Suite à la page précédente, j'ai eu envie de rechercher des renseignements plus précis et plus "visuels" à propos des astéroïdes troyens. J'ai donc utilisé des outils de cartographie céleste ainsi que les bases de données d'astéroïdes disponibles.
Le programme utilisé est PRISM v4.3, un programme de cartographie, prise de vue, traitement, pilotage de télescopes développé par des astronomes amateurs (C.Cavadore, B.Gaillard, P.Martinole). Il permet notamment l'affichage d'un astéroïde quelconque dans le ciel, à partir de ses coordonnées, ainsi qu'une vue héliocentrique du système solaire.
Les bases de données... il y en a deux principales:
J'ai choisi d'utiliser la base de données du MPC, à la fois pour des raisons de taille et de pertinence (pas de doublons). Une fois téléchargée et dézippée, il est possible de "l'explorer" manuellement dans un éditeur de texte, par curiosité... sa structure est la suivante:
Des'n
H G Epoch M Peri. Node Incl. e n a Reference #Obs #Opp Arc rms Perts Computer
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
00001 3.34 0.12 K01AI 146.47310 73.95735 80.48947 10.58374 0.0789035
0.21414462 2.7669285 MPC 24219 4676 62 1839-1994 0.54 M-v 30 Bowell 0000 (1)
Ceres 19940 0
00002 4.13 0.11 K01AI 132.77475 310.36215 173.18200 34.83989 0.2299000
0.21338819 2.7734635 MPC 24084 5482 63 1839-1993 0.55 M-c 28 Bowell 0000 (2)
Pallas 19930 0
00003 5.33 0.32 K01AI 28.51964 248.07090 170.14527 12.96761 0.2589801
0.22609050 2.6685858 MPC 24084 4741 65 1839-1993 0.56 M-c 08 Bowell 0000 (3)
Juno 19930 0
(...suite...)
20488 14.2 0.15 K01AI 159.47555 353.81477 346.06178 7.03041
0.1525464 0.21808051 2.7335361 1 MPO 7849 99 4 1997-2001 0.56 M-v 38h Williams
0000 (20488) Pic-du-Midi 20010105
(...143668 astéroïdes plus tard...)
K01Y93M 16.3 0.15 K01CH 281.88494 267.93380 298.16976 6.22588
0.1738346 0.20731801 2.8273399 E2002-A13 9 1 2 days 0.16 MPC 0000 2001 YM93
20011220
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Il est bien sûr totalement exclu de prétendre aller plus loin de manière manuelle dans la gestion d'une telle base de données: nous allons utiliser PRISM qui va compiler cette base pour nous la rendre accessible via son interface.
En "lisant" la base on a pu remarquer les numéros des astéroïdes et divers paramètres dont leurs 6 paramètres orbitaux. On voit aussi un code à quatre chiffres, juste avant le nom, qui permet de classer l'astéroïde selon sa catégorie: 0000=astéroïde de la ceinture principale (entre 2 et 3.5ua), 0003=type Apollo (ou "Earth-crosser", coupant l'orbite de la Terre), 0004=type Amor (Mars-Crosser), ... 0008=type Hilda (à 4ua), 0009=Jupiter Trojan.
Il est
donc possible de sélectionner, grâce à une recherche de
texte automatique sur ce code, tous les astéroïdes Troyens de Jupiter
(0009).
J'ai donc établi une liste des Troyens parmis les 25000 premiers astéroïdes:
il y en a 416, listés dans le fichier texte
suivant (j'ai simplifié le fichier en n'affichant que les noms et
paramètres orbitaux).
Connaissant ces troyens, il a ensuite été possible d'en sélectionner un certain nombre (j'ai pris les 85 premiers) afin de les afficher sur une carte. Ci-contre un aperçu de la fenêtre de sélection dans PRISM. Remarquer la colonne "Particulier" contenant le code de catégorie entre crochets: [P8], [P9],...
La partie cartographie du logiciel donne ensuite une vue géocentrique du ciel, où sont visibles ces 85 astéroïdes, les uns en "avance", les autres en "retard" par rapport à Jupiter (point J), et regroupés autour de L4 et L5. Même remarque que sur la page précédente: cette vue étant géocentrique, les angles de positions de L4 et L5 par rapport à Jupiter ne sont pas exactement de +-60°.
On peut aussi remarquer la forte inclinaison de certains corps qui sont assez éloignés de l'écliptique (ligne jaune-vert).
Outre une vue du ciel, nous avons la possibilité de tracer une vue héliocentrique, sous la forme d'un "planétaire". Le système solaire est vu d'une direction perpendiculaire à l'écliptique.
