3. L'hypothèse HEPHAISTOS


Estelle Dumont. — Jean, expliquez-nous ce qu'est exactement l'hypothèse HEPHAISTOS.

Jean Delporte. — C'est la suite de l'histoire d'un Centaure classique. Après quelques millions d'années passées à circuler entre Jupiter et Neptune, les Centaures voient progressivement leur orbite diminuer et ils peuvent subir des perturbations très sévères du fait des quatre grosses planètes. Ces perturbations peuvent accélérer la vitesse orbitale et le Centaure se voit alors propulsé sur une orbite plus petite, comme celle de la comète Encke, avec un périhélie qui vient à proximité du Soleil. Pour le Centaure, c'est le début de la fin. La désintégration est proche et s'il y a impact avec une planète, gare aux dégâts.

Suzanne Dallot. — C'est ce qui est arrivé à HEPHAISTOS ? Il y a combien de temps ?

Jean Delporte. — Oui, exactement. Il y a quelques centaines de milliers d'années, pas plus, une grosse comète de plus de 100 kilomètres de diamètre s'est fait piéger par Jupiter ou par Saturne et est venue frôler les planètes intérieures : Mars, la Terre, Vénus et Mercure. Vous devinez la suite. A la suite d'une très forte approche à l'une d'elles, elle s'est désintégrée en des milliers de fragments de toute taille qui ont continué leur vie chacun pour son compte.
C'est une véritable pollution cosmique qu'a entraîné cette désintégration. Le pire c'est que chaque fragment important s'est à son tour disloqué. Aussi incroyable que cela puisse paraître, on pense aujourd'hui d'une comète de 100 kilomètres peut produire à terme plus d'un million d'objets indépendants.
Et c'est là que l'on retrouve Whiston. Il est sûr maintenant que plusieurs morceaux du HEPHAISTOS original, dont certains importants, c'est-à-dire de taille kilométrique, ont heurté la Terre. Ils ont explosé dans l'atmosphère terrestre en général, seuls quelques fragments plus petits et plus résistants, ceux qui étaient astéroïdaux et non cométaires, ont heurté l'océan et provoqué à plusieurs reprises des dégâts gigantesques.

Suzanne Dallot. — Quand la Terre a-t-elle été heurtée pour la première fois ?

John Tyllman. — On le sait aujourd'hui, le premier impact sérieux date de 29 000 ans, autour de l'année –27000 donc. Mais il a dû être précédé par quelques autres impacts d'importance secondaire, disons des objets de taille hectométrique.

Suzanne Dallot. — C'est l'existence de la fameuse couche de poussière relevée dans les glaces de l'Antarctique qui vous permet cette précision ?

John Tyllman. — Oui c'est cela. Vous savez que les glaciologues ont été très étonnés quand ils ont étudié leurs carottes de glace de voir que celle-ci avait été souillée de manière tout à fait anormale entre 27000 et 17000 avant J.-C. Cette pollution ne peut pas vraiment s'expliquer par des phénomènes terrestres, notamment quelques volcans en furie. C'est de la poussière partiellement d'origine cosmique qui a été identifiée.
A plusieurs reprises des fragments de HEPHAISTOS ont heurté la Terre durant ces 10 000 ans, provoquant un formidable refroidissement de la température et une véritable pollution cosmique. Ce sont nos ancêtres de l'époque de la Combe-d'Arc qui en ont été victimes les premiers, et durant tout le Gravettien ces pauvres ancêtres ont pris de temps à autre le ciel sur la tête. Cela a certainement beaucoup contribué à la lenteur de leur montée vers le Néolithique, sans compter les pertes humaines qui ont dû être importantes, proportionnellement à la population restreinte de l'époque. Vous voyez que les Gaulois avec leur Toutatis n'ont rien inventé. L'origine de l'histoire remonte de beaucoup plus loin.

Estelle Dumont. — Vous croyez que la théorie de Milankovich ne peut pas expliquer ce phénomène, sans qu'il soit nécessaire de recourir à vos comètes ?

John Tyllman. — Non, pas du tout. Les astronomes qui n'aiment pas les catastrophes ont essayé de privilégier la théorie des climats et des périodes glaciaires par ce biais, mais c'est depuis longtemps un combat d'arrière-garde, je dis même ringard. Seul le cataclysme explique ces apports de poussière dix fois plus importants que la normale calculée sur une période de 160 000 ans.

