CHAPITRE 4

IMPACTISME ET CATASTROPHISME AUJOURD'HUI

 

Découvertes importantes durant la traversée du désert

La montée de l'uniformitarisme a entraîné le déclin des idées catastrophistes et débouché pour celles-ci sur une traversée du désert de plus d'un siècle. Cela ne veut pas dire pour autant que quelques chercheurs isolés, marginalisés souvent, n'aient pas tenté d'attirer l'attention sur certaines données d'observation inhabituelles et même suspectes à l'occasion de leurs travaux, montrant parfois des discontinuités imprévues dans l'histoire de la nature.

L'importance des glaciations

Parmi ces chercheurs en marge, le naturaliste suisse Louis Agassiz (1807-1873), catalogué souvent comme "catastrophiste et fixiste attardé", mit le premier en évidence l'importance des glaciations qui se sont succédé au cours de l'ère quaternaire, notamment la dernière, obligatoirement récente, qui a laissé en de nombreux endroits des traces indélébiles. Il en fit la cause principale du catastrophisme qu'il défendait contre vents et marées.

Beaucoup plus tard, les scientifiques comprirent bien que la déglaciation qui avait suivi avait eu des répercussions extraordinaires, à la fois pour la Terre, mais aussi pour l'humanité, en l'obligeant à abandonner les rivages océaniques qu'elle occupait d'une manière préférentielle, pour refluer vers l'intérieur des terres, au fur et à mesure que le niveau des eaux montait, parfois au rythme d'un quart de mètre par génération. Cette déglaciation fut de loin l'événement le plus important que la Terre ait subi depuis 20 000 ans, notamment au niveau de la géographie, sans cesse réactualisée durant cette période avec l'envahissement progressif des talus continentaux, même si d'autres cataclysmes, terrestres ou d'origine cosmique, eurent également des conséquences très importantes.

La découverte d'Eros

Une autre découverte essentielle de cette période intermédiaire fut celle d'Eros en 1898 par Gustav Witt (1866-1946). Essentielle pourquoi ? Il faut savoir que durant tout le XIXe siècle, plus de 400 astéroïdes furent découverts, d'abord visuellement et photographiquement ensuite à partir de 1891. Tous circulaient entre Mars et Jupiter avec des demi-grands axes s'étalant entre 2,15 et 4,30 UA, avec des excentricités faibles ou moyennes, mais jamais fortes, ce qui excluait toute forte approche à Mars et à Jupiter et, a fortiori, aux autres planètes plus éloignées.

Or Eros, c'était tout autre chose, et cette découverte totalement inattendue fut donc une grosse surprise pour les astronomes de l'époque. Pour la première fois, on se trouvait en présence d'un astéroïde ayant une distance moyenne (a = 1,458 UA) plus faible que celle de Mars (a = 1,524 UA) et une distance périhélique (q = 1,133 UA) tout à fait imprévue et exceptionnelle (figure). Les calculs montrèrent, en outre, qu'Eros pouvait s'approcher à 0,15 UA seulement de la Terre, soit 22 MK, ce qu'il avait fait en janvier 1894, quatre ans avant sa découverte.

L'existence de petits astéroïdes pouvant s'approcher fortement de la Terre était une chose impensable pour toutes les générations antérieures d'astronomes. Aucun n'en avait jamais fait état comme d'une possibilité sérieuse. Pour eux, seules quelques rarissimes comètes étaient en mesure de venir frôler notre planète. C'est ce qui explique en grande partie que l'impactisme terrestre n'ait jamais eu beaucoup de succès dans les milieux scientifiques au XIXe siècle et avant puisque, d'après les astronomes eux-mêmes, il n'existait pas de corps célestes, hormis les comètes, capables de heurter les planètes. Il faut se rappeler que jusqu'au début du XIXe siècle, la communauté scientifique refusait d'admettre la réalité des chutes de météorites sur la Terre. On comprend mieux ainsi l’importance de la découverte d'un objet comme Eros, qui est un jalon aussi capital que l'approche de D/Lexell en 1770 dans l'histoire de l'impactisme terrestre.

Les comètes usées deviennent des astéroïdes

Autre découverte importante de cette période de transition, celle d'Hidalgo en 1920 par Walter Baade (1893-1960). En effet, cet objet fut le premier astéroïde d'origine cométaire repéré sur une orbite extérieure en moyenne (a = 5,77 UA) à celle de Jupiter, avec une très forte excentricité (e = 0,66) et aussi une très forte inclinaison (i = 42,5°). Hidalgo est toujours apparu aux astronomes d'une manière ponctuelle, c'est-à-dire comme un astéroïde classique, et logiquement catalogué comme tel, mais ils n'ont jamais été dupes et ont compris rapidement qu'il s'agissait d'une ancienne comète dégazée débarrassée de tous ses éléments volatils, en fait d'une comète morte. Avec Hidalgo, il était donc prouvé que si toutes les comètes évoluent (ce qu'on savait déjà), certaines d'entre elles deviennent des astéroïdes à la fin de leur vie active.

