Les astéroïdes

par Bernard Dussart

Gaspra

Article paru dans LE CIEL DE L'OISE N°13 en mars 1997


L'idée qu'on se fait du système solaire se limite souvent au Soleil, aux neuf planètes et à quelques-uns de leurs satellites les plus gros. On n'en retient que les astres les plus importants, ceux qui tournent bien rond. Pourtant, le système solaire ce sont des milliers et des milliers de corps de toutes tailles. Parmi eux, les astéroïdes...


Au début du XIXe siècle, certains astronomes étaient convaincus qu'il restait une planète à découvrir entre l'orbite de Mars et celle de Jupiter. Selon la fameuse loi de Titius-Bode, l'espace désertique compris entre la dernière planète tellurique et la première planète géante brisait la belle harmonie du système solaire. En 1801, Guiseppe PIAZZI devient célèbre en découvrant par hasard un astre dont les paramètres orbitaux correspondaient sensiblement à ceux de la planète recherchée. Cet astre dont l'éclat et le diamètre apparent étaient néanmoins ridicules par rapport aux autres planètes, fut baptisé CERES. En fait, Guiseppe PIAZZI avait découvert le premier des astéroïdes les plus volumineux. Dans les années qui suivirent on découvrit successivement 3 autres petits astres sur des orbites plus ou moins similaires. On les nomma PALLAS, JUNON et VESTA. En 1845, l'identification d'un cinquième astéroïde, ASTREE marqua le début d'une cascade de nouvelles découvertes. La lacune comprise entre l'orbite de Mars et celle de Jupiter n'était donc pas occupée par une planète unique, mais par une multitude de petites planètes. En 1900, on connaissait déjà 449 astéroïdes. C'est la photographie qui a permis d'accélérer considérablement le rythme des découvertes. En effet, un astéroïde marque une photo à longue pose d'une trace correspondant à son mouvement relatif par rapport à la Terre. Cette particularité, pourtant fort intéressante pour repérer les astres vagabonds, a fait qu'on a parfois qualifié les astéroïdes de "vermine du ciel", parce qu'ils polluaient les clichés célestes. Au gré de l'amélioration des méthodes de détection photographique on en a identifié un nombre toujours croissant. Aujourd'hui nous en sommes à plus de 7000...

Quand on a disposé des paramètres orbitaux d'un nombre suffisant d'astéroïdes, on a pu comparer ces paramètres et en tirer certaines conclusions intéressantes : Les petites planètes tournent en général dans le même sens que les planètes principales mais leurs orbites sont inclinées en tous sens par rapport au plan de l'écliptique. Le deuxième objet découvert, PALLAS, a par exemple son orbite fortement inclinée de 35°. D'autre part, la ceinture d'astéroïdes est loin d'être homogène. Dès 1866, l'astronome américain KIRKWOOD remarque que la ceinture qu'occupe les astéroïdes n'est pas peuplée uniformément. Certains créneaux orbitaux sont inoccupés, les lacunes de KIRKWOOD. En fait, ces lacunes correspondent à des orbites dont la période de révolution est un rapport simple de celle de Jupiter : Un tiers, un demi et également 2/5 et 3/7. Ce sont les effets gravitationnels de Jupiter qui en sont la cause. Par un effet de résonance gravitationnelle, Jupiter interdit à tout objet de se maintenir sur ces orbites particulières. D'ailleurs la planète géante perturbe sans cesse les petits astres, les empêchant de se caler sur une orbite stable autour du Soleil. Les conséquences sont nombreuses :

D'abord il n'y a pas de planète entre Mars et Jupiter. On a d'abord cru que les astéroïdes étaient les débris d'une planète détruite suite à une collision cataclysmique. En réalité, les simulations ont prouvé qu'aucune collision ne peut développer suffisamment d'énergie pour réduire une planète en miettes. La théorie la plus crédible s'appuie elle aussi sur l'influence de Jupiter. Il semble que la planète géante se soit formée très rapidement au début du système solaire et qu'à cause d'elle, les matériaux de la nébuleuse solaire n'ont jamais pu se réunir en un seul astre sur une orbite située entre Mars et Jupiter. Les matériaux de construction sont en quelque sorte restés sur le chantier...

Ensuite, Jupiter brasse la ceinture d'astéroïdes en permanence. Les petits astres sont d'autant plus perturbés que leur masse est réduite. Ils suivent des trajectoires chaotiques, ce qui augmente les probabilités de collision. On pense que c'est ainsi que certains d'entre eux décrochent et se retrouvent sur une orbite très elliptique traversant le système solaire interne.

