CHAPITRE 16

LA VIE ET LA MORT VIENNENT DU COSMOS

 

Dans ce chapitre, nous étudions plusieurs aspects, quelque peu hétéroclites, des rapports de la Terre avec la vie et la mort en provenance du cosmos, que nous n'avons pas encore vus, ou que nous avons seulement survolés dans certains des chapitres précédents. Nous examinons aussi quelques hypothèses astronomiques qui se rapportent à ce vaste sujet.

Conséquences biologiques de l'impactisme

Si la Terre n'est pas un astre fragile en dépit des innombrables catastrophes qui de tout temps ont modelé et remodelé sa surface, la vie qui s'est progressivement développée sur cette surface est sérieusement tributaire, elle, de l'environnement. Cette vie a dû souffrir à de fréquentes reprises, disparaître partiellement et peut-être même totalement à la suite de cataclysmes d'origine cosmique de grande envergure. L'homme actuel est encore menacé lui aussi, à court et à long terme, par les conséquences de nombreux cataclysmes, aussi bien terrestres d'ailleurs qu'astronomiques.

Dans La Terre bombardée, nous écrivions ceci :

« Nous allons étudier certaines conséquences biologiques et humaines de l'impactisme. Elles sont si importantes que l'on peut dire d'ores et déjà que la vie en général, et l'homme en particulier, sous leurs formes actuelles, ne sont que des sous-produits de l'impactisme terrestre, contrairement à ce qui se passe sur la planète Mars, par exemple, où l'impactisme est probablement l'obstacle numéro 1 à l'apparition ou au maintien de la vie. En d'autres termes, nous affirmons que le catastrophisme d'origine cosmique est l'un des moteurs essentiels de l'évolution. Conclusion qui fera bondir de nombreux scientifiques de notre époque, notamment ceux qui connaissent mal le volet astronomique du problème, mais à coup sûr évidence de demain. » 1

Il est bien clair aujourd’hui que l'évolution ne concerne pas seulement les sciences de la vie. Elle a des rapports étroits avec les sciences de la Terre et surtout avec les sciences de l'espace. Que le catastrophisme d'origine cosmique soit l'un des moteurs de l'évolution est une évidence, quasi acceptée par tous les chercheurs qui lisent la presse scientifique en général, et pas seulement leurs revues spécialisées. La multidisciplinarité est indispensable pour comprendre le problème de l'évolution dans sa globalité. L'association entre les diverses disciplines est obligatoire.

Le danger cosmique est multiforme, quasi insaisissable, souvent même totalement invisible quand il s'agit de radiations. Mais le cosmos n'est pas que danger et mort. Il est aussi source de vie avec ce Soleil sans qui nous n'existerions pas, et qui permet à notre biosphère d'être accueillante pour tous ces êtres vivants qu'elle a façonnés, pièce par pièce, depuis plus de trois milliards d'années. Cette biosphère aujourd'hui menacée pour la première fois depuis qu’elle est viable par la plus sophistiquée de ses créatures, qui est devenue un prédateur menaçant, l'homme.

La biosphère, siège de la vie terrestre

On considère en général la biosphère comme étant la partie de l'écorce terrestre et de l'atmosphère où il existe une vie organique. Cette notion de biosphère est relativement récente puisqu'elle a été réellement mise en évidence à partir des années 1920 seulement, notamment par le biochimiste soviétique Vladimir Vernadsky (1863-1945) qui en a défini le concept et les principaux critères dans son livre de référence, paru en 1926, La biosphère. Il s'est rendu compte de l'extrême importance pour la vie de cette fine enveloppe qui donne à la Terre son unicité. Vernadsky, le premier, insista sur l'importance des rayonnements venus de l'espace :

« La Terre reçoit de tous les points des espaces célestes un nombre infini de rayonnements divers, dont les rayonnements lumineux visibles pour nous ne forment qu'une part insignifiante. » 2

Il mit aussi en évidence les rapports très étroits de la biosphère avec l'environnement cosmique de notre planète. :

« La biosphère peut, de par son essence, être considérée comme une région de l'écorce terrestre, occupée par des transformateurs qui changent les rayonnements cosmiques en énergie terrestre active, énergie électrique, chimique, mécanique, thermique, etc. Les rayonnements cosmiques qui jaillissent de tous les astres célestes embrassent la biosphère, la pénètrent toute, ainsi que tout ce qui se trouve en elle...

L'étude de l'action des radiations solaires sur les processus terrestres nous permet déjà d'envisager la biosphère en première approximation, d'une manière scientifiquement précise et profonde, comme un mécanisme à la fois terrestre et cosmique. Le Soleil a complètement transformé la face de la Terre, transpercé et pénétré la biosphère. Dans une large mesure, la biosphère est la manifestation de ses rayonnements ; c'est un mécanisme planétaire qui convertit ceux-ci en des formes nouvelles et variées d'énergie terrestre libre, énergie qui change entièrement l'histoire, ainsi que la destinée de notre planète. » 3

Depuis les travaux de Vernadsky, d'innombrables études ont été faites sur la biosphère, que l'on connaît très en détail aujourd'hui et que l'on sait d'une extrême fragilité. Bien entendu, comme le savait déjà Vernadsky et les astronomes de son époque, elle est totalement sous la coupe du Soleil, le maître absolu de notre petit secteur cosmique.

La biosphère étant le domaine de la vie, comme l'expliquait avec beaucoup de sagesse Vernadsky, qui prêchait pour que les hommes la respectent (il ne fut pas toujours écouté !), il est nécessaire d'en connaître avec précision les différents constituants susceptibles d'être les victimes directes ou indirectes d'agressions cosmiques inhabituelles.

Les colères du Soleil

Notre étoile, qui est notre principale source de vie, reste de loin l'astre le plus menaçant pour l'espèce humaine, même si ses colères semblent relativement rares à notre échelle. On n'a pas dans toute l'histoire de l'humanité de traces indiscutables d'une activité solaire vraiment anormale, même si l'on sait que certaines éruptions ont été exceptionnelles de par l'énergie dégagée.

