CHAPITRE PREMIER

LE CATASTROPHISME DANS L'ANTIQUITÉ


Le souvenir obsessionnel de grands cataclysmes

L'idée que la Terre a souvent été victime de catastrophes de grande ampleur, d'origine cosmique ou terrestre, n'est pas nouvelle, loin de là. C'était un point commun à toutes les mythologies des peuples anciens, aussi loin que l'on remonte dans le temps (quasiment depuis l'an 10000 avec la grande déglaciation, point de départ d'une transformation complète de la géographie côtière), même si le nombre et les causes de ces cataclysmes variaient d'une mythologie à l'autre. Des concepts comme le Chaos, le Déluge ou la chute du ciel faisaient partie de leur histoire et de leur imaginaire. J'étudierai en détail au chapitre 18 ces grands cataclysmes terrestres et au chapitre 19 les cataclysmes cosmiques que l'on a pu recenser.

Dans ce chapitre, j'étudie certains aspects historiques et mythologiques du problème. Ce sera l'occasion de retrouver quelques grands noms de l'Antiquité qui s'intéressaient au passé et à l'avenir de la Terre, désirant percer les secrets de l'un et de l'autre, et de rappeler aussi quelques textes représentatifs explicites, textes qui ont eu la chance de parvenir jusqu'à nous, contrairement à d'autres qui sont malheureusement perdus.

Il faut noter que la notion même de catastrophisme a évolué avec le temps, au fur et à mesure des observations et des découvertes des Anciens. Et il ne faut jamais oublier que jusqu'à Anaximandre (610-547), personne n'osa envisager sérieusement une Terre autrement que plate, et jusqu'à Aristarque de Samos (310-230) autrement que le centre du monde.

Très longtemps, de la préhistoire au Néolithique, le catastrophisme fut uniquement mythologique avant de devenir très progressivement astrologique et cyclique quand les Anciens comprirent que la Lune et les planètes, les astres errants, reprenaient indéfiniment les mêmes positions relatives dans le ciel. On se souvient que les Grecs, enthousiasmés par la découverte du cycle de Méton (v. 430 av. J.-C.), période qui ramène les nouvelles lunes le même jour tous les dix-neuf ans, firent graver cette découverte en caractères d'or (1).

Le catastrophisme mythologique : des dieux et des légendes

Je vais d'abord rappeler quelques légendes prises dans les mythologies du monde entier, pour bien montrer le caractère universel des bouleversements et catastrophes qui ont meurtri les Anciens. J'ai été obligé, bien sûr, de choisir parmi de nombreux textes (anciens, mais aussi modernes), et ceux-ci ne sont que des textes parmi d'autres.

Mythologie aztèque : les quatre soleils

Les anciens Aztèques racontaient que quatre mondes, ou quatre soleils, ont précédé le nôtre et qu'ils furent détruits par des cataclysmes de grande ampleur.

" Quatre fois le monde fut détruit. La première fois, le soleil s'éteignit et un froid mortel s'abattit sur la terre. Seul un couple humain put s'échapper et perpétuer l'espèce. La deuxième fois, un vent magique souffla de l'ouest, et tous les hommes, sauf deux encore, furent transformés en singes. La troisième fois, ce fut le feu qui accomplit l'œuvre de destruction. Les rayons d'un soleil gigantesque firent flamber la planète, tandis que les coups de foudre répondaient aux rugissements des volcans déchaînés. Il y eut deux rescapés, et l'homme ne mourut pas. Enfin vint le quatrième cataclysme, celui de l'eau. Le ciel tomba sur la terre et ce fut le déluge. Tout disparut sous les flots, étoiles, soleils et planètes. L'obscurité s'étendit sur l'abîme. Mais l'homme survivait toujours. " (2)

Les quatre destructions quasi totales du monde furent successivement le fait du froid, du vent, du feu et de l'eau. On retrouve ces quatre agents de destruction dans de nombreuses autres mythologies. Ces quatre âges du monde des Aztèques s'étalent en fait sur plusieurs milliers d'années. Ils sont équivalents à ceux des autres peuples d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud.

Mythologie chinoise : Kong-Kong, le dragon

En Chine, les textes anciens font allusion à de sérieux cataclysmes qui se seraient produits à l'époque des cinq empereurs semi-légendaires (Huangdi, Zhuan Xu, Diku, Yao et Shun) que l'on situe en général au IIIe millénaire avant J.-C. Je reparlerai au chapitre 19 de ces cataclysmes, car ils ont semble-t-il une origine cosmique.

" Jadis, Kong-Kong disputa l'empire à Tchouan-hiu et, dans sa rage, donna un coup de corne au mont Pou-tcheou. La colonne qui soutenait le Ciel (au coin N.-O.) fut cassée, l'amarre de la Terre (au coin S.-E.) fut rompue, le Ciel se pencha vers le nord-ouest et c'est pourquoi le soleil, la lune, les étoiles se déplacent dans cette direction. La Terre eut une ouverture au sud-est, et c'est ainsi que les eaux, les rivières, le sol, la poussière se précipitent dans cette direction. " (3)

En Chine, on parle donc d'une rupture de l'axe du monde et la Terre se serait "penchée" vers le nord-ouest.

