BILAN DE L'APPARITION 2009 DE JUPITER

En 2009, Jupiter était en opposition le 14 août, avec un diamètre apparent très important de 48,9" (proche du maximum de 49,9"). L'apparition s'inscrit dans la prolongation des évènements observés depuis 2006, année où la planète est entrée à nouveau, pour la première fois depuis le début des années 1990, dans une période de "bouleversement global", et de cycles de disparitions/réanimations de la SEB. Un premier bouleversement a été observé en 2007, avec un épisode atypique de réanimation de la bande. Après la reprise d'une activité soutenue de la SEB en 2008, 2009 a vu cette activité décliner à nouveau progressivement au fil des mois, pour s'arrêter complètement à l'automne, préparant ainsi une nouvelle disparition. C'est le sujet principal du bilan 2009, car l'année nous a permis d'observer de façon détaillée cette phase du cycle de la SEB.

D'autres phénomènes intéressants sont à décrire, le moindre n'étant pas l'observation surprise d'un nouvel impact sur Jupiter, découvert en juillet 2009 par Anthony Wesley.

SOMMAIRE :

I : L'arrêt de l'activité de la SEB
II : Une nouvelle phase d'expansion de la NEB
III : "L'impact Wesley" de juillet 2009
IV : Autres phénomènes : les trois autres taches rouges de la planète, la perturbation sud-équatoriale

I : L'arrêt de l'activité de la Bande équatoriale sud (SEB)

En temps normal, la SEB est une des deux bandes de Jupiter les plus dynamiques. Cette année, comme en 2006/2007, cette activité s'est calmée au fil des mois, préparant ainsi la disparition de la bande, phase qui commencera en fin d'année 2009. Voici une description détaillée des différentes étapes du phénomène, telles qu'elles ressortent de la comparaison avec les précédents cycles (2007, 1992, 1989..)

A : La disparition de la convection associée à la GRS

Le tout premier signe d'arrêt de l'activité est la disparition assez rapide des "remous" qui existent habituellement en permanence dans la bande au nord-ouest de la Grande tache rouge (GRS). Ces remous sont de petits phénomènes de convection éruptive qui apparaissent à cause de l'écrasement des vents circulant dans la bande au nord de la GRS (en-dessous). Ce printemps 2009, ils s'arrêtent au début du mois de juin. Les flèches pointent quelques-unes de ces convections blanches sur les images d'avril et mai. Le 18 juin, aucune n'est plus apparente.

Images de Tomio Akutsu et Jean-Jacques Poupeau.

B : La formation des barges rougeâtres

L'arrêt de la convection se propage ensuite sur toute la bande, en l'espace de quelques mois (voir C :). Cet arrêt se traduit par l'apparition de taches rougeâtres situées vers 17°S de latitude : des "barges", qui sont des grosses cellules dépressionnaires (en rotation horaire). Ces barges sont habituelles dans la NEB mais ne sont observées dans la SEB que durant cette phase particulière.

Elles commencent à émerger de la turbulence en décrue en juin, en suivant de façon visible la propagation vers l'ouest (droite) de l'arrêt de la convection. Cette année, l'une d'entre elles, juste à côté de la Tache rouge, est proéminente.

Images T.Akutsu, D.Parker, J-P. Prost, J.Sanchez, I.Sharp.

C : La propagation de l'arrêt de la convection vers l'ouest

L'arrêt de la convection ne concerne pas uniquement la zone de remous associée à la GRS. En temps normal, La SEB apparaît "perturbée", pleine de volutes nuageuses brunes et de stries : ces détails sont le signe des mouvements qui agitent les nuages dans ces latitudes de la planète. La disparition de la convection générale fait prendre à la bande un aspect "lisse" caractéristique, avec quasiment aucun détail même à haute résolution. En 2009, ce phénomène se propage clairement d'est en ouest entre juin et octobre, en commençant immédiatement à l'ouest de la Tache rouge. Il fait ensuite le tour de la planète et revient à la TR courant octobre.

Cette image de T.Akustu, à droite, montre l'aspect de la SEB autour de la TR à la fin du processus, le 26 octobre 2009. La bande est lisse, homogène, avec son chapelet de barges rouges.

D : l'intensification de la couleur de la Grande tache rouge

L'effondrement de l'activité de la SEB a pour conséquence l'intensification de la Tache rouge. Lorsque la bande aura disparu, elle redeviendra même nettement rougeâtre (alors qu'habituellement elle est plutôt rose pâle). En situation d'activité normale dans la région, le mélange de nuages entre la tache rouge et les régions environnantes pourrait nuancer sa teinte ; ou alors, il gêne la réaction aux UV solaires du composé inconnu qui donne la couleur rouge.

