2. Astéroïdes et comètes


Estelle Dumont. — On reviendra sur Whiston plus tard. Mais il faut avancer si l'on veut faire un tour complet de la question. Nous allons parler des comètes et des astéroïdes. Nous avons trois spécialistes pour cela, nos deux amis étrangers, Jean Delporte et John Tyllman, et aussi Michel Dauvergne. Jean, rappelez-nous d'abord d'où viennent ces comètes.

Jean Delporte. — Depuis le début des années 1950, on pressentait qu'il existait deux réservoirs distincts de comètes, mais seulement un put être mis en évidence à l'époque. C'est le nuage de Oort, du nom de l'astronome néerlandais qui a développé la théorie selon laquelle il existe une importante concentration de comètes à des distances très importantes du Soleil, entre 40 000 et 100 000 unités astronomiques en gros. Ces comètes existent par milliards, mais la plupart ne viennent pas près du Soleil. Il faut des perturbations stellaires pour les décrocher de leur place. Quelques-unes voient leur excentricité augmenter très sérieusement et elles sont alors propulsées dans le Système solaire intérieur. Il faut noter que les comètes du nuage de Oort ont toutes les inclinaisons possibles, entre 0 et 180°.
Le second réservoir c'est la ceinture de Kuiper, qui est comprise en gros entre 38 et 200 unités astronomiques, qui est composée de comètes, mais aussi d'astéroïdes et d'objets mixtes, ce qui est très important comme nous le verrons dans la suite de cette soirée. Les premiers objets de cette ceinture ont été repérés en 1992 seulement, à Hawaï, et ces découvertes sont dues à l'importance évolution technique apportée par les caméras CCD super sensibles, associées à des sites particulièrement favorables, comme Hawaï bien sûr ou le Chili où l'atmosphère reste exempte de pollution à la fois lumineuse et atmosphérique. En sept ans, on a déjà découvert près de 200 objets de la ceinture de Kuiper. Ils existent par millions, mais on ne pourra découvrir que les plus gros, ceux qui ont plus de 50 kilomètres de diamètre.

Pascale Barbeau. — Quel diamètre peuvent avoir les comètes ? Je suis à une table de scientifiques et je dois avouer que l'astronomie n'est pas vraiment mon rayon. Mais je ne demande qu'à m'instruire.

Jean Delporte. — Il est très variable. Une comète classique a en général quelques kilomètres de diamètre seulement, de 1 à 20 en général, mais on en connaît de plus grosses. Le diamètre de Hale-Bopp, par exemple, avoisinait les 40 kilomètres, mais parmi les Centaures on sait que plusieurs dépassent nettement les 100 kilomètres.

Pascale Barbeau. — C'est quoi ces Centaures ?

Jean Delporte. — Ce sont les objets qui circulent entre Jupiter et Neptune. On en connaît déjà une vingtaine, mais là aussi ils existent par milliers. Ce sont soit des comètes, soit des astéroïdes, soit des objets mixtes issus et échappés des deux réservoirs de comètes et qui circulent sur des orbites provisoires plus petites et très instables. Certains viendront dans le Système solaire intérieur, d'autres seront carrément éjectés et retourneront d'où ils viennent ou fileront dans l'espace interstellaire.

Brigitte Sergent. — Pourquoi les a-t-on appelés des Centaures ?

Jean Delporte. — Tout simplement parce que le premier d'entre eux a été baptisé Chiron. Il a été découvert en 1977. Le second a été baptisé Pholus et les suivants Nessus, Asbolus et Chariklo. Mais les noms vont vite manquer et il va falloir trouver autre chose. Vous qui êtes mythologue, vous pouvez faire vos fonds de tiroir pour trouver tous les Centaures recensés. Vous m'enverrez votre liste, je la ferai suivre au Minor Planet Center. Ils en auront bien besoin, mais de toute façon, il faudra trouver autre chose pour l'avenir.

Estelle Dumont. — Nous avons parmi nous Michel Dauvergne qui est un spécialiste des astéroïdes. Rappelle-nous de quoi il s'agit.