Mythologie égyptienne : Sekhmet, la lionne en furie

Dans la mythologie égyptienne, Sekhmet était le nom de la déesse de la guerre, représentée généralement comme une lionne ou comme une femme à tête de lionne. Elle devenait parfois aussi l'œil de Rê, le dieu-soleil, et était chargée de détruire ses ennemis. Elle répandait les épidémies sur toute l'Egypte quand le dieu voulait se venger. Une légende liée à un drame cosmique (qui n'est autre que celui de la fin du XIIIe siècle av. J.-C.) racontait que sur les ordres de Rê, elle se jeta sur les hommes révoltés avec une telle frénésie et une telle méchanceté que le dieu-soleil redoutant l'extermination de la race humaine dut lui demander d'arrêter le carnage. Comme elle refusait obstinément d'obtempérer, il dut employer un curieux stratagème, une ruse comme seuls les dieux en avaient le secret (4) :

" Rê fit préparer des cruches de "didi", liquide colorant en rouge, qui sont mélangées à de la bière. Pendant toute la nuit, alors que Sekhmet dort, la bière rouge est versée sur toute la terre d'Égypte. A son lever, la déesse pense voir un fleuve de sang dû au massacre des hommes. Elle se mire dedans, puis commence à laper. Bientôt totalement ivre, elle oublie sa mission et s'en retourne auprès des dieux en épargnant les survivants. "

On remarque dans cette légende le fait souvent noté que le monde prit une couleur rouge à l'occasion de ce cataclysme, du fait de la pigmentation de la matière abandonnée dans l'atmosphère terrestre par la désintégration et l'émiettement du corps céleste.

Il semblerait que les Égyptiens aient retenu le jour de l'année du début du cataclysme : le 12 Tybi, soit presque obligatoirement une date correspondant à la fin octobre ou au début novembre de notre calendrier moderne (5), si le cataclysme a bien eu lieu au XIIIe siècle avant J.-C. C'est une précision très importante que je détaillerai quand j'étudierai en détail l'hypothèse Hephaistos.

" C'est le douzième jour du premier mois d'hiver qu'a eu lieu le grand massacre des hommes ; aussi le calendrier des jours fastes et néfastes note-t-il soigneusement : "Hostile, Hostile, Hostile est le 12 Tybi, évite de voir une souris en ce jour, car c'est le jour ou Rê donna l'ordre à Sekhmet". " (6)

Mythologie germano-scandinave : le Ragnarök

Pour les Germains et les autres peuples du Nord, la fin du monde était symbolisée par le Ragnarök, ou Crépuscule des dieux. Cette catastrophe cosmique de très grande ampleur est racontée en grand détail (mythologique, pas scientifique !) dans le poème intitulé la Voluspa et qui fait partie du grand ensemble de l'Edda. De ce récit complexe qui met en place de nombreux dieux, je retiendrai les quelques extraits représentatifs suivants (7) :

" Du côté du Sud, là où commence le pays des géants du feu, Surt, le maître de ces contrées, dresse déjà son épée de flammes. Au bord du ciel est posté Heimdall, le veilleur des dieux ; personne au monde n'a la vue aussi perçante ni l'ouie aussi fine ; pourtant, il se laisse ravir son épée par Loki et ne commence à souffler dans son cor retentissant que lorsque les géants sont en marche. Le loup Fenrir, que les dieux avaient jadis enchaîné, rompt ses liens et s'échappe. Les secousses qu'il donne à ses entraves font trembler la terre tout entière ; le vieux frêne Yggdrasil en est ébranlé des racines jusqu'au faîte. Des montagnes s'écroulent ou se fendent de haut en bas...

Au Sud apparaît Surt, que suit la troupe innombrable des géants du feu ; son épée lance des éclairs ; tout autour de lui des flammes jaillissent du sol crevassé. A son approche les rochers s'écroulent, les hommes s'affaissent sans vie. La voûte du ciel, ébranlée par le tumulte de cette armée en marche, embrasée par l'haleine de fournaise qui l'environne, éclate en deux ; et quand les fils du feu font passer leurs chevaux sur le pont que l'arc du ciel tend de la terre au séjour des dieux, ce pont s'enflamme et s'effondre...

Les grands dieux sont morts. Et maintenant que Thor, protecteur des demeures humaines, a disparu, les hommes sont abandonnés ; il leur faut quitter leurs foyers ; la race humaine est balayée de la surface de la terre. La terre elle-même va perdre sa forme. Déjà les étoiles se détachent du ciel et tombent dans le vide béant... Le géant Surt inonde de feu la terre entière ; l'univers n'est plus qu'un brasier ; des flammes jaillissent de toutes les fentes des rochers ; la vapeur siffle de toutes parts ; toute plante, toute vie sont anéanties ; seul le sol nu subsiste...

Et voici que toutes les mers, que tous les fleuves débordent. De tous côtés les vagues pressent les vagues. Les flots, qui se gonflent en bouillonnant, recouvrent peu à peu toutes choses. La terre s'enfonce dans la mer. L'immense champ de bataille où s'étaient affrontés les maîtres de l'univers cesse d'être visible.

