Stanley G. Weinbaum

L’Île de Protée

Âge d'Or


Traduction © 2007, Robert Soubie & Les Éditions de l’Âge d’Or.

 

Les droits de publication pour le monde entier de l’ouvrage dont cette histoire est extraite sont disponibles à l’adresse suivante :

Éditions de l’Âge d’Or

65, rue du Prieuré

33170 Gradignan

France.

 

Site web : http://www/lulu.com/robert_soubie

 

Identification des ouvrages :

 

ISBN :  978-2-917288-04-7 (version brochée 6" par 9")

ISBN :  978-2-917288-05-4 (version reliée 6" par 9")

 

Dernière révision le 22/05/2009 20:28:00.


L’Île de Protée

 

Le Maori brun qui se trouvait à l’étrave de la pirogue à balancier scrutait attentivement l’île Austin, qui se rapprochait lentement ; puis il se retourna pour river ses yeux marron impatients sur Carver. — Tabou ! hurla-t-il. Tabou ! Auss’tan tabou ! 

Carver le contempla sans changer d'expression. Il leva le regard vers l'île. L’air pensif et furieux, le maori se remit à pagayer. Le second polynésien lança un regard suppliant en direction du zoologue.

— Tabou, dit-il. Auss’tan tabou ! 

L'homme blanc l'étudia brièvement, mais ne dit rien. Il abaissa alors ses yeux bruns et doux, et ils se penchèrent tous deux sur leur travail. Mais tandis que Carver observait la plage, il y eut entre les indigènes un échange muet, mais significatif.

Le prao glissait sur les déferlantes vertes, se dirigeant vers l'île bordée d’écume, puis il se mit à dériver, comme s’il était peu disposé à s’en approcher.

La mâchoire de Carver se serra.

— Malloa ! Accoste, espèce de cochon chocolat. Accoste, tu m’entends ? 

Son regard se porta de nouveau sur l’île. Traditionnellement, Austin n'est pas sacrée, mais pour une raison ou pour une autre, ces indigènes en avaient peur. Ce n'était pas l’affaire d’un zoologue de découvrir pourquoi.

L'île était inhabitée, et n’avait que récemment été portée sur les cartes. Droit devant, il remarqua des forêts de fougères, pareilles à celles de Nouvelle-Zélande, de pins de kauri[1] et de dammar[2] — de sombres collines boisées, une plage blanche incurvée, et au milieu un point qui se déplaçait — un apteryx mantelli, pensa Carver, — un kiwi.

Le prao s’approcha de la plage avec précautions.

— Tabou, murmurait Malloa. Elle beaucoup bunyip[3] ! 

— Il y a donc de l’espoir, grogna l'homme blanc. Je n’aimerais pas retrouver Jameson et les autres, à Macquarie, sans ramener au moins un petit bunyip, ou peut-être un fantôme ou une fée. 

Il sourit. « Bunyip Carveris. Pas mal, non ? Cela ferait bien dans un livre illustré d’Histoire Naturelle. »

Sur la plage maintenant toute proche, le kiwi se précipita vers la forêt — si c'était bien un kiwi, d’ailleurs. En quelque manière, il lui avait semblé étrange, et Carver jeta un nouveau coup d’œil dans sa direction. Bien sûr, c’était forcément un apteryx ; les îles du groupe de la Nouvelle-Zélande étaient trop déficientes en faune pour qu'il pût s’agir d’autre chose. Une seule variété de chien, une de rat, et deux espèces de chauve-souris — ce sont là tous les mammifères qui vivent en Nouvelle-Zélande.

Naturellement, il y a les chats, les porcs, et les lapins importés par l’homme, qui prospèrent sur l’île du Nord et sur l’île du Sud[4], mais ici il n’y en a pas. Pas sur les Aucklands, pas sur Macquarie, encore moins ici sur Austin, qui est isolée en mer entre Macquarie au nord et les sévères îles Balleny[5], encore plus loin vers le sud, aux confins de l'Antarctique. Non ; ce point qui s’enfuyait précipitamment, ce devait être un kiwi.

Le bateau accosta. Kolu, à la proue, sauta comme un éclair brun sur la plage et tira le prao au-dessus de la frange d’écume laissée par les vagues. Carver se leva et fit quelques pas, puis s’arrêta brusquement en entendant, en poupe, le gémissement de Malloa.

— Regarde ! s’étranglait-il. Les arbres, wahi ! Les arbres bunyip !  

Carver tourna son regard dans la direction indiquée par l’indigène. Les arbres — qu’avaient-ils ? Ils étaient là, bordant la plage, tout comme ils bordent les grèves de Macquarie ou des Aucklands. Puis il fronça les sourcils. À vrai dire, il n'était pas botaniste ; c'était là le domaine de Halburton, qui était resté avec Jameson et la Fortune sur l’île de Macquarie. Il était zoologue, et n’avait que des compétences générales en matière de variétés de flore. Pourtant, quelque chose l’intriguait.

Les arbres étaient vaguement étranges. De loin, ils ressemblaient aux fougères géantes et aux grands pins kauris habituels. Ici pourtant, tout près de lui, ils avaient un aspect différent — pas complètement différent, à vrai dire, mais avec quelque chose d’étrange. Les pins de kauri n'étaient pas exactement des pins de kauri, et les fougères arboricoles n’étaient pas tout à fait ces mêmes Cryptogamia qui s'épanouissent sur les Aucklands et sur l’île Macquarie. Naturellement, ces îles sont situées à plusieurs centaines de kilomètres plus au nord, et certaines variations locales sont possibles. Mais tout de même —

— Des mutants, murmura-t-il en fronçant les sourcils. Voilà qui tend à confirmer la théorie de l'isolement de Darwin. Il va falloir que j’en rapporte quelques spécimens à Halburton. 

—  Wahidit Kolu, toujours nerveux, nous repartons maintenant ? 

— Quoi ! explosa Carver. Nous venons à peine d’arriver ! Croyez-vous que nous avons fait tout ce chemin depuis Macquarie pour jeter un simple coup d’œil ? Nous allons rester ici un jour ou deux, que j’aie une chance d’examiner la vie animale de cette île. Mais que se passe-t-il, enfin ? 

— Les arbres, wahi ! gémit Malloa. Bunyip ! — Les arbres qui marchent, les arbres qui parlent ! 

— Ah ! Ils marchent et ils parlent, c’est ça ? Il saisit une pierre sur la plage parsemée de galets, et l'envoya tournoyer vers la plus proche masse de verdure sombre. Faisons-leur prononcer quelques jurons, dans ce cas. 

La pierre déchira des feuilles et des plantes grimpantes, et le choc amorti fit place à un silence immobile. Ou plutôt, presque immobile ; pendant un instant, quelque chose de foncé et de minuscule s’agita là-haut, et une silhouette noire apparut sur le fond du ciel. C’était aussi petit qu’un moineau, mais cela ressemblait plutôt à une chauve-souris, avec des ailes membraneuses. Carver, stupéfait, contempla cette chose qui traînait une queue de trente centimètres, mince comme crayon, un appendice qu’aucune chauve-souris normale ne saurait posséder.

Pendant quelques instants, la créature voleta maladroitement dans la lumière du soleil, fouettant l’air de sa queue étrange, puis elle piqua vers l’obscurité de la forêt, d'où le missile de Carver l'avait délogée. Il n’y eut plus que l’écho de son cri aigu et sauvage, qui ressemblait à « Wheer ! Whe-e-e-r ! »

« Diable ! dit Carver. Il y a deux espèces de Chiroptera en Nouvelle-Zélande et dans les îles voisines, et ce n'était ni l'une ni l'autre ! Aucune chauve-souris ne possède une queue pareille ! »

Kolu et Malloa gémissaient en chœur. La créature avait été trop petite pour induire chez eux une vraie peur panique, mais en se découpant contre le ciel, elle avait eu pour eux l’aspect inquiétant de quelque chose d’anormal. C'était une monstruosité, une aberration, et l’esprit des Polynésiens ne pouvait, sans éprouver de crainte, faire face à l'étrangeté et à l’inconnu. L’esprit des blancs non plus, en l’occurrence, pensa Carver ; il haussa les épaules pour repousser un curieux sentiment d'appréhension. Il serait tout simplement stupide de permettre aux superstitions de Kolu et de Malloa d'influencer un zoologue parfaitement raisonnable.