En 2009, le gain de couleur est très important. Encore gris pâle au printemps, la GRS devient progressivement rose puis orange au cours de l'été et de l'automne. La comparaison avec des images prises dans le violet permet d'objectiver ce changement, en écartant un biais du au traitement de la balance des couleurs sur les images amateur.

Images T.Akutsu

E : Un curieux spot lumineux et son filé de nuages bleus...

Un phénomène plus discret a été remarqué à l'automne, mais la comparaison avec les cycles précédents de disparition de la SEB montrent qu'il apparaît toujours dans ces situations. Une tache petite mais brillante émerge juste au nord de la Tache rouge, sur le bord de sa baie. Brillante dans la bande du méthane, il s'agit vraisemblablement d'une petite source éruptive, qui semble stable sur plusieurs semaines et récurrente quand la SEB est calme partout ailleurs. Un filé de nuages bleutés s'observe à sa suite dans la partie nord de la bande.

Les flèches pointent la source lumineuse et le filé, sur cette image d'Anthony Wesley du 19 octobre. On voit par ailleurs ici encore l'aspect lisse de la SEB ainsi que les deux premières barges rougeâtres.

F : La perte finale de couleur de la SEB

Différentes cartographies au cours de l'année 2009 montrent l'évolution globale du domaine sud-équatorial de Jupiter (SEB+STrZ). A : mars 2009, la bande est encore normalement active, et apparaît sombre et perturbée. La Grande tache rouge est très pâle, presque grise. B : six mois plus tard en octobre 2009, la SEB est complètement inactive : lisse, surtout sur sa partie sud, avec son chapelet de barges dépressionnaires rougeâtres. La couleur générale est déjà plus pâle. La GRS est nettement plus colorée en rose/orange. C : Dernières images de l'apparition en décembre 2009 : la SEB perd à présent sa couleur, de rose pâle, elle sera bientôt blanche. La Tache rouge se renforce toujours. Images : T.Akutsu, D.Peach, JJ.Poupeau

D'un point de vue physique, l'interprétation admise pour le moment est que l'arrêt de l'activité correspondrait à un refroidissement de la bande. Ce refroidissement provoque l'arrêt des mouvements convectifs, puis ultérieurement entraîne la condensation de l'ammoniac gazeux en nuages blancs au-dessus des nuages bruns ; c'est cela qui ferait progressivement "disparaître" la SEB, qui prend au final l'aspect typique des zones nuageuses blanches.

II : Un nouvel épisode d'expansion de la bande équatoriale nord (NEB)

Le domaine équatorial/tropical nord de Jupiter comprend la Bande équatoriale nord (NEB, North equatorial belt) et la Zone tropicale nord (NTrZ, North tropical zone). Ce domaine connaît un cycle d'activité moins spectaculaire que celui de la SEB, mais beaucoup plus régulier. Sur une période de quatre ans environ, on remarque que la NEB semble varier en largeur de façon très importante ; elle présente une phase "étroite" et une phase "large", durant laquelle elle peut faire deux à trois fois sa largeur minimale. En fait, sur cette période, la NEB connaît une phase "d'expansion", durant laquelle elle envahit en partie la NTrZ qui la jouxte immédiatement. Dans la mesure où les courant-jet qui déterminent les latitudes véritables des bandes et des zones ne changent pas, il serait plus exact de parler d'épisodes de coloration partielle de la NTrZ ; néanmoins, cette activité est désignée comme étant un cycle d'expansion/récession de la NEB.

L'année 2009 sur Jupiter a connu un début classique mais bien marqué d'expansion de la NEB. Cette expansion est complète début 2010, et sera certainement suivie d'une phase de récession d'ici à 2011-12 (le cycle présente d'autres types de phénomènes dont nous parlerons au cours de l'apparition 2010).

A : Schéma des principaux mouvements de vents dans le domaine équatorial et tropical nord

NEC, NEBn, NTBs : courant-jets définissant bandes et zones. Le courant NEBn, le plus faible, délimite la NEB et la NTrZ, et montre une succession d'ondulations entraînant l'apparition des vortex. Il est probable que cette déstabilisation du courant-jet NEBn vienne de la différence de températures entre la bande et la zone qui s'accroît dans un premier temps. Les tourbillons apparaissent pour permettre la circulation des masses d'air et réduire les différences de température.

Les "spots d'expansion"(cf. point B :) sont des vortex de la zone tropicale nord et possèdent donc une circulation anticyclonique, à l'image des spots blancs plus usuels (dont le "White spot Z", vieux de 12 années). Les "barges", elles, sont des cellules dépressionnaires de la NEB. Notez comment les dépressions alternent avec les anticyclones de par et d'autre du courant-jet...