Tout est fini. Et maintenant tout va recommencer. Des débris du monde ancien naît un monde nouveau... "

L'épopée cosmologique du Ragnarök est particulièrement intéressante pour qui étudie, comme moi, les cataclysmes cosmiques de l'Antiquité. Elle est aujourd'hui définitivement associée au dernier grand cataclysme cosmique qu'a subi la Terre et qui a eu lieu à la fin du XIIIe siècle av. J.-C., et dont je parlerai en détail au chapitre 19. Surt, Sekhmet, Typhon, Phaéton, Absinthe, Anat et d'autres encore sont les noms différents de l'objet cométaire (ou d'origine cométaire) qui est entré en collision avec la Terre, à une époque où de nombreuses civilisations étaient déjà bien en place et prospéraient, semant tout au long de son parcours la panique, la ruine et la mort. C'est ce même cataclysme qui est associé à l'Exode des Hébreux et aux dix plaies d'Égypte. J'en parlerai au chapitre 2, sous un éclairage assez différent : l'éclairage biblique.

Mythologie grecque : Typhon et Phaéton

Il s'agit de deux légendes célèbres, surtout connues par les textes classiques d'Hésiode (VIIIe siècle) (8) et d'Ovide (43 av. J.-C.-18) (9). Apparemment, elles n'ont rien à voir entre elles et sont toujours traitées séparément dans les livres de mythologie. Mais pourtant, il paraît fort probable qu'elles se rapportent toutes deux au cataclysme de de la fin du XIIIe siècle dont j'ai déjà beaucoup parlé et qui a eu des conséquences humaines et historiques très sérieuses.

Hésiode raconte dans sa Théogonie qu'à la suite d'une guerre entre Zeus et les Titans, guerre qui faillit détruire l'univers, un monstre flamboyant surmonté de cent têtes et baptisé Typhon (ou Typhée) fit son apparition dans le ciel, effrayant les populations. Zeus dut intervenir une nouvelle fois pour sauver le monde.

" ... Alors une œuvre sans remède se fût accomplie en ce jour ; alors Typhon eût été roi des mortels et des Immortels, si le père des dieux et des hommes de son œil perçant soudain ne l'eût vu. Il tonna sec et fort, et la terre à l'entour retentit d'un horrible fracas, et le vaste ciel au-dessus d'elle, et la mer, et les flots d'Océan, et le Tartare souterrain, tandis que vacillait le grand Olympe sous les pieds immortels de son seigneur partant en guerre, et que le sol lui répondait en gémissant. Une ardeur régnait sur la mer allumée à la fois par les deux adversaires, par le tonnerre et l'éclair comme par le feu jaillissant du monstre, par les vents furieux autant que par la foudre flamboyante. La terre bouillonnait toute, et le ciel et la mer. De tous côtés, de hautes vagues se ruaient vers le rivage. Un tremblement incoercible commençait : Hadès frémissait et aussi les Titans ébranlés par l'incoercible fracas et la funeste rencontre. Zeus frappa, il embrasa d'un seul coup à la ronde les prodigieuses têtes du monstre effroyable ; et, dompté par le coup dont il l'avait cinglé, Typhon mutilé, s'écroula, tandis que gémissait l'énorme terre. Mais, du seigneur foudroyé, la flamme rejaillit, au fond des âpres et noirs vallons de la montagne qui l'avait vu tomber. Sur un immense espace brûlait l'énorme terre, exhalant une vapeur prodigieuse ; elle fondait tout comme l'étain... sous l'éclat du feu flamboyant... "

(Théogonie, 836-868)

Pline l'Ancien (23-79) dans le livre II de son Histoire Naturelle (10) , au chapitre " Comètes et prodiges " parle également de Typhon. En accord avec tous les autres auteurs "scientifiques" de l'Antiquité, il le considère comme une comète.

" ... Les peuples d'Éthiopie et d'Égypte connurent une comète terrible, à laquelle Typhon, roi de ce temps-là, donna son nom : d'apparence ignée et enroulée en forme de spirale, effrayante même à voir, c'était moins une étoile qu'un vrai nœud de flammes. "

(Histoire Naturelle, Livre II, 91, XXIII)

La légende de Phaéton est l'un des meilleurs contes d'Ovide qui en fit une des pièces maîtresses de ses Métamorphoses, écrites entre les années 2 et 8 de notre ère. Mais cette légende était bien antérieure à Ovide. On sait, entre autres, qu'elle fut le sujet d'une tragédie perdue d'Euripide (480-406), écrite plus de 400 ans auparavant.

Phaéton était le fils du Soleil. Pour satisfaire son orgueil, il demanda à son père de conduire son char l'espace d'une journée à travers le ciel. Entreprise démesurée qui se termina par une catastrophe cosmique, puisque le char de Phaéton quitta la route habituelle et se précipita vers la Terre. Là encore, Jupiter fut obligé d'intervenir pour sauver le monde et la race humaine.

