L a G r a n d e O u r s e (Uma)
U r s a (ae) M a j o r (oris) (1280 degrés carrés)
"La
Grande Ourse !" Qui ne connaît cette merveille de la nature !
Toujours visible à nos latitudes, en été comme en
hiver, elle est la constellation que l'on cherche d'abord lorsqu'on
débute en astronomie, que l'on connaît même quand on
ne fait pas d'astronomie, avec ses 7 étoiles en forme de
casserole, un Grand Chariot dit-on aussi. Figure singulière !
Où est-elle ? Au nord, bien sûr, comme toutes les ourses,
les blanches bien sûr ! Lorsque Thalès nomma la "Petite
Ourse", il copia en fait sur la Grande qui se promenait tout
près, dans les froidures arctiques. Toutes deux sont
inséparables : appelez la mère, elle vient avec son
petit. Appelez le petit, la mère accourt. Prolongez les
étoiles Bêta et Alpha de la Grande Ourse : "Dubhe"
et "Mérak", appelées à juste titre "Les deux
Guides"- à l’arrière du chariot - et attrapez, 5
fois plus loin, la queue de l’Ourson (la Polaire) :
alignement très appréciable pour repérer, sans
risque d'erreur, le Nord céleste.
La
"Grande Ourse", le "Grand Chariot", le "Corbillard" pour les Arabes
(beurk !) ; Job de même, dans sa détresse, appelle
ses étoiles "les filles du corbillard"... Le "Char du souverain"
pour les Chinois (bien !), mais aussi pour eux le "boisseau" ou la
"casserole". "Quand le soir la queue est dirigée vers
l’orient, il est printemps dans le monde, quand elle est
dirigée vers l’occident, il est automne, quand elle est
dirigée vers le sud, il est été, quand elle est
dirigée vers le nord, il est hiver" écrivait le chinois
Ho Koan Tse, au 4ème siècle avant notre ère.
"L'Hélice" pour les Grecs, à cause de son mouvement de
rotation autour du Pôle (très bien !) ... le "Sanglier"
pour les Gaulois (bien sûr !), qui gravaient son image sur leur
monnaie ; le "Char d’Arthur" pour les derniers bardes
druides du Moyen âge, le "Char de David" pour les paysans
de nos campagnes ; "l'Hippopotame" pour les Egyptiens (pourquoi
pas ?), les "7 sages" pour les Hindous (bravo !) ; la "charrue"
au Royaume Uni, la "grande cuillère" en Amérique du Nord,
le "Wagon de Charles" (Charlemagne sans doute) en Scandinavie
; les "Sept Boeufs" du labour pour les Latins, qui donna le mot
septentrion (septem triones) évoquant les régions
polaires... la "Barque de saint Pierre" dans l'ère
chrétienne (vive mon patron !) etc... etc... on n'en finit pas,
au cours des siècles, de nommer et renommer cette constellation.
La "Grande Ourse" s'est imposée chez les Latins ; c'est
désormais son nom scientifique admis par l'Union Astronomique
Internationale (UAI). Acceptons-le. Les "Sept Boeufs" se sont
lassés de labourer un champ dont les limites n'existent pas... A
quoi bon graver d'épais sillons, si le temps des semailles est
reporté sine die...
Comment ne pas rêver en voyant cette forme trapue, au
Yéti, au Dahu, que l'on cherche encore dans les forêts
profondes, les rivières fumantes, les sommets cristallins... Oui
! ce rêve a gravi l'échelle de Jacob pour monter jusqu'au
ciel...
C'est,
dit-on, Jupiter qui transporta cette Ourse dans les cieux. Où ?
Quand ? Comment ? C'est toute une histoire, tragique bien sûr,
comme tous les contes mythologiques. Il était épris de la
belle "Callisto", la "plus belle" des nymphes. Ce n'était pas
son premier amour... mais il suscita des jalousies formidables ! A
commencer par celle de l’épouse : "Héra",
déesse du mariage, comble de l'histoire ! D'un coup de baguette
magique, elle transforma sa rivale en Ourse : "Va-t'en marcher à
quatre pattes, et secouer ta paille !" Diane, déesse de la
chasse, rencontra l'animal à l'orée d'un bois : "Beau
gibier !" D'une flèche cinglante, elle le tua. Callisto morte,
l'amour de Zeus s'envolait pour toujours. Le dieu pleura comme un
gosse... inconsolable. Jusqu'à ce qu'une idée germe dans
son esprit : "morte sur la terre, mais vivante au ciel !" Il
l'inscrivit au rang des constellations boréales. Voilà,
vous savez tout.