Michel Dauvergne. — Entre Mars et Jupiter, il existe une multitude de petits corps, des milliards à coup sûr, dont le diamètre varie entre quelques mètres et 920 kilomètres pour le plus gros, Cérès, qui est connu depuis 1801. On en connaît déjà 80 000 dont près de 12 000 sont numérotés. Mais depuis 1898, avec la découverte d'Eros, on sait qu'il existe aussi de très nombreux autres petits astéroïdes qui circulent entre la Terre et l'anneau principal et même quelques-uns qui circulent à l'intérieur de l'orbite terrestre.
Beaucoup de ces astéroïdes peuvent s'approcher de la Terre, on les appelle les NEA. Ceux qui croisent l'orbite terrestre sont les géocroiseurs. On connaît aujourd'hui plus de 200 objets dits dangereux qu'on appelle PHA (pour Potentially Hazardous Objects). Ce sont ceux qui ont plus de 130 mètres de diamètre et qui s'approchent à moins de 0,05 unité astronomique, c'est-à-dire 7,5 millions de kilomètres de l'orbite terrestre.
Les PHA nous préoccupent surtout, mais il faut savoir qu'il existe une multitude d'objets plus petits. Par exemple, Ogdy, le météore de la Toungouska qui a explosé en 1908 avait environ 80 mètres et n'était donc pas un PHA au sens où l'entendent les astronomes et les militaires.

Pascale Barbeau. — Que viennent faire les militaires dans votre histoire ?

Michel Dauvergne. — Ils se sont institués « défenseurs de la planète » et s'occupent de « l'ennemi extérieur » comme ils disent. Ce sont les sponsors de la recherche. C'est un peu surréaliste, mais en fait les spécialistes ont compris qu'il fallait être vigilant. Il faut savoir qu'en 1998 on a découvert plus de 200 NEA et on va frôler les 300 en 1999, dont certains doivent être suivis avec attention. Les militaires, qui ne veulent pas trop se disperser, ignorent ceux qui ont moins de 130 mètres et qui ne pourraient causer que des dégâts à l'échelle locale. Ceux de plus de 130 mètres, les PHA, devront être détruits ou détournés, c'est le rôle que s'est attribué l'armée américaine, mais les Russes et les Chinois suivent car qui dit destruction dit aussi armes nucléaires.

John Tyllman. — J'ajoute à ce que vient de dire Michel que plusieurs programmes ont été mis en place pour accélérer le nombre des découvertes, car on ne connaît que 5 ou 10 % seulement des objets dangereux. Je vais moi-même à Siding Spring, en Australie, à partir du 15 décembre pour participer à une recherche systématique avec le Schmidt de 122 cm auquel on a adjoint une caméra CCD.
Peut-être vais-je découvrir quelques NEA et si j'ai un peu de chance un ou deux PHA. Mais aucun groupe ne peut lutter avec le programme LINEAR de l'armée de l'air américaine, l'US Air Force, qui dispose d'une technologie révolutionnaire, héritière directe des satellites espions américains. Leur caméra et les logiciels qui vont avec permettent de découvrir des objets beaucoup plus faibles que ceux observables dans les autres observatoires. Autrement dit, ils raflent quasiment tout. En tout cas, 8 sur 10 des NEA sont découverts par LINEAR.

Estelle Dumont. — On sait que les comètes vieillissantes se transforment progressivement en astéroïdes.

Jean Delporte. — Tout à fait, les comètes qui ont des parties solides deviennent des astéroïdes quand tous les éléments volatils se sont sublimés ou quand une carapace de poussières assez épaisse s'est formée en surface pour empêcher la sublimation des glaces.
On distingue donc les comètes mortes et les comètes en sommeil qui peuvent éventuellement se réveiller quand la couche protectrice est partiellement détruite. Mais ces deux types d'objets qui n'ont plus d'activité cométaire perceptible sont considérés comme des astéroïdes et catalogués comme tels. On pense aujourd'hui que 40 % des NEA sont en fait d'anciennes comètes. Les spécialistes les appellent des astéroïdes cométaires.

John Tyllman. — Ils sont d'autant plus dangereux que vu leur mauvaise structure ils ne touchent pas le sol quand ils heurtent la Terre, ils explosent dans l'atmosphère, comme Ogdy en 1908, et ils ne participent pas à la cratérisation météoritique. C'est pour cela que les scientifiques ont longtemps cru qu'il n'y a pas eu d'impacts récents. En fait, ces impacts ont été nombreux et je crois que nous en reparlerons.

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