L a P e t i t e O u r s e (Umi)
U r s a (ae) M i n o r (oris) (256 degrés carrés)
La
Petite Ourse : constellation remarquable ! Elle embrasse le
pôle Nord céleste, projection sur le ciel de "l'axe du
monde" : l’axe Nord-Sud de la Terre. Nommée par
Thalès - dit-on - au septième siècle avant notre
ère, la Petite Ourse occupe le centre d'un grand carrousel qui
tourne en 24 h sidérales (1) . Qui tourne ... que dis-je
? C’est la Terre qui, dans son mouvement diurne, accomplit
une rotation complète d’Ouest en Est, imprimant au ciel un
mouvement - apparent - dans le sens contraire : d’Est en Ouest.
Ronde fantastique, effrénée, dont les seuls points fixes
sont le pôle céleste boréal et le pôle
céleste austral !
L'extrême queue de la Petite Ourse, marquée par l'Etoile
Polaire, s'approche très près du Pôle Nord :
à 48 minutes de degré, soit une fois et demi le
diamètre apparent de la Lune. Que l’étoile Polaire
indique le Nord - bien qu’elle ne soit pas exactement au
Pôle - quoi de plus normal ! C’est la plus proche du
Pôle, actuellement. Actuellement ? Est-ce à dire que son
élection n’est pas définitive ? - seulement
passagère... périodique plutôt. Car ces
points fixes - les pôles célestes - ne sont pas aussi
fixes qu'ils paraissent. Ils bougent et avec eux le monde entier
bascule. De peu, il est vrai : 50",25 de degré par an.
L'axe de notre grand carrousel change d'orientation dans
l’espace, de cette valeur précisément. Pourquoi
cela ? Parce qu'il pivote sur lui-même, telle une toupie,
entraînant avec lui, apparemment, toute la sphère
céleste. Le vertige me gagne, moi qui me croyais solidement
ancrée sur le roc terrestre. Non seulement la terre tourne sur
elle-même (460 m/s à l’équateur), non
seulement elle gravite autour du soleil comme une folle (30 km/s !),
mais encore son axe tangue comme un vaisseau sur une mer
démontée ? Eh oui... La réalité du monde
est ainsi faite. Ce mouvement de "précession" - qui
s’accomplit dans le sens rétrograde (celui des aiguilles
d’une montre) alors que la Terre tourne sur elle-même dans
le sens inverse (le sens direct) - ce mouvement, dis-je, ne grignotte
sur le ciel que peu de chose : 50",25 par an, je l'ai dit. Pour
accomplir un tour complet, notre toupie mettra donc 25 800 ans. Sa
danse, nous ne la sentons pas, si lente, si mesurée. Mais en
raison de ce déplacement imperceptible, chaque année, le
printemps gagne 20 mn sur l’année
précédente. Vous ne l'aviez pas remarqué ? vous
qui vivez à l'époque de l'horloge parlante et
radio-pilotée ? La "précession des équinoxes",
c'est cela, découverte par Hipparque au second siècle
avant Jésus-Christ. Nous expliquerons plus loin comment il
procéda.
Le
Pôle Nord céleste va se rapprocher encore de
l’Etoile Polaire. Il la croisera à 27' 09", sa plus courte
distance, en l'an 2100 (calcul du BDL), puis s’éloignera
peu à peu, finira par quitter la Petite Ourse, pour entrer un
jour dans Céphée. Le règne de ce grand Roi,
propulsé par les lois même de la nature au "centre du
monde", commencera dans 2000 ans, pas avant ! Un "pâtre" de cet
auguste roi tiendra, en lieu et place, le rôle de l'étoile
polaire et fera paître - longtemps - le troupeau des
étoiles. Je dis "pâtre" car le nom de l'étoile en
question, Gamma Cephei, porte le nom arabe "d'Errai", qui signifie
"Pâtre".
Si
le ciel est un grand manège sur lequel tournent le Lion, le
Dragon, le Petit Cheval, le Navire, etc... il est aussi une horloge.
Etrange horloge en vérité ! qui ne possède
qu’une seule aiguille, fixe de surcroît, mais un cadran
mobile. Après tout, pourquoi pas ?... L'aiguille, c'est le
Méridien du lieu d'observation (2) , le cadran, le ciel tout
entier qui en 24 h. sidérales accomplit un tour complet.
Merveille de régularité et de précision ! Du
moins tant que la Terre tourne rond... 24 fuseaux horaires
divisent également la sphère céleste. Le premier,
le méridien 0 h, passe par le point vernal : intersection de
l’équateur céleste et de
l’écliptique ; là se trouve le soleil
à l'équinoxe de printemps dans la constellation des
Poissons. Ce méridien joint les deux pôles, croise sur sa
route d'autres constellations, qui toutes sont à 0 h
sidérale, se trouvant sur le même fuseau horaire.
