CONCLUSION

UNE RÉVOLUTION SCIENTIFIQUE ET CULTURELLE


L'impactisme terrestre : un puzzle qui est devenu lisible

En 1982, dans La Terre bombardée, j'avais tenté une première synthèse objective et scientifique sur la théorie de l'impactisme terrestre (alors encore embryonnaire) et sur son corollaire essentiel : le catastrophisme d'origine cosmique. Je disais alors que l'impactisme est un puzzle qui ne se laisse déchiffrer que pièce par pièce, et que seule une approche multidisciplinaire permettrait de faire avancer les choses.

Le bon accueil reçu par ce livre et l'ensemble des données nouvelles recueillies depuis lors m'ont conforté dans le bien-fondé de mon approche et surtout dans mes conclusions. En effet, les années 1980 et 1990, notamment grâce au débat multiforme lié aux causes physiques ayant entraîné la fin de l'ère secondaire, ont été mises à profit pour faire progresser certaines connaissances afférentes à plusieurs des sciences concernées. Ces nouvelles connaissances m'ont donné raison sur la quasi-totalité des points que je mettais en évidence.

C'est le caractère multidisciplinaire de ce puzzle scientifique qui a tant retardé sa compréhension, chaque chercheur opérant auparavant uniquement à l'intérieur de sa "sphère", sans communication avec les chercheurs des autres disciplines. Depuis 1982, les choses se sont sensiblement améliorées et les résultats ont suivi. Résultat, le voile épais qui entourait ce puzzle s'est déchiré et sa "lecture" est devenue possible. Tout paraît beaucoup plus clair aujourd'hui, même si certains points n'ont pas encore trouvé de solution acceptable.

Depuis longtemps déjà, l'astronomie a permis de comprendre les causes, c'est-à-dire le "pourquoi" de l'impactisme terrestre. La découverte, à partir des années 1930, de plusieurs milliers d'astéroïdes qui viennent à proximité relative de la Terre, les NEA, ou même qui frôlent pour une grosse moitié d'entre eux l'orbite terrestre, les EGA, a prouvé que notre planète est constamment sous la menace d'une multitude de petits corps célestes de quelques centaines de mètres de diamètre, ou même de quelques kilomètres pour les plus gros d'entre eux. Tous ont une espérance de vie extrêmement courte à l'échelle astronomique et géologique : quelques millions d'années seulement, et même sensiblement moins dans de nombreux cas.

Une seconde cause de l'impactisme terrestre (et planétaire en général) est l'existence d'un nombre important de comètes, injectées à la suite de perturbations dans le Système solaire proche, en provenance soit du nuage de Oort, soit de la ceinture de Kuiper. Les astronomes ont clairement montré que cette population cométaire est constamment renouvelée et que le double stock est inépuisable puisqu'il comporte des objets par dizaines de milliards, certains pouvant être de dimensions quasiment planétaires (plusieurs centaines ou même plus d'un millier de km de diamètre parfois).

Les sciences de la Terre (la géologie et la géophysique principalement) ont fourni les preuves de la réalité de l'impactisme terrestre. D'abord par l'analyse de milliers de météorites et de tectites qui sont des petits objets tombés directement ou formés à la suite d'impacts importants. Ensuite, par l'identification de formations fossiles d'origine cosmique : les astroblèmes. Leur découverte, à partir des années 1950, a été le bain de jouvence dont avait besoin la théorie de l'impactisme pour trouver son deuxième souffle et pour prouver sa réalité, et donc sa crédibilité, aux yeux de ceux qui exigent des preuves : les scientifiques.

