L'APPARITION APHELIQUE DE MARS EN 2011-2012

Que voir sur Mars ?

La saison 2011-2012 de Mars nous permet d'observer essentiellement la deuxième moitié du printemps boréal martien. C'est une saison assez calme en terme d'activité ; néanmoins on peut lister un certain nombre de phénomènes intéressants à suivre.

1) La fin de récession de la calotte polaire nord avec l'apparition des outliers

Lorsque l'apparition commence, fin 2011, Mars est déjà bien  engagée dans son printemps boréal et la calotte nord est encore à une taille importante. Durant l'hiver 2012 alors que la planète deviendra plus facile à observer, nous verrons la fin de la sublimation de la calotte saisonnière, et l'apparition progressive de la petite calotte permanente, celle visible en été. Cette sublimation sera complète autour de Ls 80, soit en 2012 au moment de l'opposition de début mars. A noter que nous avons bien affaire ici à deux calottes de nature différente : la calotte saisonnière de grande taille visible au début du printemps est constituée de CO2 gelé, de neige carbonique ; il s'agit d'une partie conséquente de l'atmosphère martienne piégée là durant l'hiver... la variation de la pression atmosphérique au fur et à mesure que la sublimation de cette glace relache le gaz carbonique dans l'atmosphère, est très conséquente (jusqu'à un tiers de l'atmosphère martienne se solidifie dans les calottes pour chacun des deux hivers !). La calotte visible en été, elle, est composée essentiellement de glace d'eau ; elle existe déjà sous la calotte saisonnière, et se maintient durant tout son été.

Durant la période de janvier à mars, nous observerons la fragmentation progressive du bord de la calotte en plusieurs "morceaux" qui finiront par apparaître comme des bouts de glace détachés de la calotte principale. Ces fragments persistent également durant tout l'été.

Images du télescope spatial Hubble (HST) en 1995 et 1997, en projection polaire, montrant la récession de la calotte nord durant la période correspondant à l'opposition 2012. La saison martienne Ls est indiquée, avec la date terrestre équivalente pour l'apparition en cours. Copyright STScl/Jim Bell

Dès le milieu du printemps (Ls 40°, 7/12), la ceinture de roche très sombre qui entoure la future calotte permanente "perce" déjà sous la couche de neige carbonique. Progressivement, la calotte saisonnière se sublime vers le nord (Ls 63°, 28/01). Après le solstice d'été (Ls 97, 14/04), des fragments persistent autour de la calotte d'été : vers 210-240° de longitude, Olympia est le fragment le plus important. Au-dessus, vers 90-120°, on distingue Ierne, qui est plus un agglomérat de bouts de glace plus petits. Ces fragments sont un bon test de résolution en CCD, ou bien d'acuité visuelle à l'oculaire...

Olympia en 2010

Ci-contre une image de Christophe Guillou du 18 avril 2010 (Ls 79), qui montre la présence d'Olympia sur le bord de la calotte nord. En 2010, le diamètre apparent de Mars (8") ainsi que l'inclinaison polaire (16°N) étaient peu favorables à cette observation au moment où elle pouvait être réalisée.

Les conditions en 2012 seront bien meilleures (les plus favorables se rencontreront en 2014 !)

Rima Tenuis


L'apparition 2012 est sans doute la meilleure occasion de détecter une "mystérieuse" rainure observée à de rares reprises au sein de la calotte nord : Rima Tenuis. Ressemblant à un rift dans la glace qui courrerait entre les longitudes 330° et 150° et plutôt vue à partir de Ls 65, en fin de printemps, cette rainure ne correspond à rien sur les images des sondes spatiales ou du HST (seule Rima Borealis est réelle, à la longitude 65°).
Rima Tenuis pourrait correspondre à d'autres phénomènes. Au cours de la dernière apparition 2009-2010, des nuages de poussières effilés ont été observés à plusieurs reprises au-dessus de la calotte. A faible résolution, et à une époque où l'on ignorait l'existence de cette activité atmosphérique, ces nuages ont facilement pu passer pour des rifts dans la calotte...

Ci-contre une image de Pete Lawrence du 1er février 2010 (Ls 46), avec un superbe filet de poussière en transit au-dessus de la calotte. L'orientation est toutefois perpendiculaire à celle attendue pour Rima Tenuis.