Les EGA, la preuve astronomique de l'impactisme

La découverte d'Eros ne pouvait rester isolée. Il fallut cependant attendre les années 1930 pour enregistrer une moisson de découvertes qui allait provoquer le déclic indispensable dans l'esprit de certains scientifiques et faire ainsi évoluer (très lentement) les mentalités.

En 1932, deux astéroïdes remarquables furent découverts coup sur coup. Le 12 mars, Amor fut photographié à Uccle, en Belgique, par Eugène Delporte (1882-1955). Généralement considéré les premiers jours comme une comète ponctuelle, il passa à 0,108 UA de la Terre (16,2 MK) le 22 mars 1932, détrônant l'approche record d'Eros en 1894 (0,153 UA le 20 janvier).

L'étude soigneuse des clichés indiqua clairement cependant que l'on se trouvait en présence d'un astéroïde et non d'une comète. C'est le même cas que celui qui s'était déjà produit en 1920 avec Hidalgo. Une comète, pour être cataloguée comme telle, doit être dans tous les cas un astre actif, ce qui n'était pas le cas d'Amor, ni aucun des NEA découverts par la suite, même si certains objets astéroïdaux sont incontestablement d'origine cométaire, ou même parfois des comètes provisoirement en sommeil et susceptibles de se réveiller dans l'avenir.

Quelques semaines plus tard, un nouveau NEA exceptionnel, baptisé par la suite Apollo, était photographié le 24 avril à Heidelberg par Karl Reinmuth (1892-1979). Les calculs indiquèrent une approche à la Terre avec 0,075 UA (11,2 MK) le 15 mai 1932, inférieure à celle d'Amor. Pour la première fois, un astre autre qu'une comète s'approchait à moins de 0,100 UA de la Terre et pénétrait à l'intérieur de l'orbite terrestre, et même de celle de Vénus, grâce à des éléments orbitaux étonnants (a = 1,47 UA ; e = 0,56 et q = 0,65 UA). Apollo fut donc à la fois le premier EGA (au sens strict, c'est-à-dire avec Dm < 0,100 UA), le premier Earth-crosser et le premier Vénus-crosser. Il donna son nom aux astéroïdes qui pénètrent à l'intérieur de l'orbite terrestre : le type Apollo (figure).

L'impactisme planétaire prenait un nouveau départ avec cette constatation : Apollo frôle les orbites de trois planètes (celles de Vénus à 0,002 et 0,06 UA, de la Terre à 0,02 et 0,03 UA et de Mars à 0,05 UA). L'existence d'objets naturels pouvant heurter les diverses planètes était prouvée.

En 1936, le record d'Apollo était largement battu par Adonis, un petit EGA découvert par Delporte. Ce nouveau venu frôla la Terre à 0,015 UA (2,2 MK) le 7 février 1936. Cette annonce par les astronomes fit sensation à l'époque, confirmant la probabilité d'impacts cosmiques sur les quatre planètes intérieures, car Adonis peut également frôler trois planètes (Vénus à 0,01 et 0,02 UA, la Terre à 0,01 et 0,02 UA également et Mars à 0,01 et 0,04 UA).

L'année suivante allait être celle de la découverte d'un des plus remarquables EGA connus à ce jour : Hermes, repéré le 28 octobre 1937 par Reinmuth. Cet objet passa à 0,005 UA (0,75 MK) de notre planète le 30 octobre. Il était si rapide dans le ciel (5° à l'heure à l'instant du rapprochement maximal) que les astronomes ne purent le suivre. Les calculs indiquèrent que son orbite s'approche en fait à 0,002 UA (330 000 km), soit à une distance inférieure à celle de la Lune. Hermes a également une seconde approche très serrée à son autre nœud (0,003 UA).

Ainsi, à la fin des années 1930, le paysage avait radicalement changé dans le domaine des astéroïdes. Loin de circuler tous dans l'anneau principal (2,08-3,58 UA), certains objets avaient des orbites beaucoup plus petites (et donc des périodes de révolution plus courtes) et pouvaient donc avoir des approches serrées aux planètes intérieures. Aujourd'hui banale, cette révélation était révolutionnaire. Et pourtant, hormis les astronomes, la grande majorité des scientifiques des autres disciplines n'en saisirent pas immédiatement la portée.