La physique a fourni la preuve de l'existence d'un impactisme invisible et particulièrement sournois : l'impactisme particulaire, bien connu aujourd'hui mais encore totalement insoupçonné avant le début du XXe siècle. C'est lui qui est la cause des innombrables mutations d'origine cosmique qu'a subies la vie terrestre depuis son origine du fait du bombardement quasi ininterrompu de particules très énergétiques, et qui est une des clés, peut-être même la clé principale, de sa diversification incroyable en millions d'espèces différentes, parallèlement aux deux autres phénomènes cruciaux que sont les extinctions de masse et l'évolution darwinienne, également très efficaces, mais essentiellement sur des durées très différentes. L'extinction se joue en quelques années, l'inversion géomagnétique se compte en centaines ou milliers d'années et l'évolution darwinienne est efficace sur le très long terme : le million d'années au niveau de l'espèce et même beaucoup plus aux niveaux supérieurs de la diversité biologique dans son ensemble.

Les sciences de la vie, au même titre que les sciences terrestres, sont en effet intéressées par les conséquences de l'impactisme. Le problème de l'iridium surabondant à la frontière Crétacé-Tertiaire, à la fin des années 1970, a donné un extraordinaire coup de fouet à toutes ces disciplines qui ignoraient quasiment tout des menaces du ciel, ou qui ne les prenaient pas en compte dans leurs hypothèses de travail. L'astéroïde ou la comète qui a tué les dinosaures et qui a formé le cratère mexicain de Chicxulub a été une véritable révélation pour beaucoup de chercheurs totalement ignorants des choses de l'astronomie, en montrant le rôle décisif joué par les extinctions dans l'évolution.

On peut dire aujourd'hui que les catastrophes cosmiques ont littéralement façonné la Terre et la vie terrestre depuis 4,6 milliards d'années. J'ai montré que l'homme actuel, lui-même, n'est rien d'autre que le Primate à la mode, maître provisoire de la "Création", appelé à être balayé à son tour par des catastrophes futures, parmi lesquelles certaines qu'il aura peut-être lui-même créées par son manque de pragmatisme et sa vision du très court terme, au détriment du long terme qui seul devrait être pris en compte si l'on veut sauver l'espèce humaine des désastres qui la guettent. Ces catastrophes purement humaines sont principalement, on s'en doute, les désastres écologiques, mais aussi technologiques et politiques (guerre nucléaire toujours possible).

Enfin, j'ai montré, une nouvelle fois, que l'histoire récente des hommes a été affectée par des catastrophes cosmiques, d'importance secondaire certes à l'échelle terrestre, mais très suffisantes pour avoir eu des conséquences fort importantes à l'échelle humaine, notamment cette totale refonte des sociétés humaines qui résulta de l'impact de la fin du XIIIe siècle avant J.-C. L'hypothèse Hephaistos, très prometteuse, permet de comprendre enfin ce qui s'est réellement passé il y a 3200 ans, mais aussi lors d'autres cataclysmes encore obscurs.

Le lecteur ne doit pas être surpris que ce livre ait été écrit par un astronome, spécialiste des géocroiseurs, plutôt que par un scientifique d'une autre discipline. Comme je l'ai souvent rappelé, l'impactisme est avant tout un problème astronomique, avant d'être un problème géologique et géophysique, et maintenant un problème biologique, anthropologique, et même historique et culturel, puisqu'il a des incidences sérieuses sur le plan philosophique et religieux.

L'impactisme et le catastrophisme enfin reconnus

C'est avec confiance et sérénité que je présente la nouvelle version de ma synthèse, à la fois aux lecteurs cultivés et aux scientifiques des diverses spécialités concernées. L'impactisme et le catastrophisme ont pris maintenant leur vitesse de croisière. On peut même dire qu'ils se sont banalisés, et donc qu'ils ne sont quasiment plus contestés par la communauté scientifique dans son ensemble (à titre individuel, il y a encore, et il y aura toujours, des opposants farouches), ce qui était loin d'être le cas en 1982 quand j'ai publié la première mouture de La Terre bombardée. J'écrivais alors la conclusion suivante :