« Taisez-vous ! dit-il d’un ton sec. Il va falloir capturer cet oiseau-là, ou bien l’un de ses cousins. Je veux un spécimen de sa tribu. Je parierais bien un dollar sur des Rhimolophidae, mais alors, une espèce complètement nouvelle. Ce soir, nous en prendrons un au filet. »

Empreinte de terreur, la voix des deux insulaires bruns s’éleva. Carver mit brusquement un terme à leurs protestations, à leurs remontrances, et aux descriptions fragmentaires des horreurs se rapportant aux bunyips, aux arbres qui marchent et qui parlent, et aux esprits du mal qui arborent des ailes de chauve-souris.

« Avancez, dit-il, bourru. Déchargez ce qui se trouve dans le prao. Je vais parcourir la plage pour trouver un courant d'eau douce. Mawson a signalé de l'eau du côté nord de l'île. »

Pendant qu'il s’éloignait, Malloa et Kolu continuèrent leurs échanges à voix basse. Devant lui s’étirait la plage, blanche sous le soleil de cette fin d'après-midi ; à sa gauche roulait le Pacifique bleu, et à sa droite somnolait ce coin étrange, obscur ; il remarqua avec curiosité la variété presque infinie des formes végétales, s'étonnant de ne pouvoir apparier le moindre arbre, ou buisson, avec une quelconque variété commune sur Macquarie ou les Aucklands, ou sur la lointaine Nouvelle-Zélande. Mais bien sûr, pensait-il, il n'était pas botaniste.

De toute façon, les îles éloignées de tout ont souvent des variétés particulières de flore et de faune. Cette notion d’isolement fait partie de la théorie originale de l'évolution proposée par Darwin. À preuve l’île Maurice et son dodo, les tortues des îles Galapagos, et même le kiwi, ou le gigantesque moa de Nouvelle-Zélande, qui est maintenant éteint. Et pourtant — il se rembrunit à cette pensée — on ne trouve jamais d’île qui soit entièrement couverte de variétés uniques de flore. Les graines portées par les vents océaniques ont toujours provoqué un transfert de végétation entre les îles ; les oiseaux transportent des graines accrochées à leur plumage, et même les visiteurs humains participent à l’occasion à l’échange.

En outre, un observateur aussi soigneux que Mawson l’avait été en 1911 aurait certainement rapporté les particularités de l'île Austin. Or, il ne l'avait pas fait ; et du reste, les baleiniers, qui font régulièrement escale ici, sur le chemin de l’Antarctique, n’en avaient pas non plus fait mention. Bien sûr, les baleiniers étaient devenus très rares ces dernières années ; il y avait sans doute plus d’une décennie qu’aucun d’entre eux n’avait fait relâche à Austin. Mais quel changement avait-il pu se produire en dix ou quinze ans ?

Carver parvint soudain à un bras d’eau étroit qu’alimentait un mince filet tombant d'un rebord en granit situé à la limite de la jungle. Il se pencha, mouilla son doigt, et goûta. C'était saumâtre mais buvable, et donc tout à fait acceptable. Il pouvait difficilement espérer trouver une source plus généreuse sur Austin, car le bassin hydrographique était de trop petites dimensions, l’île ne faisant que onze kilomètres par cinq. Il suivit des yeux le cours du ruisseau dans la direction de sa source, au milieu de cette inextricable forêt de fougères ; c’est alors qu’un mouvement retint son attention. Pendant un instant, dans une complète incrédulité, il regarda la chose, sachant qu'il ne pouvait absolument pas voir ce — ce qu'il voyait en fait !

La créature était apparemment en train de boire sur la berge du ruisseau, puisque Carver l'avait tout d'abord aperçue en position agenouillée. Ce n’était là qu’une partie de la surprise — le fait qu’elle était agenouillée — parce qu'aucun animal, autre que l'homme, ne prend jamais cette attitude, et cet être, quel qu’il fût, n'était pas humain.

Des yeux sauvages et jaunes lui renvoyèrent son regard, et la chose se mit debout. C'était un bipède, une petite parodie d’homme, dont la taille n’excédait pas cinquante centimètres. De petits doigts griffus s’accrochaient aux plantes grimpantes. Choqué, Carver eut la vision rapide d'un corps recouvert par endroits d’une fourrure grise en lambeaux, d'une queue agile, et de dents pointues comme des aiguilles dans une petite bouche rouge. Mais surtout, il vit ces yeux jaunes malveillants, un visage qui n'était pas humain, et qui pourtant suggérait de manière affreuse une humanité en déshérence, l’étonnante synthèse en miniature de caractères humains et félins.

Carver avait passé beaucoup de temps à explorer les endroits déserts de la planète. Sa réaction fut un réflexe, dans lequel la pensée ou la volonté ne jouèrent aucun rôle ; son pistolet au canon d’acier bleui jaillit et fit feu, comme mû de lui-même. Cet automatisme peut être utile dans les parties les plus sauvages de la planète ; plus d'une fois, il n’avait sauvé sa vie qu’en tirant d'abord, sous l’empire de la surprise, et en réfléchissant après. Mais la rapidité de sa réaction ne rendit pas son tir plus précis pour autant.

La balle déchira une feuille près de la joue de la créature. La chose gronda, puis, lançant un dernier regard jaune et flamboyant de ses yeux sauvages, elle sauta tête la première dans le feuillage impénétrable et disparut.

Carver siffla. — Au nom du Ciel, grogna-t-il à haute voix, qu’est-ce que c’était ? Mais il eut peu de temps pour y réfléchir ; l’allongement des ombres et la lumière orange de la fin d'après-midi lui firent comprendre que l’obscurité — une obscurité soudaine, sans crépuscule — approchait. Longeant la grève incurvée, il repartit vers la pirogue à balancier.

Un affleurement de corail, qui dissimulait le bateau et les deux Maoris à sa vue, occultait carrément la partie basse du soleil couchant. Carver clignait des yeux dans cette vive lumière et avançait, pensif — quand il se figea soudain en percevant un cri de terreur provenant de la direction du prao !

Il se mit à courir. Jusqu’à la barre de corail, il n’y avait pas plus de cent mètres, mais sous ces latitudes le soleil descend si vite que le crépuscule semblait le prendre de vitesse. Au moment où il sauta par-dessus le récif, les ombres glissaient le long de la plage et il se mit à examiner attentivement l’endroit où son bateau était échoué.

Il y avait là quelque chose. Un coffre — une partie du chargement du prao. Mais le prao — n’était plus là !

C’est alors qu’il le vit, au milieu de la baie, parvenu déjà à une demi-douzaine d’encablures. Malloa était tapi à la poupe, Kolu était en partie caché par la voile, et le bateau filait à allure vive et régulière dans la direction de l'obscurité qui s’amassait vers le nord.

Sa première impulsion fut de hurler, et il hurla de bon cœur. Puis il se rendit compte qu'ils étaient hors de portée de voix, et, très délibérément, il fit feu par trois fois. Il tira les deux premiers coups en l'air, mais comme Malloa n’eut même pas un regard en arrière, il tira soigneusement la troisième balle en direction des deux fuyards. Il ignorait s’il avait fait mouche, toujours est-il que le prao s’éloigna encore plus vite vers les lointains obscurs.

Il le suivit du regard, dans une fureur noire, jusqu’à ce que la voile blanche ait disparu à sa vue ; il cessa alors de jurer, s'assit, mélancolique, sur le seul coffre qu’ils aient daigné décharger, et commença à se demander ce qui avait pu les effrayer ainsi.

Il ne le découvrit jamais.

Ce fut bientôt l’obscurité totale. Dans le ciel apparurent les étranges constellations de l’hémisphère austral ; au sud-est brillait la glorieuse Croix du Sud, et vers le sud, les mythiques Nuages de Magellan. Mais Carver n'eut pas le moindre regard pour ces beautés célestes ; il y avait déjà longtemps qu’il s’était familiarisé avec les cieux méridionaux.