Les astéroïdes dont la trajectoire déborde de la ceinture principale ont été classés en familles suivant la particularité de leur orbite. Chaque famille porte le nom d'un astéroïde représentatif de cette famille. On distingue les APOLLOS dont l'orbite coupe carrément celle de la Terre. Certains d'entre eux comme HERMES, ADONIS, TOUTATIS, CASTALIA, GEOGRAPHOS, sont célèbres pour nous avoir récemment serrés de près... Il y a aussi les AMORS qui frôlent l'orbite de la Terre à leur périhélie. Parmi eux, EROS vers lequel la sonde spatiale NEAR (NEAR-EARTH ASTEROIDE RENDEZVOUS) est actuellement en route... Il y a finalement les ATENS qui se retrouvent sur une orbite interne à celle de la Terre, complètement désolidarisés de la ceinture principale... Ce classement est révisable car un astéroïde peut très bien changer d'orbite et donc changer de famille. Au dernier recensement, APOLLOS, AMORS et ATENS représentent une population de près de 400 objets. On les appelle les NEA (NEAR-EARTH ASTEROIDES, astéroïdes proches de la Terre). Leur taille moyenne est inférieure à 10 km. On pense que la grande majorité des NEA est le produit de la fragmentation d'astéroïdes de la ceinture principale. Une minorité serait constituée de noyaux cométaires éteints ayant perdu leur matériaux volatils.

La présence de Jupiter induit un autre phénomène intéressant. A certains endroits de la zone fréquentée par les astéroïdes, la force de gravité de Jupiter équilibre exactement celle du Soleil. On a constaté que ces points particuliers, décrits théoriquement par le mathématicien français LAGRANGE, les points de LAGRANGE, ont été investis par des groupes d'astéroïdes. Deux de ces points caractéristiques se trouvent sur l'orbite même de Jupiter. L'un précède la planète de 60°, on l'appelle L4, l'autre suit la planète 60° derrière, on l'appelle L5. Jupiter et les 2 points L4 et L5 forment un triangle équilatéral. Les astéroïdes qui ont élu domicile autour de ces points gravitent de conserve avec Jupiter tout en effectuant un lent mouvement de libration autour des points de LAGRANGE. Ils ont donné naissance à une famille particulière, les TROYENS. On a effectivement commencé par donner aux astéroïdes de cette famille des noms empruntés aux héros de la guerre de Troie (ACHILLE, HECTOR, NESTOR, etc. à L4 et PATROCLE, PRIAM, ENEE, etc. à L5). Les héros manquent aujourd'hui car on connaît actuellement plus de 150 TROYENS autour de chacun des points L4 et L5 de l'orbite de Jupiter ! En 1990, on a même découvert un TROYEN au point de LAGRANGE L5 de l'orbite de MARS. Il s'agit d'EUREKA le seul TROYEN MARTIEN connu à ce jour.

Il existe d'autres pôles d'attraction susceptibles de capter les vagabonds que sont les astéroïdes. Il semble bien que les petits satellites extérieurs de Jupiter soient des astéroïdes qui ont été capturés par cette dernière. De même, PHOBOS et DEIMOS, les satellites de Mars, pourraient être des astéroïdes capturés. On a également découvert des petites planètes au delà de l'orbite de Jupiter. On les classe en 2 familles, les CENTAURES et les TRANSNEPTUNIENS.

Les CENTAURES ont leur périhélie au delà de l'orbite de Jupiter et leur aphélie à l'intérieur de l'orbite de Neptune. Parmi eux le célèbre CHIRON dont la nature est encore mystérieuse. Certaines observations lui attribuent en effet une discrète chevelure, ce qui ferait de lui un noyau cométaire en sommeil plutôt qu'un astéroïde. A l'heure actuelle on n'a repéré que 6 objets du type CENTAURE.

Les TRANSNEPTUNIENS ont été découverts très récemment grâce à l'évolution des moyens de détection. On a déjà repéré 39 objets correspondant à ce type qui est caractérisé par un périhélie situé à l'intérieur de l'orbite de Neptune et un aphélie rejeté au delà de l'orbite de Neptune.

Le rythme des découvertes s'est encore accéléré depuis que les américains ont lancé des programmes de recherche systématique des astéroïdes dont les orbites croisent celle de la Terre. Les plus connus sont le SPACEWATCH et NEAT (NEAR-EARTH ASTEROID TRACKING) dont les télescopes sont situés respectivement en Arizona et à Hawaii. En France, il faut reconnaître le bel effort accompli en ce domaine par Alain MAURY, avec peu de moyens, à l'observatoire de la Côte d'Azur.

Depuis les années 70, les techniques d'analyse de la lumière réfléchie par les corps célestes (photométrie, spectrophotométrie, polarimétrie, radiométrie dans l'infrarouge, etc.) ont permis aux astrophysiciens de se faire une idée de plus en plus précise de la nature des astéroïdes. On a pu classer les petites planètes en au moins trois grandes catégories : Les objets du type C, d'aspect très sombre dont la surface est carbonée ; les pierreux du type S, dont la surface est silicatée et les métalliques du type M, riches en métaux. Les carbonés sont de loin les plus répandus puisqu'ils représentent 47% des objets analysés. La proportion de silicatés est de 35%, les métalliques ne représentent que 3% et le reste est constitué de multiples variantes. Comme on pouvait s'y attendre ces différentes caractéristiques se retrouvent dans les météorites.