Mais le Soleil est bel et bien, malgré tout, les astronomes le savent, une étoile légèrement variable, avec tout ce que cela comporte comme dangers à moyen et long terme. En période normale, il est un formidable et inépuisable fournisseur de rayonnements de toute nature. Nous allons voir les principaux dangers pouvant provenir de notre étoile et les conséquences biologiques qui en découlent.

En période normale (dite de Soleil calme), il n'y a rien de particulier à signaler. Les éruptions solaires font partie de la vie quotidienne de notre étoile. Le rayonnement solaire ordinaire maintient l'ionosphère terrestre, couche située entre 80 km et 500 km, dans un état d'ionisation partielle, la magnétosphère terrestre intercepte la grande majorité des rayonnements nocifs. Contrairement à ce que croient certains, les légères variations du rayonnement solaire n'ont pas d'effet significatif particulier sur la météorologie, pas plus, semble-t-il que sur le climat.

Lors de très fortes éruptions solaires et de l'expulsion d'un vent solaire particulièrement énergétique (voir le chapitre 8), les choses sont un peu différentes. De brusques décharges d'énergie peuvent atteindre 1025 joules et le plasma, composé de protons, d'électrons et de noyaux d'hélium, et une vitesse de plus de 1000 km/seconde. Au niveau de la Terre, cela se traduit par des orages magnétiques capables de perturber très sérieusement l'ionosphère, sans pour autant se révéler réellement dangereux pour la vie.

Au niveau biologique, il a été relevé qu'en période de forte activité solaire, liée au fameux cycle d'environ onze ans, une corrélation certaine existe entre le nombre de Wolf (nombre de taches) et la croissance des arbres. Cela signifie une croissance accélérée liée à l'activité solaire, mais on peut assimiler ce phénomène à une évolution gradualiste, tout à fait normale, et en aucun cas à un phénomène catastrophiste.

Pour atteindre ce niveau quasi catastrophiste, il faudrait une protubérance solaire géante (non encore observée à l'échelle humaine, mais plausible) qui projetterait dans l'espace, suite à un phénomène solaire interne particulièrement énergétique, un plasma dont l'énergie serait suffisante pour forcer le paravent que constitue la magnétosphère et détruire la couche d'ozone.

On s'est aussi posé la question de savoir, suite à quelques observations surprenantes remontant à quelques siècles, si le diamètre du Soleil était constant et les conséquences qui découleraient d'une variation, en plus ou en moins, de ce diamètre. Entraînerait-elle une augmentation ou une diminution de l'énergie diffusée dans l'espace, et une variation de la température reçue à la surface terrestre ? Quelles conséquences biologiques entraînerait une variation d'une dizaine de degrés ?

Conclusion de cette section : en période normale et à l'échelle humaine, le Soleil est beaucoup plus un "ami" qu'un ennemi, ce qui semble assez logique dans la mesure où la vie n'existe que grâce à lui. La vie terrestre est entièrement acclimatée à la biosphère, elle-même inféodée au Soleil. Quelques petites perturbations (petites au niveau terrestre) dans la magnétosphère, l'atmosphère, le climat ne remettent nullement en cause la pérennité de la vie et celle de l'évolution gradualiste. La destruction de la couche d'ozone peut, par contre, entraîner des désagréments particuliers comme nous le verrons plus loin.

Inversions géomagnétiques et évolution

Le danger, sinon mortel du moins mutagène, arrive surtout avec une diminution significative, et à plus forte raison la disparition, du champ magnétique. La magnétosphère terrestre ne fait plus son travail de paravent et de soupape et peut disparaître totalement. Conséquence immédiate, la couche d'ozone, elle aussi, diminue ou disparaît totalement, les radiations cosmiques, principalement solaires mais aussi galactiques (rayons cosmiques), atteignent la surface terrestre. C'est alors la catastrophe, tout au moins pour les espèces autochtones. Par contre, pour la vie en général, cela va être une période et un moyen de se régénérer. L'évolution va pouvoir passer à la vitesse supérieure. L'évolution catastrophiste va provisoirement se superposer à l'évolution gradualiste darwinienne, la complexité va gagner quelques points précieux, de nouvelles espèces vont apparaître.

Comme nous l'avons dit au chapitre 15, c'est le bruit de fond de l'extinction, prémices elle-même à une nouvelle étape, à un nouveau départ. C'est le rituel immuable depuis que la vie existe. La vie et la mort viennent bien du cosmos.

Ce problème des inversions géomagnétiques est un sujet très important, de par ses conséquences cruciales sur l'évolution des êtres vivants, qui est étudié par des équipes de spécialités différentes. Pour autant, les causes des inversions, qui doivent être multiples, restent mal connues. Sont-elles externes, internes, ou les deux ? Dans La Terre bombardée, nous tablions résolument pour des causes à la fois externes et internes. Aujourd'hui, force est de constater que la grande majorité de ces inversions doivent être dues en fait à d'importantes perturbations liées au noyau terrestre et donc principalement d'origine terrestre.

Mais les questions restent nombreuses et souvent sans réponse. On peut en citer deux, concernant des hypothèses dont il serait urgent de savoir si elles restent crédibles : « Un impact d'astéroïde ou de comète important peut-il inverser ou détruire provisoirement le champ magnétique ? » et « Quel est le rôle du chaos dans certaines de ces inversions ? ».

La couche d'ozone et l'impactisme

L'impactisme particulaire a aussi, à certaines époques, des effets significatifs sur un constituant primordial de notre atmosphère : la couche d'ozone qui s'étend entre 20 et 30 km d'altitude. L'ozone est un gaz formé par l'association de trois atomes d'oxygène qui a la particularité, fort importante pour la vie terrestre, de filtrer le rayonnement ultraviolet du Soleil dont on connaît les effets particulièrement nocifs. Il n'est pas sûr que cette couche d'ozone résiste bien à des agressions exceptionnelles, comme par exemple l'arrivée massive de rayonnements causés par des éruptions solaires cataclysmiques ou à des explosions de novae ou de supernovae, voisines (relativement) de la Terre, qui éjectent dans l'espace des quantités fantastiques de matière et de rayons cosmiques. On pense, en effet, que des flux très importants de protons sont capables d'entraîner une diminution de la concentration d'ozone.