Lorsqu'elles arrivent à mon méridien d'observation, il
est alors 0h à l'heure sidérale locale. La Vierge,
diamétralement opposée aux Poissons, passera à 12
h sidérales, le Taureau à 6 h, le Sagittaire à 18
h , etc... Si donc je connais l’heure des constellations, je
connais l'heure de cette horloge céleste. Merveilleux n'est-ce
pas ?
Bêta et Gamma de la Petite Ourse, situées à
l’arrière du petit Chariot, sont avec
l’étoile Polaire (Alpha) les seules étoiles de la
constellation qui entrent dans le cadre de notre étude, toutes
trois visibles même par temps brumeux.
Bêta et Gamma sont appelées "les Gardes" (The
Gardians of the Pole) : les gardiennes du Pôle.
a Alpha Ursae Minoris : La Polaire.
a =
2 h 31 m 50 s d = 89° 15' 51"
Sp : F8 Ib T = 6300
K (BC : -0,28)
m =
1,97 M = -3,64 L = 2400
soleils p = 7,56 Dist : 430
a-l
Variable, Triple + 2 compagnons lointains
Vive Hipparcos ! le
satellite astrométrique, qui en quatre ans de relevés, a
mesuré les positions et les distances d'un grand nombre
d'étoiles, avec une précision cent fois plus grande que
celle que l'on connaissait jusqu'alors. Il vient de soulager tous les
astronomes de la planète. Figurez-vous que la distance de
l'Etoile Polaire était inconnue (ou très mal connue).
Quoi ? Est-ce possible ? A quoi bon grimper sur la Lune, construire une
station spatiale, conquérir la planète Mars, quand
l'étoile que indique le Nord reste encore une énigme.
Inadmissible ! Cette étoile sur laquelle repose pourtant notre
vision du monde !... Pas de quoi pavoiser ! Enfin, Hipparcos a
sauvé l'honneur de tous les laboratoires d'astrophysique.
Depuis, les astronomes dorment sur leurs deux oreilles - ce qui est par
ailleurs strictement interdit ! Voici la distance de Polaris : 430 a-l.
Il était temps, fin du XXè siècle !...
Bien curieuse étoile ! Jusque dans les années 90, son
éclat variait. Oh, très peu : d’un
douzième de magnitude à la fin du siècle
dernier... elle n'a cessé de décroître
jusqu'à s'éteindre en 1994, éteindre sa variation,
j'entends. Aujourd'hui, elle brille par son silence, son calme plat, sa
régularité parfaite. C’était, dit-on, une
"céphéide", une étoile qui sous l’effet de
la combustion de l’hélium central, voyait son enveloppe
extérieure grandir, puis se rétracter en une
période qui pour la Polaire s'étendait sur 3,97 jours.
Tout est-il terminé ? Va-t-elle se réveiller ? Qui peut
le savoir ?
Autre curiosité : la Polaire est une étoile
"spectroscopique". Qu’est-ce cela ? Une fantaisie que
possèdent certaines étoiles : elles vivent en couple
serré, trop serré pour la résolution de nos yeux (3) ,
et même de nos télescopes. Seul recours : la
spectroscopie. En analysant soigneusement leurs spectres, on
détecte la paire... Les raies du spectre se croisent
alternativement au rythme de la période. Ah ! si la Polaire
habitait à 43 a-l au lieu de 430, nous le verrions ce couple
derrière nos oculaires. La preuve : les deux astres sont
écartés de la distance qui sépare Uranus du soleil
(2,5 milliards de km). Les calculs ont été faits, il n'y
a plus de doute. La période de ce monde à deux : 30,46
ans.
Venons-en à la Polaire elle-même, je veux dire à
l'étoile principale, car dans ce duo, les corps sont
disproportionnés. Petite femme, vêtue de bleue, et gros
monsieur, parée de blanc... Ca existe ! Petite femme, attention
! à elle seule cette belle épouse est plus chaude, plus
lumineuse que notre soleil (spectre A5). Quant à son homme,
accrochez-vous... Comptez jusqu'à 2400, et vous aurez une
idée de sa luminosité par rapport au Soleil pris pour
unité. Imaginez-le à la place du soleil. Bigre ! Son
"bourrelet équatorial" avalerait sans peine la planète
Mercure. L'étoile est supergéante : 64 millions de
km de rayon, 9 masses solaires. Un gras monsieur.
Regardez cette beauté à l’oculaire d’un
télescope. Que voyez-vous poindre non loin de ses rayons ? Une
troisième étoile, visible celle-là, mais
d'éclat très faible (magnitude 9,0), à 18"4 du
couple. La Polaire serait-elle triple ? Oui, il faut le savoir ! A bien
y regarder, elle n'est pas aussi faible que cela cette nouvelle venue :
son éclat blanc vaut 4 soleils. Elle gravite à distance
du couple principal : 60 fois la distance de Pluton au Soleil.
Elle ne saurait cependant quitter le foyer parental auquel elle reste
résolument attachée par le jeu subtil de la
gravitation... Très longue révolution : plusieurs
dizaines de milliers d'années. Depuis qu'on l'observe, on ne l'a
pas encore vue bouger d'une manière sensible.
