Apparition 2010 Note n°5

La réanimation de la SEB : le déroulement du phénomène

La réanimation de la bande équatoriale sud de Jupiter (SEB) vient de commencer ! Le 9 novembre, le cumulonimbus précurseur évoqué dans la note n°4 a été observé par Christopher Go, et très rapidement confirmé par la suite par plusieurs observateurs. Cette tache très brillante est une éruption, une "plume" convective qui monte des profondeurs de la planète et qui émerge au-dessus des nuages blancs qui couvrent encore la bande, atteignant une altitude très élevée, comme le confirment les images prises dans la bande du méthane.

L'éruption s'est formée dans la "barge" n°2, à la longitude 290° (système II), et cela confirme solidement la théorie de la section Jupiter de la BAA (cf note 4 encore) selon laquelle les éruptions de la SEB apparaissent dans ces petites cellules dépressionnaires.

L'apparition de ce spot brillant marque le début de la réanimation de la bande. A partir de ce point, dans les semaines qui viennent, de nombreuses perturbations vont émerger, et se disperser en suivant les vents dominants, rétablissant progressivement les mouvements convectifs qui sont ceux d'une bande nuageuse normalement active, et qui étaient stoppés dans la SEB depuis 2009. Cette note a pour objet de décrire le déroulement de la réanimation et des phénomènes auxquels on peut assister. Les prochains transits observables depuis la France sont ici (compilation Marc Delcroix).

Ci-dessous, les premières images du spot...

Début de l'éruption dans la SEB.

En médaillon, un gros plan sur les deux barges B2 et B3 (petite flèche), tel qu'elles apparaissaient depuis l'été : deux petites taches claires accompagnées par des nuages bleus sombres.

Le 9 novembre, sur les images de Christopher Go, on voit que la barge B2 est devenue plus brillante : le cumulonimbus montant des profondeurs à l'intérieur de B2 vient d'arriver à la surface.

Une rotation jovienne après, Don Parker confirme les images de Go : le spot est devenu nettement plus brillant. Surtout, il est éclatant dans la bande du méthane (en bas à droite). L'éclat intense indique que l'altitude du nuage est très élevée, et qu'il s'agit donc bien d'une éruption.

Ci-dessous, les images prises courageusement dans de mauvaises conditions par les membres de la Commission, dans la soirée du 10 novembre, montrant l'éruption - juste à côté d'Europa qui était par hasard en transit devant le disque juste à côté. Le phénomène est visible même par très mauvais seeing... De gauche à droite, clichés de : Jean-Jacques Poupeau, Sylvain Weiller, Michel Lecompte, Marc Stemmelin, Frédéric Brion.

Cliquer sur l'image en réduction pour la voir en pleine taille.

L'apparition de la colonne oblique sombre

La tache brillante est toujours accompagnée, au bout de quelques heures, par une colonne sombre sur son flanc suivant (à l'ouest/droite). Cette colonne représente vraisemblablement une trouée dans les nuages, due à l'apparition d'un mouvement convectif descendant, pendant obligatoire de la convection ascendante de la plume éruptive. Ce couple de structure serait ainsi très semblable aux plumes et festons de la zone équatoriale.

Ci-dessous, images des 12 et 13 novembre.

Le développement ultérieur de la réanimation...

Le spot brillant de la SEB constitue une "source" de perturbations qui vont émerger de façon continue au cours des semaines à venir. Le schéma global est toujours le même, même si l'intensité des perturbations peut varier. Ainsi, ces perturbations vont suivre les vents dominants en vigueur dans la région. On compte trois "branches" de progression. La branche A sur la schéma ci-dessous est la branche rétrograde qui suit le courant-jet SEB sud (rétrograde car dans le sens contraire à la rotation de la planète). Il s'agit de la branche la plus active, qui va faire émerger de gros tourbillons sombres qui vont se diriger vers l'ouest. La branche B est celle qui "prograde" en suivant le courant-jet SEB nord. Enfin, on note l'existence d'une branche centrale C de moindre importance, qui prograde également vers l'est.