7
étoiles principales, "les 7 astres géants du noir
septentrion" (Victor Hugo), 4 pour le corps, 3 pour la queue, comme il
y a 7 notes dans la gamme, 7 merveilles dans le monde, 7 jours dans la
semaine, 7 branches au chandelier d'Israël, 7 sceaux au livre de
l'Ecclésiaste, 7 péchés capitaux (à
éviter), 7 dons divins (à désirer), etc... etc...
7, le nombre parfait, évocation de la plénitude,
idéale beauté !
En fait,
que voyons-nous ? L'arrière train de l'Ourse ! Sa tête et
son poitrail apparaissent avec peine à l'opposé de la
queue - vous l'aviez compris. Ses pattes : sous le quadrilatère.
On en dénombre 3, la quatrième est levée, pour...
non, il s'agit de la patte avant ! Aidez-vous de la carte pour
visualiser enfin toute la bête. Sa pâture est immense
: 1280 degrés carrés, surface de cette constellation. En
étendue, c’est la troisième constellation du ciel,
après la Vierge et l'Hydre, femelle elle aussi (car il existe
une Hydre mâle).
Coule,
coule, petit ruisseau, va où le vent te pousse, loin,
très loin, de notre système solaire... J'évoque
ici le "Courant de la Grande Ourse", ce mouvement d'étoiles
remarqué depuis fort longtemps, toutes lancées dans la
même direction et à la même vitesse. Combien
sont-elles à sillonner l'espace de cette manière ? On en
compte 140 : plusieurs étoiles de la Grande Ourse, l'amas M 39
du Cygne, et d'autres encore éparpillées sur le ciel,
comme Sirius - membre le plus remarquable - à tel point que l'on
parle aujourd'hui du "Groupe de Sirius" (Sirius group). Toutes se
dirigent vers un point de l'espace situé à la
frontière du Sagittaire et du Microscope. Notre soleil
lui-même baigne dans ce doux courant. Est-ce à dire qu'il
appartient au nombre ? Non ! Pas du tout ! N'en croyez rien ! Tel un
nageur égaré dans un banc de poissons, il cherche
à regagner la rive. Il se presse dans une direction quasi
perpendiculaire, vers un point de la constellation d'Hercule que l'on
nomme "l'Apex", aux abords de la Lyre et de son étoile
Véga. Il file vers ce rivage à la vitesse de 20
km/s. (1) Quand l'atteindra-t-il ?
Regardez-la filer cette petite étoile "Groombridge 1830"
derrière les pattes de la Grande Ourse. Quelle mouche l'a
piquée ? Elle fut, pendant longtemps, de toutes les
étoiles du ciel, la plus rapide. Elle porte le numéro
1830 dans le catalogue de Groombridge (rédigé en 1810).
Attrapez-la avec vos jumelles ou votre télescope, aux
coordonnées 2000 suivantes : 11 h 52 m 58 s et
37° 43'. Sa magnitude apparente est de 6,45, très facile aux
jumelles. En un an, cette étoile jaune, moins chaude que le
soleil (G8), se meut de 7"7 sur la voûte céleste. Elle a
choisi résolument la direction sud-est. Las ! Elle est
aujourd'hui supplantée, dans cette course folle, par deux autres
étoiles : celle de "Kapteyn 78" (mag = 8,5) dans la
constellation du Peintre, qui se déplace de 8"7, et celle de
"Barnard 24" (mag = 9,5) dans la constellation d'Ophiucus, qui
détient aujourd'hui le record de vélocité : 10"3
par an. Le mouvement propre de ces deux dernières étoiles
a été détecté en 1897 et 1916
respectivement. "Groombridge 1830" a dû cédé la
place, après avoir connu son heure de gloire. Cette
étoile de la Grande Ourse se trouve à 29 a-l. Outre ce
mouvement tangentiel, son mouvement radial est important : elle se
rapproche de nous à la vitesse de 98 km/s. Quand viendra-t-elle
croiser notre planète bleue ?
Nous
allons examiner tour à tour les quinze étoiles les plus
brillantes de la Grande Ourse. Au travail !

a Alpha Ursae Majoris : Dubhe
a :
11 h 03 m 43 s d :
61° 45' 03" Sp : K0
III T : 4900 K (BC :
-0,54)
m =
1,81 M = -1,08 L = 230 soleils
p = 26,38 D = 124
a-l double
"Dubhe",
le "nounours" des astronomes, car son nom signifie "ours" en arabe.