Ci-contre, une vue du système solaire avec le Soleil au centre, les 4 planètes telluriques, Jupiter en bas à gauche et les 85 troyens sélectionnés, disposés autour de L4 et L5 (points rouges). | |
Ci-contre: même vue que la précédente, avec les orbites tracées. | |
Ci-contre,
une animation d'une révolution de Jupiter (12 ans) à partir
du 1/1/2002. On voit parfaitement les mouvement de libration, sous forme
d'une lente "danse" des astéroïdes autour des points
L4 et L5. (GIF animé 56Ko) Cliquez ici pour une version plus agrandie de 240x240pix (GIF animé 106Ko). |
Au cours
des recherches effectuées, il est apparu que Mars possédait deux
troyens: 5261Eureka et 1998 VF31, et que la Terre
possédait une "sorte" de Troyen, 03752 Cruithne
(en fait ayant une orbite en "fer à cheval" liée à
la Terre).
La base de données et le logiciel permettant l'affichage de ces astéroïdes,
je les ai donc sélectionnés. Voici leur orbite représentée
ci-contre:
Afin de mieux se représenter leur mouvement, j'ai réalisé deux animations disponibles ci-dessous (mouvement totalisant 2 révolutions martiennes):
On y voit nettement les deux troyens suivre Mars à distance, tandis que Cruithne est animée de mouvements d'accélération et de décéleration qui provoquent une orbite en fer à cheval (dans le repère tournant).
Le
Logiciel PRISM permet des manipulations intéressantes sur cette énorme
base de données de près de 150000 astéroïdes: il est
en effet possible d'effectuer des tris en fonction du demi-grand axe, de l'excentricité,
de l'inclinaison ou de la période, en définissant des bornes inférieures
et supérieures.
Ainsi, partant du principe qu'un troyen a très sensiblement la même
période que l'astre qu'il accompagne, on peut tenter de rechercher des
troyens en triant la base sur le critère période (en gardant
bien sûr en tête que les astéroïdes trouvés ne
sont pas nécessairement des troyens...).
C'est ce que j'ai tenté avec Mars, dont la période est de 1.88 ans, et en sélectionnant tout astéroïde de période comprise dans l'intervalle [1.87:1.89]. J'en ai obtenu 5 (dont les deux premiers sans surprise...):
On retrouve
donc bien les deux premiers Troyens de Mars déja connus... c'est rassurant!
Restent 3 "candidats", que nous devons examiner plus en détail,
grâce à une animation de leur orbite, sur plusieurs années.
On constate les points suivants:
Quelques précisions (Mai 2002)
Le monde des asteroïdes est en perpétuelle évolution, et les découvertes de nouveaux objets se succèdent à un rythme effréné. Les classifications et les éléments orbitaux s'affinent et permettent une meilleure connaissance. Comme je l'ai signalé précédemment, au 28/4/2002, on dénombrait 6 Mars-Troyens. Les voici listés, toujours d'après les travaux de G.Faure:
5261
Eureka
|
Point
L5
|
r
= 1.425 à 1.622 UA
|
1998
VF 31
|
Point
L5
|
r
= 1.371 à 1.677 UA
|
1999
UJ7
|
Point
L4
|
r
= 1.465 à 1.584 UA
|
2001
DH47
|
Point
L5
|
r
= 1.468 à 1.572 UA
|
2001
FG24
|
Point
L5
|
r
= 1.319 à 1.717 UA
|
2001
FR127
|
Point
L5
|
r
= 1.357 à 1.692 UA
|
Et l'on constate (non sans plaisir ;-) que 2001DH47 est passé comme troyen "officiel" de Mars... donc la méthode de tri utilisée pour mon étude semble efficace. Par contre, 1999 UJ7 est passé entre les mailles du filet (pourquoi? à voir selon ses éléments), ainsi que les deux derniers asteroïdes, sans doute de découverte trop récente par rapport à mon étude.
L'étude
des petits corps du système solaire est un thème sans limite,
et avec quelques outils adaptés à sa disposition, l'on se prend
vite au jeu de manipuler, tester, représenter, confronter les données
pratiques, la théorie,...
Il aurait par exemple été possible de rechercher les positions
des points L4 et L5 "réelles" de Jupiter à partir des
centaines d'astéroïdes troyens connus (par une méthode barycentrique),
d'examiner leur mouvement dans le repère tournant (... mouvement dans
les trois dimensions du fait de leur inclinaison), etc...
Le cas réel est bien sûr infiniment plus complèxe du fait
de la multitude de corps à prendre en compte (les 10 planètes
intéragissent), mais on a vu qu'il était possible de le confronter
à la théorie.