Développement des perturbations en 2007.

En 2007, la SEB a connu une réanimation atypique dans son timing, car elle n'avait pas encore complètement disparue quand l'éruption est apparue. La réanimation s'était cependant développée de façon très classique par la suite.

En haut : le 5 juin 2007, gros plan sur la zone éruptive par le télescope spatial Hubble. On distingue très bien l'enroulement des tourbillons dans la branche A rétrograde à partir de la source. Ils s'agit de tourbillons anticycloniques de surface, superficiels.

En bas : image de C.Pellier du 9 juin 2007, montrant ces taches sombres en pleine progression.


D'autres phénomènes à guetter !

Le démarrage de la réanimation et la mise en place des trois branches de progression n'est pas la fin de l'histoire. Trois phénomènes sont à surveiller :

1) L'apparition de sources éruptives secondaires à d'autres longitudes. Dans le passé, d'autres éruptions ont pu se former dans la SEB, accélérant ainsi le processus. Entre 1 et 4 sources ont été historiquement observées :

1971 : 3 sources
1975 : 4 sources (record !)
1990 : 2 sources, la première de juillet 1990 (non observée car durant la conjonction solaire) ayant été suivie par une deuxième éruption le 4 septembre.
1993 : 1 source
2007 : 1 seule source, mais suivie au printemps 2008 de multiples éruptions dans la SEB réanimée.

Il reste encore quatre barges actives dans la SEB. Dans la mesure où nous savons aujourd'hui qu'elles sont le lieu où se produisent ces éruptions, il n'est donc pas interdit de penser que certaines d'entre elles pourraient à leur tour produire une autre source de réanimation. La barge B3, juste à côté de B2, va certainement rapidement disparaître dans les perturbations de la source mère, B4 est également relativement proche mais B1 et B5 sont loin de B2 et sont donc à surveiller particulièrement. La bande cartographique (images : Tomio Akutsu) ci-dessous indique l'emplacement des barges (leur longitude varie un peu au cours du temps) :

2) La perte de couleur de la Grande tache rouge. La forte coloration de la GRS est intimement liée à la disparition de la SEB ; une fois que les perturbations entraînées par les deux courant-jet SEBs et SEBn parviendront à son niveau, elle retrouvera une teinte plus habituelle, entre rose et gris. La source de réanimation étant située assez loin, cela se produira sans doute d'ici à fin décembre ou janvier.

3) La diffusion finale d'une teinte orange-rose sur toute la SEB. Au bout de trois-quatre mois, une fois que la bande est largement réactivée, un voile de couleur orangée semble apparaître au-dessus de la bande. Ce phénomène a souvent été observé en fin de réanimation, mais pas toujours ; il a été vu en 1990-91, vraisemblablement en 1994, mais pas du tout en 2008. Le timing de 2010 fait que si cette couleur apparaît, cela sera durant la conjonction solaire de mars 2011. Cependant, elle peut persister de longs mois et nous pourrions la voir durant l'apparition 2011.

Aspect de Jupiter le 28 mai 1991, vu par le HST. (c) STScL

Début 1991, la planète sort tout juste du "bouleversement global" de 1990, qui a vu le déroulement des trois perturbations associées à ces phénomènes : la réanimation de la SEB, de la NTB, et la coloration de la zone équatoriale en brun/jaune. En 2010, seule la réanimation de la SEB aura été observée.

Les couleurs visibles sur cette image semblent perturbantes car assez loin de celles que l'on voit habituellement, mais elles sont pourtant bien réelles, et persisteront jusqu'au milieu de l'année 1992. La zone équatoriale est fortement colorée, et on distingue nettement la couleur rose-orange de la SEB qui s'est réanimée durant l'été et l'automne 1990.

Sur cette image, les perturbations de la SEB sont à nouveau en train de disparaître, ouvrant la voie à une nouvelle disparition/réanimation qui aura lieu en 1992/93.

14/11/2010
Christophe Pellier
Coordinateur de la section Jupiter

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