L e   D r a g o n     (Dra)   
D r a c o  (onis)     (1083 degrés carrés)


    Animal fabuleux s'il en est, le Dragon serpente entre les deux Ourses, facilement reconnaissable à son corps effilé et deux fois replié. Géniale idée, pour relier entre elles des étoiles esseulées et par trop écartées ! Regardez-le ramper sur le corps de la Grande Ourse, contourner habilement, et sans mot dire, la petite Ourse, puis redresser brusquement sa tête quadrangulaire en direction d'Hercule. Qui, d'Hercule ou du Dragon altier, aura le dernier mot ? Car c'est là que se situe le drame ! Une lutte implacable oppose ces deux êtres. Le Dragon, préposé à la garde du jardin des Hespérides, veille jalousement sur son bien. Normal ! Au coeur de ce lieu de délices  : des pommes d'or, délicieuses, fruit d’immortalité  ; qui dit mieux ? Elles s'en nourrissent, les Hespérides, ces nymphes d'un autre monde. Alors, si le Dragon succombe sous les coups redoutables d'Hercule, c'en est fini du "paradis terrestre" ! Adieu pommes, nymphes... et vie impérissable !  Parmi les 12 travaux d'Hercule, figure la cueillette de ces pommes, récolte impossible tant que le Dragon veille. Va-t-il ici, le héros invincible, accomplir l'exploit ? "Le soir tombait, la lutte était ardente et noire. Il avait l'offensive et presque la victoire." (V.Hugo) Il parvint à poser son pied gauche sur la tête endiablée du monstre, et d'un coup de massue, le tua net.

     Ce pied meurtrier d'Hercule est-il visible dans le ciel ? Bien sûr ! Malheur aux vaincus, bonheur aux vainqueurs ! comme toujours... C'est l'étoile "Iota Herculis". Elle écrase la tête anguleuse, et la transforme, dirait-on, en un losange quasi parfait. Losange repérable au nord de Véga (voyez la carte).

    Il y a 6 étoiles assez brillantes dans la constellation du Dragon que nous allons visiter tour à tour. Mais auparavant, arrêtons-nous auprès de deux vedettes, qu'il faut connaître :
- "Thuban"  =  le "Dragon", Alpha Draconis. Quand Bayer lui donna cette lettre grecque en 1603, elle était l'étoile la plus brillante de la constellation : magnitude 2. Depuis, son éclat a chuté : magnitude actuelle 3,6. Vers 3000 avant J.C, c'était elle l'étoile polaire de notre Terre, s'approchant à quelques dizaines de minutes du pôle exact. (1)  Le grand couloir nord de la pyramide de Khéops, construite à cette époque, la visait avec une précision remarquable : moins de 5 minutes de degré entre l'axe du couloir et le passage de l'étoile au méridien. Thuban sait-elle, depuis sa lointaine demeure (310 a-l), qu'elle fut un jour - un long jour ! - l'élue, l'affectionnée de tous les habitants de notre globe ensoleillé ? Pas de communications intersidérales... pas plus aujourd'hui qu'à cette lointaine époque.... Trop loin les étoiles, inaccessibles.

- "Eltanin" = la "tête" du Dragon, Gamma Draconis, qui passe au zénith de l'Angleterre. L'astronome anglais Bradley, au XVIIIème siècle, cherchait avec passion sa distance. Il effectuait des mesures répétées, espérant voir ce balancement caractéristique, annuel, signe de sa proximité (parallaxe). Non qu'elle bougeât... mais la Terre, qui, en se déplaçant autour du soleil, lui donne un mouvement apparent, permettant de trouver sa distance. Il décela effectivement quelque chose, mais pas ce qu'il attendait. Il ne comprit pas. Il chercha encore... sans trouver l'explication. Fatigué, de guerre lasse, il s'en alla ramer sur la Tamise - histoire de se changer les idées. C'est alors qu'il remarqua un phénomène étrange : chaque fois que le bateau virait de bord, le vent semblait changer d'orientation. "Pas possible ! s'écria-t-il, que se passe-t-il ?... Y aurait-il composition entre le mouvement du bateau et celui du vent ? Oui ! Mais alors... mon étoile... la vitesse de la Terre, la vitesse de la lumière... vite, vite, abordons !..." Il fallut ramer très fort pour bondir sur la rive. James Bradley venait de découvrir ce que l'on appelle aujourd'hui d'un nom bizarre : "l'aberration de la lumière"  : cette composition entre la vitesse de la Terre et celle de la lumière, qui donne aux étoiles un déplacement apparent. Et de mesurer : "Jusqu'à 20,5 secondes de degré : demi-grand axe de cette orbite apparente ; ce n'est pas rien !" Et de fait, les deux vitesses de la Terre (30 km/s) et de la lumière (300 000 km/s) se combinent pour donner cette "aberration", de l'ordre du 10 000 ème (30 / 300 000). Nous étions en 1727.