Les astroblèmes, la preuve terrestre de l'impactisme

La preuve terrestre de l'impactisme fut apportée au début des années 1950 par la découverte des premiers astroblèmes. Des reconnaissances aériennes permirent de repérer sur le territoire américain (États-Unis et Canada) des structures de taille kilométrique, et même décakilométrique, invisibles du sol. Des études complémentaires effectuées sur le terrain confirmèrent la réalité de ces structures d'origine cosmique, puisque formées à la suite d'impacts d'astéroïdes.

Bientôt la mise au point de techniques multidisciplinaires de recherche, basées surtout sur le métamorphisme de choc, permit d'élargir l'éventail des découvertes qui purent se faire un peu partout, mais en nombre quand même assez restreint. Cela est dû au fait que les formations terrestres, contrairement à celles de la Lune, sont éphémères et sont littéralement gommées de la surface terrestre, principalement par l'érosion, mais aussi par le jeu naturel de la tectonique des plaques qui restructure continuellement la croûte terrestre (continents et fonds des océans).

En un demi-siècle, plus de 150 astroblèmes ont été recensés, mais la moisson est bien loin d'être close. Car, aujourd'hui, on est en mesure de découvrir des astroblèmes invisibles, même s'ils sont relativement récents à l'échelle astronomique. Dans les années 1990, on a ainsi découvert le fameux astroblème de Chicxulub, d'un diamètre de 180 km et vieux de 65 MA, mais aussi celui de Chesapeake Bay, d'un diamètre de 90 km et vieux de seulement 35 MA. Tous deux sont en corrélation certaine avec la fin de deux périodes géologiques particulièrement importantes, respectivement la fin du Crétacé et la fin de l'Éocène.

Certains astroblèmes géants, repérés par les astronautes lors de diverses missions autour de la Terre, mais aussi par des satellites spécialisés dans l'observation de notre planète depuis les années 1960, restent pour le moment incertains, mais il est sûr que le XXIe siècle permettra d'en authentifier quelques-uns de plusieurs centaines de kilomètres de diamètre.

Découverte de l'impactisme invisible

L'origine de la radioastronomie remonte à 1931, avec la révélation extraordinaire de l'existence d'ondes venant de l'espace, mais elle ne fut vraiment opérationnelle qu'à partir du début des années 1950, avec le grand redémarrage de la recherche scientifique et surtout avec la mise en place des radiotélescopes, capables de scruter l'espace avec une précision inconnue auparavant.

A partir de cette époque, ce fut une cascade de découvertes, mais surtout la mise en évidence fondamentale que l'Univers est violent. Tout est violence dans l'Univers, à n'importe quelle échelle de temps ou de lieu, et les radioastronomes eurent vite fait de comprendre, comme nous l'avons signalé dans l'introduction : le cataclysme est la règle dans l'Univers, partout, toujours.

Cette réalité, tout à fait fondamentale car elle conditionne à la fois notre passé et notre avenir, doit être martelée afin d'être progressivement acceptée par le grand public comme une vérité incontournable. On sait malheureusement que celui-ci ignore souvent tout de l'astronomie, et plus largement de l'Univers dans lequel il vit, dans lequel il est partie prenante au même titre que tous les autres objets qui le compose : il est poussières d'étoiles.

Une révolution scientifique : l'iridium et les dinosaures

L'histoire de l'iridium et des dinosaures est bien connue du public, car elle a bénéficié d'une médiatisation sans précédent durant les années 1980. Elle est exemplaire dans la mesure où elle a bénéficié d'une recherche multidisciplinaire unique, sujette à de très nombreuses controverses, vu l'importance des conséquences scientifiques, mais aussi épistémologiques qui étaient en jeu, ce qui a permis d'obtenir des preuves irréfutables et donc définitives de l'impactisme et du catastrophisme dans toutes les sciences concernées.

Nous consacrons un chapitre spécial (le chapitre 12), dans la partie « Preuves », à la mort des dinosaures et à celle d'une multitude d'autres espèces qui n'ont pas franchi la fameuse frontière géologique Crétacé-Tertiaire (notée K/T). Le responsable est connu : un corps céleste (astéroïde ou comète) d'un diamètre de 10 km environ, la preuve l'est aussi : l'astroblème de Chicxulub au Mexique. Aujourd'hui la cause astronomique de la fin de l'ère secondaire n'est plus seulement une hypothèse plausible, comme elle l'était déjà durant les années 1970, mais bien une démonstration de la réalité de l'impactisme terrestre, avec les conséquences biologiques qui en découlent.

Les météorites de l'armée américaine et l'ennemi extérieur

En 1993, les militaires américains créèrent une vive surprise en annonçant à la presse que la Terre était continuellement heurtée par des corps célestes d'une dizaine de mètres qui explosent dans l'atmosphère sans laisser de traces (figure).