Les
astronomes équipés de bons instruments pourront saisir
deux autres étoiles plus distantes du couple : l'une
à 44"7, magnitude 13, l'autre à 82"7, magnitude 12.
Sont-elles à compter, elles aussi, dans le système
multiple de la Polaire ? J'en doute... Tout dépend de leur
distance.
Quel nom portait cette étoile merveilleuse, avant qu'elle
devienne l'Etoile Polaire terrestre ? L'a-t-on conservé ? Oui.
Elle répondait au doux nom de "Cynosura", qui signifie : "La
queue de l'Ourse". Evidemment bien sûr, il fallait y
penser... Ce n'est qu'à partir de l'an 1000 de notre ère
qu'elle prit le nom de "Polaris". Les Italiens l'appellent volontiers
la "Tramontana" : au-delà des Alpes, pour eux bien
sûr ! D'où l'expression "perdre la tramontane" = "perdre
le nord". A éviter, surtout quand on est astronome...
b Bêta Ursae Minoris : Kochab
a
= 14 h 50 m 42 s d = 74°
09' 19" Sp : K4 III
T : 4000 K (BC = -1,11)
m =
2,07 M = -0,87 L = 190
soleils p = 25,79 Dist : 126
a-l un compagnon
"Kochab" : ce nom arabe signifie "l'Etoile du Nord". Est-ce
à dire qu'elle fut dans un passé proche ou lointain,
l'étoile Polaire de la Terre ? Oui, bien sûr ! avant
"Cynosura", notre Polaris actuelle. En 1000 avant J.C, elle jouissait
de ce privilège fort rare. Promotion tout à fait
singulière ! Elle approcha le pôle exact autant qu'il lui
fut possible - 7° environ - sans jamais battre le record de
l'étoile actuelle. C'était l'enfant chéri des
navigateurs et des astronomes de l'époque. Elle régna
2000 ans environ.
Kochab, ne devinez-vous pas sa couleur rouge, qui frappe
aisément la rétine ? Il ne fait pas très chaud
chez elle : 4000 K, frisqué pour une étoile... tout est
relatif. 190 soleils sont rassemblés dans son brasier
gigantesque qui flambe sous nos yeux. Quant au rayon, elle a
copié sur Polaris : 60 millions de km. Etoile géante,
massive : 5 masses solaires. Elle se consume à 126 a-l de nos
frontières. Feu de camp dans les hauteurs...
Voyez-vous à 209"7 une petite étoile de magnitude 11,3,
bien lointaine pour être associée à Kochab...
g Gamma Ursae Minoris : Pherkad
a =
15 h 20 m 43 s d = 71°
50' 02" Sp : A3 II-III
T : 9200 K (BC :
-0,45)
m =
3 M = -2,84 L = 1200 soleils
p = 6,79 Dist : 480
a-l. simple, variable
"Pherkad" = "le veau
maigre", comparé à Bêta : "le veau gras" -
nom que cette étoile portait avant d'être l'Etoile du Nord
(Kochab). Et comme la petite Ourse est la fille de la Grande Ourse, ces
deux veaux étaient les rejetons des "sept boeufs" - l'histoire
se répète identique. Scrutez-la à l'oeil nu.
Voyez-vous s'approcher de ses feux une étoile très faible
(mag. 5,02), à une demi-lune environ (17') ? Sinon prenez vos
jumelles. Faux couple bien sûr, uni par l'apparence, comme
souvent en ce monde... La brillante, celle qui nous intéresse
ici, vit à 480 a-l, la seconde - 11 Ursae Minoris, c'est son nom
- à 390 a-l. Quel beau contraste au télescope,
d'éclat et de couleur ! Bleue et jaune respectivement.
Pherkad, étoile géante, comme ses soeurs
précédemment citées : pourquoi faire bande
à part, si l'on veut que ce petit chariot roule bien sur ses 4
roues, entraîne dans sa course l'armée des étoiles
dans le temps imparti : 24 h précises ? 16 rayons solaires
pour ce soleil grandiose, qui frise les 8 masses solaires... 1200
soleils s'échappent dans sa flamme.
Mais qu'enregistre mon photomètre ? Une variation d'éclat
(de 3,05 à 3,08), minime certes, mais appréciable, et en
un temps très court (inférieur à 6 h.). "Variation
du type Delta Scuti" (famille de variables) : faible amplitude,
courte période, étoiles pulsantes, enrichies en
éléments lourds (métaux).
Autre curiosité : Pherkad est couronnée (shell star) !
Elle ne fut pas élue étoile de l'année, ni
appelée comme ses consoeurs au "centre du monde", et
pourtant... une magnifique auréole orne son chef de
majesté, composée des gaz chauds, brillants, maintenus en
suspension autour d'elle par la puissance de radiation qui
s'échappe de l'étoile. Beau spectacle. S'il y a une
planète autour de Pherkad, quelle vue est la sienne !...
Char de feu que notre Petite Ourse, celui peut-être qui transporta Elie au ciel ?...