" Le faisceau de preuves et d'arguments favorables que nous avons développés est trop important et trop convergent pour que l'avenir ne nous donne pas raison, tout au moins sur la majorité des points essentiels et sur le fond. L'important ce n'est pas d'être cru aujourd'hui, mais d'avoir raison demain. L'histoire des sciences montre que le principal n'est pas de convaincre à tout prix les mandarins de l'époque, quand on défend une théorie résolument nouvelle et forcément dérangeante. Ces mandarins, imbus de leur autorité arbitraire et très souvent provisoire, sont maîtres pour snober ou pour étouffer ce qui risque de les faire passer de mode. Seule la jeune génération de chercheurs est capable de faire table rase des conceptions erronées, car seule elle est vraiment intéressée par la réalité de l'histoire de la Terre, de la Vie et des Hommes. Les mandarins passent, la science évolue, les théories nouvelles apparaissent. C'est la roue qui tourne, et certaines affirmations qui peuvent paraître exorbitantes aux savants en place ne sont simplement que le reflet de cette science qui bouge et qui déjà leur échappe.

Ce livre aura atteint son but si, par les réactions et les travaux complémentaires qu'il suscite, il s'avère un jalon utile dans l'histoire de la théorie de l'impactisme terrestre. Cette théorie, ancienne et nouvelle à la fois, rencontre un accueil de plus en plus chaleureux au fur et à mesure que des arguments favorables sont développés. Nous sortons juste de la préhistoire dans le domaine des collisions d'objets cosmiques avec la Terre, et le futur s'annonce passionnant et inquiétant. Inquiétant, car saurons-nous faire face au prochain impact d'envergure ? Comme dans le film Meteor, les hommes pourront-ils détruire le prochain EGA menaçant, si on le découvre à temps, ou sera-ce une nouvelle Apocalypse ? Rien ne permet de donner une réponse sûre. " (1)

Si la communauté scientifique ne cherche plus à contester l'incontestable, il n'en reste pas moins qu'il y a un énorme travail d'information à faire pour promouvoir ces nouvelles théories que sont l'impactisme et le catastrophisme. Je rappelle qu'ils n'ont même pas encore fait leur entrée dans les dictionnaires usuels. Il faudra au moins une génération pour les faire admettre comme sujets d'étude scolaire. Ce n'est que dans une étape ultérieure qu'ils pourront faire partie de notre culture, au même titre, par exemple, que la tectonique des plaques.

Une nouvelle vision du monde se dessine

Paradoxalement, je suis nettement moins optimiste, vingt-cinq ans après avoir écrit la première version de ce livre. Les très nombreuses découvertes récentes (plus de 500 nouveaux NEA par an désormais) inquiètent, le danger potentiel semble plus réel, plus proche aussi. On comprend mieux aujourd'hui que le catastrophisme s'impose comme un moyen universel naturel et incontournable de régulation de la matière cosmique, sous toutes ses formes, et de la vie, et cela à un niveau galactique, donc totalement surhumain.

Même si le Spaceguard survey mis en place était une nécessité impérative (contrairement à ce que croient encore et proclament des irresponsables qui ne voient pas plus loin que le très court terme et des antimilitaristes primaires) et permettra peut-être de retarder provisoirement l'échéance d'un impact sérieux et de ses conséquences humaines totalement incalculables, l'avenir paraît bien sombre. L'homme devra être très vigilant et imaginatif pour le contrôler et le maîtriser. Ne serait-ce pas mission impossible ?

Surtout depuis que les astronomes ont compris que l'introduction dans le Système solaire intérieur d'objets de plus de 100 km de diamètre, comme les centaures issus de la ceinture de Kuiper, était possible (et même quasiment inéluctable) plusieurs fois par million d'années, comme nous l'avons vu avec l'hypothèse Hephaistos. Même si la Terre n'est qu'une planète parmi d'autres, elle est, elle aussi, obligatoirement concernée.

Comme résumé et conclusion, je reprendrai le texte d'une chronique parue en 1993 dans la revue Observations et Travaux, publiée par la Société Astronomique de France, et que j'ai écrit avec mon ami et associé belge Jean Meeus (2). Certains lecteurs de cette revue m'ont dit avoir apprécié le caractère visionnaire de ce texte, mais il n'est plus modestement qu'un rappel historique et un aperçu de la réalité de demain.