Pour bien comprendre la raison et l'importance de ces révélations, impensables dix ans plus tôt, il faut savoir que toutes les observations militaires étaient "top secret" et ne sortaient jamais des bureaux d'études de l'armée. Cette manie du secret fut levée avec la fin de la guerre froide, et surtout à la suite d'un changement radical de la stratégie des militaires américains, à la recherche d'un nouvel ennemi crédible pour justifier un budget disproportionné avec la menace réelle que constituaient leurs divers ennemis potentiels au début des années 1990.

Les militaires américains trouvèrent rapidement le nouvel ennemi providentiel sous la forme de l'ennemi extérieur. La découverte de nombreux astéroïdes pouvant frôler la Terre à partir de 1989 fut une véritable révélation pour les stratèges militaires américains qui devinrent (pragmatisme oblige !) le sponsor n° 1 de la recherche de tels objets, non sans arrière-pensées, on s'en doute.

C'est ainsi qu'ils lancèrent, en partenariat avec la NASA caution scientifique, le programme NEAT en 1994, destiné à compléter le programme purement scientifique du même type mené depuis 1989 à Kitt Peak avec le télescope automatique Spacewatch. En 1996, c’est l’US Air Force qui lança indépendamment son programme de recherche LINEAR, à Socorro au Nouveau-Mexique, qui connaît depuis un succès extraordinaire avec plus de 150 NEA nouveaux repérés en 1998 et 1999.

C'est donc dans ce contexte de restructuration idéologique que l'annonce de la menace céleste fut faite à une presse incrédule. Quelles furent les révélations de l'armée américaine ? En gros, celles-ci : entre 1975 et 1992, ses satellites d'observation (satellites espions pour parler clair) avaient enregistré pas moins de 136 explosions de grosses météorites dans la haute atmosphère terrestre, libérant chacune une énergie comparable à celle des bombes atomiques terrestres. C'était une révélation dans la mesure où les astronomes eux-mêmes n'avaient jamais enregistré ces soi-disant explosions. On voit comment une simple retombée de l'espionnage militaire montrait l'incapacité des scientifiques à enregistrer une multitude d'impacts, dont certains à moyen terme pourraient s'avérer dangereux pour la Terre elle-même.

Par cette annonce spectaculaire et savamment programmée, puisque destinée à se donner un petit vernis scientifique, l'armée américaine se présentait comme un partenaire incontournable. Partenaire qui a rapidement délimité son propre champ d'action : la destruction de tous les objets menaçants venant de l'espace, avec le corollaire à peine caché : la fabrication des armes (nucléaires) capables de les éliminer ou de les détourner sur une orbite sans danger. C'est ainsi que l'armée américaine s'est auto-proclamée défenseur universel de la planète (figure), en sachant qu'on sera bien content de la trouver, dans un avenir pas très lointain, pour faire ce travail de destruction devenu indispensable.

Les scientifiques ont repris les donnés des militaires pour les analyser. En fait, il s'avère que la grande majorité de ces impacts atmosphériques passent complètement inaperçus du sol. Un tel impact ne dure que quelques secondes, et il a lieu souvent au-dessus d'un océan ou d'un lieu désert. Les relevés des militaires ont permis de faire des statistiques précises. Chaque année, donc, furent enregistrées en moyenne huit météorites dont la puissance était supérieure à 500 tonnes de TNT, pouvant aller jusqu'à 15 000 tonnes (30 fois plus).

Ces statistiques concernent les impacts atmosphériques observés, car les militaires l'ont avoué (étonnamment), la cadence du balayage des satellites était telle, qu'en fait, compte tenu de la brièveté du phénomène, seulement un impact terrestre sur dix a été enregistré. Et en prime on a su que sur les 136 explosions enregistrées dans le domaine infrarouge, seules trois ont pu être enregistrées par le capteur en lumière visible.

Parmi les 136 explosions recensées entre 1975 et 1992, trois ont été particulièrement importantes. Une le 15 avril 1988 au-dessus de l'Indonésie (la seule des 136 qui ait été observée sous la forme d'un bolide aussi brillant que le Soleil pendant une seconde), une autre le 1er octobre 1990 dans l'ouest du Pacifique, et enfin une troisième le 4 octobre 1991 dans l'Atlantique nord. Ces trois explosions concernaient des objets d'une dizaine de mètres de diamètre moyen. L'armée américaine a aussi révélé qu'un astéroïde d'une vingtaine de mètres aurait explosé dans la haute atmosphère le 3 août 1963 entre l'Afrique du Sud et l'Antarctique, mais cette information était, elle aussi, restée secrète jusqu'à ce qu'elle soit, comme toutes les autres, déclassée.