Nounours que l'on emporte au télescope, faute
d’aller au lit !... Regardez-le. C'est bien lui, de couleur feu,
douillet, grassouillet, chaud comme une bouillotte. 230 soleils sortent
de sa fourrure. Son ventre maternel, réconfortant, chasse en une
seconde toutes vos angoisses : 26 rayons solaires, 5 masses
solaires ! Venez vous blottir... Mais... la place est
déjà prise ! Un ourson se cache dans cette toison
serrée... En 1993 - dernière mesure en ma
possession - il se tenait à 0"6 de la brillante étoile.
Il peut descendre à 0"42 pour remonter, lorsqu'il
s’écarte un peu, à 1"1 (orbite vraie). Jamais plus
! Taquinez-le pour découvrir son visage. Sa magnitude
s'élève à 4,80 pour 1,80 à l'étoile
principale. Tous les 44,66 ans, il accomplit un tour d'orbite. Danse
rapide, infatigable, dopé qu’il est sans doute au lait
maternel, - circulant à la hauteur d'Uranus, ou à celle
de Neptune, comparé au soleil. Mesurons son éclat. Bigre
! Il l'emporte 15 fois sur celui du Soleil. Ourson tout blanc, pelage
de jeunesse sans doute... En vente à 124 a-l.
b Bêta Ursae Majoris : Merak
a :
11 h 01 m 50 s d : 56°
22' 56" Sp : A1 V T :
10 500 K (BC : -0,32)
m =
2,34 M = 0,41 L = 60
soleils p =
41,07 D = 79 a-l simple
"Mérak" = "les reins". Scrutons-les : de couleur bleue,
ils dégagent une énergie considérable,
égale à 60 soleils, énergie nécessaire pour
ramener chaque jour le soleil aux humains, les étoiles aux
astronomes et aux marins, et la lune aux poètes. Par ses
dimensions, l'étoile est ordinaire (2,6 r.s.), appartenant
à la série principale, la "classe V" des étoiles
sans histoire, celles qui travaillent discrètement,
efficacement, transformant sagement leur hydrogène en
hélium. Ce que fait notre Soleil, qui perd ainsi, au cours de
cette opération, 4 millions de tonnes par seconde ! Oui, je dis
bien, 4 millions de tonnes, volatilisées en énergie
rayonnante, véritable réacteur nucléaire entretenu
dans le temps. Une étoile, c'est cela. Si bien que sur Terre,
nous recevons 1400 watts par mètre carré (hors
atmosphère). De quoi faire fonctionner un fer à
repasser ! Ces étoiles de la "classe V" peuvent atteindre, au
plus, 3 ou 4 rayons solaires. Leur couleur s'étale du rouge au
bleu-violet, suivant leur température. Quant à leur
masse, toutes les valeurs connues pour les étoiles sont
possibles : de 0,08 à 80 masses solaires... Ici 3,3 masses
solaires. Mérak fusionne à 79 a-l.
g Gamma Ursae Majoris : Phecda
a :
11 h 53 m 49 s d : 53° 41' 41"
Sp : A0 V T : 10 800
K (BC : -0,40)
m =
2,41 M = 0,36 L = 60
soleils p =
38,99 D = 84 a-l simple
Après les reins, tâtons la "cuisse" = "Phecda". Elle est
ferme, soumise à l'effort, entraînant le char des
étoiles dans l'arène du ciel. De couleur bleue, comme
Mérak, elle rayonne autant : 60 soleils, et s'active
à 84 a-l de notre étoile. Diamètre ordinaire
: 2,6 diamètres solaires pour 3,4 masses solaires. Etoile simple.
d Delta Ursae Majoris : Megrez
a :
12 h 15 m 25 s d
: 57° 01' 57" Sp : A3
V T : 9200 K (BC :
-0,20)
m =
3,32 M = 1,33 L = 25
soleils p =
40,05 D = 81 a-l 1 compagnon
"Mégrez" = "la racine
de la queue". Cassera, cassera pas... Eh ! C'est la plus fragile des 7,
avec seulement 25 soleils en réserve. Bleutée comme ses
compagnes – hormis Dubhe - elle appartient elle aussi à la
"série principale" : 2 rayons solaires pour 2,5 masses
solaires. Un compagnon s'approche à 3' d'écartement
(189"6), de magnitude 9,9. Comme Mégrez est une étoile
relativement proche : 81 a-l, ces deux soleils peuvent être
liés par l'attraction gravitationnelle. Affaire à suivre..