" SPACEWATCH : UNE NOUVELLE VISION DU MONDE SE DESSINE

Les premiers résultats obtenus à Kitt Peak, avec l'extraordinaire télescope automatique Spacewatch, confirment bien entendu que la Terre est constamment frôlée par une multitude de petits corps célestes. Avec toutes les conséquences qui en découlent. Des impacts d'objets de 100 mètres ou plus sont inévitables à l'échelle du millier d'années. Un impact comme celui de la Toungouska (objet de 80 mètres) pourrait avoir lieu tous les 200 ou 300 ans.

C'est une bonne leçon pour tous ceux qui se sont moqués, un peu à la légère, des "catastrophistes" (qui étaient astronomes ou naturalistes en général, mais aussi astrologues, philosophes, ecclésiastiques ou érudits) qui se sont succédé de l'Antiquité à nos jours. Certains se sont fourvoyés parfois, certes, faute de connaître comme nous tous ces NEO (Natural Near-Earth Objects, selon l'appellation de l'UAI), ou en se cloisonnant à l'intérieur de schémas (astrologiques parfois, religieux souvent) tout tracés, mais un peu trop exigus. D'autres n'ont pas pu ou pas voulu s'exprimer clairement sur ce sujet ambigu (parce que mêlant science et religion) pour ne pas s'attirer les foudres des autorités religieuses, intransigeantes à certaines époques, ou les sarcasmes de leurs contemporains. Mais tous les "catastrophistes" pressentaient bien que le ciel réel était bien plus complexe que le ciel observé et qu'il était quasiment inévitable qu'il réserve parfois de mauvaises surprises.

Les deux premiers détonateurs astronomiques vraiment sérieux en ce domaine furent le passage à proximité de la Terre de la comète D/Lexell en 1770 (ce qui donna à réfléchir aux savants clairvoyants de l'époque) et ensuite la découverte d'Eros en 1898 (capitale car elle prouvait l'existence d'astéroïdes pouvant s'approcher de la Terre). Mais jusqu'aux découvertes d'Apollo, d'Adonis et d'Hermes, dans les années 1930, la théorie de l'impactisme terrestre, plus généralement appelée catastrophisme d'origine cosmique, a toujours eu une connotation nettement péjorative, et elle était restée marginale, faute de preuves terrestres suffisamment probantes.

Il ne faut jamais perdre de vue que jusqu'en 1803 (avec l'averse météoritique de l'Aigle dans l'Orne, observée en plein jour par plusieurs centaines de témoins, qui obligea à une déchirante volte-face), c'est l'existence même des météorites qui était contestée, et celle des cratères météoritiques terrestres l'a été jusqu'au début des années 1950. On croit rêver devant tant d'inutiles retards et de tergiversations incompréhensibles pour des chercheurs actuels.

Mais aujourd'hui, en ce début des années 1990, avec les progrès fulgurants dus au télescope Spacewatch, qui nous fait découvrir un monde nouveau, le gigantesque billard cosmique dans lequel la Terre évolue, nous sommes vraiment passés à la vitesse supérieure. Et quand ce seront une dizaine de télescopes automatiques qui surveilleront le ciel (dans le cadre du Spaceguard Survey dont Spacewatch est le premier maillon), et qui mettront en évidence des centaines d'approches serrées par mois à la Terre et l'existence de nombreux astéroïdes sur des orbites de collision, la moquerie et l'incompréhension liées au catastrophisme risquent de laisser place à l'inquiétude.