Il réfléchit à sa situation. Elle était irritante, plutôt que désespérée, puisqu’il était armé, et même s’il ne l’avait pas été, il n'existe aucune vie animale dangereuse sur les îles minuscules qui se trouvent au sud des Aucklands, ni d’ailleurs en Nouvelle-Zélande — à part l’homme. Mais l'homme n’occupe pas les Aucklands, ni Macquarie, ni la lointaine Austin.

Malloa et Kolu avaient sans aucun doute été terriblement effrayés ; mais il en faut très peu pour susciter chez un Polynésien une crainte superstitieuse. Il suffit d’une espèce de chauve-souris étrange, d’un kiwi qui passe à l’ombre des buissons, ou tout simplement de leurs propres fantasmes, stimulés par les contes sauvages et les tabous dont l’île d'Austin est entourée, du fait de son isolement.

Quant à savoir si on lui porterait secours, cela ne faisait guère de doute. Peut-être Malloa et Kolu allaient-ils recouvrer leur courage et venir le récupérer. S'ils ne le faisaient pas, ils se rendraient peut-être sur l'île Macquarie, où ils rencontreraient l’expédition et l’équipage de la Fortune. Et même s’ils faisaient ce qu’il soupçonnait naturellement — se diriger vers les Aucklands, et de là vers les Chathams natales — d’ici trois ou quatre jours, Jameson finirait bien par s'inquiéter, et ils se lanceraient à sa recherche.

Il n'y avait aucun danger, se dit-il — rien qui pût l’inquiéter. La meilleure chose à faire, c’était tout simplement de se mettre au travail. Heureusement, le coffre sur lequel il était assis était celui qui contenait son pot de cyanure pour les spécimens, les filets, les collets, et les pièges. Il pourrait donc faire comme prévu, sauf qu'il devrait consacrer une partie de son temps à chasser et à préparer sa nourriture.

Carver alluma sa pipe, commença à bâtir un feu avec l’abondant bois de flottage, et se prépara pour la nuit. Quand il se rendit compte de l’absence de son confortable sac de couchage, parti avec le prao, il se soulagea de quelques épithètes bien choisies, mais qui décrivaient assez précisément les deux Maoris ; le feu se chargerait de le protéger du froid de ces latitudes élevées.

Réfléchissant toujours, il fuma sa pipe jusqu’au bout, s’allongea près des braises du bois de flottage, et se prépara au sommeil.

Quand, sept heures et cinquante minutes plus tard, le limbe solaire émergea de l'horizon oriental, il était prêt à reconnaître que sa nuit n’avait guère été un succès. Il était habitué à ces puces minuscules et tenaces qui sautent dans le sable, et sa peau avait depuis longtemps été endurcie par les insectes nocturnes sanguinaires qu’on trouve dans les îles. Pourtant, toutes ses tentatives pour dormir s’étaient soldées par un échec.

Pourquoi ? Ce n’était sûrement pas l’énervement dû à son environnement étrange, ou à sa solitude. Alan Carver avait passé seul trop de nuits dans des endroits sauvages et déserts, pour cela. Pourtant, les bruits de la nuit l’avaient maintenu dans un état perpétuel d'appréhension et de somnolence, et au moins à une douzaine d’occasions, il était revenu à la pleine conscience, transpirant et nerveux. Pourquoi ?

Il croyait le savoir. C'était dû aux bruits nocturnes. Non pas à leur volume, ni à la menace qu’ils pouvaient représenter, mais à — et bien, à leur variété. Il connaissait le genre de bruits que doit apporter l’obscurité ; il connaissait tous les cris d'oiseau ou de chauve-souris de ces îles. Mais les bruits nocturnes, ici sur l'île Austin, refusaient de se conformer à ses connaissances. Ils étaient étranges, impossibles à reconnaître, et bien plus divers qu'ils n’auraient dû l’être ; et pourtant, même dans le cri le plus sauvage, il restait une note familière, inquiétante.

Carver haussa les épaules. À la lumière du jour, ses souvenirs de la nuit semblaient absurdes, pervertis, tout à fait inexcusables pour un homme aussi accoutumé que lui aux endroits solitaires. Il redressa sa puissante carrure, s'étira, et se mit à contempler l’entrelacs de végétation qui poussait sous les fougères.

Il avait faim, et quelque part là-dedans était son déjeuner, fruit ou oiseau. C’étaient là les choix qui se présentaient à lui, puisqu'il n'avait pas encore assez faim pour envisager l'une des variantes possibles — rat, chauve-souris, ou chien. Ce qui couvrait la faune de ces îles.

Était-ce bien vrai, du reste ? Il fronça les sourcils quand un souvenir lui revint. Qu’est-ce que c’était que ce lutin sauvage, aux yeux jaunes, qui avait grondé dans sa direction sur le bord du ruisseau ? Dans l'excitation causée par la désertion de Kolu et de Malloa, il l’avait oublié. Ce n'était certainement ni une chauve-souris, ni un rat, ni un chien. Qu’était-ce alors ?

Plissant toujours le front, il porta la main à son pistolet, vérifiant du regard qu’il était prêt à servir. Il se pouvait que les deux Maoris eussent été effrayés par une menace imaginaire, mais la chose sur la berge du ruisseau ne pouvait pas être attribuée à la superstition. Il l’avait bel et bien vue. Il se renfrogna encore plus en se rappelant la longue queue qu’avait arborée la chauve-souris du soir précédent. Elle non plus ne sortait pas de l’imagination des indigènes.

Il s’avança vers la forêt de fougères. Et si l'île Austin hébergeait quelques mutants, quelques phénomènes, des espèces différentes ? Ce serait une bonne chose, une justification supplémentaire de l'expédition que menait la Fortune. Et si Alan Carver, zoologue, était le premier à décrire ce monde animal étrange et insulaire, cela contribuerait à sa renommée. Et pourtant — il était tout à fait étrange que Mawson n'en ait rien dit, non plus que les baleiniers.

Arrivé à la limite de la forêt, il s'arrêta pour de bon. Il perçut soudain ce qui était responsable de son aspect étrange. Il vit ce que Malloa avait voulu exprimer en faisant des gestes en direction des arbres. Incrédule, il se mit à les observer, passant d’un arbre au suivant. C'était vrai. Il n'y avait pas de parenté entre les espèces. Il n'y avait pas deux arbres qui fussent pareils. Pas deux ! Chacun était unique, par le feuillage, par l’écorce, par le tronc. Il n’y en avait pas deux d’identiques. Ils étaient tous différents !

Mais c'était tout simplement impossible. Botaniste ou pas, il savait que c’était impossible. Et ce l’était encore plus ici, où, du fait de l’isolement, l'endogamie devait être la règle. Les formes vivantes pouvaient à la rigueur différer de celles des autres îles, mais pas les unes des autres — du moins, pas dans une profusion aussi incroyable. Sur une île donnée, il fallait que le nombre des espèces fût limité par l'intensité même de la concurrence. Il le fallait !

Carver recula d’une demi-douzaine de pas, examinant toujours le mur forestier. C'était vrai. Il y avait là d’innombrables fougères ; il y avait là des pins ; il y avait aussi des arbres à feuilles caduques — mais, sur la centaine de mètres de forêt qu’il pouvait inspecter, il n’y avait pas deux arbres semblables ! Pas deux qui fussent assez ressemblants pour être assignés sinon à la même espèce, du moins au même genre.

Il restait immobile, paralysé, stupéfait, sans comprendre. Qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? Quelle était l'origine de cette débauche si peu naturelle d’espèces et de genres ? Comment chacune de ces variétés sans nombre pouvait-elle se reproduire, s’il n’y en avait pas d’autre à portée, identique, pour la fertiliser et lui permettre de se reproduire ? Il est vrai, bien sûr, que des fleurs portées par le même arbre peuvent se fertiliser entre elles, mais s’il en était ainsi, où se trouvait donc la descendance ? C'est un aspect fondamental de la nature que d’un gland naisse un chêne, et que d’une pigne de kauri naisse un pin kauri.