e Epsilon Ursae Majoris : Alioth
a :
12 h 54 m 01 s d : 55°
57' 35" Sp : A0 p T :
10 800 K (BC : -0,40)
m =
1,76 M = -0,21 L = 100
soleils p = 40,30 D = 81 a-l
variable
"Alioth"
= "la queue grasse". On appelle aussi cette étoile "le cheval
noir", noir dans la nuit tachée d'encre, attaché au timon
du char. Au fait, qu'y a-t-il dans ce chariot ? Y avez-vous
songé ? Les cadeaux du père Noël ? Les âmes
des défunts, comme le pensait Alphonse Daudet : "Le char des
âmes" ?...
Alioth
n'est pas aussi paisible que vous pensez. C'est un cheval fougueux,
irrégulier dans sa course... Tous les 5,08 jours, il passe de la
magnitude 1,79 à 1,76 : difficile à
apprécier, j'en conviens. A cause de cette variation
d'éclat, il est classé dans une famille spéciale
de variables : les "Alpha 2 des Chiens de Chasse". Il paraît que
notre équidé a absorbé du chrome en
quantité trop élevée, cause de tous ces
caprices... Dans son moteur, 100 "chevaux-vapeur", grosse boule bleue
(3,4 r.s. et 4 m.s.) qui caracole à 81 a-l.
z Dzêta Ursae Majoris : Mizar
a :
13 h 23 m 55 s d : 54°
55' 31" Sp : A2 V et Am
T : 9800 K (BC : -0,25)
m = 2,23
(2,25 et 3,87) M = 0,35 et 1,97
L = 60 et 14 soleils p = 41,73
D = 78 a-l Quadruple + Alcor
"Mizar" !
Ce seul nom charme vos oreilles... Que veut-il dire ? Mystère,
mystère... "Pagne" a-t-on dit faussement, mais les Arabes
appelaient cette étoile "Al Anaq" = "la chevrette", qui
accompagnait les pleureuses attachées au fameux corbillard...
Pas drôle tout cela... Alors qu'en est-il ? Où se cache le
secret de ce nom ? Dans l'imagination de l'italien Scaliger,
paraît-il, qui, au XVIIème siècle, a
lancé dans la cour des astronomes et l'agora des badauds, ce nom
: Mizar ! qui sonne si bien. Comble de chance, il se rapproche de
l'hébreu "Mazar" qui signifie "constellation"
précisément, traduit parfois par "Grande Ourse" !
Sûr qu'il dérive de là.
Mizar, la
petite reine des étoiles doubles depuis que Galilée l'a
dédoublée dans sa maigre lunette. Oh là ! Oh
là ! Ne brûlons pas les étapes ! L'humanité
n'a pas attendu Galileo Galilei pour regarder cette étoile, et
voir à ses côtés un heureux compagnon
écarté de 12 minutes de degré... et Tycho
Brahé de mesurer avec précision cet écartement sur
ses quadrants géants : 11'8. Attention ! nous ne parlons
pas du même couple ! Le grand, facile à voir par vous et
moi, était considéré jusqu’à ces
dernières années, comme un couple-optique, uni seulement
par l’apparence. Il n’en est rien, paraît-il :
il s’agit bien d’un couple physique, uni par la
gravité. Forte différence de magnitude : 4,01 pour
Alcor (la moins lumineuse), 2,23 pour Mizar. "Alcor", joli nom, qui
dérive du persan et signifie "l'abandonnée". Oui,
l'abandonnée, qui gît à 3 a-l de Mizar, loin,
très loin du centre d’attraction. Je ne me risquerai pas
à établir une période !.... On l'appelle aussi "le
cavalier", juché sur Mizar, le second cheval du char. Celui-ci a
élu domicile à 78 a-l, Alcor est à 81 a-l.
Ce compagnon si faible que vous avez détecté à
l’oeil nu brille en réalité comme 18 soleils ! pour
1,8 rayon solaire et 2,2 masses solaires : une belle bleue
(bleutée) en vérité ! (A5 V)
Imitons
maintenant Galilée, et pointons notre télescope sur
Mizar. Pas de doute : c’est une double serrée,
composée de deux astres très semblables,
écartées seulement de 14"4. On les mettrait toutes deux
dans un cratère de la Lune - en diamètre apparent bien
sûr. Très beau couple teinté de bleu. Ont-elles
tourné l'une autour de l'autre depuis qu'on les observe ? Non.