Depuis quinze ans, on parle beaucoup de la fin des dinosauriens, il y a environ 65 millions d'années, due à l'impact d'un astéroïde ou d'une comète. Mais il serait temps maintenant d'aller plus loin et de tenter d'élucider les autres grands cataclysmes du passé. Il y a énormément à faire dans ce domaine, notamment en associant plus étroitement extinctions de masse et astroblèmes géants, eux-mêmes consécutifs à des impacts d'EGA ou de comètes de plusieurs kilomètres de diamètre. Il paraît indispensable surtout d'étudier sous tous ses aspects l'impact (peut-être double) de grande envergure qui a eu lieu il y a environ 700 000 ans et qui est associé à la création des millions d'australasites, les plus récentes des tectites (via le cratère météoritique fantôme de Wilkes Land en Antarctique ?) et à la dernière inversion du champ magnétique terrestre. Des surprises de taille nous attendent et la réalité pourrait bien dépasser la fiction ! Car il ne s'agit plus d'une extinction de masse, comme notre planète en a connu quelques-unes au cours de son histoire mouvementée, mais d'un épisode récent et important de l'évolution de la vie (du fait des radiations et des mutations qui s'ensuivirent subies par de nombreuses espèces, parmi lesquelles les ancêtres de l'homme actuel). Il n'est plus possible aujourd'hui de nier la corrélation : mort des dinosauriens - émergence des primates et des conséquences qui en découlent, mais ce n'était là qu'une étape parmi d'autres.

On en revient toujours aux conséquences de l'impactisme terrestre, sous ses deux formes essentielles : macroscopique (gros impacts) et particulaire (radiations diverses), qui semblent faire peur à certains chercheurs. Qu'on le veuille ou non, le catastrophisme d'origine cosmique (qui n'a rien à voir avec le catastrophisme d'origine "divine" ou un créationnisme étriqué, et qui sont même antinomiques) sera l'une des grandes théories scientifiques du siècle prochain. Il y a là un beau challenge pour les jeunes chercheurs qui veulent faire table rase des idées préconçues... et fausses. A eux de démontrer définitivement que l'impactisme terrestre est bel et bien l'un des moteurs essentiels de l'évolution. Une vraie révolution culturelle qui mettra fin à une "guéguerre" d'un autre âge : catastrophisme contre uniformitarisme. Il est bien clair qu'il faudra parler de catastrophisme et uniformitarisme.

Le télescope Spacewatch pourrait bien être un nouveau détonateur décisif. Ses résultats vont obliger en effet ces prochaines années les scientifiques sceptiques (il en reste bien sûr) à envisager enfin le monde d'une manière différente, plus proche de la réalité. Il leur faudra admettre que nous vivons dans un univers cataclysmique, aussi bien dans notre bras galactique (avec les explosions d'étoiles qui redistribuent la matière, mais aussi l'énergie sous forme de particules), que localement dans le Système solaire (avec les caprices épisodiques du Soleil et l'impact des astéroïdes et des comètes) ou même chez nous, sur la Terre (avec les ouragans, les séismes, les éruptions volcaniques et notre atmosphère parfois perméable aux radiations nocives).

Un monde nouveau finira par s'imposer, un monde où le cataclysme est la règle, PARTOUT, TOUJOURS. La vie a dû obligatoirement s'accommoder de ces soubresauts épisodiques, violents, irréversibles. La double conclusion est claire pour les catastrophistes modernes : l'homme, sous sa forme actuelle, n'est qu'un phénomène récent, transitoire, et la vie si elle existe ailleurs, ne peut être que très différente de celle qui a pris racine (peut-être par panspermie), puis évolué sur Terre. Dur à admettre pour ceux qui ignorent tout de l'astronomie, et pour ceux qui s'accrochent désespérément, par le biais du créationnisme, aux certitudes bibliques. Inacceptable même !

Il n'est pas étonnant, par contre, que les spécialistes des astéroïdes et des comètes (et plus généralement la communauté astronomique) soient de plus en plus partisans des idées catastrophistes. Ils sont les premiers à savoir que les collisions sont inévitables. Et ce n'est pas la découverte, à un mois d'intervalle, de 1993 HD et 1993 KA2, les deux premiers EGA connus à être sur des orbites de quasi-collision avec la Terre, qui risque de les faire changer d'avis, même s'il s'agit là de deux objets minuscules sans danger pour notre planète.

Ils savent que Spacewatch, et bientôt ses homologues prévus dans le cadre du Spaceguard Survey, vont nous faire entrer dans une ère nouvelle et passionnante. Mais il est bien clair que les astronomes ne peuvent, à eux seuls, comprendre et résoudre le problème du catastrophisme d'origine cosmique dans sa globalité. Seule une vaste campagne d'études multidisciplinaires peut permettre des progrès vraiment décisifs sur la connaissance du passé, le pourquoi du présent et la manière de gérer un avenir incertain et un peu inquiétant quand même à long terme.