L'armée américaine s'est auto-proclamée, nous l'avons dit, responsable de la sécurité terrestre. On devine aisément la suite. Les Chinois et les Russes, avec un minimum de retard quand même, se sont trouvé particulièrement intéressés par l'ennemi extérieur. Les Chinois ont mis en route un important programme de détection d'astéroïdes proches et de comètes à la station de Xinglong, et préparent eux aussi le matériel (militaire) pour détruire un éventuel objet menaçant. Les Russes ne veulent pas être en reste et recyclent déjà leurs armes pour les pointer éventuellement vers le ciel. L'ennemi extérieur aura été pour tous les militaires des grands pays une véritable aubaine...

En résumé, cet épisode des météorites américaines aura été fort utile quand même pour prouver définitivement que, quasiment chaque semaine, un objet cosmique de dix mètres de diamètre rentre dans l'atmosphère terrestre, fréquence totalement insoupçonnée avant l'existence de satellites espions spécialisés.

L'impactisme microscopique est permanent, quotidien. En principe, il n'a aucune conséquence. En principe seulement, car, comme nous le verrons au chapitre 16, certains astronomes croient que la poussière cosmique pourrait être un vecteur privilégié de la panspermie microbienne.

SL9 : la preuve en direct de l'impactisme planétaire

A peine éteinte la longue polémique concernant l'extinction massive de la fin de l'ère secondaire, qui fut le premier grand problème scientifique traité d'une manière résolument multidisciplinaire, les astronomes ont eu une chance unique : l'observation en direct de l'impact d'une comète (ou plus exactement de ses fragments), la célébrissime P/Shoemaker-Levy 9, SL9 en abrégé, sur Jupiter en juillet 1994. Nous traitons en détail ce sujet important au chapitre suivant consacré à l'universalité de l'impactisme, mais nous devons en dire quelques mots dans ce chapitre, car cet événement eut une importance considérable pour l'évolution des idées et pour la promotion de l'impactisme.

Nous proposons donc au lecteur quelques extraits d'un article sur le sujet, écrit trois mois avant l'impact, qui résume bien ce danger potentiel, fréquent à l'échelle astronomique.

« L'IMPACTISME PLANÉTAIRE : LA PREUVE EN DIRECT AVEC SL9

L'impact de la vingtaine de fragments de la comète P/Shoemaker-Levy 9 (en abrégé SL9) sur Jupiter entre le 16 et le 22 juillet 1994 est un événement exceptionnel et d'une importance considérable. C'est la preuve en direct de la réalité actuelle de l'impactisme planétaire. Cet impactisme si longtemps contesté et décrié, mais qui conditionne, qui a toujours conditionné depuis plus de 4 milliards d'années, l'évolution des planètes du Système solaire, et en particulier celle de la Terre, avec les incidences (les conséquences souvent) biologiques que cela implique dans certains cas.

Cette collision des fragments de SL9 dépasse de surcroît tout scénario crédible qu'un auteur de science-fiction actuel aurait pu imaginer : 20 mini-comètes au minimum, avec des diamètres s'échelonnant entre quelques centaines de mètres et 4 km pour le fragment majeur, vont heurter une seule planète en une semaine...

SL9 est en orbite autour de Jupiter depuis sa capture (en non plus en orbite autour du Soleil) et sa vitesse d'impact est très importante (60 km/s), le triple de celle que l'on retient en général comme moyenne pour les impacts terrestres. On sait qu'une vitesse triple entraîne une énergie cinétique multipliée par 9. L'énergie totale libérée par cette vingtaine d'impacts sera très importante à l'échelle terrestre, mais relativement modeste à l'échelle de Jupiter. Comme la planète géante n'a pas de surface solide accessible, seuls des effets atmosphériques seront enregistrés et ils ne seront que de courte durée (quelques semaines sans doute).

On ignore la densité exacte des fragments de SL9, mais les chiffres actuellement retenus (de 0,3 à 0,5 g/cm3) pourraient être en deçà de la réalité. Si l'on retient pour le fragment majeur les valeurs suivantes : diamètre = 4,0 km, densité = 0,5 et vitesse d'impact = 60 km/s, on obtient une énergie cinétique de 3,0222 joules, soit environ 7 millions de MT de TNT. Pour la dizaine de fragments voisins de 1,0 km de diamètre moyen, on obtient pour chacun une énergie cinétique de 4,7120 joules, soit 110 000 MT de TNT. Pour les petits fragments de 500 mètres, l'énergie tombe à 5,8919 joules (14 000 MT) l'unité.

Tous ces chiffres parlent d'eux-mêmes : un tel impact multiple sur la Terre eût entraîné la fin de notre monde, ou tout au moins celle de notre civilisation. Car il ne faut pas se le cacher : un tel bombardement cosmique sur la Terre, à l'époque actuelle, serait imparable. Un seul objet menaçant détecté à l'avance, même volumineux (comme SL9 avant sa fragmentation) pourrait probablement être détruit ou dévié, mais 20 fragments arrivant en même temps (comme ceux de SL9 après sa fragmentation) n'auraient jamais pu être interceptés dans leur totalité.