" ... Sous l'action du feu, les nuages s'évaporent. Sur terre, les plus hauts sommets sont les premiers la proie des flammes. Le sol se fend, sillonné de crevasses et, toutes eaux taries, se dessèche. Les prés blanchissent, l'arbre est consumé avec son feuillage, et les blés desséchés fournissent eux-mêmes un aliment au feu qui les anéantit... De grandes cités périssent avec leurs murailles ; des nations entières avec leurs peuples sont, par l'incendie, réduits en cendre. Les forêts brûlent avec les montagnes... L'Etna vomit, ses feux redoublés, des flammes démesurées... Phaéton voit, de toutes part, le monde en flammes... Il ne peut plus supporter les cendres et la chaude poussière partout projetée, il est enveloppé de toutes parts d'une fumée brûlante : où va-t-il, où est-il ? dans l'obscurité de poix où il est plongé, il l'ignore, et les chevaux ailés le ballottent à leur gré. C'est alors, croit-on, que les peuples d'Éthiopie, par l'effet de leur sang attiré à la surface du corps, prirent la couleur noire. C'est alors que la Libye, toutes eaux taries par la chaleur, devint aride. Alors les nymphes pleurèrent la perte des sources et des lacs... Le Nil épouvanté s'enfuit au bout du monde, dérobant aux yeux sa source... Le sol se fend sur toute sa surface... La mer diminue de volume ; une plaine de sable sec s'étend où naguère s'étalait le flot ; les montagnes que recouvraient les eaux profondes surgissent... La Terre nourricière des êtres, avec une grande secousse qui ébranla le monde, s'affaissa un peu au-dessous de son niveau habituel... Pourquoi le niveau des mers décroît-il ? Atlas lui-même est à bout de forces, il a peine à supporter sur ses épaules le monde incandescent... Alors le père tout-puissant, ayant pris à témoin les dieux et celui-là même qui avait prêté son char, que s'il ne lui porte secours, le monde entier périrait victime d'un funeste sort, gagne au sommet du ciel le point élevé d'où il a coutume d'envelopper de nuages l'étendue des terres, d'où il met en mouvement le tonnerre et lance la foudre... Il tonne, et brandissant la foudre, il la lança sur le cocher auquel il fit perdre du même coup la vie et l'équilibre, et de ses feux redoutables il arrêta l'incendie. Les chevaux s'abattent et d'un soubresaut tentant de se redresser, ils arrachent leur cou au joug et échappent aux sangles rompues. Ici traînent d'un côté les rênes, là l'essieu détaché du timon, ailleurs les rayons des roues brisées, et les débris du char mis en pièces sont épars au loin.

Quant à Phaéton, ses cheveux rutilants en proie aux flammes, il roule sur lui-même dans le gouffre, laissant dans l'air au passage une longue traînée... Loin de sa patrie, à l'autre bout du monde, le très grand Éridan le reçoit et lave son visage fumant... "

Ce texte d'Ovide, version "moderne" de textes plus anciens est très instructif quand on y lit entre les lignes. Il nous apprend en fait plusieurs choses, bien qu'il mêle parfois le meilleur et le pire. Le pire est sans doute ce qu'il dit sur l'origine de la couleur noire des Éthiopiens ! Il nous apprend par contre que le Nil fut mis à sec, que la Libye devint aride, que le niveau de la mer baissa, que tout fut brûlé, qu'une poussière chaude empoisonna les aliments et qu'ensuite il y eut une période de ténèbres. Il signale également que l'Etna " vomit des flammes démesurées ". On ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec ce célèbre passage de l'Apocalypse dont je parle au chapitre 2 :

" ... une étoile était tombée du ciel sur la terre, il lui fut donné la clef du puits de l'abîme. Elle ouvrit le puits de l'abîme. Il monta du puits une fumée comme d'une grande fournaise et le soleil et l'air furent obscurcis par la fumée du puits... "

On peut se demander à la lecture de ce texte, si un fragment de Phaéton (qui s'appelait rappelons-le Absinthe chez les Hébreux et Sekhmet chez les Egyptiens) n'est pas tombé dans la Méditerranée déclenchant par là même une éruption de l'Etna. Cette remarque très intéressante pourrait permettre de dater l'événement (voir le chapitre 19)

Quoi qu'il en soit, ces deux légendes de Typhon et Phaéton, comme celle du Ragnarök, montrent bien comment à partir d'un fait réel marquant, les auteurs de l'Antiquité ont mis sur pied leur mythologie si compliquée, avec ses dieux multiples, ses héros innombrables, ses grands thèmes, sa cosmologie. Il est probable que, sous le manteau du mythe, chaque récit mythologique reprend, transforme et embellit des événements authentiques dont la signification réelle dépassait souvent l'entendement des peuples de l'époque. Mais une chose est sûre, ils savaient bien quand un cataclysme était d'origine cosmique. Les bouleversements terrestres qui en résultaient et les lourdes pertes en vies humaines étaient du concret, pas de l'imaginaire.

Le catastrophisme astrologique : alignements et cycles cosmiques

Déjà, dans la haute Antiquité, certains savants et philosophes des grandes civilisations entretenaient le mythe de l'éternel retour (11) ou celui de la Grande Année (12) qui étaient censés ramener la régénération périodique de la vie.

Pour les Anciens, l'histoire n'était donc qu'une suite de cycles cosmiques de durée variable. Le jour, la lunaison, les saisons, l'année, le cycle de Méton, pour les cycles de durée humaine. Et surtout la Grande Année (quelques milliers d'années en général), avec une création, un épanouissement (l'Age d'or, cher aux civilisations de l'Antiquité), un épuisement et enfin une destruction. Les cataclysmes par lesquels se terminaient chez les Grecs un cycle cosmique étaient soit le feu cosmique (ekpyrosis) qui brûlait le monde, soit le déluge (kataclysmos) qui au contraire l'inondait.