Même les militaires américains commencent à leur manière à s'intéresser à ce futur, en travaillant sur les techniques à développer pour se débarrasser (principalement par destruction dans l'espace ou par changement d'orbite) d'éventuels objets trop dangereux. C'est un nouvel épisode pacifique de la "guerre des étoiles" et un recyclage imprévu pour un arsenal nucléaire privé de ses objectifs terrestres familiers. Il est cocasse d'imaginer que la survie de l'humanité tiendra peut-être à l'existence de cet arsenal, prévu à l'origine pour une tout autre utilisation, et qui est voué aux gémonies par ceux qui, au contraire, sont toujours persuadés qu'il va entraîner sa perte. Mais nous n'en sommes pas encore là.

Et surtout, il ne faut pas oublier que l'homme et l'univers ne cohabitent pas dans une même échelle de temps. L'homme aura disparu depuis longtemps que la Terre subira encore (et toujours) des agressions du cosmos. C'est une autre confirmation de ce catastrophisme renaissant : l'homme ne représente vraiment pas grand-chose dans l'espace et dans le temps, tout juste un épiphénomène passager extrêmement marginal. On est bien loin de l'époque précopernicienne où la Terre était encore le centre du monde et l'homme le but ultime de la Création ! La science est impitoyable... (3)

Cette chronique qui date de 1993 reste tout à fait d'actualité. Plus de 500 nouveaux NEA sont découverts chaque année. En 1994, on a découvert le premier objet de plus de 1 km de diamètre (1994 PC1) qui oscille constamment entre une orbite de quasi-collision et de collision avec la Terre. En 1997, on a découvert le fameux astéroïde 1997 XF11, de plus de 1 km de diamètre également, que l’on a annoncé menaçant pour le 26 octobre 2028. Bien qu'il n'y ait pas de collision actuellement prévue au XXIe siècle, de tels PHA (Potentially Hazardous Asteroids, astéroïdes potentiellement dangereux, je le rappelle) de taille kilométrique restent très dangereux pour notre planète à moyen terme, et l'on sait aussi que de nombreux autres objets analogues restent à découvrir. Toutatis, Oljato, Nereus, Hermes, Adonis, Castalia, 1994 PC1, 1997 XF11, Apophis, autant de noms déjà bien familiers aux spécialistes, autant d'objets menaçants pour la Terre à moyen terme.

La vie terrestre n'est pas un jeu, elle est pourtant issue et tributaire d'un jeu gigantesque qui se pratique à l'échelle galactique : le billard cosmique. Etoiles, planètes, comètes, astéroïdes et poussières en sont les différents acteurs et la gravitation universelle impose ses règles à tous, sans se préoccuper des conséquences.

Informer, à défaut de convaincre

Tout au long de ce livre, je me suis appuyé sur des centaines de livres et d'articles de chercheurs, actuels mais aussi plus anciens. Je leur dois beaucoup, évidemment, et je tiens pour terminer à leur rendre hommage. Comme je l'ai expliqué, ce livre est une simple étape, un jalon, après beaucoup d'autres et avant beaucoup d'autres (4).

Il est bien évident que je ne formulerai aucune critique sur le travail des Anciens, au contraire, même si l'on a du mal parfois à comprendre aujourd'hui certains retards et le pourquoi de verrous psychologiques qui paraissent abusifs, leurs travaux sont le socle des connaissances actuelles. Platon, Whiston, Laplace, Cuvier et tous les autres savants catastrophistes du passé ou actuels ont cherché et cherchent encore, chacun selon ses moyens et les connaissances de son époque, à informer et à faire comprendre à leurs contemporains que la vie terrestre est totalement tributaire de phénomènes physiques extérieurs qui les dépassent de beaucoup.

