ou les pluies de feu cités dans les textes et traditions orales des Anciens se rapportent à des cataclysmes cosmiques (collision de petits astéroïdes ou de comètes ou explosion dans l'atmosphère), mais surtout beaucoup plus fréquents que ce qu'on croyait jadis.

Pour les 10 000 ans qui ont précédé l'ère chrétienne, il paraît quand même très douteux qu'un seul d'entre eux ait pu avoir des conséquences planétaires et qu'il ait pu produire les effets d’un hiver d’impact en plongeant la Terre dans l'obscurité pendant des dizaines d'années. Une telle catastrophe aurait eu des conséquences beaucoup plus graves, notamment en détruisant partiellement la chaîne alimentaire.

L'avertissement de Platon

Comme tous les philosophes de l'Antiquité ayant vécu avant et après lui, Platon (427-347) avait son idée sur la raison des catastrophes qui dévastaient la Terre à de grands intervalles de temps. Quatre siècles avant notre ère, et s'appuyant sur une « science blanchie par le temps », c'est-à-dire qui a fait ses preuves et qui sait de quoi elle parle, il a écrit ces phrases inspirées dans son Timée, qu'il est bon de rappeler et surtout de méditer :

« ... Vous êtes tous jeunes d'esprit ; car vous n'avez dans l'esprit aucune opinion ancienne fondée sur une vieille tradition et aucune science blanchie par le temps. Et en voici la raison. Il y a eu souvent et il y aura encore souvent des destructions d'hommes causées de diverses manières, les plus grandes par le feu et par l'eau, et d'autres moindres par mille autres choses. Par exemple, ce qu'on raconte aussi chez vous de Phaéton, fils du Soleil, qui, ayant un jour attelé le char de son père et ne pouvant le maintenir dans la voie paternelle, embrasa tout ce qui était sur la terre et périt lui-même frappé de la foudre, a, il est vrai, l'apparence d'une fable ; mais la vérité qui s'y recèle, c'est que les corps qui circulent dans le ciel autour de la terre dévient de leur course et qu'une grande conflagration qui se produit à de grands intervalles détruit ce qui est à la surface de la terre. Alors tous ceux qui habitent dans les montagnes et dans les endroits élevés et arides périssent plutôt que ceux qui habitent au bord des fleuves et de la mer ... Quand, au contraire, les dieux submergent la terre sous les eaux pour la purifier, les habitants des montagnes, bouviers et pâtres, échappent à la mort, mais ceux qui résident dans nos villes sont emportés par les fleuves dans la mer ... » 10

Platon avait raison, tout au moins sur le fond : des corps célestes dévient de leur course et viennent frapper la Terre.

Les philosophes de l’Antiquité savaient, parce que leurs lointains prédécesseurs, qui en avaient souffert dans leur chair, n'avaient pas omis de faire transmettre le message de génération en génération, que les cataclysmes d'origine cosmique sont une réalité d'hier et de toujours.

Démocrite (460-370) et ses disciples, parmi lesquels Épicure (341-270) et plus tard Lucrèce (98-55), étaient les plus près de la vérité, privilégiant le hasard plutôt que Dieu ou les dieux, comme Platon et d’autres. Pour eux, après chaque destruction globale, c’est un monde nouveau qui démarrait sur les ruines de l’ancien.

 

1. R. Escarpit, Contes et légendes du Mexique (Nathan, 1963), p. 10.

2. P. Ravignant et A. Kielce, Cosmogonies. Les grands mythes de Création du Monde (Le Mail, 1988), p. 110.

3. F. Braunstein et J.-F. Pépin, Les grands mythes fondateurs (Ellipse, 1995), p. 40.

4. E. Tonnelat dans F. Guirand et J. Schmidt, Mythes & Mythologie (Larousse, 1996), p. 325-328.

5. Hésiode, Théogonie (Les Belles Lettres, 1977), p. 62-63.

6. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre II (Les Belles Lettres, 1950), p. 39-40.

7. Ovide, Les métamorphoses (Garnier-Flammarion, 1966), p. 70-73.

8. Le Nouveau Testament (Éditions de l'École, 1957), p. 571.

9. Sénèque, Questions naturelles (Les Belles Lettres, 1930), p. 154-155.

10. Platon, Timée (Garnier-Flammarion, 1969), p. 405.

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