Et maintenant, on soupçonne l'homme lui-même, du fait de certaines de ses activités, de détruire involontairement la couche d'ozone. On connaît le problème de l'apparition du fréon dans la basse atmosphère, un gaz qui n'existe pas à l'état naturel et qui est dû à l'utilisation des bombes aérosols, des systèmes réfrigérants et des climatiseurs. Ce fréon est un ennemi mortel pour l'ozone, puisqu'il se décompose pour former du chlore qui après combinaison avec l'ozone entraîne sa dissociation.

D'autres ennemis ont été recensés depuis longtemps, notamment l'aviation stratosphérique et les explosions nucléaires dans l'atmosphère (heureusement en voie de disparition). L'ozone est ainsi menacée à la fois par la Terre et par l'espace, et elle n'est le fruit (indispensable mais provisoire) que d'un équilibre fort délicat, souvent mis à mal probablement, avec toutes les conséquences biologiques qui en découlent.

Rayons cosmiques : rayons de mort et/ou de vie ?

L'influence du bombardement des rayons cosmiques sur les êtres vivants a toujours passionné les biologistes, et de nombreuses études ont été faites à ce sujet. On a constaté des modifications sur des cultures de bactéries, sur des œufs de différentes espèces animales et même sur des animaux cobayes exposés à des averses cosmiques. Il est certain que des mutations génétiques ont été observées et que des cancers ont affecté diverses parties du corps des animaux irradiés.

On comprend le danger pour la vie chaque fois que la Terre reçoit une exposition prolongée de rayons cosmiques. C'est le cas, ne l'oublions pas, quand notre planète perd la protection de son bouclier magnétique, lors des inversions géomagnétiques. Rappelons que les périodes d'annulation durent plusieurs milliers d'années et que chacune d'elles est la cause de la disparition de certaines espèces et de l'apparition de nouvelles espèces mutées, consécutivement aux radiations accrues. L'organisme humain souffrira gravement de la prochaine averse de rayons cosmiques. Ce sera d'ailleurs la première fois que notre espèce, Homo sapiens, sera confrontée à un tel danger. La multiplication des cancers de la peau notamment est à craindre, ainsi que des leucémies, le tout couronné par une stérilité probablement accrue qui pourrait s'avérer catastrophique pour la survie de l'espèce, tout au moins sous sa forme actuelle.

De toute évidence, l'amélioration de l'espèce humaine est loin d'être acquise pour l'avenir, une stérilité accrue pourrait même être source de récession. Tant et si bien que des chercheurs actuels croient possible le fait que les premiers Homo, loin de descendre du singe, ou d'un ancêtre commun (le fameux maillon manquant), pourraient avoir engendré eux-mêmes certaines espèces de singes supérieurs qui sont très proches de nous génétiquement. On sait, par exemple, que le chimpanzé, notre plus proche cousin, partage avec nous près de 99 % du même programme génétique, ce qui indique clairement une séparation définitive il y a très peu de millions d'années. Certains auteurs ont parlé aussi de sénilité et de débilité accélérées, d'autres de gigantisme sans avenir. Le pire, c'est que les scientifiques sont totalement désarmés face à cette catastrophe qui les dépasse.

Par contre, en période normale comme actuellement, les rayons cosmiques ne sont plus des rayons de mort, mais probablement au contraire des rayons de vie. A petite dose, ils favorisent la croissance des êtres vivants. Leur absence totale déboucherait sans doute sur des effets nocifs, notamment en stoppant ou en retardant tout développement de la vie. Cette absence serait en tout cas un frein pour la montée inexorable vers une complexité accrue des formes vivantes.

Le physicien suisse Jakob Eugster a fait, dans les années 1960, ce commentaire qui est probablement exact :

« L’exposition aux rayons cosmiques sur la Terre favorise la croissance. Un bombardement de particules primaires dans l’espace peut provoquer des dégâts, spécialement s’il est intense et continu, mais l’absence de radiations influence négativement les organismes vivants en arrêtant ou en retardant tout développement. Peut-être les rayons cosmiques sont-ils aussi nécessaires que la lumière. » 4

Les comètes, source de vie et de mort

Nous avons déjà partiellement répondu à cette question dans d'autres chapitres. Au chapitre 14, nous avons vu l'importance que certains chercheurs, comme Hoyle, Wickramasinghe, Delsemme, Crick, apportent aux comètes comme facteur d'introduction de la vie sur Terre. Au chapitre 12, nous avons vu qu'un astéroïde ou une comète a été la cause du cratère de Chicxulub et de l'extinction de masse qui a suivi. Au chapitre 19, nous étudierons l'aspect historique du problème avec les résidus de HEPHAISTOS, l'objet cosmique le plus important depuis l'arrivée d'Homo sapiens et qui lui a causé déjà beaucoup de misères, en très grande partie non encore identifiées.

Il est indéniable que les comètes sont des petits corps dont on a jusqu'à maintenant nettement sous-estimé l'importance. Elles existent par milliards dans le Système solaire, et en nombre illimité dans les espaces interstellaires. Par le jeu des perturbations stellaires, on sait que certaines de "nos" comètes peuvent prendre leur indépendance (grâce à des orbites hyperboliques) et partir dans la Galaxie à la recherche d'une nouvelle étoile qui les capturera et en fera des (mini-) satellites. Ainsi la vie et la mort sont des denrées exportables (et réciproquement importables) à l'échelle astronomique, par le biais des comètes et des météorites (qui sont parfois des résidus de comètes).

Pour ce qui est de leurs rapports directs avec la Terre, les comètes agissent en permanence sous deux formes successives. En tant que comètes actives dans un premier temps, avec une queue de gaz et de poussières qui peut jouer un rôle de balayage et d'introduction d'organismes prébiotiques, ou même carrément vivants parfois dans l'atmosphère terrestre. Elles jouent alors un rôle principalement positif : elles véhiculent la vie. En tant qu'astéroïdes cométaires dans un deuxième temps, quand les éléments volatils et les glaces sont sublimés. Leur rôle alors pourrait être alors surtout négatif : elles participent à un impactisme destructif.

Dans un raccourci, peut-être un peu facile, on peut dire que la vie est apportée par des comètes et supprimée ensuite par des astéroïdes. Ce scénario pourrait s'être produit sur Mars qui a été une planète vivante avant que cette vie ne l'abandonne. Nous allons voir que les choses sont en réalité bien plus complexes dans la section suivante consacrée à la panspermie microbienne.