Sénèque (4 av. J.-C.-65), dans un passage célèbre de ses Questions naturelles (13), a cru pouvoir donner, d'après le prêtre chaldéen Bérose (v. 330-v. 260) (14), les raisons de ces catastrophes périodiques :

" Déluge et embrasement arrivent, quand Dieu a trouvé bon de mettre fin à l'ancien monde et d'en commencer un meilleur. L'eau et le feu règnent sur les choses de la Terre. D'eux viennent également la naissance et la mort. Ainsi quand le renouvellement du monde est décidé, la mer fond d'en haut sur nos têtes, tout comme le feu fait rage, si un autre genre de catastrophe a été préféré. "

(Livre III, XXVIII, 7)

" Bérose, le traducteur de Bélus, attribue aux planètes la cause de ces bouleversements. Sa certitude à cet égard va jusqu'à fixer la date de la conflagration et du déluge universels. Tout ce qui est terreux, dit-il, sera embrasé lorsque les astres qui suivent maintenant des orbites différentes se réuniront tous dans le signe du Cancer et se rangeront en file, de manière qu'une ligne droite puisse passer par les centres de toutes les sphères. Le déluge aura lieu, quand ces mêmes planètes viendront prendre place dans le Capricorne. Le solstice d'été est amené par la première de ces deux constellations, celui d'hiver par la seconde. Ce sont donc des signes d'une grande puissance, puisque leur influence se manifeste par le changement même de l'année. "

(Livre III, XXIX, 1)

On sait aujourd'hui que ces super-conjonctions des sept astres errants connus des Anciens (le Soleil, la Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) ne sont en aucune façon capables de provoquer les cataclysmes cités par Bérose, mais celui-ci est affirmatif : leur cause est astronomique.

En fait, dès l'Antiquité, certains philosophes savaient pertinemment que la Terre est une planète parmi d'autres. Cléomède (Ier siècle av. J.-C.) enseignait qu' " il y a plus de planètes que l'on en voit " et Démocrite (460-370) et plus tard Origène (185-254) que " les mondes périssent par collisions " (15). Les Stoïciens étaient également persuadés que notre monde trouvera sa destruction finale en heurtant un autre monde.

Ce qu'il faut retenir principalement, c'est que cette notion de cycles cosmiques est universelle. Les peuples des cinq continents qui avaient une tradition millénaire ont parlé de grands bouleversements naturels, qui étaient soit d'origine cosmique, soit purement terrestres selon les cas. Nous avons vu avec les Aztèques que ces cycles s'appelaient généralement des âges ou des soleils, ou pouvaient avoir un nom particulier chez certains peuples. Leur nombre était variable, compris ordinairement entre quatre et dix.

L'universalité de cette notion de cycles cosmiques est la preuve que des catastrophes importantes, pouvant causer la mort d'une partie appréciable des populations humaines et animales, ont été le lot de toutes les parties du monde. Étonnamment, le langage est le même dans le Bassin méditerranéen, qu'en Amérique centrale, en Extrême-Orient ou en Polynésie.

Cependant, il faut bien insister sur le fait que, dans la plupart des cas, il s'agissait d'événements régionaux qui n'ont pu semble-t-il concerner l'ensemble de la planète. Les effondrements périodiques du firmament ou les pluies de feu souvent cités dans les textes et traditions orales des Anciens se rapportent à des cataclysmes cosmiques (certainement la collision de petits astéroïdes ou de comètes ou de leur explosion dans l'atmosphère) plus ou moins importants, mais surtout beaucoup plus fréquents que ce qu'on croyait jadis.

Pour les 10 000 ans qui ont précédé l'ère chrétienne, il paraît quand même très douteux qu'un seul d'entre eux ait pu avoir des conséquences vraiment planétaires, ou qu'il ait pu produire les effets de ce que l'on appelle de nos jours un hiver d’impact mondial, et plonger ainsi la planète dans l'obscurité pendant des dizaines d'années. Comme nous le verrons au chapitre 12, qui traite de la fin des dinosaures et de nombreuses autres espèces il y a 65 millions d'années, un hiver d’impact aurait eu des conséquences beaucoup plus graves, notamment en détruisant la chaîne alimentaire. Il n'est pas sûr alors que les peuples du Néolithique aient pu seulement survivre.

L'avertissement de Platon

Bien entendu, comme tous les philosophes de l'Antiquité ayant vécu avant et après lui, l'illustre Platon (427-347) avait son idée sur la raison des catastrophes qui dévastaient la Terre à de grands intervalles de temps. Quatre siècles avant notre ère, et s'appuyant sur une " science blanchie par le temps ", c'est-à-dire qui a fait ses preuves et qui sait de quoi elle parle, il a écrit ces phrases lumineuses et inspirées dans son Timée (16) , qu'il est bon de rappeler et surtout de méditer :

" ... Vous êtes tous jeunes d'esprit ; car vous n'avez dans l'esprit aucune opinion ancienne fondée sur une vieille tradition et aucune science blanchie par le temps. Et en voici la raison. Il y a eu souvent et il y aura encore souvent des destructions d'hommes causées de diverses manières, les plus grandes par le feu et par l'eau, et d'autres moindres par mille autres choses. Par exemple, ce qu'on raconte aussi chez vous de Phaéton, fils du Soleil, qui, ayant un jour attelé le char de son père et ne pouvant le maintenir dans la voie paternelle, embrasa tout ce qui était sur la terre et périt lui-même frappé de la foudre, a, il est vrai, l'apparence d'une fable ; mais la vérité qui s'y recèle, c'est que les corps qui circulent dans le ciel autour de la terre dévient de leur course et qu'une grande conflagration qui se produit à de grands intervalles détruit ce qui est à la surface de la terre. Alors tous ceux qui habitent dans les montagnes et dans les endroits élevés et arides périssent plutôt que ceux qui habitent au bord des fleuves et de la mer ... Quand, au contraire, les dieux submergent la terre sous les eaux pour la purifier, les habitants des montagnes, bouviers et pâtres, échappent à la mort, mais ceux qui résident dans nos villes sont emportés par les fleuves dans la mer ... "

Timée (22b-22d)

Platon avait raison, tout au moins sur le fond, il y a vingt-quatre siècles : des corps célestes dévient de leur course et viennent frapper la Terre.