La collision de SL9 sur Jupiter est une chance unique pour les astronomes qui vont l'étudier en grand détail. Sur Terre, c'eût été l'Apocalypse ! On comprendra mieux après coup l'intérêt extrême de cet événement inattendu pour la compréhension de notre vraie place dans l'univers cataclysmique dans lequel nous vivons : une place tout à fait insignifiante et provisoire, qui peut être remise en question sur un coup unique du destin (pas par la volonté d'une divinité quelle qu'elle soit !). Cet impact en direct éclaire ce qui s'est passé maintes et maintes fois au fil du temps astronomique sur chacune des planètes. Il explique (s'il en était encore besoin) de façon lumineuse les morts en masse quasiment instantanées que des générations de catastrophistes terrestres ont mis progressivement en évidence et cela malgré un environnement intellectuel souvent hostile. Quelle leçon ! » 1

L'école britannique néo-catastrophiste

Cette école de scientifiques britanniques (connue sous le nom de British Neo-Catastrophist School), regroupe surtout des astronomes partisans de la théorie du « catastrophisme cohérent » (coherent catastrophism en anglais), c'est-à-dire qui veut prendre en compte tous les phénomènes se rattachant au catastrophisme, en particulier les événements historiques laissés de côté par les scientifiques qui veulent tout ignorer des mythes et de l'histoire ancienne.

L'approche nouvelle et pragmatique des chercheurs britanniques constitue un progrès énorme pour la recherche de la vérité, même si celle-ci est dure à mettre en évidence. Rappelons-nous la phrase de Sénèque : « Ne nous étonnons pas que l'on amène si lentement à la lumière ce qui est caché si profondément ». Sous l'impulsion de Victor Clube et Bill Napier, qui ont publié deux livres essentiels sur le sujet : The cosmic serpent en 1982 et The cosmic winter en 1990, de nombreux éléments de recherche ont été mis en œuvre, notamment les causes astronomiques des événements qui ont eu lieu au cours des 12 000 dernières années, et qui ont été perpétués, de génération en génération, sous forme de légendes un peu ésotériques dans les mythologies des peuples du monde entier.

Cette approche est vigoureusement combattue par les chercheurs traditionalistes, et par les mandarins de l'impactisme qui défendent leurs acquis, difficilement gagnés en vingt ans d'un travail remarquable, et qui voient d'un mauvais œil des confrères, qu'ils traitent d'ailleurs de pseudo-scientifiques, voulant aller plus loin, au risque de les ringardiser à court terme.

Surtout que certains des néo-catastrophistes, souvent des spécialistes des NEO et qui savent donc bien que l'ancienne échelle des fréquences d'impact est obsolète (les météorites de l'armée américaine l'ont encore démontré), ne s'embarrassent pas de préjugés et sont prêts à réexaminer des tabous scientifiques, comme le site de Stonehenge et l'ancienneté du Sphinx. C'est pourtant en allant au maximum des possibilités d'investigation que sortira la vérité, même si certaines allégations un peu osées ne sont pas confirmées dans l'avenir.

Il faut donc saluer comme il se doit l'approche résolument moderne des chercheurs de l'école britannique. Ils essaient de faire sauter le dernier verrou psychologique qui entrave encore la connaissance de notre histoire cosmique. Dès que ce verrou psychologique aura sauté, et il sautera par la force des choses et probablement grâce à eux, les progrès devraient suivre très vite.

Un danger qui se précise : un bilan de fin de siècle

Nous allons faire un point rapide des connaissances actuelles sur l’impactisme, réservant le détail des informations à connaître pour les parties « Causes », «  Preuves » et «  Conséquences ».

Les Américains ont fait une étude quasi exhaustive du problème. Un résumé succinct est paru en 1994 dans un très intéressant petit livre : «  The threat of large Earth-orbit crossing asteroids » (figure), comme conclusion des travaux d’une commission d’enquête diligentée par le Congrès américain et destinée à cerner l’essentiel du danger causé par les astéroïdes et les comètes qui s’approchent près de la Terre (les fameux NEO) et les moyens à mettre en œuvre pour y remédier.

En dix ans, il y a eu un revirement spectaculaire des mentalités au niveau des élites, à la fois sur un plan strictement scientifique (ce qui était la moindre des choses), mais aussi politique (et militaire) comme nous l’avons expliqué plus haut. Mais le commun des mortels, lui, n'est que très peu préoccupé par ce genre de problème de menace cosmique à long terme (figure) et a même tendance à rouspéter sur l'importance des (maigres) crédits attribués à de telles recherches.

