Le Coudé : petit historique d'une lunette centenaire

Le Coudé est un des instruments de l'Observatoire de Nice, qui est un des sites d'implantation de l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA).

Sa formule est due à l'astronome parisien Loewy, spécialiste de l'observation planétaire, qui l'imagine vers 1871. Il s'agissait à l'époque, de donner une meilleure stabilité mécanique aux grandes lunettes astronomiques, en les munissant d'un point d'appui situé vers le milieu de leur tube, à un endroit a priori favorable. L'instrument génère un minimum de turbulence car il n'y a pas de coupole. Il peut aussi observer le ciel dans son entier, contrairement aux siderostats classiques. Grand avantage, l'oculaire ne change pas de position et se trouve à l'abri : les observateurs de l'époque furent probablement intéressés à l'idée de pouvoir travailler au chaud ! De plus, des instruments encombrants pouvaient être placés au foyer ...

La réalisation présentait cependant des inconvénients optiques (ajout de deux miroirs plans, alignement plus complexe du fait du plus grand nombre de surfaces optiques, perte de luminosité); la conception mécanique générale de l'entraînement en fut de plus compliquée presque à souhait, comme le notaient Danjon et Couder. Il apparut à l'époque que ces inconvénients l'emportaient largement sur les avantages, et la formule fut complètement abandonnée.

le coudée vers le début du siècle L'équatorial est entré en service dans la seconde moitié de 1892. La construction mécanique est due à Gautier et Villard, et l'optique d'origine aux frères Henry. Des instruments similaires furent construits à la même époque.

L'équatorial coudé est décrit très en détail par Perrotin dans les annales de l'Observatoire de Nice de l'année 1899 (dont est extrait le schéma ci-dessous). A l'origine, l'instrument avait pour objet la recherche des comètes. Ce travail est notamment permis par l'installation d'un appareil photographique au foyer de la lunette. C'est avec cet équipement que Michel Giacobini a découvert, le 4 septembre 1896, une comète périodique des plus intéressantes qui porte aujourd'hui son nom.

Le Coudé avait aussi pour objet l'observation des étoiles doubles, des astéroides, des planètes et de la Lune. En particulier, les diamètres des tubes intérieurs et des deux miroirs ont été déterminés de façon à obtenir au foyer un champ de plein éclairement qui soit égal à deux fois le diamètre apparent de la Lune (il mesure un peu plus d'un degré), ce qui permet de l'avoir entièrement dans le champ, quel que soit le point de son disque observé au centre du tube.

L'instrument dispose à l'époque d'un entraînement à contrepoids qui nécessite un remontage toutes les trois heures et les axes sont commandés par un système mécanique complexe.

Au début du siècle, le manège des astronomes intrigue beaucoup les Niçois. Ils finissent par assimiler le Coudé à un baromètre et supposent notamment que si le wagon qui abrite l'instrument est ouvert, c'est que la journée sera belle ...

L'Observatoire de Nice se retrouve à l'abandon à partir de l'entre-deux-guerres et ne redémarre que dans les années 60; à son arrivée, Jean-Claude Pecker, nouveau directeur du site, devra se frayer un chemin dans les broussailles pour accéder aux coupoles ... Jusqu'au début des années 1970, la coupole reste inutilisée et n'est plus entretenue. La transformation de la lunette en instrument solaire, sous la direction de Gilbert Ricort, est entreprise en 1969. Le Coudé est rénové et modernisé : l'ancien entraînement est notamment remplacé par des moteurs. L'instrument est aussi adapté aux observations solaires: peinture blanche du tube (auparavant noir !), nouveaux miroirs en cervit, ajout d'un diaphragme d'objectif (visible sur la photographie ci-dessous) et d'un foyer refroidi à l'eau.

granulation solaire Le Coudé en 1973

L'instrument entre en service en 1973, les premières photographies étant obtenues en septembre de cette même année. L'instrument était considéré, en astronomie solaire française, comme un des meilleurs, sinon le meilleur de par son ensoleillement (l'ensoleillement annuel de l'Observatoire de Nice est de 2800 heures en moyenne, contre 1700 pour la grande tour solaire de l'Observatoire de Meudon). L'instrument permet l'observation des microstructures photosphériques (granulation solaire, voir photo ci-dessus) et servira à la mise au point des observations hélioséismologiques (travaux d'Eric Fossat, qui ont aujourd'hui amené sur la création du réseau IRIS).

Après ce renouveau d'activité, la lunette ne sera plus guère utilisée que par quelques astronomes, pour des études précises sur le Soleil ou la mise au point de manipulations réalisées sur d'autres instruments. L'instrument se dégrade à nouveau. Fin 1990, la direction de l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA) autorise l'association Novae à utiliser ponctuellement la Lunette Coudée, certains membres étant en effet habilités à se rendre à l'observatoire dans le cadre de leurs études. Les observations débutent en novembre 1990, devant un tube grand ouvert, sans porte-oculaire, avec des éphémérides calculés à la main. La démonstration gestuelle des premiers pointages tient plus de l'appontage sur un porte-avions que de l'astronomie : au bout d'un quart d'heure de recherches, l'instrument étudie la nature du sol terrestre ... En juillet 1991, une convention provisoire est signée entre l'OCA (dont le directeur est à l'époque Philippe Delache) et Novae; une convention définitive sera finalement signée en septembre 1994, à l'initiative de l'actuel directeur de l'OCA, Jose Antonio de Freitas Pacheco. Cette convention réglemente l'accès et l'utilisation du site.

Une nouvelle rénovation s'entame avec le soutien de l'ANVAR : réaluminure des miroirs plans, refonte totale de l'électronique, nouvelles pièces mécaniques, réalisation d'un spectrographe, changement des moteurs en panne ... L'instrument est maintenant opérationnel, plus simple qu'il ne l'a jamais été, agréable à manipuler et de plus en plus opérationnel. C'est finalement le seul instrument de l'observatoire niçois qui a observé l'impact de la comète SL9 sur Jupiter en 1994; il aura aussi permis à de nombreux amateurs d'assister à ce grandiose spectacle cosmique. L'association NOVAE a reçu en mars 2000 le prix de l'Association pour le Développement International de l'Observatoire de Nice (ADION) pour le travail qu'elle a effectué et effectue encore au Coudé de l'Observatoire de Nice.

Les professionnels se servent encore de cet instrument, en particulier pour des tests d'expériences. L'instrument est visible lors des visites de l'observatoire. Des amateurs réalisent actuellement des images avec cet instrument... VOUS le pouvez aussi !