Comme les planètes, les astéroïdes tournent sur eux-mêmes. Ceci a permis de constater que nombre d'entre eux présentaient sur leurs différentes faces des caractéristiques très variées. Il semble que les astéroïdes soient pour la plupart des objets non homogènes. Les photographies rapprochées d'astéroïdes, qui ont été réalisées récemment, montrent des corps allongés et difformes qui semblent être le produit de la soudure de plusieurs éléments. Nous devons ces photographies aux sondes spatiales bien sur, mais également à la technique de l'écho radar qui a donné d'excellents résultats sur les objets qui sont récemment passés à quelques millions de km de la Terre.

La sonde GALILEO, à l'occasion de son périple vers le monde de Jupiter, a retransmis d'excellentes images de deux astéroïdes de la ceinture principale : GASPRA (19x12 km) et IDA (52x24 km). Elle a même trouvé un satellite à IDA, le petit DACTYL ( ~1 km) en orbite à environ 100 km d'IDA.

La technique de l'écho radar consiste à émettre vers un objet proche des signaux codés et de reconstituer son image à partir des signaux reçus en écho. Pour cela, on utilise un émetteur de plusieurs centaines de kilowatts couplé à l'antenne d'un radiotélescope comme celui de GOLDSTONE ou d'ARECIBO. Plusieurs astéroïdes, comme le fameux TOUTATIS de la famille des APOLLOS, ont ainsi été cartographiés à distance et en trois dimensions.

La NASA à lancé, en février 96, la sonde NEAR (NEAR-EARTH ASTEROID RENDEZVOUS). Son objectif, se satelliser autour d'EROS, le plus gros des AMORS (40x14 km). Le rendez-vous est fixé pour février 1999 ! Pour nous faire patienter, NEAR survolera dès juin 97, MATHILDE (32 km), un astéroïde du type C de la ceinture principale. Souhaitons bonne chance à NEAR pour qu'elle nous transmette un maximum d'informations sur ces mini planètes qui recèlent peut-être les clefs de la formation du système solaire...


Pour illustrer cet article, vous pouvez visualiser ou télécharger les images dont les coordonnées se trouvent à "Browse Image Archive Comets & Asteroids" (JPL.NASA).

Depuis la parution de l'article ci-dessus, la sonde NEAR a effectué le survol de l'astéroïde MATHILDE et elle a rempli sa première mission avec succès. Pour voir les images de MATHILDE et tout savoir sur la mission NEAR, visitez "Home of the NEAR mission" (The Johns Hopkins University).


Répertorier les astéroïdes

Le rythme croissant des découvertes de petites planètes nécessite la tenue d'un répertoire très rigoureux. Les astéroïdes qui ont leurs paramètres orbitaux confirmés portent un numéro de référence, il s'agit historiquement du numéro d'ordre de leur découverte suivi de leur nom de baptême. Par exemple (1) CERES, (2) PALLAS, (3) JUNON, (4) VESTA et (5) ASTREE pour les 5 premiers ; et, par exemple, (433) EROS, (2063) BACCHUS, (4179) TOUTATIS, etc. Les objets non confirmés se voient allouer une immatriculation provisoire en fonction de la date de leur découverte. Cette immatriculation est constituée du millésime de l'année suivi de 2 lettres et éventuellement d'un chiffre complémentaire. La première lettre représente la quinzaine : A du 1er au 15 janvier, B du 16 au 31 janvier, C du 1er au 15 février, etc. jusqu'à Y du 16 au 31 décembre (la lettre I n'est jamais utilisée). La deuxième lettre est allouée dans l'ordre de la découverte, de A à Z. S'il y a plus de 25 découvertes dans la même quinzaine, on reprend les lettres A à Z en ajoutant un indice à droite. Par exemple, l'objet 1996TO5 est la 139ème immatriculation entre le 1er et le 15 octobre 1996. L'indice 5 indique qu'on a déjà alloué 5 fois les lettres de A à Z en l'espace de 15 jours ! Quand l'objet est confirmé, c'est à dire qu'il est ré observé plus tard avec les mêmes paramètres orbitaux, il reçoit son immatriculation définitive. Par exemple, 1996EY a récemment reçu l'immatriculation (7362).

Pour en savoir plus sur le repérage et la classification des astéroïdes, visitez "Near-Earth Asteroid Tracking Home Page" (NEAT de JPL.NASA). Vous pouvez également consulter "CBAT/MPC/ICQ Index" , vous y trouverez entre autres des accès vers des catalogues d'objets et des diagrammes d'orbites.


Envoyez vos remarques et suggestions à bernard.dussart@laposte.net


Mise à jour : 27 novembre 1997 par Bernard DUSSART