La tâche est assez difficile car l'humanité actuelle, dans sa grande majorité, tout comme celle des siècles précédents, a peur de l'avenir et refuse instinctivement tout ce qui a trait au cataclysme. Beaucoup préfèrent l'irrationnel, à commencer par l'astrologie, à la réalité scientifique. Certains préfèrent se faire peur avec des alignements planétaires imaginaires et un millénarisme absurde, et qui n'est rien d'autre qu'un fantasme, plutôt que de regarder la réalité en face.

Le devoir des chercheurs actuels est d'informer, encore et toujours, à défaut de convaincre. De nombreux livres sont parus sur le problème des cataclysmes d'origine cosmique depuis une dizaine d'années (voir la bibliographie), c'est une très bonne chose. Il est nécessaire, en effet, que des auteurs de formation et de sensibilité parfois très différentes présentent d'une manière plurielle une réalité que toute personne cultivée se doit de connaître (5). Aux lecteurs de juger ensuite ce qu'ils doivent ou désirent en retenir. De toute manière, au fil des siècles, la réalité scientifique finira par s'imposer, sinon à tous, tout au moins à ceux qui veulent savoir le pourquoi et le comment de leur histoire cosmique.

Notes

1. La Terre bombardée, pp. 251-252.

2. Je tiens ici à remercier Jean Meeus. Nous avons publié ensemble une quarantaine d'articles sur les astéroïdes et les comètes entre 1974 et 2005. C'est un expert du calcul astronomique et il a écrit de nombreux livres sur le sujet (sur le calcul lui-même, le Soleil, la Lune, les éclipses et beaucoup d'autres choses) et plusieurs centaines d'articles spécialisés. Depuis de nombreuses années, c'est lui qui prépare en totalité les Ephémérides annuelles de la Société Astronomique de France. Dès 1981, l'Union Astronomique Internationale l'a honoré en baptisant de son nom l'astéroïde 2213 Meeus. Je lui dois beaucoup.

3. M.-A. Combes et J. Meeus, Chronique des objets AAA (n° 6), Observations et Travaux, 35, pp. 20-26, 1993. Citation pp. 24-26.

4. Il n’y aura pas de deuxième version de ce livre. D’autres iront plus loin, connaîtront de nouvelles informations et seront encore plus explicites. C’est la règle depuis toujours (note de La Terre bombardée 1998).
En fait, en 2006, j'ai changé d'avis. Un site Internet (LA MENACE DU CIEL) et un livre informatique (LA TERRE BOMBARDÉE 2007) me permettent de garder une activité intellectuelle quasi quotidienne. Faire travailler ses neurones, tant que c'est possible, me paraît être une activité raisonnable pour un sexagénaire pris depuis quarante ans dans le tourbillon de la recherche. Comme je l'explique sur mon site, depuis qu'un jour de mars 1963, à Tübingen, je me suis trouvé face à face avec la statue de Kepler. Ce jour-là, tout a changé pour moi...

5. Se cultiver demande un réel effort intellectuel, devant lequel beaucoup reculent. C'est encore plus vrai dans le domaine scientifique. Des proches m'ont dit que mon livre était "illisible", car "beaucoup trop compliqué", et ont renoncé à le lire, se contentant d'un survol très superficiel. C'est sûr qu'il est plus facile et plus attrayant de lire son horoscope quotidien que d'éplucher les centaines de pages de mon livre.
Par contre, des lecteurs attentifs (et passionnés parfois) m'ont dit leur satisfaction devant la manière dont j'ai traité le sujet. Vouloir faire la liaison entre la science, le mythe et l'histoire, comme j'ai tenté de le faire, leur a paru une démarche riche de promesses (et de surprises à venir aussi).
Plusieurs d'entre eux m'ont suggéré de préparer une nouvelle version actualisée pour que j'essaie d'aller plus loin, et saisir peut-être cette vérité historique qui est à portée de la main. Ils veulent savoir ! Ils veulent connaître le monde dans lequel ils vivent ! Comme quoi, "la culture" n'a pas le même sens, ni le même intérêt, pour tout le monde !

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