Cartographie WinJupos avec des images de D.Peach du 5 septembre 2009 à Barbados.

B : Développement du premier foyer d'expansion

L'expansion se fait par "foyers", des endroits de la NTrZ ou apparaissent de manière soudaine de grosses taches sombres. La première d'entre elle émerge le 30-31 mai 2009 (cf. image en médaillon). Ces taches sont un cas assez particulier de vortex anticyloniques bruns (la quasi totalité est blanche). Ils sont sombres également dans la bande du méthane, démontrant une absence de nuages élevés.

images Akutsu, Poupeau, Peach, Habran.

C : Les mouvements de vents régionaux en détail

Ces vortex entraînent, sur le bord nord (en bas), une teinte brune qui "prograde" (vers l'est/gauche) dans un premier temps en suivant le gradient de vent local. Cela marque la future limite en latitude de la NEB étendue. Cette teinte enclôt dans un deuxième temps une région dans laquelle évoluent les taches sombres (5 septembre, voir le rectangle en pointillé); cette région se teinte également par la suite, terminant l'invasion de nuages colorés dans la Zone nuageuse. Le 14 novembre, le "WSZ" commence à être inclu dans la NEB étendue.

Plusieurs foyers apparaissent durant l'été 2009, permettant à l'expansion de s'étendre sur toute la circonférence de Jupiter.

III : "L'impact Wesley"

Mais l'évènement majeur de l'apparition n'a pas été du à l'atmosphère de la planète en tant que telle... le 19 juillet, l'amateur australien Anthony Wesley découvre une tache sombre parfaitement anormale dans les hautes latitudes tempérées sud de la planète. Il s'agit d'un nouvel impact sur Jupiter, après ceux de Shoemaker-Levy en 1994. Nous ne savons pas quel est le corps qui a provoqué ce petit cataclysme local...

Ci-dessous, images de Yann Legall le 25 juillet ; au centre, image méthane de Marc Delcroix le même jour, montrant les nuages élevés soulevés par l'impact ; à droite, image de JP Prost prise une semaine plus tard le 27 juillet 2009. Le matériau sombre se diffuse progressivement avec les vents locaux mais reste visible tout l'été.

IV : Autres phénomènes notables

A : Une nouvelle fusion d'anticyclones sur Jupiter : la Tache rouge de la Zone tempérée nord-nord (NNTZ)

Les fusions d'anticyclones sont des phénomènes rares sur Jupiter, et longtemps considérés comme impossibles, jusqu'à ce que l'on assiste à la fusion historique des trois "grands" de la Zone tempérée sud en entre 1998 et 2000.

La planète compte, en ce moment, quatre "taches rouges" : la Grande (GRS, la plus connue), l'oval BA, la Tache rouge de la NNTZ, et celle de la SPR. En 2009, la TR de la NNTZ, dont les travaux de la BAA/Jupos ont montré qu'elle évoluait au moins depuis 1995, a fusionné le 25/26 septembre avec un autre anticyclone de la zone, mais plus petit et blanc, visible ici sur la gauche

Image prise à Barbados le 7 septembre 2009 par Ian Sharp..

B : la réapparition d'une "Perturbation sud-équatoriale" (SED, South equatorial disturbance)

La SED est le seul exemple connu de vortex capable de se former dans la Zone équatoriale de la planète (il s'agit d'un anticyclone). Ce phénomène circule dans la moitié sud, en connexion directe avec la SEB. On l'observe depuis 1999, bien qu'il ne soit pas possible de dire s'il s'agit bien de la même, ou d'un autre exemplaire.

En 2009, une SED réapparaît progressivement au cours de l'été. Elle n'est détectable que comme une tache brillante formant une très légère "baie" dans le bord nord de la SEB (image à gauche de Michel Jacquesson du 5 septembre). Elle se voit de façon plus évidente dans la bande du méthane (ici à droite, image Peach du 8 septembre). Etant une circulation de haute pression, elle est brillante dans cette bande où l'albédo des détails est fonction de leur altitude.

Il sera intéressant de voir comment elle se comporte en 2010, dans le cadre de la disparition en cours de la SEB. En 2007, le bouleversement global avait été accompagné par un épisode de coloration de la Zone équatoriale au cours duquel deux SED avaient pris un aspect spectaculaire.

V : A lire également...

Les rapports sur l'apparition 2009 de John Rogers, Directeur de la section Jupiter de la BAA :

http://www.britastro.org/jupiter/2009reports.htm

Christophe Pellier
Commission des observations planétaires
http://www.astrosurf.com/planetessaf/jupiter/