2) Le gel envahit les grands bassins de l'hémisphère sud

Au sud, la saison est inverse : 2012 nous permet d'observer la fin de l'automne austral, et le début de son hiver. Des saisons particulièrement rigoureuses, car l'automne et l'hiver au sud sont bien plus longs que les saisons correspondantes au nord (à cause de l'excentricité de l'orbite martienne). Durant tout l'automne, le CO2 se condense petit à petit sur le pôle sud (en pleine nuit polaire). Vers la fin de l'automne, le froid qui s'intensifie permet à la glace de gagner des régions situées plus au nord entre -35 et -50° de latitude : les bassins d'impact de Hellas et d'Argyre. Jamais la calotte polaire nord ne descend aussi bas, dans son propre hémisphère (elle descend au maximum jusqu'à 50°).

Images des bassins du sud gelés, par le HST en 1997 et 1995

Les images 1 et 2 montrent la montée de la glace dans Hellas en seulement quelques jours. (1) est prise le 10 mars 1997 (Ls 89) et (2) le 30 mars (Ls 98). Sur l'image 2, on distingue nettement les contours du bassin et l'éclat de la glace. Selon l'année, il semble que le dépôt puisse intervenir dès Ls 80. L'apparition 2012 sera l'occasion de faire des comparaisons.

Sur des images amateur, ou en visuel, il ne sera pas forcément évident de faire la différence avec les nuages polaires qui s'y condensent également (voir l'image 1, où il n'y a que des nuages). A l'oculaire, l'éclat intense du bassin, presque équivalent à celui de la calotte nord, devrait permettre de discriminer le phénomène. En CCD, les images prises avec un filtre R permettront de faire la différence avec les nuages (ceux-ci ne sont plus visibles au contraire du gel). En raison du faible albedo des glaces avec un filtre IR, ce dernier semble moins pertinent que le R pour une telle observation.

L'image 3 montre le bassin d'Argyre gelé, le 25 février 1995 (Ls 64). Apparemment, Argyre, situé plus haut en latitude sud, serait pris par le gel bien plus tôt que Hellas. Par contre, sa petite taille ainsi que l'inclinaison très défavorable du pôle sud en 2012 rendra la différenciation glace/nuages très difficiles. C'est un bon challenge pour un observateur expérimenté et bien équipé.

3) Les phénomènes atmosphériques du climat d'aphélie

Le climat de Mars lors des apparitions qui se produisent à proximité du point de son orbite le plus éloigné du Soleil est différent de celui observé lors des apparitions périhéliques. Ce climat se caractérise principalement par une activité de tempête de poussière très faible voire inexistente, et une forte prépondérance des nuages blancs de vapeur d'eau. Il s'agit d'un climat froid, calme, mais "humide" dans la limite bien entendu que ce terme peut avoir pour une planète comme Mars. Ces traits déjà bien observables en 2010 seront encore renforcés en 2012, avant d'atteindre leur apogée en 2014.

Le nuage bleu de Syrtis Major

On commence avec une curiosité : lors du climat d'aphélie, Syrtis Major prend souvent une couleur bleutée, parfois subtile, parfois plus prononcée, en particulier lorsqu'il se trouve près du limbe.

Cette teinte est un effet de mélange de couleurs, entre le sol gris-vert sombre de Syrtis Major, et des nuages blancs qui sont fréquemment situés au-dessus. C'est la présence de la ceinture équatoriale de nuages (voir ci-dessous) qui provoque cet effet le plus souvent ; mais c'est près du limbe, quand se forment des brumes soit du soir soit du matin, que l'effet est le plus important.

Ci-contre : image de Christophe Pellier le 2 janvier 2010 (Ls 32) - RVB normale à gauche, couleurs renforcées à droite.

La ceinture équatoriale de nuages

La ceinture équatoriale de nuages est un phénomène qui marque la présence de la cellule de Hadley martienne (il n'y en a qu'une). Durant le printemps et l'été de l'hémisphère nord, l'eau est (relativement) abondante dans une atmosphère refroidie ; parvenue en altitude par le mouvement de convection qui monte de l'équateur, elle se condense et donne des nuages jusqu'à la hauteur du tropique du Lion (tropique nord sur Mars).

En 2010, elle n'était que faiblement visible. La ceinture équatoriale atteint son maximum de condensation autour du solstice d'été nord c'est pourquoi l'apparition 2012 sera sans doute plus favorable. Ici à droite image UV de Don Parker le 5 mai 2010 (Ls 86).