L’utilité du réseau international Spaceguard

D’abord, la commission d’enquête a définitivement admis l’utilité du réseau Spaceguard, envisagé par les scientifiques dès le milieu des années 1980. Ce réseau a pris progressivement une forme plus élaborée, plus officielle, plus internationale, notamment sous l’impulsion de l’Union Astronomique Internationale (UAI) et du Congrès des États-Unis. Et en 1996, il a été mis en place, sur un plan international, une « Fondation Spaceguard » sous la responsabilité du spécialiste italien Andrea Carusi, dont la mission est de coordonner les recherches et les différents travaux concernant ce domaine devenu sensible.

L’Europe politique a suivi et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a publié une résolution n° 1080 du 20 mars 1996 sur le sujet. Citons-en quelques extraits :

« Étant donné que l’explosion à proximité de la Terre d’un objet ayant un diamètre d’à peine 60 mètres peut avoir l’effet d’une bombe nucléaire de 10 mégatonnes, toute collision avec un objet de taille supérieure aurait des conséquences catastrophiques à l’échelle de la planète… Le volume considérable d’informations qu’on a rassemblé ces dernières années sur les collisions d’astéroïdes et de comètes indique que celles-ci peuvent provoquer des catastrophes écologiques à grande échelle et à long terme, entraînant parfois la disparition totale d’espèces. Ces collisions constituent donc une grave menace pour nos civilisations… L’Assemblée incite les gouvernements des États membres, ceux qui bénéficient d’un statut d’observateur, et l’Agence spatiale européenne, à favoriser la mise en place et le développement de cette fondation de veille spatiale, et à apporter tout le soutien nécessaire à un programme international qui permette : de dresser un inventaire des objets proches de la Terre aussi complet que possible… et de contribuer à l’élaboration d’une stratégie mondiale à long terme de réaction en cas de possibilité de collision. » 2

Ce revirement est vraiment significatif d’une prise de conscience d’un danger qui paraît plus proche depuis la multiplication des découvertes de petits NEA par les télescopes automatiques. Les programmes militaro/scientifiques américains ont clairement montré que le Système solaire est un véritable billard cosmique et que la Terre, comme les autres planètes et satellites, est à la merci d’une collision, même s’il ne s’agit que d’une pichenette à l’échelle terrestre.

La hiérarchie des impacts

Les impacts des astéroïdes et des comètes sur la Terre ont été divisés en cinq grandes catégories, selon le diamètre de l’objet et l’énergie dégagée. Il est bien évident qu’il n’y a pas grand-chose de commun entre un astéroïde de 10 mètres qui peut être efficient au niveau local et un autre de taille kilométrique qui peut avoir des conséquences au niveau mondial, notamment à travers les effets pervers d’un hiver d’impact, catastrophique pour les conditions mêmes de la vie sur Terre.

En 1998, l’astronome américain Richard Binzel a proposé une classification des impacts, en deux parties, l’une concernant cinq catégories d’impacteurs avec les dangers potentiels, l’autre l’indice de danger avec six niveaux (tableau 4-1). En 1999, l’Union Astronomique Internationale (UAI) a adopté une nouvelle échelle, proposée elle aussi par Binzel : The Torino Impact Hazard Scale (en abrégé The Torino Scale ou l’Échelle de Torino), principalement dans un but de communication vers les médias et le public, pour lequel on a ajouté de la couleur (5 zones de blanc à rouge et 11 nombres de 0 à 10). La zone rouge, c’est l’impact !

Le tableau 4-2, lui, permet de connaître les équivalences entre les différentes unités d’énergie. On voit clairement que les gros impacts dégagent une énergie largement supérieure à celle des grands cataclysmes terrestres. Un point important à signaler est que l’énergie cinétique d’un EGA de 600 mètres de diamètre moyen n’est pas supérieure à celle des très grands cataclysmes terrestres. Tous les impacts d’EGA de cette taille, et les plus petits, qui sont de loin les plus nombreux, sont donc des événements très secondaires.

Le nombre d’objets existants : une inquiétante inflation

L’extraordinaire augmentation du nombre de NEA découverts depuis le début des années 1980 a obligé les spécialistes à revoir sérieusement à la hausse leurs statistiques sur le nombre d’objets existants et donc à recenser. Même si chaque chercheur a sa propre méthode de calcul et ses propres chiffres, il n’empêche que des ordres de grandeur se dessinent.