La panspermie microbienne, vrai ou faux ?

Le balayage de la Terre par les queues cométaires

Le passage de la comète de Halley à proximité relative de la Terre au mois de mai 1910 a créé une sorte de panique dans les couches les moins instruites de la population. Camille Flammarion expliquait dans plusieurs articles que la Terre allait être balayée et enveloppée pendant plusieurs heures par la queue de la comète, et que l'empoisonnement de l'humanité par des gaz délétères n'était pas exclu.

En fait, le passage de cette queue cométaire dans notre atmosphère dans l'après-midi du 19 mai 1910 ne se traduisit par aucune perturbation d'aucune sorte, notamment atmosphérique. Seules les personnes observant dans des conditions favorables purent déceler un crépuscule d'une splendeur inaccoutumée, rappelant ceux suivant les grandes éruptions volcaniques. Il est certain que des poussières très ténues, d'origine cosmique, se sont répandues dans l'atmosphère terrestre le 18 et 19 mai 1910, phénomène présentant une analogie singulière avec celui qui fut observé le 1er juillet 1908, après l'explosion de la Toungouska.

Une interaction entre l'atmosphère terrestre et la queue d'une comète s'était déjà produite 49 ans plus tôt, le 29 et le 30 juin 1861, période durant laquelle la Terre avait traversé la queue de la Grande comète de 1861, visible sur les deux tiers du ciel dans l'hémisphère sud. Ce premier passage de la queue d'une comète à l'intérieur de l'atmosphère terrestre fut observé dans l'hémisphère nord (où la comète elle-même n'était pas visible) sous la forme d'une bande lumineuse large de 30 à 35°, dirigée exactement suivant la verticale et plus lumineuse que la Voie Lactée, qui fut souvent prise pour une aurore boréale. Il n'y eut aucun effet biologique signalé. C'est la raison pour laquelle Flammarion, qui aimait bien faire peur à ses lecteurs, n'était pas vraiment inquiet pour le remake de 1910.

La majorité des spécialistes affirment que ces balayages de la Terre par des queues cométaires ne peuvent, en aucun cas, entraîner des désastres génétiques ou écologiques. Ces queues sont, en effet, d'une teneur si raréfiée que l'atmosphère terrestre est pratiquement du plomb en comparaison. Mais quelques auteurs sont d'un avis contraire et pensent que les queues cométaires, tout au moins certaines d'entre elles, pourraient être responsables de plusieurs épidémies inséminées sur la Terre depuis l'Antiquité. Ils rejoignent ainsi certains auteurs anciens qui tenaient la relation queue-de-comète/épidémie pour acquise.

Hoyle et Wickramasinghe et la panspermie microbienne

Aujourd'hui, les comètes ne créent plus la vie (tout au moins sur la Terre), mais elles pourraient bien, par contre, véhiculer la mort. Ce sont encore Hoyle et Wickramasinghe qui se trouvent à la base de cette hypothèse de la panspermie microbienne. Ces deux auteurs ont émis l'idée que certaines grandes épidémies de l'Antiquité et du Moyen Age, dont l'origine est toujours restée mystérieuse, pourraient avoir été provoquées par l'apport de germes pathogènes contenus dans des queues de comètes ayant eu une interaction avec l'atmosphère terrestre, au cours d'un passage à proximité de notre planète. Dans certains autres cas, ces germes pourraient provenir de débris cométaires récents essaimés le long de leur orbite par des comètes à courte ou longue période, et non encore détruits par les diverses radiations cosmiques.

Cette idée de panspermie microbienne n'est pas nouvelle en fait, contrairement à ce que l'on pourrait croire, et elle a été soupçonnée dès l'Antiquité, avant d'être reprise au XIXe siècle par plusieurs auteurs. Tous les méfaits imputés aux comètes ont été recensés vers 1830 par un médecin anglais, Thomas Forster (1789-1850), dans son Essai sur l’influence des comètes sur les phénomènes de la Terre, quand l'astronome allemand Wilhelm Olbers (1758-1840) eut calculé que la comète D/Biela s'approchait à seulement 28 000 km de l'orbite terrestre et que, par conséquent, une interaction avec la queue de cette comète, et même une collision, n'était pas à exclure dans l'avenir.

Il ne faut pas oublier que les comètes ont toujours été considérées avec crainte par les peuples anciens (figure), et cela dans toutes les parties du monde, et le recensement du docteur Forster, qui peut paraître dérisoire, n'était que l'expression d'une inquiétude larvée face aux comètes, surtout après la très forte approche de D/Lexell en 1770 et la découverte du fait que D/Biela était sur une orbite de quasi-collision.

On peut mettre ce sentiment de peur sur le compte d'un obscurantisme millénaire. Mais ce serait peut-être voir les choses un peu trop sommairement. Car souvent des comètes ont été notées dans le ciel, alors que sévissaient des épidémies sévères, notamment la peste. C'est cette présence simultanée comète-épidémie qui les a fait associer dans l'esprit des peuples victimes et ce n'était peut-être pas toujours sans raison.

La question se pose donc ainsi sur le plan scientifique : « Oui ou non l'arrivée dans l'atmosphère de matériaux cométaires peut-elle encore affecter la biologie terrestre ? » Hoyle et Wickramasinghe sont d'avis que ces invasions biologiques extraterrestres n'ont jamais cessé totalement et se poursuivent de nos jours. Ces invasions peuvent prendre la forme de nouveaux virus et d'infections bactériennes qui frappent notre planète à des intervalles irréguliers et qui tombent au sol dans des poussières d'origine cométaire, ou à l'intérieur de matériaux météoritiques.

Quoique l'hypothèse de ces épidémies d'origine cosmique soit plausible, et qu'elle ait été reprise dans les années 1970 par deux savants de stature mondiale, il faut cependant signaler qu'elle laisse sceptiques la grande majorité des chercheurs. Il faudra des preuves pour que la panspermie microbienne gagne ses lettres de noblesse dans l'éventail des théories scientifiques indiscutables.