Alors comment sait-on qu'elles sont liées l'une à
l'autre ? Elles sont à la même distance (78 a-l), et
ont le même mouvement propre, et le même mouvement
radial. Alors pas de doute. Mais, si elles n'ont pas bougé
de façon appréciable, il faut croire qu'elles sont
très écartées ? Bien sûr ! Au moins 8 fois
la distance Soleil-Pluton. Et beaucoup plus sans doute.
"Entrez,
entrez, mes demoiselles, venez voir Mizar au spectroscope." Nous
pénétrons à pas feutrés dans ce laboratoire
d’astrophysique, où trônent divers objets inconnus
à nos yeux. Mizar est là dans le ventre de l'instrument.
Mizar ? Son spectre ! ses deux spectres, qui s'étalent
multicolores. "Beaux arcs-en-ciel !" - "Considérez mes
demoiselles, les raies sombres qui coupent chacun d'eux en de multiples
endroits. Vos yeux tout jeunes ne tarderont pas à..." - "... Ah
oui ! monsieur, elles sont paires ces raies, et dans chacun des
spectres !" - "Et bien voilà ! Cela signifie que Mizar est une
étoile quadruple, composée de deux couples : "Mizar A"
pour le plus lumineux, "Mizar B" pour le second. D'ailleurs, si vous
aviez le temps, je vous garderais dans mon laboratoire pendant 20
jours." - "Pourquoi cela ?" - " Pour que vous assistiez en direct
à la révolution complète du couple le plus rapide
: "Mizar A". Vous verriez alors les raies de son spectre se croiser une
première fois, puis une seconde, avant de reprendre leur
position initiale. 20,5 jours, c'est sa période ; 175,5 jours
celle de "Mizar B". Il faut le savoir !" - "Et on ne peut pas voir ces
quatre étoiles au télescope ?" - "Trop serrées,
mes petites, trop serrées, le premier couple ne dépasse
pas la distance de Mercure au Soleil, le second celle de Vénus
au Soleil. Inutile d'essayer."
"Une
autre question, monsieur : sont-elles grosses ces étoiles ?" -
"Plus grosses que le soleil, mes demoiselles, plus grosses. A lui seul
le premier couple vaut 60 soleils en éclat, et le second 14 !.
Tenez, pour terminer, je vais vous donner une idée de leur
distance réciproque. Si nous donnons au premier couple 1cm
d’écartement - échelle
démesurément réduite - les étoiles du
second couple sont à 4 cm l’une de l’autre, et les
deux couples se trouvent écartés de 18 m." - "Ces 18 m
représentent l'écartement de Mizar A et Mizar
B ?" - "Exactement, ce que Galilée a vu dans sa lunette,
avant tous." – "Et Alcor, alors ? " - "Ne m’en parlez pas,
mes petites... au moins à 10 km ! "
Eta Ursae Majoris : Alkaïd
a :
13 h 47 m 32 s d : 49° 18' 48"
Sp : B3 V T : 19 000
K (BC : -1,82)
m =
1,85 M = -0,6 L = 150
soleils p = 32,39 Dist : 101
a-l simple
"Pleurez
pierrots, poètes et chats noirs, la lune est morte..." Mais non
! Mahomet voyons ! promené dans ce corbillard grandiose,
drapé de noir, accompagné dans sa
pérégrination éternelle de trois pleureuses (la
queue de la Grande Ourse). "Alkaïd" = "la maîtresse" des
pleureuses clôt la marche. Toutes se lamentent, inconsolables,
comme autrefois Job, lorsqu'il découvrit dans ce coin de ciel ce
"brancard", avancé pour le conduire à la fosse. La mort,
comment ne pas la palper partout quand elle règne en despote sur
la terre entière ? On l'a transportée, ô scandale !
dans le ciel.