Les érudits de son époque savaient, parce que leurs lointains prédécesseurs, qui en avaient sérieusement souffert dans leur chair, n'avaient pas omis de transmettre le message de génération en génération, que les cataclysmes d'origine cosmique étaient une réalité d'hier et de toujours. Mais selon les écoles de pensée, les théories étaient assez différentes. Certains croyaient à la destruction totale du monde, et à sa régénération, d'autres non. Platon était entre les deux : c'était un catastrophiste "modéré".

Doctrines et écrits des philosophes et scientifiques de l'Antiquité

Nous devons à Pierre Duhem (1861-1916) une œuvre incomparable par sa richesse et son intérêt historique : Le système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic (17), en dix volumes. Cette somme incontournable me sert ici de référence principale. Se basant lui-même sur le travail des grands historiens de l'astronomie des XVIIIe et XIXe siècles, et en en réalisant une synthèse d'une précision acérée, il a pu détailler toutes les grandes doctrines cosmologiques des philosophes de l'Antiquité, doctrines qui souvent se chevauchaient. Car il n'y a jamais eu unanimité, et pour cause, puisqu'aucune hypothèse des Anciens ne représentait réellement la réalité.

Il faut d'abord rappeler que les derniers très grands cataclysmes physiques ayant eu des répercussions dans tout le Bassin méditerranéen remontent au IIe millénaire. Il y en a eu deux, de nature différente : d'abord, l'explosion du Santorin, vers –1600 (18), un fantastique événement volcanique et géologique, sans doute très impressionnant pour tous les témoins du phénomène et les survivants, qui ont dû constater médusés l'anéantissement total d'une montagne, sacrée de surcroît, considérée souvent comme la demeure des dieux ; ensuite, l'impact de la comète Sekhmet vers –1200, et toutes ses multiples conséquences pour les populations et les civilisations de la région et même de toutes les régions environnantes.

Il n'y eut aucun grand cataclysme durant le Ier millénaire, et à chaque génération, le souvenir de ces grands cataclysmes se faisait plus lointain et plus incertain. Chaos, feu du ciel, chute du ciel, déluge, après avoir été réalité avaient rejoint le mythe, et les philosophes, pour les intégrer dans leur vision globale de l'histoire du monde devaient recourir à des périodes de plus en plus longues, où le millier d'années était l'unité de base. Homère (v. 850 av. J.-C.) et Hésiode ignoraient déjà la réalité et la nature exacte, faute de documents écrits qui n'ont probablement jamais existé en Grèce, des deux grands événements, et les avaient intégrés avec plus ou moins de bonheur dans leurs récits, dans lesquels ils se bornaient à préserver l'idée de catastrophes.

Anaximandre, l'un des premiers grands astronomes grecs (le premier il envisagea une Terre sphérique et on lui doit la découverte de l'obliquité de l'écliptique) professait déjà l'opinion qu'au cours de l'éternité se succèdent une infinité de mondes dont chacun a une durée limitée.

" L'Infini paraît avoir en sa possession la cause totale de la génération et de la destruction de l'Univers. C'est de cet Infini que se sont séparés les cieux et tous les mondes qui, pris dans leur ensemble, sont infinis. De l'éternité infinie provient la destruction, comme la génération en était issue longtemps auparavant ; toutes ces générations et ces destructions se reproduisent d'une manière cyclique. " (19)

Comme le note Pierre Duhem :

" Nous voyons ici Anaximandre affirmer un double infini : Une étendue infinie, principe de la coexistence d'une infinité de mondes simultanés ; une éternité infinie, principe des générations et des destructions périodiques d'une infinité de mondes successifs. " (20)

Vers le milieu du Ier millénaire, Héraclite (540-480), comme beaucoup de philosophes de la Grèce ancienne, était encore obnubilé par la puissance du feu, souvenir déjà lointain à son époque (sept siècles s'étaient écoulés) de celui qui avait embrasé et dévasté des régions entières vers –1200 et qui avait entraîné un terrible recul de plusieurs siècles (les fameux quatre "siècles obscurs" de la chronologie grecque compris entre –1200 et –800) pour les civilisations de la Méditerranée orientale. Héraclite considérait le feu comme l'élément essentiel d'un monde éternel dans lequel Dieu n'avait pas sa place.

" Le monde n'a été fait ni par un dieu ni par un homme ; il a toujours été, il est et il sera toujours, le feu toujours vivant, qui s'allume régulièrement et s'éteint régulièrement. "

Plus tard, dans la seconde partie du Ier millénaire avant J.-C., quatre doctrines principales tentaient d'expliquer l'histoire du monde. Celle de Démocrite et de ses disciples, parmi lesquels Épicure (341-270) et beaucoup plus tard Lucrèce (98-55), celle de Platon, celle d'Aristote (384-322) et celle de Zénon (335-264) et de l'école stoïcienne, dont Sénèque fut un lointain disciple. Pour tous, le dilemme se résumait à la question suivante : " Le monde est-il éternel ou a-t-il une fin ? ".