Dans une perplexité absolue, il retourna sur la plage, longeant l’écume des vagues. Le mur végétal de la forêt était immobile, sauf quand la brise de mer agitait ses feuilles, mais ce que Carver voyait, c’était la variété incroyable de ce feuillage. Nulle part —nulle part — il ne voyait un arbre qui ressemblât à un autre.

Il y avait des feuilles composées, digitées, palmées, cordées, acuminées, palmatilobées, et ensiformes. Il y avait des spécimens de toutes les variétés qu’il avait en mémoire, et le zoologue qui a eu l’opportunité de collaborer avec un botaniste tel qu’Halburton est capable d’en identifier un certain nombre. Mais il n'y avait aucun spécimen qui pût être considéré comme apparenté, même de loin, à un autre. C’était comme si, sur l'île Austin, la barrière qui sépare les genres s'était dissoute, et si seules les grandes divisions demeuraient.

Carver avait couvert près de deux kilomètres le long de la grève quand la fringale lui rappela son but initial. Il lui fallait trouver une nourriture quelconque, qu’elle fût animale ou végétale. Avec un réel sentiment de soulagement, il aperçut des oiseaux marins qui se disputaient en poussant des cris rauques sur le sable de la plage ; au moins, il s’agissait de représentants parfaitement normaux du genre Larus — des goélands. Ils ne lui fourniraient au mieux qu’une chair dure et huileuse, et son regard se tourna de nouveau vers les mystérieuses régions boisées.

Il aperçut alors un sentier, ou un chemin, peut-être un manque fortuit de végétation le long d’un affleurement rocheux, qui semblait conduire aux pentes vertes et ombragées, couvertes de forêts, de l'extrémité occidentale de l'île. C’était le premier moyen aisé de pénétration qu'il rencontrait, et quelques instants plus tard, il se glissa dans la pénombre du couvert, recherchant avec attention un fruit, ou un oiseau.

Il trouva abondance de fruits. De nombreux arbres portaient des globes ou des ovoïdes de tailles diverses, mais la difficulté, pour Carver, résidait dans le fait qu’il ne les reconnaissait pas et ignorait par suite s’ils étaient comestibles. Il n’osait pas courir le risque de consommer une variété toxique, et Dieu seul savait quels alcaloïdes inconnus et mortels cette île étrange pouvait produire.

Les oiseaux s’agitaient et chantaient dans les feuillages, mais pour l’instant il n'en voyait pas d’assez grand pour justifier un tir. En outre, un autre fait étrange attirait son attention ; il avait noté que plus il s’éloignait de la mer, plus l’infinie variété des arbres de la forêt paraissait bizarre. Le long de la plage, il avait pu au moins assigner une famille à une forme végétale donnée, à défaut d’identifier son genre, mais ici, même ces distinctions tendaient à disparaître.

Il devina pourquoi. « Ce qui pousse sur la côte est croisé avec ce qui provient des autres îles, » murmura-t-il. « Mais ici, la végétation est devenue folle. L’île tout entière est devenue folle. »

Contre le ciel et les feuillages, quelque chose de sombre remua, attirant son attention. Un oiseau ? Si c’en était un, il était beaucoup plus grand que les petits passereaux chanteurs qui s’agitaient autour de lui. Il leva soigneusement son revolver et fit feu.

L’étrange forêt fit écho à la détonation. Un corps grand comme celui d’un canard tomba avec un cri long et étrange, s’agita brièvement parmi les herbes qui tapissaient le sol de la forêt, puis s’immobilisa. Perplexe, Carver s'avança vivement vers sa victime pour l’examiner.

Ce n'était pas un oiseau. C'était une sorte de créature grimpante armée de griffes mauvaises, acérées, et de méchantes petites dents blanches, pointues comme des aiguilles, qui garnissaient une petite bouche rouge triangulaire. Cela ressemblait tout à fait à un petit chien — s’il est possible d’imaginer un chien qui monte aux arbres — et pendant un long moment, Carver demeura figé de surprise, se disant qu'il avait dû tirer par inadvertance sur le terrier bâtard de quelqu'un, en tout cas sur un quelconque spécimen de Canis.

Mais la créature n'était pas un chien. Même en faisant abstraction de son plongeon depuis la cime des arbres, Carver s’en rendait compte. Les griffes rétractiles, cinq sur les membres antérieurs, quatre à l’arrière, constituaient un indice suffisant, mais la présence de ces dents acérées était encore bien plus révélatrice. C'était un Félidé. Et pour preuve supplémentaire, il y avait ces yeux jaunes, fendus, qui avaient exprimé de la haine à son égard quand la créature agonisait, et avaient perdu leur feu maintenant qu’elle était morte. Ce n'était pas un chien, mais un chat !

Son esprit revint à cette autre apparition, la veille au bord du ruisseau. Elle aussi avait cet aspect sauvage évoquant un félin. Que signifiait tout cela ? Des chats ressemblant à des singes ; des chats ressemblant à des chiens !

Il en avait oublié sa faim. Au bout d’un moment, il prit le corps couvert de fourrure et se dirigea vers la plage. Le zoologue avait remplacé l'homme ; ce petit morceau de protoplasme en décomposition qui se balançait à son bras n'était plus de la nourriture, mais un spécimen rare. Il devait retourner sur la plage et faire ce qu'il fallait pour le préserver. Il porterait sans aucun doute son nom — Felis Carveri —.

Il s’arrêta brusquement en entendant un bruit derrière lui. Il se retourna, et examina avec précaution le tunnel au toit de branches dont il sortait. Il était suivi. Quelque chose, homme ou animal, se cachait là derrière, parmi les ombres de la forêt. Ce qu’il voyait était indistinct, sans autre forme que des nuances plus foncées de vert contre le rideau végétal de feuilles agitées par le vent.

Pour la première fois, ces mystères successifs commencèrent à induire chez lui un sentiment de danger. Il pressa le pas. Les ombres glissaient et se faufilaient derrière lui, et, à moins que ce ne fût le produit de son imagination, une sorte de cri, un hululement contenu, monta dans l’obscurité de la forêt sur sa gauche, recevant immédiatement une réponse du côté droit.

Il n’osait pas se mettre à courir, sachant fort bien que trop souvent, une démonstration de peur provoque la charge des animaux — ou des primitifs humains. Il se déplaçait aussi vite que possible, mais sans donner l’impression de fuir un danger, et à la fin il découvrit la plage. Là, en terrain ouvert, il pourrait au moins distinguer ses poursuivants, s'ils choisissaient de l'attaquer.

Mais il ne se produisit rien de tel. Il s’éloigna du mur végétal, mais nulle créature ne le poursuivit. Pourtant, ils étaient bien là. Sur le chemin qui le ramenait au coffre et aux restes de son feu de camp, il savait que juste derrière le couvert de feuillage se trouvaient des créatures sauvages.

Cette situation commençait à lui peser. Il ne pouvait pas se contenter de rester indéfiniment sur la plage, dans l’attente d’une attaque. Tôt ou tard, il lui faudrait dormir, et là — 

Mieux valait provoquer tout de suite cette attaque, apprendre à quelle sorte de créatures il avait à faire face, et tenter de les repousser, ou bien de les exterminer. Après tout, il disposait de munitions en quantités suffisantes.

Il leva son pistolet, visa une ombre furtive, et fit feu. Il y eut un hurlement indiscutablement animal ; avant que le silence ne soit retombé, d'autres cris lui répondirent. Quand les buissons s’écartèrent en tremblant pour laisser passer ce qu’ils avaient dissimulé jusque-là, Carver eut un violent mouvement de recul, car il découvrait enfin la nature des êtres qui le menaçaient.

Une rangée d’une bonne douzaine de formes bondit de la frange des broussailles sur le sable de la plage. Le temps d’un souffle, elles demeurèrent immobiles, et Carver comprit qu'il était victime d’un cauchemar de zoologue, parce qu’aucune autre explication ne semblait apte à décrire la situation.

Cette bande-là évoquait vaguement une meute de chiens ; mais ses membres ne ressemblaient absolument pas aux chiens de chasse qui peuplent la Nouvelle-Zélande, ni aux dingos d’Australie. Ils ne ressemblaient pas non plus aux chiens qu’il avait pu précédemment rencontrer parmi les îles ; à vrai dire, ils n’avaient rien du chien, si ce n’était leur méthode d’attaque en meute, évoquant celle du loup, leurs jappements contenus, leurs gueules baveuses, et la disposition de leurs crocs — pour ce que Carver pouvait en voir.