    Bradley : voici l'homme qu'il faut porter sur les autels, sinon de l'église, du moins de la science - si tant est qu'elle en ait. C'est lui - non pas Galilée, ni Copernic... - qui fit la preuve irréfutable de la translation de la Terre autour du soleil. Oui ! grâce à cette découverte ! Lui, Bradley, cet anglais flegmatique, qui, chaque soir, s'allongeait sur son matelas pour regarder le ciel à travers le conduit de sa cheminée dans laquelle il avait glissé sa lunette, confirma la thèse de "l'Héliocentrisme", thèse avancée depuis des siècles - par Aristarque de Samos entre autres (2ème siècle avant J.C.), lequel, pour avoir lancé cette idée folle, subit la  proscription des Grecs. Autre temps, autres moeurs !
    1727 : retenez cette date.

    Comment pourrais-je présenter le Dragon, sans parler de ce point particulier que l'on trouve aux coordonnées suivantes :  A.D. = 18 h,  déc = 66°33' ? Tapi dans le second pli du Dragon, invisible, puisqu'aucune étoile ne marque sa présence, il revêt cependant une importance considérable. Au télescope, une délicate nébuleuse planétaire, de couleur verte, brille à 10' de cet endroit précis. Tout près donc. Que se passe-t-il ici ? Rien. Absolument rien. Et c'est justement pour cela que c'est intéressant, captivant même ! Voici : nous sommes au Pôle de l'Ecliptique : seul point de la voûte céleste qui ne bouge jamais... entendez-vous ? Jamais ! du moins tant que la Terre reste dans son plan de révolution, immuable. Perpendiculaire à l'Ecliptique, ce "pôle écliptique" s'en va percer le flan du Dragon. C'est ainsi. Ah, si l'axe nord-sud de la Terre était vertical - et non pas incliné - le Pôle Nord céleste coïnciderait avec cet endroit précisément, et les deux pôles - écliptique et terrestre - seraient confondus ! Il n'en est rien. 23°27' les séparent. A connaître absolument, dans le Dragon.

    De la queue à la tête, voici les 6 étoiles les plus brillantes du Dragon. Toutes sont géantes. Une seule est bleue.



    i     Iota  Draconis   :  Edasich

     a  : 15 h 24 m 55 s       d  : 58° 57' 58"     Sp  : K2 III        T  : 4500 K    (BC  : -0,72)
    m = 3,29    M = 0,81     L = 40 soleils   p = 31,92   Dist  : 102 a-l.    un compagnon

    "Edasich" = la "Hyène", ou le "Loup", on ne sait trop... Pas facile à reconnaître dans la nuit noire ! Celle-là, ou celui-ci, chevauche la bosse du Dragon, celle qui contourne allègrement la Petite Ourse - car l'animal a deux bosses ! Regardez-la faire cette étoile : elle étale ses 14 diamètres solaires sur la peau cuivrée du monstre, sur les plis et replis de ce corps effilé, et répand autour d'elle ses grâces et son rayonnement  : 40 soleils !... Le tout sans aucun complexe... 3,3 masses solaires. Sait-elle du moins sur quel animal elle a élu domicile ? Vous la trouverez à 102 a-l.
    A 254", soit plus de 4', brille une étoile de magnitude 9.


        Eta  Draconis

    a  : 16 h 23 m 59 s       d  : 61° 30' 51"     Sp  : G8 III    T  : 5000 K    (BC  : -0,47)
    m = 2,73    M = 0,58     L = 50 soleils    p = 37,18     Dist  : 88 a-l.     double

    Hop ! Un coup de reins... sautons sur Eta Draconis qui revendique la même bosse. Paisible ce dragon : pas le moindre sursaut de mauvaise humeur... Quoi ? L'étoile est plurielle ? Deux astres se côtoient à 5"2. Ecarquillez les yeux pour voir le second, de magnitude 8,7. Tout dépend en fait de la puissance de votre télescope ou de votre lunette. Jaune et orange : voici la couleur de ces feux, qui se lèchent et s'enlacent sans jamais interrompre cet instant de bonheur. Dans cet échange, aucune lassitude, pas d'essoufflement. 50 soleils rayonnent de la principale, 11 rayons solaires s'étirent paresseux, et 3,3 masses solaires. "Je suis à toi, et tu es à moi". Unité, plénitude...  Quant à l'orbite de ce monde binaire, on ne la connaît pas... du moins pas encore... Vous trouverez cet heureux couple à 88 a-l.
 

