4. Le Déluge de Whiston


Estelle Dumont. — Nous allons revenir au Déluge. Ainsi John, d'après vous et vos amis, ce Déluge est lié à un impact cosmique ?

John Tyllman. — Oui. Les choses semblent claires. Un fragment de taille kilométrique est tombé dans le Pacifique autour de 2350 avant J.-C. Il venait du sud-est et se dirigeait vers le nord-ouest. Exactement comme Ogdy en 1908. On croit aujourd'hui que ce sont plusieurs fragments qui ont heurté la Terre.

Brigitte Sergent. — J'ai repotassé les légendes chinoises en vue de cette soirée. Je suppose que vous associez votre cataclysme à la légende de Kong-Kong ?

John Tyllman. — Bien sûr. C'est une de nos meilleures sources mythologiques. Les sources bibliques de l'Apocalypse sont plus récentes. Racontez-la à nos amis, car c'est plus votre rayon que le mien.

Brigitte Sergent. — Kong-Kong était un dragon qui un jour de colère heurta l'un des piliers du ciel et qui fit basculer la Terre vers le nord-ouest. L'eau de l'océan pénétra sur le continent créant ainsi le Déluge. Je suppose que vous avez d'autres données pour associer cette légende avec le Déluge.

John Tyllman. — Oui, évidemment. Ce qu'il faut savoir et ce que les simulations ont montré c'est qu'une collision cosmique avec une vitesse d'impact de l'ordre de 20 kilomètres par seconde entraîne une énergie extraordinaire. Vous savez tous ici que l'énergie cinétique d'une comète est égale au demi-produit de sa masse par le carré de sa vitesse d'impact. Cela fait à l'arrivée des milliards de milliards de joules. On sait qu'un astéroïde de 600 mètres seulement provoque un cataclysme ayant une énergie équivalente à celle de l'éruption du Tambora en 1815 et du séisme du Chili en 1960. Vous voyez le résultat, pour un objet cosmique de 1,5 kilomètre on est à la limite de l'hiver cosmique.
Cela n'a pas été le cas en 2350 avant J.-C. Mais il faut savoir qu'un impact maritime important fait bouillir la mer, en produisant ainsi une phénoménale quantité de vapeur d'eau. Celle-ci forme un écran opaque tout autour de la Terre qui peut durer plusieurs mois et entraîne des pluies torrentielles pendant des semaines. Le déluge se produit de trois côtés à la fois : de la mer, du ciel et des fleuves qui débordent tous. Vous arrivez avec ce scénario à l'histoire de Noé et au Déluge de Whiston.

Estelle Dumont. — Pascale, vous êtes historienne. Pour vous, cette histoire tient debout ?

Pascale Barbeau. — C'est la première fois que j'entends cette version astronomique du Déluge. Aucun texte ancien ne parle d'impact cosmique et les historiens ont horreur du cataclysme. Nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde.
Mais si j'ai bien compris, cette histoire d'HEPHAISTOS est récente et les historiens du passé n'avaient pas les données précises de nos amis astronomes. C'est sûr que des anciens comme Bailly et Laplace croyaient aux cataclysmes, sans remonter à Démocrite ou à Platon. C'est évident que dans l'Antiquité, il y avait des réminiscences de catastrophes en tout genre. Mais nous n'avons aucun texte précis, expliquant telle année il s'est produit tel phénomène d'origine cosmique, avec telles conséquences.

Brigitte Sergent. — C'est là que le mythe remplit les cases vides et qu'apparaissent des épopées comme le Ragnarök ou les guerres entre les dieux dans le ciel. Comme les textes historiques n'existent pas, les mythes pullulent, et il ne faut jamais oublier que le mythe écrase le temps. Plusieurs cataclysmes se retrouvent regroupés en un seul et deviennent ainsi totalement indéchiffrables.