Mais ce qui le frappa surtout, ce fut de constater — répétition systématique, renversante, de toutes les observations qu’il avait faites jusque-là sur Austin — qu’ils ne se ressemblaient pas ! Et ce fut pour l’esprit de Carver un coup dévastateur de constater que jusqu'ici, sur cette île folle, il n’avait pas encore vu deux créatures, animales ou végétales, qui fussent apparentées à des espèces proches !

La meute indescriptible avançait petit à petit. Parmi ces créatures, on trouvait les extrêmes les plus divers — des êtres avec des membres postérieurs longs et des membres antérieurs courts ; une créature à peau nue pleine de cicatrices sans doute dues aux épineux, dotée d’une face de loup-garou à moitié humaine ; une chose minuscule, de la taille d’un rat, qui jappait d’une voix suraiguë ; et une créature puissante, à la large poitrine, dont le corps semblait presque conçu pour la station debout, et qui sautillait sur ses pattes de derrière, tandis que ses paumes antérieures touchaient le sol par intervalles, comme les poings des orangs-outans. Cet être-là en particulier était monstrueux, avec sa dentition jaune, et Carver choisit de lui réserver sa première balle.

La chose tomba sans bruit ; le projectile lui avait fendu le crâne. Tandis que l’écho du coup de feu résonnait entre les deux rangées de collines situées aux extrémités d'Austin, la meute répondit par un chœur d’aboiements, de hurlements, de grondements, et de cris perçants. Momentanément, ils s’éloignèrent du corps de leur compagnon, puis s’avancèrent de nouveau, menaçants.

Carver fit feu à nouveau. Une créature sautillante aux yeux rouges glapit et s’écroula. La bande s’arrêta, nerveuse, maintenant que deux de ses membres étaient morts. Leurs cris n'étaient plus qu'un grognement assourdi, et ils observaient de leurs yeux jaunâtres injectés de sang.

Un son différent le fit sursauter, un cri dont il ignorait la nature, et qui avait semblé provenir du point où la rive boisée s'élevait brusquement pour former une petite falaise. C’était comme si quelqu’un observait de là-haut et avait encouragé cette meute étrange, qui justement avait repris courage et s’était remise à avancer. C’est à ce moment précis qu'une pierre lancée avec force frappa Carver à l’épaule, provoquant une douleur violente.

Il tituba, puis se mit à scruter l’alignement des buissons. Un tel projectile ne pouvait avoir été lancé que par un être humain. Cette île folle hébergeait donc autre chose que ces bêtes aberrantes.

Un second cri retentit, et une autre pierre frôla ses oreilles. Mais cette fois-là, il avait surpris un mouvement au sommet de la falaise, et il fit feu immédiatement.

Il y eut un cri perçant. De la falaise, une silhouette humaine tomba en tournoyant, tituba un instant, et finit par plonger la tête la première dans les buissons situés à son pied, trois mètres plus bas. La meute des créatures se dispersa en hurlant, comme si son courage avait disparu devant cette démonstration de puissance. Ils s’enfuirent comme des ombres dans la forêt.

Mais quelque chose, dans la silhouette qui était tombée de la falaise, avait paru étrange à Carver. Il fronça les sourcils, et attendit un moment pour s'assurer que l’étrange meute s'était bien enfuie, et qu'aucune autre menace ne le guettait dans le sous-bois ; une fois tranquillisé, il se précipita vers l'endroit où son assaillant était tombé.

C’était une silhouette humaine, sans aucun doute — était-ce bien certain ? Ici, sur cette île démente où les espèces pouvaient prendre n'importe quelle forme, Carver en était venu à refuser ce genre d’a priori. Il se pencha sur le corps de son ennemi, qui gisait face contre terre, et le retourna. Il se mit à l’examiner, complètement sidéré.

C'était une jeune fille. Son visage, aux traits aussi sereins que ceux du Bouddha de Nikko[6], était jeune et beau, comme celui d’une statuette vénitienne en bronze. Malgré son inconscience, il y avait dans ses traits délicats un élément de sauvagerie. Elle avait des yeux obliques qui, bien que fermés, évoquaient ceux d’une dryade.

La jeune fille était blanche, même si le soleil avait donné à sa peau une teinte dorée. Néanmoins, Carver était certain de la couleur de sa peau, parce que sous la lisière de son vêtement — un morceau de fourrure non tannée ressemblant à du léopard, déjà raide et tombant en morceaux — la peau paraissait plus blanche.

L'avait-il tuée ? Singulièrement inquiet, il chercha sa blessure, et finit pas découvrir une simple égratignure au-dessus du genou droit, qui saignait à peine. Son tir l'avait seulement surprise, la déséquilibrant ; c'était la chute de trois mètres, depuis le sommet de la falaise, qui avait causé le plus de dommages, ce qu’il vérifia en voyant la rougeur d’une contusion sur sa tempe gauche. Mais elle était vivante. Il la prit vivement dans ses bras et traversa la plage, s’éloignant autant que possible des buissons dans lesquels la meute bigarrée était sans doute toujours tapie.

Il secoua la gourde presque vide, puis inclina la tête de la jeune fille pour verser un peu d’eau entre ses lèvres. Immédiatement, ses yeux s’entrouvrirent, et pendant un instant son regard plongea sans comprendre dans celui de Carver, à moins de trente centimètres d’elle. Puis ils s'élargirent, non pas tant de terreur que de confusion ; elle se tortilla pour échapper à ses bras, tenta à deux reprises de se lever, retomba par deux fois, ses jambes refusant de la soutenir. À la fin elle resta allongée, complètement passive, rivant un regard fasciné sur le sien.

Carver ressentit lui aussi un choc. Quand ses paupières s’étaient relevées, il avait sursauté en voyant ses yeux. Ils étaient — inattendus, malgré ce que suggérait un type oriental à peine esquissé, car ils brillaient d’une nuance fauve. Ils étaient ambre, presque dorés, aussi sauvages que ceux d’un adorateur du dieu Pan. Elle observait le zoologue avec l'intensité d'un oiseau captif, mais sans la timidité de l'oiseau, car il vit soudain sa main se mettre à tâtonner, en quête du bâton pointu ou du couteau en bois pendus à une lanière passée à sa taille.

Il lui présenta la gourde, et elle eut un geste de recul quand il approcha la main. Il secoua le récipient, et quand elle entendit le bruit que faisait le liquide, elle le prit doucement, l’inclina pour en verser un peu de liquide dans sa paume, puis, à la grande surprise de Carver, elle se mit à le sentir, dilatant des narines délicates, autant que le lui permettait son petit nez retroussé. Au bout d'un moment, elle but l’eau qui était dans sa paume, puis elle s’en versa encore et la but également. Il ne lui était pas venu à l’idée, apparemment, de boire au goulot de la gourde.

Elle reprenait ses esprits. Elle aperçut le corps immobile des deux créatures mortes, et poussa un petit gémissement de douleur. Quand elle remua, comme si elle voulait se relever, son genou entaillé lui fit mal, et elle tourna vers Carver des yeux étranges, à l’expression toujours craintive. Elle désigna la strie rouge de sa blessure.

— C'm on[7] ? dit-elle avec une inflexion interrogative.

Carver se rendit compte que ce n’était que par accident que ses paroles ressemblaient à de l’anglais. — Où allons-nous ?  dit-il en souriant.

Elle secoua la tête, embarrassée.

— B-r-r-o-o-m !  dit-elle. Zeee-e-e ! 

Il comprit qu’elle essayait d’imiter le bruit de son coup de feu et le sifflement de la balle. Il tapota le revolver. — Magie ! dit-il pour l’avertir. Mauvaise médecine. Il vaut mieux que tu restes sage, tu vois ? Il était évident qu'elle n'avait pas compris. Thumbi ? Essaya-t-il. Toi maori ? 

Pas de résultat, si ce n’est un long regard de ses yeux dorés, inclinés.