Voyons très rapidement les différents points de vue (21).

Pour Aristote, le monde est éternel, et tout signe tangible de dépérissement doit être compensé par des signes de rajeunissement d'une intensité comparable. Son monde est en équilibre. Comme il est éternel, il n'a pas été créé. Il n'a pas besoin d'un démiurge pour causer une catastrophe.

Pour les Stoïciens, le monde entier est périssable, et subit des phases alternées de destruction et de restauration. Eux aussi sont matérialistes. Les manifestations évidentes de décrépitude sont les symptômes d'une fin prochaine. Mais après la conflagration universelle qui réduit tous les éléments au feu primitif, le monde renaîtra tel qu'il fut précédemment. Il y a par conséquent un éternel retour des êtres et aussi des événements. C'est la fameuse tirade de Némésius d'Émèse (IVe-Ve siècle), un lointain disciple de Platon : " Il y aura de nouveau un Socrate, un Platon... et cette restauration ne se produira pas une fois, mais plusieurs ". Comme chez Aristote, en fait, le monde est éternel, mais pour l'école stoïcienne, il y a renouvellement, régénération périodique. Sénèque, qui se référait volontiers à cette école dont il se sentait proche, expliquait au Ier siècle de notre ère que le monde périt régulièrement et cycliquement par déluge et embrasement.

Pour les disciples de Démocrite, et plus tard d'Épicure, le monde périt aussi à la suite d'une conflagration, mais il se distingue nettement de celui des Stoïciens par la place tenue par le hasard. Il n'y a pas retour périodique des mêmes événements. Pour eux, c'est un monde nouveau qui démarre sur les ruines de l'ancien. Cette vision paraît étonnamment moderne.

Platon est assez proche du catastrophisme stoïcien. La conflagration ne fait pas de doute pour lui, je l'ai dit plus haut. Mais chez lui le monde n'est pas anéanti totalement, c'est seulement l'humanité qui pâtit sérieusement du cataclysme. Le monde perdure après les grandes catastrophes de la conflagration et du déluge, comme chez son ancien élève Aristote. Mais la grosse différence avec celui-ci, c'est que pour Platon le monde est créé et détruit par Dieu. Pour lui, les catastrophes sont des moyens choisis par Dieu pour purifier la Terre. Les historiens des sciences estiment que Platon fait la synthèse entre Aristote et Zénon, mais que c'est un auteur plus ancien (?), bien que fort perspicace nous l'avons vu, dans la mesure où il est moins bien dégagé qu'eux des mythologies aux dieux interventionnistes.

Dans son livre La fin du monde. Enquête sur l'origine du mythe (22), l'historienne des mythes Christine Dumas-Reungoat étudie très en détail les différents textes de l'Antiquité concernant l'éternel problème de la fin du monde. Elle les différencie en deux grandes catégories : La fin du monde et la fin d'un monde. Tous les cataclysmes subis par les peuples de l'Antiquité ressortent évidemment de cette seconde catégorie, puisque tous, avec plus ou moins de pertes humaines, ont survécu et ont pu redémarrer sur des bases nouvelles, mais avec un recul culturel souvent très important.

Notes

1. En fait, on a découvert beaucoup plus tard que la période de dix-neuf ans qui caractérise le cycle lunaire avait déjà été découverte par les Chinois, 1600 ans avant Méton.

2. R. Escarpit, Contes et légendes du Mexique (Nathan, 1963). Citation p. 10.

3. P. Ravignant et A. Kielce, Cosmogonies. Les grands mythes de Création du Monde (Le Mail, 1988). Citation p. 110.

4. F. Braunstein et J.-F. Pépin, Les grands mythes fondateurs (Ellipse, 1995). Citation p. 40.

5. Le calendrier égyptien était basé sur une année de 365 jours seulement, d'où une dérive annuelle de 0,2422 jour par an, 6 jours pour 25 ans, 12 jours pour 50 ans, 18 jours pour 75 ans, etc. Le 12 Tybi de l'année 1321 avant J.-C. correspondait au 27 novembre de notre calendrier grégorien, le 12 Tybi de 1271 au 15 novembre, celui de 1221 au 3 novembre et celui de 1196 au 28 octobre. Il reste à trouver l'année exacte du cataclysme pour ajuster la date exacte. Si 1209 avant J.-C. (soit –1208) est la bonne année (ce qui n'est pas sûr, ce n'est qu'une approximation à 10 ou 20 ans près qui dépend de la chronologie exacte des pharaons, très mal connue et variable selon tous les auteurs), la date de la collision cosmique serait alors voisine du 31 octobre. (On peut consulter le tableau 19-1 du chapitre 19 qui donne toutes les dates possibles selon différents paramètres).

6. F. Guirand et J. Schmidt, Mythes & Mythologie. Histoire et dictionnaire (Larousse, 1996). Cet ouvrage collectif très remarquable raconte la mythologie et les mythes du monde entier. Le chapitre 2 (pp. 23-68), dû à J. Viau, concerne la mythologie égyptienne. Citation p. 53.