Suzanne Dallot. — C'est vrai, mais depuis les années 1950 les choses ont un peu changé. Comme vous le savez, on a pu commencer à dater certaines catastrophes, grâce au carbone 14 dans un premier temps. On a ainsi pu dater vers –1500 le cataclysme du Santorin, qui est la clé de voûte du catastrophisme dans l'Antiquité. Il y a eu de vraies surprises, comme au Meteor Crater. D'après les légendes locales, l'impact ne remontait pas à plus de 2000 ans. En fait, les datations récentes montrent que le cratère date de 50 000 ans. Donc, les légendes ont été fabriquées de toutes pièces et ne sont pas basées sur des observations, comme on l'a longtemps cru. C'est pour cela que les scientifiques se méfient des légendes et ne leur apportent qu'un intérêt très limité.

Gilles Avizard. — Les chronologistes bibliques ont toujours cru au Déluge et ils l'ont même daté. Par contre, aucun théologien avant Whiston n'a jamais parlé de cataclysme cosmique puisque les historiens n'ont jamais eu de date précise à ce sujet. Un cataclysme en Chine ou ailleurs restait totalement inconnu en Europe ou au Moyen-Orient.

John Tyllman. — Votre problème vient de là à vous autres historiens et théologiens. Les témoins du cataclysme qui ont survécu n'ont pas laissé un résumé du drame qui les a touchés. Cela a toujours été vrai. Il faut savoir qu'un impact comme celui de la Toungouska en 1908 n'a pas eu de témoins en Europe, et sans les moyens modernes de communication, il serait resté totalement ignoré. Un cataclysme en Chine 2350 avant J.-C. ne pouvait que rester ignoré dans nos contrées. Les civilisations de l'époque qui ont survécu n'en parlent jamais. Les Égyptiens qui dominaient à l'époque n'ont peut-être pas su qu'un drame historique se déroulait au fin fond de l'Asie. La communication est le point fort de la connaissance aujourd'hui. Avec Internet, on sait tout, tout de suite.

Gilles Avizard. — C'est sûr. La communication moderne, c'est la seconde partie du XXe siècle. Parlez-nous de ces preuves dendrochronologiques. J'ai hâte de savoir.

John Tyllman. — Vous savez qu'on peut reconstituer les climats anciens en étudiant le cerne des vieux arbres conservés dans les tourbières. On a pu retrouver des vieux chênes en Irlande et au Canada qui datent de plus de 4000 ans . Une aubaine inespérée pour les spécialistes du climat et pour les paléoécologistes. Dans les deux cas, les chercheurs ont mis en évidence une très importante anomalie climatique centrée sur 2350 ans avant J.-C. qui aurait duré une dizaine d'années.
Cela signifie que l'impact dans le Pacifique se serait produit vers –2354 et ses conséquences auraient duré jusqu'en –2345. La vapeur d'eau a entraîné une très importante diminution de l'ensoleillement. C'est probablement la dernière période de « ténèbres » dont parlent une multitude de mythologies. Il y a eu ténèbres parce qu'il y a eu impact océanique et vapeur d'eau. Un impact continental n'a pas les mêmes effets atmosphériques et la poussière qui peut obscurcir le soleil ne dure jamais plus que quelques semaines. Elle peut quand même se faire sentir sur une année, comme en 1816, l'année qui a suivi l'explosion du Tambora. On sait que cette année a été la plus froide que l'on ait connue et le nombre d'heures de soleil le plus déficitaire de mémoire de météorologue.
On se rend compte avec ce Déluge biblique combien un impact océanique est plus dangereux pour les populations. Toutes les cités près des mers sont balayées par un tsunami, qui peut atteindre plusieurs centaines de mètres d'après les simulations, et une bonne partie des survivants meurent de faim ou sont noyés par les inondations.
On voit la chance inouïe que les Asiatiques ont eu avec Ogdy en 1908. Un impact dans le Pacifique faisait à coup sûr des millions de victimes. Bonne leçon à retenir, et qui est prise en compte d'ailleurs par les responsables du réseau Spaceguard qui coordonne les recherches sur les objets dangereux.

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