— Alors, grogna-t-il, Sprechen zie Deutsch ? Ou peut-être canaque ? Ou — bon sang ! C'est tout ce que je sais dire ! — Latinum intelligisne ? 

— C'm on ? dit-elle faiblement, les yeux toujours rivés sur le pistolet. Elle frotta l'éraflure sur sa jambe et la contusion de sa tempe, qu’elle attribuait toutes les deux à l'arme, semblait-il.

— D’accord, finit par dire Carver. Il se dit que ça ne pouvait pas faire de mal d’impressionner la jeune fille en lui montrant ses pouvoirs. Je vais venir. Regarde d’abord ! 

Il dirigea son arme vers la première cible disponible — une branche morte sortant d’un tronc d’arbre à l'extrémité de l’affleurement de corail. Elle était épaisse comme le bras, mais sans doute complètement pourrie, parce qu’au lieu de faire sauter un peu d’écorce, comme il l’avait prévu, le projectile fit tomber la lourde branche.

— O-o-oh ! haleta la jeune fille en se bouchant les oreilles. Ses yeux se portèrent rapidement sur lui ; puis elle se mit debout en toute hâte. Elle était complètement prise de panique.

— Non ! dit-il vivement. Il saisit son bras. Tu restes ici ! 

Un moment, il fut stupéfié pas sa force et son agilité. Son bras libre remonta, brandissant le poignard de bois, et il dut également maîtriser son second poignet. Elle avait des muscles d’acier trempé. Elle commença par se tortiller avec frénésie, puis finit par se soumettre, comme si elle avait pensé, « à quoi bon se battre contre un dieu ? »

Il la libéra. Assieds-toi ! grogna-t-il.

Elle obéit au geste plus qu’à la voix. Elle s'assit sur le sable en face de lui, le dévisageant avec de la crainte, mais surtout de la méfiance dans son regard couleur de miel.

— Où se trouve ton peuple ? demanda-t-il brusquement en désignant d’abord sa personne, puis l’ensemble de la forêt.

Elle le contemplait sans comprendre, et il tenta une autre approche. « Ta maison, alors ? » Il singea quelqu’un qui dort.

Le résultat fut identique, un simple regard troublé de ses yeux magnifiques.

« Mais que diable ! murmura-t-il. Tu as bien un nom, je suppose ? Un nom ? Regarde ! Il posa la main sur sa poitrine. Alan. Tu comprends ? Alan. Alan. »

Elle comprit immédiatement. — Alan, répéta-t-elle docilement, le dévisageant toujours.

Mais quand il tenta de l'inciter à se nommer elle-même, il échoua complètement. Le seul résultat de ses efforts fut un accroissement de la perplexité exprimée par ses traits. À la fin, il en revint à essayer de lui faire dire où se trouvaient sa maison et son peuple, en modifiant de toutes les manières possibles ses modes d’expression. Et il eut l’impression qu’elle commençait à comprendre.

Elle se releva, hésitante, et poussa un cri étrange, doux et triste. Il y eut une réponse immédiate dans les buissons, et Carver se figea en voyant réapparaître cette même meute bigarrée composée d'êtres impossibles à décrire. Ils devaient les observer depuis le couvert. Ils s’avancèrent pour entourer à nouveau le corps de leurs deux congénères.

Carver extirpa vivement son revolver. Son mouvement fut suivi d’un cri angoissé de la jeune fille, qui s’interposa devant lui, bras étendus, comme pour protéger la meute sauvage de la menace de l'arme. Elle lui faisait face, craintive mais provocante, et son visage exprimait en même temps de l’étonnement. Elle semblait accuser l'homme de lui avoir ordonné le rappel de ses compagnons dans le dessein de les menacer de mort.

Il réfléchit. — Très bien, dit-il enfin. Que vaut un couple de spécimens rares sur une île qui en est couverte ? Renvoie-les. 

Elle obéit à son geste impérieux. L’étrange meute s’éclipsa furtivement, et la jeune fille recula en hésitant, comme pour les suivre, mais s’arrêta sur l’ordre de Carver. Son attitude était curieuse, faite en partie de crainte, mais surtout, lui semblait-il, d'une sorte de fascination, comme si elle ne comprenait pas tout à fait la nature du zoologue.

Dans une certaine mesure, il partageait son sentiment, car il y avait quelque chose d’indiscutablement mystérieux dans le fait de rencontrer une jeune fille blanche sur l’île cinglée qu’était Austin. Sur cet îlot minuscule, tout se passait comme s’il n’existait au monde qu’un exemplaire et un seul de chaque espèce, et si cette jeune fille était l’unique représentante de l’espèce humaine. Mais en voyant ses yeux sauvages, couleur d’ambre, il demeurait perplexe.

Sur l’île Austin, il n’avait toujours pas eu l’occasion de voir deux créatures semblables. Se pouvait-il que cette jeune fille fût, elle aussi, une mutante, le produit de quelque autre espèce non humaine, qui aurait, par pure chance, adopté une forme humaine parfaite ? Comme ce chat qui ressemblait à un chien et dont le corps était toujours étendu sur le sable où il l'avait jeté ? Ou peut-être était-elle sur cette île l’unique représentante de l’espèce humaine, Ève précédant Adam au jardin d’Eden ? Il y avait eu une femme avant Adam, méditait-il.

« Nous t’appellerons Lilith, dit-il pensivement. Ce nom convenait bien à ses traits parfaits, sauvages, à ses yeux couleur de flamme. Lilith, l’être mystérieux qui avait précédé Adam au Paradis, avant même la création d’Ève. Lilith, répéta-t-il. Alan — Lilith, tu vois ? »

Elle répondit à Carver, par la voix et par le geste. Sans conteste, elle acceptait le nom qu'il lui avait donné, et comprenait parfaitement qu’il s’agissait là d’un terme qui la désignait ; car quand il le prononça quelques minutes plus tard, elle tourna immédiatement vers lui ses yeux ambre, en une question muette.

Carver se mit à rire, puis il reprit le cours de ses pensées confuses. Méditatif, il sortit sa pipe, la bourra, puis frotta une allumette. Il fut surpris par un petit cri poussé par Lilith, et la vit tendre la main. Pendant un moment, il ne comprit pas ce qu’elle tentait de faire, puis ses doigts se refermèrent sur l’extrémité soufrée de l'allumette ! Elle avait essayé de saisir la flamme, comme on attrape un morceau de tissu qui bat au vent.

Elle se mit à crier de douleur et de peur. Immédiatement, la meute étrange réapparut au bord de la forêt, poussant des hurlements de colère, et Carver se tourna à nouveau pour lui faire face. D’un mot, Lilith, qui revenait de la surprise que lui avait causée la brûlure, fit taire encore une fois ses animaux, et ils s’éclipsèrent furtivement, se noyant parmi les ombres de la forêt. Elle se mit à sucer ses doigts roussis, et tourna de grands yeux vers Carver. Il comprit, un peu incrédule, que la jeune fille ne connaissait pas le feu !

Il y avait une bouteille d'alcool dans le coffre qui contenait son équipement ; il la récupéra, prit la main de Lilith, et enroula autour de ses deux doigts blessés une bande de tissu imprégnée de liquide — bien qu’il sût que l'alcool est un piètre remède contre les brûlures. Il appliqua aussi un peu de désinfectant sur l’écorchure au genou qu’avait provoquée la balle ; quand l’alcool la piqua, elle gémit doucement, puis se mit à sourire quand la douleur diminua, et pendant tout ce temps-là, ses étranges yeux couleur d’ambre suivaient les volutes de fumée de sa pipe, et ses narines frissonnaient à l'odeur âcre du tabac.

« Maintenant, demanda Carver, qui fumait tout en réfléchissant, que vais-je bien pouvoir faire de toi ? »

Lilith n'avait apparemment aucune suggestion à lui présenter. Elle continuait simplement de le contempler.

« Au moins, reprit-il, tu dois savoir ce qui est bon à manger sur cette île folle. Tu manges, n’est-ce pas ? Il mima la prise de nourriture.