Hiver d'impact et hiver nucléaire

On peut regrouper dans une même section l'étude sommaire de l'hiver d'impact et celle de l'hiver nucléaire. On pourrait aussi leur adjoindre l'hiver volcanique. Ainsi on peut voir que l'espace, la Terre elle-même, et l'homme, phénomène transitoire créé à partir des deux premiers, sont tous les trois capables d'engendrer une période de turbulence très préjudiciable à la vie, sinon dans sa totalité, du moins à certaines espèces plus vulnérables et qui ne peuvent se maintenir qu'à l'intérieur d'une étroite fourchette de caractéristiques écologiques bien précises, notamment en ce qui concerne la composition de l'atmosphère, la température, etc.

Pour la Terre dans sa globalité, par contre, un hiver qu'il soit d'origine cosmique, volcanique (ou même peut-être humaine demain...), n'est qu'un épiphénomène banal, maintes fois répété dans son histoire, sans conséquence pour son intégrité en tant que planète. Pour la vie qu'elle abrite, bien sûr, c'est tout autre chose, et des remaniements, très partiels lorsqu'il s'agit d'impacts mineurs, ou quelquefois substantiels lorsqu'il s'agit d'impacts cataclysmiques, sont inévitables.

Ce sont Luis et Walter Alvarez qui ont créé la notion d'hiver d'impact quand ils prirent conscience que l'excès d'iridium dans la couche K/T était lié à un impact cosmique d'envergure. Dans la foulée de cette découverte importante, d'autres chercheurs, scientifiques et militaires, y ont associé la notion d'hiver nucléaire, aujourd'hui classique, et qui est caricatural du catastrophisme technologique par ses causes et écologique par ses conséquences.

Les nombreuses simulations informatiques effectuées sur ce sujet sensible ont montré que les conséquences d'une explosion nucléaire de très grande envergure (l'hiver nucléaire) et celles résultant de l'impact d'un objet cosmique de plusieurs kilomètres de diamètre (l'hiver d'impact) étaient assez comparables.

On peut résumer ainsi le scénario de base. La poussière propulsée dans l'atmosphère obscurcit l'atmosphère d'une façon telle que la visibilité à plus de quelques mètres est impossible durant plusieurs mois. Ce sont le froid et les ténèbres qui s'installent d'une manière inéluctable. Sans Soleil, la photosynthèse est totalement interrompue, les diverses chaînes alimentaires disparaissent. En outre, si l'impact est océanique (7 chances sur 10), une énorme quantité de vapeur d'eau est propulsée dans l'atmosphère. Cette vapeur d'eau est la cause d'un important effet de serre, et au froid initial succède, au contraire, un réchauffement très préjudiciable à certaines espèces rescapées de la période de froid. Le réchauffement brutal peut entraîner une combinaison de l'oxygène et de l'azote de l'air, combinaison pouvant déboucher sur une overdose d'oxyde d'azote sous forme d'une pluie d'acide nitrique, susceptible de détruire ou de perturber sérieusement certaines espèces de plantes et d'animaux marins invertébrés.

Reste le problème des radiations. L'hiver nucléaire a été disséqué par tous les scientifiques militaires pour savoir les conséquences d'un conflit nucléaire, pour l'homme en particulier et pour son cadre de vie sur un plan plus général. On le sait, les résultats des simulations effectuées dans les années 1980 ne sont pas brillants, ce qui a quand même poussé, bien tardivement, les militaires et leurs commanditaires politiques à être plus prudents qu'auparavant.

La catastrophe écologique (et humaine) de Tchernobyl du 26 avril 1986 a clairement démontré la nocivité de l'irradiation nucléaire, même à dose relativement faible, sur les êtres humains, et peut-être plus encore sur leur descendance. Il ne fait pas bon d'être enceinte, même aujourd'hui, pour une femme habitant depuis 1986 le secteur de Tchernobyl. La radioactivité anormale joue un rôle, inimaginable avant 1945 (Hiroshima et Nagasaki), sur la croissance des enfants, qu'ils soient nés avant ou, à plus forte raison, après la catastrophe. Il est indéniable que leur potentiel génétique a été gravement atteint. Au niveau mondial, une irradiation générale à forte dose pourrait entraîner la quasi-extinction de l'espèce humaine en quelques générations seulement.

Pour ce qui est d'un hiver d'impact, les simulations ne peuvent être qu'imparfaites, car de nombreux paramètres sont approximatifs ou même spéculatifs. La nature des impacteurs de taille kilométrique peut être extrêmement variable, de la comète de glace à la sidérite, comme l'astéroïde 1986 DA qui est actuellement sur une orbite de collision avec Mars, en passant par toutes sortes d'objets mixtes. Si réellement le petit impact (objet de 100 mètres au maximum) de la Toungouska a été la cause des mutations et de croissance accélérée signalées par certains chercheurs soviétiques, il y a de quoi s'inquiéter pour l'avenir.

Peut-être faudra-t-il, en cas d'impact majeur, laisser la place à des espèces animales mieux armées que la nôtre pour lutter contre l'irradiation, comme des tortues, des serpents ou des blattes qui ont déjà traversé sans trop de problèmes quelques désastres d'origine cosmique d'envergure.

La récurrence des extinctions et les coupables possibles

Cette très intéressante théorie de la récurrence des extinctions, qui a eu son heure de gloire dans les années 1980, est aujourd'hui sérieusement discréditée, quasiment abandonnée même par la communauté scientifique dans son ensemble, bien que certains irréductibles veulent encore y croire. Elle a permis l'apparition de deux hypothèses annexes, celle de Némésis et celle de l'oscillation galactique, dont il est nécessaire de parler en détail, car elles venaient logiquement proposer une double solution crédible à une énigme mise en évidence par les paléontologues.

Au début des années 1980, dès que l'hypothèse des deux Alvarez concernant la fin des dinosaures, il y a 65 MA, prit une telle consistance que la majorité des scientifiques admirent sa vraisemblance, de nombreux chercheurs tentèrent de déterminer si les extinctions pouvaient se produire plus ou moins régulièrement par cycles.