Alkaïd mène le choeur, à la baguette ! Pas question
de faillir dans cet art difficile. Des 7 étoiles de la Grande
Ourse, c'est la plus chaude : 19 000 K. 150 soleils bleus rassemblent
toute leur énergie pour nous donner un concert de bon ton. Des
flots jaillissent, comme il se doit, comme cet oeil bleu ;
diamètre : 2,5 d.s, masse : 6,3 m.s. Ce
cortège funèbre passe à 101 a-l.
i Iota Ursae Majoris : Talitha (borealis)
a :
8 h 59 m 12 s d : 48° 02' 29"
Sp : A7 V T : 8000
K (BC : -0,12)
m =
3,12 M = 2,29 L = 10
soleils p =
68,32 Dist : 48 a-l Triple
"Talitha", la griffe avant,
de la patte droite, qui précède, évidemment bien
sûr, le talon : l'étoile Kappa, moins lumineuse. Talitha =
"le troisième saut" en arabe, celui de l’animal bien
sûr ! Il ouvre la marche, entraînant le char, le chariot,
le corbillard, l'hélice, comme vous voudrez... ou plus
simplement ce cortège d'étoiles. "Qui m'aime me suive !"
Et chacun d'emboîter le pas, et le ciel d'obéir à
la voix. Bravo !
Talitha,
à toi de montrer patte blanche ! si tu veux que les ombres
s'entrouvrent sous ton pas. Elle s'exécute notre patte...
blanche il est vrai. A bien y regarder, ô de très
près, non pas une mais deux griffes pointent le bout de leur
ongle, à 0"4 d'écartement. Voici un couple passionnant,
puisqu'il tourne en 11 ans (4028 j) : période très
courte. Autant voir Jupiter accomplir son orbite ! Ecarquillez les yeux
si vous voulez vraiment saisir un brin de son étreinte.
L'étoile est proche, à 48 a-l.
"Moi, je
vois deux étoiles", crie le garçonnet que j'ai
invité au télescope, "une grosse et une petite toute
rouge." Bonne vue le bambin ! - "Bravo ! Je ferai de toi un astronome
en culottes longues". En effet, à 2" de Talitha (an
2000), une étoile de magnitude 10,5 perce l'espace de son fin
pinceau lumineux. En 2020, elle s'écartera de 3" (demi-grand axe
de l'orbite vraie : 9"09). - "Vois-tu, mon bonhomme, cette
étoile est satellisée autour de Talitha. Comme elle est
très loin, elle tourne très lentement, en 818 ans
pense-t-on." - "C'est long !" - "Je vais te dire un secret : dans ce
petit point rouge, il n'y a pas une étoile, mais deux, que ton
oeil ne sépare pas et qui cependant tournent l'une autour de
l'autre." - "En combien de temps ? - "En 40 ans". - "C'est un peu plus
rapide !... alors (comptant sur ses doigts) : 1, 2, 3, 4... donc,
Talitha est une étoile quadruple ?" - "Bien compté,
fiston." Le couple principal brille comme 10 soleils réunis, le
second comme 0,01 soleil : naines rouges très faibles...
k Kappa Ursae Majoris : Talitha (Australis)
a =
9 h 03 m 37 s d = 47° 09' 23"
Sp : A1 Vn T : 10 500 K
(BC = -0,32)
m =
3,57 M = -1,99 L =
530 p = 7,71 Dist : 420
a-l Double
Toi, le
talon, tu n'as rien à faire dans mon ouvrage, car tu es trop
faible. D'autant plus faible que tu triches encore. Tu maries deux
étoiles pour atteindre cette magnitude de 3,57 (4,16 et 4,54) .
Mais avant de te délaisser, laisse-moi contempler ton visage,
car ta beauté me charme. Ces deux étoiles... tu les
caches fort bien dans les plis de ta robe : 0"1 d'écartement en
l'an 2000, autant dire que l'on te croit unique. Le demi-grand axe de
ton orbite vraie monte à 0"27. En 70,1 ans, tu accomplis un tour
d'orbite... Bravo. Eclat total du couple : 530 soleils !
Allez, maintenant... retourne là-haut, chez toi, à 420
a-l. A noter que Kappa et Iota formant la patte avant, toutes deux se
partagent le nom de "Talitha", "borealis" pour la nordique, "australis"
pour celle du sud.
Thêta Ursae Majoris : Rukbat
a :
9 h 32 m 51 s d :
51° 40' 38" Sp : F6 IV
T : 6500 K (BC : -0,06)
m =
3,17 M = 2,52 L = 8,3
soleils p = 74,15 Dist : 44
a-l Triple
"Rukbat" = le genou, en
arabe, sur la même patte avant. Regardez bien, ouvrez vos
yeux tous grands derrière votre oculaire. A 4"1 brille une
faible naine rouge, difficile à saisir : magnitude 13,9 ,
blottie contre cette rotule éclatante. Comble de malchance, on
ne connaît pas sa période. Etonnant, surprenant,
anormal... Pensez : l'étoile n'est qu'à 44 a-l, toute
proche. On devrait voir sa ronde. A moins qu'il ne s'agisse d'une
double optique...