La jeune fille comprit immédiatement. Elle se leva, fit un pas en direction de l’endroit où se trouvait le corps du chat qui ressemblait à un chien, et parut un instant renifler son odeur. Puis elle prit le couteau de bois à sa ceinture, mit son pied nu sur le corps, et se mit à en découper la chair, dont elle arracha une bande. Elle lui tendit le morceau sanglant, et fut visiblement très étonnée par son geste de refus.

Au bout d’un moment, elle reprit son offrande, jeta un nouveau regard à son visage, et mordit la viande de ses petites dents blanches. Carver nota avec intérêt avec quelle habileté elle exécutait cette difficile opération, faisant en sorte que ses lèvres ourlées ne soient pas souillées par la moindre goutte de sang.

Mais sa propre faim n’était toujours pas apaisée. Il tenta de réfléchir à un moyen de lui faire comprendre ce qu’il voulait dire, et finit par en imaginer un. — Lilith ! dit-il brusquement. Ses yeux se tournèrent immédiatement vers lui. Il désigna la viande qu'elle tenait, puis l’alignement mystérieux des arbres. Fruit, dit-il. Viande d'arbre. Tu vois ? Il fit à nouveau mine de manger.

Encore une fois, la jeune fille comprit immédiatement. Il était étrange, pensait-il, de voir qu’elle comprenait très vite certaines choses, tandis que d'autres, tout aussi simples, semblaient la dépasser tout à fait. Étrange, comme tout était étrange sur l'île Austin. Lilith était-elle entièrement humaine, après tout ? Il la suivit jusqu’à la rangée d'arbres, la regardant à la dérobée, admirant ses yeux couleur de flamme, ses traits fins et magnifiques, mais sauvages, indomptés, ceux d’un elfe, ou d’une dryade.

Elle escalada l’éboulis qui était au bas de l’escarpement et sembla disparaître dans l’ombre, comme par magie. Un instant, Carver fut pris d’inquiétude et fit un effort désespéré pour gravir la pente derrière elle et la rattraper ; ici, elle pouvait s’enfuir aussi facilement qu’une ombre. À vrai dire, il n'avait aucun droit moral de la retenir, et le fait qu’elle l’avait attaqué n’était pas un prétexte défendable ; mais il ne voulait pas la perdre — pas encore. Et peut-être même pas du tout.

— Lilith ! s’écria-t-il en atteignant le sommet de la falaise.

Elle réapparut près de lui. Au-dessus d’eux, il y avait les vrilles d’une curieuse plante grimpante, une sorte de conifère portant des fruits d’un blanc verdâtre, de la taille et de la forme d’un œuf de poule. Lilith en saisit un, le coupa en deux de ses doigts agiles, et en porta un morceau à ses narines. Elle le renifla soigneusement, avec élégance, puis elle jeta le fruit au loin.

—  Pah bô  ! dit-elle en plissant le nez de dégoût.

Elle découvrit une autre variété de fruit, d’aspect peu engageant, composée de cinq protubérances en forme de doigts qui sortaient d'un disque fibreux, en sorte que l'ensemble ressemblait à une grande main difforme. Elle le sentit avec autant de soin que l’autre, puis elle tourna légèrement la tête en souriant.

« Bô ! » dit-elle en le lui tendant.

Carver hésita. Après tout, moins d’une heure auparavant, la jeune fille avait essayé de le tuer. N’était-il pas possible qu'elle tente maintenant la même chose, en lui offrant un fruit toxique ?

Elle secoua l'objet bulbeux à l’aspect désagréable. « Bô ! » répéta-t-elle, puis, comme si elle avait compris les raisons de son hésitation, elle arracha l’un des doigts et le mit dans sa propre bouche. Elle fit un nouveau sourire.

— D’accord, Lilith. Il lui renvoya son sourire et prit le reste du fruit.

C'était beaucoup plus plaisant pour la langue que pour l'œil. La pulpe avait une douceur amère qui lui rappelait vaguement quelque chose, mais il ne pouvait pas identifier le goût en toute certitude. Néanmoins, encouragé par l'exemple de Lilith, il en mangea jusqu'à ce que sa faim soit apaisée.

La rencontre avec Lilith et sa meute sauvage l’avait éloigné de sa mission initiale. En revenant vers la plage, il fronça les sourcils en se rappelant qu'ici il était Alan Carver, zoologue, et personne d’autre. Mais — par quoi commencer ? Il était venu là dans le but de répertorier et de recueillir des spécimens, mais qu'était-il censé faire sur cette île démente où chaque créature était d'une variété inconnue ? Ici, il n'y avait rien à classifier, parce qu’il n'y avait pas de classes. Il n’y avait qu'un exemplaire de chaque chose — semblait-il.

Au lieu de commencer une tâche à première vue futile, Carver décida de changer d’optique. Quelque part sur Austin devait se trouver le secret de ce désordre anarchique, et il semblait plus judicieux de rechercher cette clef que de perdre son temps dans une classification sans objet. Il fallait donc explorer l'île. Quelque gaz volcanique étrange, imaginait-il, ou peut-être quelque dépôt radioactif — comme pour les expériences aux rayons X qu’avait menées Morgan sur des semences. Ou bien — autre chose. Il fallait qu’il y ait une explication.

« Viens, Lilith, » ordonna-t-il, et ils partirent vers l'ouest, où la colline lui semblait plus élevée que l'éminence opposée, à l'extrémité orientale de l'île.

La jeune fille le suivit, toujours obéissante ; ses yeux couleur de miel restaient rivés sur Carver, exprimant un curieux mélange de crainte et d’étonnement, et — peut-être — d’admiration naissante.

Pour préoccupé qu’il fût par l'accumulation de tous ces mystères, le zoologue ne manquait pas de jeter de temps en temps un coup d’œil à la beauté sauvage de son visage. À un moment donné, il se surprit à l’imaginer dans des habits civilisés — la chevelure acajou coiffée d’une de ces petits chapeaux à la mode, le corps souple drapé dans un tissu bien plus fin que la peau desséchée et craquelée qu’elle portait, les pieds mignons chaussés de cuir, les chevilles gainées de soie. Gêné, il se renfrogna et repoussa cette vision, sans tenter vraiment de comprendre si elle lui semblait par trop anormale, ou bien — trop attrayante.

Il gravit la pente. Austin était très boisée, comme le sont les Aucklands, mais ils progressaient facilement, parce qu’il s’agissait d’une forêt et pas d’une jungle. Une forêt démente, à vrai dire, mais relativement dénuée de broussailles.

Une ombre apparut, puis une autre. La première n’était qu’un pigeon couronné, qui érigeait sa superbe crête emplumée, et la seconde un simple perroquet-hibou. Sur Austin, les oiseaux étaient normaux ; c’étaient ceux qu’on trouve partout sur les mers méridionales. Pourquoi ? Parce qu’ils sont mobiles ; ils voyagent d'île en île, quelquefois poussés par la tempête.

C'est vers le milieu de l’après-midi que Carver parvint au sommet, où un affleurement solennel de basalte noir surplombait une zone déboisée, une disposition qui rappelait la tour de guet d'un garde forestier. Il escalada la paroi latérale érodée ; Lilith le rejoignit, et ils se mirent à contempler la vallée centrale de l'île Austin ; la vue portait jusqu’à la colline surplombant l’extrémité orientale, presque aussi élevée que le sommet sur lequel ils se tenaient.

Au milieu s’étendait la forêt sauvage ; dans ses profondeurs, des ombres bleu-vert s’agitaient au gré de la brise, comme des risées à la surface d’un lac tranquille. En contrebas, un rapace planait en faisant des cercles, et au loin, au centre même de la vallée, on voyait briller de l'eau. Ce devait être, pensa-t-il, le ruisseau qu’il avait déjà rencontré. Mais nulle part — absolument nulle part — on ne voyait le moindre signe d’occupation humaine pouvant expliquer la présence de Lilith — ni fumée, ni clairière, rien.

La jeune fille effleura timidement son bras, désignant la colline opposée.

— Pas bô ! dit-elle en tremblant. Son incompréhension avait dû lui paraître tout à fait évidente, car elle reformula sa remarque. R-r-r-r ! gronda-t-elle, imitant un grognement de ses lèvres parfaites. Pah bô, lay shot. Elle désignait toujours la partie orientale de l’île.