Les chiffres sont impressionnants et les spécialistes vont avoir du pain sur la planche. Les experts de la NASA tablent sur les chiffres suivants pour la population de géocroiseurs (c’est-à-dire uniquement les astéroïdes qui pénètrent à l’intérieur de l’orbite terrestre) : objets de 2 km = 400 ; de 1 km = 2100 ; de 500 m = 9200 ; de 100 m = 320 000 et de 10 m = 150 millions (figure). Pour les comètes avec q < 1,000 UA, ils retiennent les chiffres suivants : objets > 1 km = 30 ± 10 ; de > 500 m = 125 ± 30 et de > 100 m = 3000 ± 400. Les comètes actives ne représentent donc qu’une petite partie du total des NEO d’après les statistiques, mais il faut bien savoir que de nombreux NEA sont d’origine cométaire.

Le nombre d’objets minuscules est impressionnant : 150 millions auraient un diamètre de l’ordre de 10 mètres, ce qui est tout à fait considérable. Heureusement que, sauf exception, ils n’atteignent pas le sol. Ceux de 100 mètres restent extraordinairement nombreux : 320 000. En 1982, dans La Terre bombardée, nous donnions le chiffre de 30 000 (dix fois moins) comme nombre total d’objets de plus de 100 mètres franchissant l’orbite terrestre.

Les responsables du réseau Spaceguard se donnent un quart de siècle pour découvrir 95 % des objets de 500 mètres et plus, sachant qu’obligatoirement certains passeront à travers les mailles de leurs filets. Mais bien que les découvertes s’accélèrent, on est encore pour le moment très loin du compte. Dès le début des années 1990, les spécialistes tablaient sur 100 nouveaux NEA chaque année. Cet objectif très optimiste n’a été dépassé qu’en 1998 grâce au programme LINEAR, mais les choses s’accélèrent et on pourrait atteindre rapidement le chiffre d’une découverte par jour en moyenne, soit plus de 350 à 400 nouveaux NEA par an.

Une chose est sûre : la liste des objets connus va devoir être mise à jour en permanence. Mais il faut bien savoir que le bilan ne sera jamais définitif, d’autant plus qu’il faut tabler sur un renouvellement constant comme nous le verrons aux chapitres 6 et 7.

Le cataclysme, force de destruction et force de création

Comme conclusion de cette première partie consacrée à l'évolution des idées sur l'impactisme et le catastrophisme, il est nécessaire de revenir sur la découverte peut-être la plus difficile à faire admettre, sinon à la communauté scientifique, tout au moins à l'homme de la rue qui ignore tout de l'astronomie, de la géologie et de la paléontologie : le cataclysme est une force de création.

Tout le monde admet sans difficulté que le cataclysme est une force de destruction. Chaque année, sur la Terre, des cataclysmes comme des éruptions volcaniques, des tremblements de terre, des inondations dévastatrices et bon nombre d'autres catastrophes sont responsables de nombreuses pertes humaines et causent la ruine de milliers de personnes.

Faire admettre, par contre, que le cataclysme est aussi une force de création est une tout autre histoire, et il a fallu attendre les années 1970 pour que ce concept révolutionnaire soit envisagé. A l'échelle humaine, c’est-à-dire à celle du siècle, il est incontestable que la force de destruction dépasse nettement la force de création.

Il faut un peu élargir le débat et se rendre compte que l'échelle humaine n'est que le temps d'un éclair si l'on se place déjà à celle du Système solaire et de ses 4,6 milliards d'années. L'évolution biologique a pu trouver à cette nouvelle échelle un espace de temps pour démarrer, s'installer, grandir, prospérer. Mais cette évolution a bénéficié de cataclysmes cosmiques très nombreux, qui en libérant des niches écologiques précédemment occupées par des espèces conquérantes, et peu disposées à partager le territoire disponible avec des espèces nouvelles, ont permis une explosion de la vie toujours orientée vers une complexité accrue. Les scientifiques savent bien que le passé explique le présent. Il faut donc prévoir le pire, car le pire est à venir.

Dès le prochain chapitre, nous verrons comment, à partir d'une matière inerte, le cataclysme, sous des formes diverses, a permis à l'Univers de prendre forme, d'évoluer et de se diversifier tout en s'enrichissant. Bien entendu, la vie a dû apparaître presque partout dans l'Univers, et celle que nous connaissons n'est probablement qu'une vie parmi d'autres. Les scientifiques de la fin du XXIe siècle en sauront beaucoup plus que nous à ce sujet. Et c'est tant mieux. Les connaissances acquises par l'homme durant un XXe siècle révolutionnaire sur le plan scientifique doivent lui faire comprendre qu'une grande modestie est de rigueur.

 

1. M.-A. Combes et J. Meeus, Chronique des objets AAA (n° 9), Observations et Travaux, 38, 1994, p. 3.

2. A.-C. Levasseur-Regourd et Ph. de La Cotardière, Les comètes et les astéroïdes (Seuil, 1997), p. 180.

Liens vers Page d'accueil  //  Table des matières //  Chapitre 5  //  ltb98