7. Ibid. Le chapitre 8 (pp. 291-338), dû à E. Tonnelat, concerne la mythologie germanique (Allemagne et pays scandinaves). L'auteur parle évidemment du Crépuscule des dieux qu'il raconte d'une manière détaillée et homérique (pp. 325-328). On reconnaît d'ailleurs dans cette légende une analogie certaine avec la très vieille légende grecque de Typhon racontée en son temps par Hésiode dans sa Théogonie. Ces deux légendes immortalisent un même phénomène, celui de la collision entre la Terre et un objet cométaire racontée dans le chapitre 19 et qui se produisit vers –1208.

8. Hésiode, Théogonie (Les Belles Lettres, 1977 ; traduction par P. Mazon). Citation p. 62-63. Hésiode ne connaissait plus avec précision les grandes catastrophes qui avaient eu lieu au IIe millénaire. La compression du temps avait déjà joué son rôle et sa Théogonie regroupe sous forme de mythes des données très hétéroclites et d'époques différentes. Cela tendrait à prouver que des sources écrites sur les grands cataclysmes du passé n’ont jamais existé, tout au moins en Grèce. Cette hypothèse est confirmée par le fait que les philosophes grecs plus tardifs ne parlent jamais de l’éruption du Santorin avec un minimum de précision. Seul le bouche à oreille permit, les premiers temps, de perpétuer le souvenir de cataclysmes destructeurs.

9. Ovide, Les métamorphoses (Garnier-Flammarion, 1966 ; traduction par J. Chamonard). Citation p. 70-73.

10. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, Livre II (Les Belles Lettres, 1950 ; traduction par J. Beaujeu). Citation p. 39-40.

11. M. Eliade, Le mythe de l'éternel retour (Gallimard, 1969). Mircea Eliade (1907-1986) était un remarquable érudit, spécialiste de l'histoire des religions et des mythes. Tout comme l'autre grand spécialiste de ces questions, Georges Dumézil (1898-1986), il n'a jamais fait le rapprochement entre le mythe, l'histoire et les connaissances astronomiques disponibles à son époque, faute d'une formation scientifique appropriée. Dans l'esprit de ces deux grands chercheurs, le cataclysme est toujours resté un phénomène abstrait, mythique. Pour eux, si le mythe et l'histoire pouvaient éventuellement fusionner dans certains cas, il n'en était pas de même entre le mythe et la science.

12. A. Barbault, L'astrologie mondiale (Fayard, 1979). Ce livre écrit par l'un des astrologues les plus cultivés traite longuement de la Grande Année, qui, il ne faut jamais l'oublier, était avant tout un problème astrologique. La cyclologie a toujours été l'un des thèmes favoris de tous ceux qui prétendent prévoir l'avenir du monde.

13. Sénèque, Questions naturelles, op. cit., citations pp. 154-155. Le livre troisième dont sont tirés ces deux extraits s'intitule " Des eaux terrestres ". Lui aussi est très intéressant. Sénèque était un avant-gardiste qui aurait pu éclipser Ptolémée avec un peu de chance. La face du monde culturel aurait pu en être totalement changée.

14. M. Rutten, La science des Chaldéens (PUF, QS 893, 1970).

15. E.M. Antoniadi, La découverte du système héliocentrique du monde en Grèce antique, L'Astronomie, 41, pp. 449-458, 1927.

16. Platon, Timée (Garnier-Flammarion, 1969 ; traduction par E. Chambry). Classique parmi les classiques, ce passage du Timée a traversé les siècles, mais il n'a vraiment pris toute son ampleur et toute sa force que depuis qu'on a enfin compris et expliqué la réalité de l'impactisme terrestre. Citation p. 405.

17. P. Duhem, Le système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic (Hermann, 10 volumes, 1913-1957). Le travail de Pierre Duhem (1861-1916), philosophe, érudit et historien des sciences restera comme l'un des plus importants du XXe siècle en ce qui concerne l'histoire de l'astronomie. On ne se lasse pas de consulter ces livres d'une grande érudition, documentation incontournable sur l'Antiquité et le Moyen Age. On peut les consulter (et les télécharger) en intégralité sur le site de la Bibliothèque Nationale.

18. J'étudierai ce cataclysme en détail au chapitre 18, consacré aux grands cataclysmes terrestres de la protohistoire et de l'Antiquité. En effet, certains d'entre eux ont toujours interféré avec les cataclysmes cosmiques. Comme nous le verrons, il a fallu attendre le XXe siècle pour les identifier avec précision.

19. Le système du monde, citation p. 70. Il s'agit d'un texte d'Eusèbe.

20. Le système du monde, citation p. 71.

21. Le lecteur intéressé par cet intéressant sujet, que je ne peux que survoler ici, pourra se reporter aux ouvrages spécialisés, et notamment à celui de Duhem, très explicite et très détaillé.

22. C. Dumas-Reungoat, La fin du monde. Enquête sur l'origine du mythe (Les belles lettres, 2001). Il faut saluer la parution de ce livre très remarquable. Il est paru après La menace du ciel, et je n'ai donc pas pu utiliser toutes les données et les textes qu'il contient. La lecture de ce livre est indispensable par tous ceux qui sont intéressés par les cataclysmes du passé, et aussi par la façon dont ils ont été retenus et transmis par les historiens de l'Antiquité. Derrière le mythe, le cataclysme était bien réel.

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