Les nuages en "domino" au-dessus des volcans

Durant cette saison, les volcans martiens développent tous les jours une activité de nuages orographiques (dus aux courants d'air ascendants sur les flancs des montagnes). Le relief de Tharsis est disposé de telle manière que ces nuages prennent des formes assez caractéristiques, qui ressemblent aux points d'un domino, ou à un grand W. Sur l'image B ci-contre de Jean-Jacques Poupeau du 15/12/2009 (Ls 24), il manque seulement un des "points". Sont visibles les nuages orographiques d'Olympus Mons (OM), Ascraeus Mons (As), Pavonis Mons (Pv), Arsia Mons (Ar) et Alba Patera (AP).

Ces nuages se forment durant l'après-midi martienne, et sont plus importants le soir (il y a de belles animations à faire dans le bleu...). C'est pourquoi il s'agit d'un phénomène à observer avant l'opposition (janvier à mars); après, c'est le matin martien qui sera observable.

Les volcans percent les nuages !

Ceci est sans doute le phénomène le plus spectaculaire à observer après l'apparition de mars. Si les volcans développent des nuages orographiques qui masquent leurs sommets le soir, le matin, la situation semble inversée : ce sont les sommets qui dépassent des nuages qui les entourent.

Avec le climat d'aphélie, les brumes matinales sont denses et très étendues. Ces brumes sont à plus basse altitude que les sommets des volcans, et ceux-ci peuvent donc être vus comme de petits points sombres. Sur la planche ci-contre, on voit d'abord pointer Ascraeus Mons (flèche) sur l'image de Michel Lecompte (24 mars 2010, Ls 68), puis Pavonis suit sur l'image du milieu qui est de Marc Stemmelin (4 mars 2010, Ls 59). Enfin, l'image de droite de Damian Peach montre les quatre grands volcans (8 avril 2010, Ls 75).

Si les images CCD sont particulièrement belles, la vision à l'oculaire ne doit pas être en reste... le contraste est peut-être suffisant pour autoriser la détection de ces points sombres avec des diamètres assez petits.

Calendrier des phénomènes

SIMULATION

DATE

SAISON (Ls)

DIAMETRE

PHENOMENES

13 septembre 2011

Ls 0

4,9"

Equinoxe de printemps boréal.

7 décembre 2011

Ls 40

7,4"

Prémices de la ceinture équatoriale de nuages. En décembre, le pôle nord martien atteint son premier maximum d'inclinaison vers la Terre. Du 7 au 25, la déclinaison terrestre (De) est égale à 23,5°.

21 janvier 2012

Ls 60

10,8"

Mars a atteint les 10" le 13 janvier. La ceinture équatoriale de nuages doit faire le tour de la planète à présent. Chercher Rima Tenuis. Observer la formation des outliers sur le bord de la calotte polaire. Le gel envahit-il le bassin d'Argyre ?

13 février 2012

Ls 70

12,9"

Mars au plus loin du Soleil (Aphélie).

3 mars 2012

Ls 78

13,9"

Mars à l'opposition.

Le diamètre apparent maximal de 13,9" est atteint du 1er au 10 mars.

La sublimation de la calotte saisonnière est complète vers Ls 80 (7 mars).

Le bassin de Hellas est-il gelé ?

30 mars 2012

Ls 90

12,7"

Solstice d'été boréal.

La calotte polaire est réduite à sa taille minimale. L'inclinaison de Mars vue depuis la Terre est à son minimum de 21,6°.

L'activité des nuages de vapeur d'eau atteint son maximum comme l'été s'installe dans l'hémisphère nord. Hellas est très brillant à cause de la neige carbonique déposée sur son sol... à ne pas confondre, toutefois, avec la calotte polaire sud qui elle n'est pas visible (bien que techniquement parlant, la glace du bassin en soit une extension).

mai-juin 2012

Ls 100-120

6-8"

Installation de l'été dans l'hémisphère nord.

Les phénomènes visibles ne sont pas différents de ceux de l'opposition. Cependant, les très gros instruments pourront tenter de partir à la chasse des cyclones polaires, comme celui que le HST avait photographié le 27 avril 1999 (en Ls 130). Il s'agit toutefois d'un évènement qui sera surtout réservé aux deux prochaines apparitions. Durant le printemps 2012, l'inclinaison de l'axe polaire de Mars par rapport à la Terre ne cesse d'augmenter pour dépasser les 25° le 1er juin.

 ChristophePellier
Coordinateur section Mars
http://astrosurf.com/planetessaf/mars