Maintenant venez assister au spectacle. Approchez-vous par la
pensée de l'étoile principale. Elle cache un jeu subtil
dans son unique rayon, unique en apparence, car deux étoiles
l'habitent, indécelables au télescope, et se contournent
en 1 an (371 j). Autant voir la Terre autour du Soleil ! L'éclat
total de ce couple secret s'élève à 8,3 soleils.
l Lambda Ursae Majoris : Tania Borealis
a :
10 h 17 m 05 s d : 42°
54' 52" Sp : A2 IV T :
9800 K (BC : -0,35)
m =
3,45 M = 0,38 L = 60
soleils p =
24,27 Dist : 134 a-l simple
"Tania
Borealis", "Tania Australis" : la seconde patte de l'Ourse,
patte arrière droite, portant pour lettres grecques Lambda et
Mu, étoiles distantes de deux degrés environ sur le ciel.
Grand pied ! Plus grand encore si l'on connaît sa dimension
spatiale ! Pensez : la griffe (Lambda) demeure à 134 a-l, le
talon (Mu) gît à 250 a-l. Pas de lien gravitationnel entre
elles deux : impossible ! Tania = "le deuxième saut" de notre
animal polaire, décidément bien excité. Il y a
tant à voir là haut !
"Tania
borealis" : comme cette étoile doit donner aux choses et
aux êtres qui l'entourent - s'ils existent - une teinte curieuse
! inconnue sur Terre. Un soleil bleu... Avez-vous songé à
un coucher de soleil bleu ? à un village sous ses rayons ? un
champ de blé bercé par la brise matinale ?... Autre
soleil, autre ambiance, autres moeurs sans doute... D'autant que Tania
est puissante : 60 soleils, son rayon embrasse 3 rayons solaires, et sa
masse atteint 3,4 masses solaires.
m Mu Ursae Majoris : Tania Australis
a :
10 h 22 m 19 s d : 41° 29' 58"
Sp : M0 III T : 3450
K (BC : -1,55)
m =
3,06 M = -1,35 L = 300
soleils p = 13,11 Dist : 250
a-l Double
"Tania
Australis" : le talon. Ci-gît une étoile double,
invisible, détectée par l'agitation périodique de
son spectre, exécutant un ballet inconnu au rythme de ses ans...
Ses ans : ils ne durent que 230 jours, se referment bien avant que,
chez nous, renaisse le printemps. C'est dire si les composantes sont
proches, plus proches que la Terre l'est du Soleil. D'autant que
l'étoile principale de ce couple serré est une
géante rouge : 66 millions de km (95 rs) de rayon, qui mordrait
l'orbite de Mercure, la dépasserait même. D'ici qu'il soit
brûlé tout vif son futé compagnon ! L'éclat
total du couple s'élève à 300 soleils. Fournaise !
n Nu Ursae Majoris : Alula Borealis
a :
11 h 18 m 28 s d : 33° 05'
39" Sp : K3 III T
: 4200 K (BC : -0,89)
m =
3,49 M = -2,06 L =
570 p = 7,74 Dist : 420
a-l Double
"Alula Borealis", Alula
Australis : la troisième patte, arrière gauche
celle-là. La quatrième, invisible (avant gauche),
s'apprête quant à elle à élancer le char des
étoiles. Tourne, tourne, bel animal, le ciel est à toi...
Alula = "le premier saut" de notre "cabriolette" :
vous y aviez pensé !
420 a-l
et 25 a-l : telles sont les distances de ces deux étoiles.
Et cependant, la plus lointaine reste la plus brillante : 3,49 contre
3,78 à sa compagne imaginaire. Toi, Alula Borealis, la plus
voyante, révèle-nous ta face, dévoile tes secrets.
"Vous le voulez vraiment ? répond-elle... eh bien, comptez...
comptez jusqu'à 570 et vous apprécierez mon éclat
comparé au soleil (pris pour unité). Comptez maintenant
jusqu'à 66 (r.s.) et vous aurez une idée juste de mon
rayon. Je n'atteins pas Mercure, certes, dans mes dimensions, mais
presque (46 millions de km). Ceci pour 7,2 masses solaires. Ma robe a
épousé la couleur du feu. J'habite loin, très
loin, en compagnie d'une étoile rouge. Vous la voyez poindre
à 7"2 de mes rayons, de magnitude 9,9. Vous ai-je tout dit ?