    z    Dzêta  Draconis  : Nodus 1

    a  : 17 h 08 m 47 s       d  : 65° 42' 53"     B6  III        T  : 16 000 K    (BC  : -1,8)
    m = 3,17    M = -1,92     L = 500 soleils        p = 9,60       Dist  : 340 a-l    simple

    "Nodus 1" = le "premier noeud" du Dragon. Il est si long, le pauvre animal, qu'il s'entortille sur lui-même, ayant le chic de faire des noeuds, ce qui n'est pas donné à tous ! Faire un noeud, facile, mais le défaire... Allez dénouez cette queue de reptile ! Queue brûlante (16 000 K), trépidante, énergique : 500 soleils dans cet astre. 6 diamètres solaires, 9 masses solaires cohabitent en son sein. Le problème se trouve à 340 a-l.


    d    Delta  Draconis  : Nodus 2  (ou Altais)

    a  : 19 h 12 m 33 s      d  : 67° 39' 41"     Sp  : G9 III    T  : 4950 K    (BC  : -0,50)
    m = 3,07    M = 0,63     L = 50 soleils   p = 32,54   Dist  : 100 a-l     un compagnon

    "Nodus 2"  :  Et de 2 , bien sûr ! Voici notre animal empêtré dans sa queue. Lié, ligoté, malgré lui... Par chance, pour nous, ces deux boursouflures ne sont pas disposées au hasard. Si nous les rejoignons l'une à l'autre, en ligne droite, elles passent par le Pôle de l'écliptique, moyen simple de repérer cet lieu fascinant entre tous, le seul immobile, où il ne se passe rien précisément - nous l'avons dit.

    Est-il gros ce second noeud ? Oui ! Plus que le premier ? Oui  : 11 diamètres solaires dans son enceinte  ; mais il est moins éclatant : 50 soleils pour l'échauffer pour 3,3 masses solaires. A force de tirer dessus... et dans tous les sens... Une étoile de magnitude 12,3 se risque à 88"1 de cet encombrement. Nodus 2 est à 100 a-l. plus proche que le Noeud 1 (308 a-l). Ce n'est pas sur la voûte céleste que notre Dragon se contorsionne, mais dans la profondeur de l'espace. Hercule, au secours ! Viens tuer la bête !


    b    Bêta  Draconis  :   Rastaban

    a  : 17 h 30 m 25 s     d  : 52°18' 05"     Sp  : G2 II    T  : 5700 K    (BC  : -0,40)
    m = 2,79    M = -2,43      L = 800 soleils      p = 9,02     Dist  : 360 a-l     double


    "Rastaban" = "la Tête du Dragon", énorme ! Son oeil te dévisage  : "prends garde à toi !" Celui-ci est jaune, d'un jaune clair ; 800 soleils jaillissent, étincelants depuis l'espace. 34 rayons solaires délimitent ce monde de feu : de quoi faire peur. 7 masses solaires. Courage Hercule ! La victoire est à toi !
    Qui discernera une étoile minuscule de magnitude 13,8 à 4"2 de Rastaban ?


    g    Gamma  Draconis  :   Eltanin

    a  : 17 h 56 m 36 s     d  : 51° 29' 20"     Sp  : K5 III    T  : 3700 K    (BC  : -1,35)
    m = 2,24    M = -1,04    L = 220 soleils    p = 22,10    Dist  : 148 a-l     Sept compagnons


    "Eltanin" = la "Tête du Dragon"... encore ! Alors, une ou deux têtes ce Dragon ? car en mythologie, vous le savez, tout est permis... En fait, il s'agit ici du front séducteur, lequel cherche à détourner l'attention d'Hercule. Prends garde au piège, beau prince ! 7 étoiles dans un rayon de 2 minutes de degré entourent Eltanin, unissent leurs effets et excitent par leur charme, pour te séduire aussi... Laisse-toi faire...
    Gamma Draconis... souvenez-vous. C'est elle qui conduisit Bradley à découvrir "l'aberration de la lumière". Comme vous, il succomba à son attrait, mais pour mieux percer son mystère. Profitant du passage d'Eltanin dans le conduit de sa cheminée où gisait sa lunette,  il chronométra l'intruse, jour après jour, mois après mois... jusqu'à la victoire finale...

    Eltanin, montre-nous ton visage ! "Vraiment ? la Tête du Dragon ?... Et bien soit ! 45 millions de km garnissent mon rayon (65 rs),   6  masses solaires en furie guerroient en mon sein : une armée à l'ouvrage ! Pas d'arrêt au combat. Une folie dantesque en mon coeur nucléaire : 220 soleils conjuguent leurs efforts, couleur de feu. N'approchez pas." Recommandation inutile ! 148 a-l nous séparent de ton brasier...


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note 1 - Vers 2650 av.J.C. elle est passée au plus près du Pôle, à 45’ environ.