Disons tout de suite que, dès le départ, les spécialistes des NEA ont refusé toute possibilité d'extinctions cycliques. Pour eux, qui connaissent déjà plusieurs centaines d'objets qui frôlent la Terre et qui s'attendent à en connaître plus de 3000 avant dix ans, l'impactisme ne peut être que totalement aléatoire. Ces impacts se produisent quand un EGA ou une comète sur une orbite de collision se présente en même temps que la Terre à ce point de croisement des deux orbites. Des comètes nouvellement envoyées par des perturbations, d'où qu'elles proviennent, ne sont pas immédiatement sur des orbites de collision et n'ont aucune raison de s'écraser sur la Terre régulièrement. Le matériel susceptible de heurter les planètes existe (il existe depuis toujours en permanence) puisque plus de 100 000 astéroïdes et noyaux cométaires sont déjà en place dans le Système solaire intérieur et sont susceptibles de venir heurter la Terre dès que les lois de la mécanique céleste en auront décidé ainsi. Car c'est elle, la mécanique céleste, et elle seule, qui permet les approches aux planètes et les impacts. Une comète nouvellement arrivée ne choisit pas sa cible ! Elle est d'abord capturée, avant de pouvoir s'approcher fortement des planètes et éventuellement d'en percuter une.

Les paléontologues ne sont pas astronomes et ignorent souvent jusqu'à l'existence même des NEA. Ils ont étudié sur le papier, statistiquement, la fréquence et l'intensité des diverses extinctions, permettant grâce à une telle approche une très importante avancée scientifique. Ce sont eux qui ont découvert les cinq extinctions majeures (dites de masse), une vingtaine d'autres secondaires et quelques autres mineures. Il était tentant de relier entre eux tous ces pics d'extinction datés avec une bonne précision, calés souvent sur des fins de périodes géologiques, et de comparer les datations avec celles des grands astroblèmes.

Les premiers, David Raup et John Sepkoski Jr. (1948-1999) proposèrent l'hypothèse d'extinctions cycliques. Ils présentèrent en 1984 une remarquable étude détaillée de l'histoire des fossiles, depuis le Permien supérieur jusqu'à nos jours. Ils tracèrent une courbe indiquant le pourcentage de familles frappées par les diverses extinctions. Ils mirent ainsi en évidence une étonnante combinaison de crêtes et de dépressions. Sur 39 étages géologiques retenus, 8 crêtes importantes furent privilégiées pour une analyse mathématique et statistique très poussée (figure). Celle-ci paraissait bien indiquer, pour Raup et Sepkoski, une récurrence périodique pour les extinctions.

Ils annoncèrent alors que d'après leurs calculs, il y avait une probabilité de 90 % pour que le taux d'extinction suive un régime cyclique, avec une période de 26 MA entre deux crêtes successives d'extinction. Mais l'examen de leur graphique ne convainquit pas vraiment les scientifiques car la corrélation était très approximative, pour ne pas dire médiocre. Les pics d'extinction sont incontestables, mais la périodicité ne peut être réellement établie. Pour les astronomes, elle est même utopique. D'ailleurs, d'autres données retenues, pour d'autres critères, par d'autres équipes de disciplines différentes, conduisirent à des résultats assez différents (chacune éliminant sans trop de complexes les données qui s'éloignaient quelque peu du canevas retenu a priori). La période même des extinctions variait de 26 MA à 33 MA, en passant par 28 MA et 32 MA selon les critères retenus, ce qui est un comble, et laissait entrevoir des résultats très douteux sur le long terme.

Quoi qu'il en soit, dès qu'une possibilité d'extinctions cycliques fut mise en évidence, il fallut rechercher un coupable : « Qu'est-ce qui provoque les extinctions de masse, les astéroïdes et les comètes ordinaires ne pouvant, en effet, qu'entraîner des extinctions aléatoires ? ».

Némésis, l'étoile sœur du Soleil

Ce sont trois astronomes américains, Marc Davis, Piet Hut et Richard Muller, qui ont eu l'idée de l'hypothèse Némésis. Dans cette hypothèse, qui a eu un franc succès d'estime dans les années 1980, Némésis est une étoile encore inconnue, liée au Soleil depuis l'époque de sa formation, et qui perturberait tous les 26 MA le nuage de comètes de Oort, en précipitant un nombre important dans le Système solaire intérieur. Ce nombre accru de comètes entraînerait dans un deuxième temps une augmentation significative du nombre d'impacts et serait en conséquence un important facteur d'extinctions.

Cette hypothèse mérite d'être discutée en détail. Le Soleil et Némésis formeraient un système stellaire binaire, dans lequel le compagnon de faible masse se déplacerait sur une orbite très excentrique autour du centre de gravité commun (le barycentre).

Première question : « Quelle pourrait être l'orbite de Némésis dans un tel système ? », sachant surtout que la fameuse "étoile de la mort" n'a encore jamais été observée, ce qui est, on s'en doute, un très mauvais point, rédhibitoire même pour de nombreux astronomes orthodoxes. Si l'on admet une période de 26 MA pour une révolution complète de Némésis, la mécanique céleste fournit quelques réponses sans ambiguïté. Une telle période correspond à un grand axe voisin de 176 000 UA, soit presque 3 années lumière (figure). Le demi-grand axe vaut donc 88 000 UA (soit 88 000 fois la distance standard Terre-Soleil, ce qui est considérable).

Pour que l'étoile sœur du Soleil perturbe suffisamment les comètes du nuage de Oort, il est nécessaire de tabler sur une excentricité importante. Celle-ci serait voisine de 0,70, valeur très forte mais tout à fait acceptable. C'est à l'occasion de son passage au périhélie, dans le nuage de Oort, que les perturbations pourraient être possibles. Le périhélie q serait de l'ordre de 26 000 UA et l'aphélie Q de l'ordre de 150 000 UA. Compte tenu des variations de vitesse très importantes de Némésis sur son orbite, la période durant laquelle elle se trouverait à moins de 40 000 UA du Soleil ne durerait que 1 MA, période nécessaire pour perturber significativement les comètes du nuage de Oort.