Non... sa période par exemple. Mais vous êtes assez malins
pour la trouver. Un peu d'exercice !..." Nu et Ksi composent ce dernier
pied.
Et toi,
Alula Australis - l'étoile Ksi - que dis-tu ? "Je
dis que je suis plus belle encore." Evidemment ! Interrogez une star,
elle vous déclinera toutes ses grâces... "Oui !
croyez-moi... je suis une binaire orbitale, de bel éclat :
magnitudes 4,32 et 4,79 (3,78 combiné). J'étale devant
vous mes charmes, lorsque, armés de vos grosses lunettes, vous
me voyez tourner en orbes régulières. En 59,8 ans, je
comble vos désirs, achevant sous vos yeux un tour de ronde. En
l'an 2000 vous verrez mes étoiles se frôler à 1"8.
Elles peuvent s'étirer jusqu'à 3"5 dans mon orbite vraie
(qui tient compte de la profondeur de l'espace). Demi-grand axe : 2"5.
Périastre : 1"5. Ma course s'inscrit sans problème dans
les limites de votre système solaire (distance moyenne :
Soleil-Uranus). Mais ce n'est pas tout. Vous ne voyez là que la
partie émergée de l'iceberg - si je puis, moi,
étoile, m'exprimer ainsi. Se cachent dans mes feux doubles deux
autres étoiles, rouges celles-ci - naines rouges - oui,
accrochées à chacune de mes composantes jaunes. Imaginez
mon système, pas plus grand, je vous l'ai dit, que votre
système solaire : 4 étoiles dans cette
étroite arène ! Quand je vous disais que j'étais
belle... Le couple le plus brillant accomplit sa révolution en
669 jours (orbite de Mars), l'autre en 3,9 jours (7 millions de km au
plus de centre à centre). Voici mon monde à moi, superbe,
ravissant. Vous voilà convaincus, j'espère ! La somme
totale de mes masses s'élève à 2 masses solaires,
pas davantage.
Quelle chipie ! alors que, normalement, elle n'a pas son entrée dans mon ouvrage (trop faible).
Psi Ursae Majoris
a :
11 h 09 m 39 s d : 44° 29'
54" Sp : KI III
T : 4750 K (BC : -0,96)
m =
3 M = -0,27 L = 110
soleils p = 22,21 Dist : 147
a-l simple
"Psi Ursae Majoris", entre
la patte arrière et la patte médiane,
piégée entre ces membres redoutables ? Eh... allez la
délivrer à 147 a-l ! Elle a beau forcer les barreaux de
sa "cage", gonfler son abdomen, rien à faire ! 23 rayons
solaires ornent ses dimensions. Etoile orange d'une masse égale
à 4,6 masses solaires. Beau spécimen, simple dans son
composé. Cette étoile ne porte pas de nom propre,
à ma connaissance.
o Omicron Ursae Majoris : Muscida
a :
8 h 30 m 15 s d : 60° 43'
05" Sp : G4 II-III
T : 5400 K (BC : -0,42)
m =
3,35 M = -0,4 L = 120
soleils p = 17,76 Dist : 184
a-l double
"Muscida" = le "museau",
vous l'aviez deviné... ou la gueule grande ouverte telle qu'elle
apparaît sur la voûte céleste si nous
considérons les étoiles qui dessinent un demi-cercle
depuis Muscida précisément, jusqu'à Talitha, la
patte avant (voyez la carte). Fantaisie du ciel, qui ne correspond pas
aux dessins qu'on en fit : ce demi-cercle incarne plutôt sur nos
cartes le poitrail avant de l'Ourse. Dommage... Car elle semble bien
ouverte cette gueule. Crier, bailler, mugir, happer... ? Muscida habite
à 184 a-l. Des flammes très jaunes s'échappent de
sa surface géante. Depuis son coeur palpitant, 120 soleils
gagnent l'espace environnant. Quelle puissance ! 15 rayons solaires
s'empilent sur ces dimensions linéaires, pour 4,2 masses
solaires. Pour vivre près d'elle, il faudrait habiter sur
Saturne, toutes proportions gardées.
Une
étoile très faible (mag 15) s'approche imprudemment de ce
gosier géant, à 7"1. Pas facile à voir.
Avec cette étoile, nous terminons notre exploration de la Grande Ourse. Que de merveilles !
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