Michel Dauvergne. — Il faut ajouter que l'histoire ne fait que commencer si l'on se place à l'échelle astronomique. Car les fragments du HEPHAISTOS primitif qui dépassent 50 mètres existent probablement par dizaines de milliers. Il faut se rappeler que la Toungouska, c'est un objet de 80 mètres pour situer les choses. Apparemment, la Terre en a seulement récupéré une ou deux dizaines depuis 30 000 ans. C'est bien loin de faire le compte et l'histoire va se prolonger encore pendant près de 100 000 ans.
C'est pour cela que l'armée américaine a pris les choses en main. Et elle a raison. Stephen Jay Gould pourrait parler de contingence. Si l'on veut sauver la civilisation actuelle, d'autant plus fragile qu'elle est tributaire d'une technologie de plus en plus sophistiquée, il faut impérativement prendre en compte ce phénomène.
Tous les pseudo-décideurs qui ne voient que le très court terme sont des irresponsables, incapables de gérer l'intérêt des populations sur le long terme. L'espèce humaine, ce n'est pas deux générations, mais des milliers de générations. Chacune d'entre elles doit gérer le présent avec le niveau technologique de l'époque. Il est donc impératif aujourd'hui de recenser un maximum d'astéroïdes dangereux. C'est le devoir de notre génération et des deux qui vont suivre.

Suzanne Dallot. — Combien connaît-on de fragments de cette comète ? Et d'abord, c'est une comète ou un astéroïde ?

Michel Dauvergne. — Les deux, c'est un objet mixte comme beaucoup de Centaures. Jean nous a rappelé tout à l'heure que ces Centaures sont composés à la fois de glace, mais aussi de toutes sortes de débris rocheux et poussiéreux plus ou moins bien agglomérés. On sait que la comète Encke est un fragment cométaire d'HEPHAISTOS, alors que plusieurs astéroïdes, dont Hephaistos et Oljato, sont aujourd'hui planétaires. Certains fragments ont été cométaires, mais pas tous. Des morceaux rocheux issus du même corps parent n'ont jamais eu d'activité cométaire.

John Tyllman. — La fragmentation continue sous les yeux des astronomes, les morceaux cométaires se désintègrent à l'occasion de fortes approches aux planètes. Les fragments planétaires pas très solides s'émiettent. Tout redevient poussière progressivement. Mais il reste de grosses poussières qui peuvent aller jusqu'à 10 kilomètres. C'est beaucoup.

Estelle Dumont. — Ainsi on a repéré à la fois plusieurs fragments d'HEPHAISTOS et recensé plusieurs impacts depuis 30 000 ans ?

Michel Dauvergne. — Exactement. On connaît une cinquantaine de fragments de l'objet primordial et on a repéré plusieurs impacts dont nous reparlerons. Dans 100 ans, on connaîtra plus de 1000 fragments de HEPHAISTOS et je crois qu'on aura pu recenser une quinzaine d'impacts, même si cela sera difficile à faire et surtout à prouver.
A partir du moment où il n'y a pas de cratère, les choses se compliquent, mais il y a d'autres données à prendre en considération. Notamment, on connaît une météorite tombée en 1898 à Farmington, aux Etats-Unis. Elle a 25 000 ans et est issue d'une fracture récente d'un fragment de HEPHAISTOS. C'est un fragment planétaire, une petite pierre qui n'a jamais été cométaire.

Brigitte Sergent. — Comment calcule-t-on son âge ?

John Tyllman. — Il s'agit de l'âge d'exposition au rayonnement cosmique que l'on sait mesurer. Dans l'espace, les météorites sont irradiées par les flux de protons du rayonnement cosmique à la fois solaire et galactique. Le début de l'irradiation commence à l'instant où la météorite est expulsée de son corps parent et subit à son tour des radiations. 25 000 ans d'irradiation est un âge extraordinairement court pour une météorite. C'est quasiment un éclair à l'échelle astronomique. C'est un âge que l'on peut qualifier de contemporain. Ainsi la météorite de Farmington est un résidu de la fragmentation récente de HEPHAISTOS. Bien sûr, il y en aura beaucoup d'autres. C'est la preuve que certains petits fragments plus solides atteignent la surface terrestre. Par contre, Ogdy, le météore sibérien de 1908, n'a pas touché le sol et a explosé dans l'atmosphère vers 6,5 kilomètres d'altitude. Mais on a trouvé des particules dans les arbres de la Toungouska. La résine s'est révélée extraordinairement riche.

Brigitte Sergent. — Connaît-on des familles de météores associées à HEPHAISTOS ?

Jean Delporte. — On en connaît déjà cinq, mais il y en a d'autres. On connaît surtout le Complexe des Taurides dont notre ami John est un spécialiste.

John Tyllman. — Oui. Sans entrer dans le détail, disons que les fragments de HEPHAISTOS s'éloignent les uns des autres depuis la fracture initiale qui peut remonter à 100 000 ans ou plus. La période autour de –27000 est celle des premiers impacts avec la Terre, mais cette période est bien sûr très postérieure à celle où le Centaure primitif s'est désintégré. Le Complexe des Taurides est un événement très récent lié à une désintégration partielle de la comète Encke, ou plus exactement à l'émiettement de certaines parties périphériques particulièrement fragiles.

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