Deuxième question décisive : « Quelle est la masse de Némésis ? ». Il est, en effet, impératif de cerner, au moins approximativement, la masse supérieure et inférieure possible de l'étoile sœur, avec le postulat qu'elle se situerait actuellement près de l'aphélie puisque la dernière crête d'extinction remonterait à environ à 13 MA, soit un demi-cycle. Les pro-Némésis tablent sur une distance actuelle de 150 000 UA, soit 2,6 années lumière, distance légèrement moindre de la moitié de celle de l'étoile de Barnard que l'on sait se trouver à 6 années lumière et que l'on connaît depuis plus d'un siècle. D'après les pro-Némésis, la masse maximale de leur étoile (extrêmement optimiste) ne saurait être supérieure à 1,2 fois celle de l'étoile de Barnard, c'est-à-dire en gros à 0,12 masse solaire (ou encore l'équivalent de celle de Proxima Centauri). Sa masse inférieure, nécessaire pour perturber valablement le nuage de Oort, serait de seulement 5 fois celle de Jupiter qui, on le sait, est de l'ordre de 1/1000 de celle du Soleil. La masse minimale de Némésis serait donc de l'ordre de 1/200 masse solaire. Les pro-Némésis s'accordent à dire que la masse de leur étoile peut varier d'un facteur 24, entre 0,12 et 0,005 masse solaire.

On sait que la masse minimale pour qu'un corps céleste soit une véritable étoile, capable d'engendrer les réactions nucléaires indispensables, est de 0,05 masse solaire, dix fois supérieure à l'estimation basse de la masse de Némésis. Donc, celle-ci pourrait être une naine brune (astre hybride intermédiaire entre les planètes géantes et les mini-étoiles) qui émettrait seulement dans l'infrarouge, ce qui expliquerait qu'on ne l'ait pas encore découverte dans le ciel malgré sa proximité (à l'échelle astronomique).

Troisième question incontournable : « Où se trouve actuellement Némésis et pourquoi ne l'observe-t-on pas malgré sa proximité ? ». C'est là que les nombreux sceptiques attendent les pro-Némésis, car en bonne logique, cette étoile, même très peu massive, devrait avoir été observée depuis très longtemps. Une chose est bien sûre en tout cas, l'hypothèse Némésis ne peut être acceptée que si l'on découvre enfin cette étoile fantôme. Et plus de quinze ans après les premières recherches, force est de constater que les astronomes sont restés bredouilles !

Même si l'on admet que Némésis est au mieux une naine rouge et au pire une naine brune, on devrait pouvoir la déceler grâce à sa parallaxe. De ce côté-là, le fiasco a été complet, puisque l'étoile fantôme ne figure pas dans le catalogue des 5000 naines rouges les plus brillantes. Les pro-Némésis, pour sauver l'hypothèse, arguent que Némésis étant proche de l'aphélie, sa vitesse orbitale est très faible, inférieure à 100 mètres par seconde (à comparer aux 29,8 km/s pour la Terre en moyenne). De ce fait, cette faible vitesse associée à une distance de près de 3 années lumière lui donnerait un mouvement proche inférieur à 1/1000 de celui de l'étoile de Barnard (qui est la plus rapide du ciel) et donc quasiment indécelable avec les techniques actuelles.

Quand on fait sérieusement le tour de la question, il faut bien admettre que l'hypothèse Némésis est très peu probable. Les spécialistes des NEA n'y ont jamais cru et les autres astronomes ne veulent pas envisager le Système solaire avec deux étoiles, même si Némésis ne pourrait être qu'une naine brune. Il est très improbable qu'une étoile comme Némésis ait pu échapper à plusieurs générations d'observateurs bénéficiant d'instruments de plus en plus performants.

L'hypothèse de l'oscillation galactique

Cette deuxième hypothèse est associée à une période de récurrence nettement supérieure à celle de Némésis : 33 MA contre 26 MA, ce qui n'est pas la même chose. D'après ses partisans, une telle période correspondrait également aux pics d'extinction, ce qui montre bien le caractère très approximatif de ces derniers qui, pour bien réels qu'ils soient, ne présentent pas de périodicité marquée, et en tout cas indiscutable. L'idée qui sous-tend cette hypothèse (figure) est que le mouvement d'oscillation du Système solaire autour du plan médian de notre Galaxie permettrait à chacun de ces passages de rencontrer des nuages interstellaires, très importants par leur densité, de gaz et de poussières qui perturberaient le nuage de Oort et qui permettraient ainsi la plongée de nombreuses comètes dans la partie "planétaire" de notre système.

Ces nuages massifs se situent au voisinage immédiat du plan médian de la Galaxie (un plan bien sûr imaginaire qui divise le disque aplati de notre Voie Lactée en deux parties, dites supérieure et inférieure). Cette oscillation a bien lieu tous les 33 MA, à 1 MA près, et elle permet aux nuages interstellaires traversés d'exercer une force gravitationnelle suffisante pour perturber des astres peu massifs comme les comètes. On pense que certains nuages moléculaires peuvent atteindre des masses de l'ordre de 1 à 10 millions de fois la masse solaire réparties sur des distances considérables pouvant probablement aller jusqu'à 100 années lumière. L'effet maximal des perturbations aurait lieu entre 250 années lumière de part et d'autre du plan médian.

C'est une réalité connue depuis longtemps des astronomes, au lent mouvement du Système solaire autour du centre de la Galaxie (qui se situe à une distance de l'ordre de 30 000 années lumière) se superpose tous les 33 MA environ un inexorable mouvement oscillatoire qui fait passer successivement notre système de la partie supérieure à la partie inférieure du plan médian de la Galaxie et vice versa. Ce mouvement est un vestige remontant à la période même de sa formation à partir d'un nuage présolaire qui se déplaçait perpendiculairement par rapport au plan médian, tout en faisant une révolution complète autour du centre de gravité galactique en une très longue période estimée à 240-250 MA, c'est-à-dire pratiquement 4 révolutions complètes par milliard d'années. Pas moins de 22 grandes révolutions auraient ainsi été effectuées par le Système solaire depuis sa formation, il y a 4,6 milliards d'années, autour de notre Galaxie. Par contre, à raison de 3 oscillations pour 100 MA, on en serait déjà à près de 140 oscillations différentes à travers des nuages interstellaires massifs.

Certains chercheurs ont donc tenté de lier l'intervalle de 33 MA avec la période de récurrence des extinctions de masse. En 1984, Michael Rampino et Richard Stothers ont développé cette idée nouvelle, elle aussi bien accueillie par une partie de la communauté scientifique, mais catégoriquement repoussée par d'autres chercheurs, notamment des astrophysiciens, qui jugent l'hypothèse une fois chiffrée avec précision tout à fait insuffisante pour justifier le détournement des comètes, cause des impacts ultérieurs, et aussi pour expliquer la périodicité des extinctions.

Pour pallier la masse insuffisante des molécules, même très nombreuses, des nuages interstellaires, quelques astronomes, jamais à court d'idées nouvelles, ont postulé l'existence de la fameuse matière manquante, connue (théoriquement) depuis longtemps, et qui pourrait se trouver en partie dans ces nuages à proximité du plan médian de la Galaxie, plan traversé régulièrement par le Système solaire. On a parlé de naines rouges ou brunes, d'étoiles "épuisées", de grumeaux rocheux de matière plus ou moins hétéroclite, d'anneaux galactiques, et même de trous noirs et de "cordes". Si l'existence de tout ou partie de ces candidats pour expliquer la matière manquante de la Galaxie s'avérait en fin de compte une réalité, la force gravitationnelle qu'elle pourrait exercer sur les parties centrale et externe du Système solaire (et parmi celles-ci le nuage de Oort) serait capable de créer les perturbations nécessaires au détournement des comètes et à leur introduction comme objets internes dangereux pour la Terre et les autres planètes.

Cette hypothèse de l'oscillation galactique est astucieuse, tout comme sa rivale alternative Némésis, mais elle n'est pas plus crédible dans son rapport concret avec les extinctions. Pour les spécialistes des NEA, qui sont quand même nettement les mieux placés pour appréhender le problème d'une manière rationnelle, rien ne vaut des objets bien répertoriés comme 1994 PC1 et Toutatis pour parler des astéroïdes, Hephaistos et Damocles pour parler des comètes éteintes ou même D/Lexell et D/IRAS-Araki-Alcock pour parler des comètes actives, pour rappeler simplement que les astres menaçants existent déjà dans notre banlieue terrestre, et que tôt ou tard, un de nos petits voisins heurtera la Terre, suite aux perturbations gravitationnelles que lui feront subir les planètes voisines. La mécanique céleste est l'ennemie des cycles éternels. Conclusion quasi certaine : les extinctions ne peuvent être qu'aléatoires.

L’histoire de Geminga

L’histoire de Geminga a commencé en 1972 quand le satellite américain Sas 2 a repéré dans le ciel gamma une source ponctuelle très caractéristique, émettant à des intervalles réguliers dans la constellation des Gémeaux, non identifiable avec un objet déjà connu des astronomes. Pourtant cette source de rayons gamma est particulièrement intense avec des photons pouvant avoir une énergie de 100 MeV, soit de l’ordre de vingt millions de fois ceux de la lumière visible.

Pendant des années, cette source résista aux recherches destinées à lui trouver une contrepartie en optique, X ou radio. D’où son nom, donné par des astronomes italiens : Geminga (contraction de Gemini gamma), signifiant en patois milanais : « Il n’y a rien, elle n’est pas là ». Le mystère restait entier et plusieurs hypothèses plus ou moins folles circulèrent à son sujet.

En 1979, une source X fut enregistrée à l’emplacement de la source gamma par le satellite américain Einstein, mais toujours pas de contrepartie optique qui était obligatoirement très faible si elle existait. En 1984, trois points minuscules furent repérés par l’équipe d’astrophysiciens de Saclay avec une caméra CCD ultrasensible, points lumineux baptisés G, G’ et G’’. S’agissait-il de Geminga ? En 1987, l’existence des trois sources fut confirmée, avec la révélation que G’’ est probablement un pulsar. Sa périodicité est de 237 millisecondes, soit un peu moins de quatre rotations à la seconde.

Les astrophysiciens en déduisirent la date approximative de sa formation : environ 350 000 ans, et une distance actuelle de seulement 140 années lumière. Aujourd’hui, la vitesse de fuite de Geminga est estimée à environ 300 km par seconde, et les résidus de l’étoile sont donc beaucoup plus lointains qu’au moment de l’explosion initiale. La distance la supernova génitrice pourrait ne pas avoir dépassé 100 années lumière lors du cataclysme, ce qui est considéré comme une explosion proche. Pour les spécialistes, pas de doute : Geminga est une étoile massive qui a explosé près de la Terre et ses effets ont dû être très spectaculaires, et peut-être même décisifs.

En 1993, Neil Gehrels et Wan Chen ont émis l’hypothèse que Geminga serait responsable de la bulle de gaz chauds dans laquelle on pense que baignent le Système solaire et les étoiles environnantes. Les astrophysiciens envisagent sérieusement, en effet, que ces bulles de gaz chauds pourraient être créées par l’onde choc initiale des supernovae.

On croit aujourd’hui que Geminga a été visible en plein jour, avec un éclat qui aurait dépassé la Pleine Lune, il y a 350 000 ans, à une époque où Homo erectus et Homo sapiens cohabitaient encore. Inutile de dire que, pour tous, cette formidable étoile nouvelle visible en plein jour durant plusieurs mois a dû être matière à étonnement et aussi probablement à une sourde crainte, même si on ignore s’ils observaient déjà le ciel avec assiduité.

Les conséquences dues à l’impactisme particulaire associé à l’explosion de Geminga ont pu être décisives, c’est du moins l’opinion de certains chercheurs. Car danger il y a, on le sait, pour la magnétosphère et l’atmosphère terrestres, avec une telle recrudescence de particules accélérées par l’explosion d’une supernova proche, et notamment certains éléments radioactifs. Certains spéculent donc sur des mutations génétiques, qui pour les plus optimistes auraient conduit à l’intelligence et à l’avènement irrésistible d’Homo sapiens. Nous ne croyons pas trop à ce scénario. Comme nous l’avons expliqué au chapitre 15, il paraît plus probable que le bruit de fond de l’évolution est lié à des inversions géomagnétiques.

 

1. M.-A. Combes, La Terre bombardée, p. 184-185.

2. W. Vernadsky, La biosphère (Diderot éditeur, 1997), p. 47.

3. Ibid., p. 58-59.

4. J. Eugster dans P. Kolosimo, La planète inconnue (Albin Michel, 1974), p. 254.

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