Essayait-elle de lui dire que des bêtes féroces peuplaient la région ? Carver ne pouvait pas interpréter son symbolisme autrement, et l'expression qu'elle avait employée était identique à celle qu’elle avait appliquée au fruit toxique.

Il plissa les yeux pour examiner attentivement l'éminence orientale, et eut un sursaut de surprise. Il y avait quelque chose, non pas sur la colline opposée, mais en bas, à mi-chemin, près de l’endroit où de l'eau miroitait.

À sa ceinture pendaient les jumelles à prisme qu’il utilisait pour identifier les oiseaux. Il porta l'instrument à ses yeux. Ce qu'il vit, de manière trop indistincte pour qu’il pût acquérir une certitude, ce fut un monticule, ou une construction irrégulière recouverte de plantes grimpantes. Peut-être les murs en ruine d'une maison dépourvue de toit.

À l'ouest, le soleil descendait vers l’horizon. La journée était maintenant trop avancée pour l'exploration ; il la remit donc au lendemain. Il nota l'emplacement du monticule dans sa mémoire, puis ils redescendirent.

Quand survint l'obscurité, Lilith commença à faire preuve d’une réluctance certaine à se diriger vers l'est ; elle restait en arrière, et parfois, elle retenait timidement son bras. Par deux fois elle dit « non, non ! », et Carver se demanda si ce mot-là faisait partie de son vocabulaire, ou si elle le tenait de lui. Dieu sait, pensa-t-il amusé, qu'il l’avait employé assez souvent avec elle, comme on s’il s’était agi d’un enfant.

Il avait de nouveau faim, malgré les fruits qu’à l’occasion Lilith cueillait à son attention. Sur la plage, il abattit un magnifique Cygnus Atratus, un cygne noir australien, et l’emporta, laissant la tête traîner dans le sable, tandis que Lilith, intimidée par le coup de feu, le suivait sans plus manifester de réserve.

En suivant la grève, il parvint à son coffre ; cet endroit n’était pas meilleur qu’un autre, mais si Kolu et Malloa devaient revenir, ou servir de guides à une expédition de secours organisée par l’équipage de la Fortune, c’est à cet endroit qu’ils se rendraient d'abord.

Il ramassa du bois de flottage, et, comme l'obscurité tombait, il alluma un feu.

Quand il eut gratté une allumette et que le feu commença à prendre, il esquissa un sourire, car Lilith fut prise d’un début de panique et poussa un « Oh-o-o » qui exprimait sa peur. Elle se rappelait sans doute ses doigts roussis, et par la suite, elle contourna soigneusement les flammes. Quand il s’assit pour plumer et vider le grand oiseau, elle resta accroupie derrière lui.

Quand il transperça la volaille avec une broche pour mettre le tout à rôtir, elle ne comprit visiblement pas ce qu’il faisait ; mais il sourit en voyant ses narines adorables se mettre à palpiter, stimulées par l’odeur du bois qui brûle, mêlée à celle de la viande en train de cuire.

Quand la volaille, qui rappelait l'oie rôtie, fut cuite à point, il en découpa un morceau riche et gras à son intention, et il eut une nouvelle occasion de sourire en voyant son étonnement. Elle le mangea avec d’infinies précautions, surprise autant par la chaleur qui en émanait que par la saveur nouvelle ; à l’évidence, elle l’aurait préférée crue et saignante. Quand elle eut fini, elle ôta la graisse de ses doigts avec beaucoup de soin, en les frottant avec le sable humide d’une mare abandonnée par le flot.

Carver se demandait toujours ce qu’il devait faire d’elle. Il ne voulait pas la perdre, et pourtant il ne pouvait pas rester éveillé toute la nuit à la surveiller. Il disposait bien des cordes qui avaient ficelé le coffre aux provisions ; il aurait sans doute pu lui lier les poignets et les chevilles ; mais vraiment, cette idée ne lui plaisait pas du tout. Elle était trop naïve, trop confiante, trop timide — et trop adorable. Et en outre, sauvage ou pas, c’était une jeune fille blanche sur laquelle il ne disposait pas de la moindre autorité légitime.

Finalement, il haussa les épaules et, par-dessus les restes du feu, sourit à Lilith, qui avait maintenant abandonné une partie de sa crainte des flammes vives. — C’est à toi de décider, lui fit-il remarquer d’une voix aimable. Je voudrais bien que tu restes, mais je n'insisterai pas pour que tu le fasses.

Elle répondit à son sourire de son propre sourire rapide et éclatant, et ses yeux avaient exactement la couleur des flammes qu'elles reflétaient, mais elle ne dit rien. Carver s'étendit sur le sable ; il faisait assez frais pour que les ennuyeuses puces des sables se soient calmées, et au bout d’un moment il s’endormit.

Il était dit qu’il ne pourrait dormir que par intermittence. Le chœur sauvage et étrange des bruits de la nuit le réveilla, et il vit que Lilith contemplait les braises du feu moribond. Un peu plus tard, il se réveilla de nouveau ; le feu était maintenant tout à fait éteint, mais Lilith était debout. Tandis qu'il l'observait en silence, elle se retourna vers la forêt. Son cœur se mit à battre plus vite ; elle partait.

Mais elle s’arrêta. Elle se pencha sur quelque chose de sombre — le corps d’une des créatures sur lesquelles il avait tiré. La plus grande, semblait-il ; il la vit qui s’efforçait de le soulever, puis, comme il était trop lourd pour elle, elle le traîna laborieusement jusqu’à la barre de corail, d’où elle le fit tomber dans l’eau.

À pas lents, elle revint ; elle prit dans ses bras le petit corps et fit la même chose pour lui, puis, pendant de longues minutes, elle se tint immobile au-dessus de l'eau noire. Quand elle revint, elle fit face un instant à la Lune qui se levait, et il vit des larmes dans ses yeux. Il sut qu'il venait d’être témoin d'un enterrement.

Il l’observa en silence. Elle se laissa tomber sur le sable, près de ce qui restait des braises ; mais elle ne semblait pas avoir besoin de sommeil. Pleine d’appréhension, elle observait fixement la direction de l’est, si bien que Carver y vit un présage. Il était sur le point de se redresser en position assise quand Lilith, après une longue réflexion, parut prendre une décision.  Soudainement, elle se leva et partit à grandes enjambées vers les arbres.

Surpris, il se mit à scruter les ombres, et du couvert vint ce même cri étrange qu’il avait entendu auparavant. Il tendit l’oreille, et fut certain d’avoir distingué un faible jappement en provenance des arbres. Elle avait rappelé sa meute. Carver tira doucement son revolver de l’étui et leva légèrement le bras.

Lilith réapparut. Derrière elle, des ombres plus foncées se mouvaient sur l’arrière-plan obscur de la végétation, menaçantes, et la main de Carver serra plus fermement la crosse de son revolver.

Mais il n'y eut pas d’attaque. La jeune fille lança à voix basse un ordre quelconque, les ombres furtives disparurent, et c’est seule qu’elle revint prendre sa place sur le sable.

Quand elle porta le regard dans sa direction, le zoologue eut l’occasion de voir son visage, pâle et argenté au clair de lune ; il resta allongé, faisant semblant de dormir, et Lilith, au bout d’un moment, parut prête à l'imiter. L'appréhension avait disparu de ses traits ; elle était plus calme, plus confiante. Carver comprit alors pourquoi ; elle venait d’ordonner à sa meute de les garder contre un quelconque danger qui serait venu de l'est.

L'aube le réveilla. Lilith dormait toujours, pelotonnée comme un enfant sur le sable, et la contempla pendant un certain temps. Elle était vraiment très belle, et maintenant que ses yeux fauves étaient fermés, beaucoup moins mystérieuse ; elle ne ressemblait plus à une nymphe ou à une dryade de l'île, mais simplement à une jeune jolie fille sauvage et primitive. Pourtant, il connaissait — ou commençait à suspecter — la folle vérité sur l’île Austin. Et si c’était bien ce qu'il craignait, alors il aurait pu tout aussi bien tomber amoureux d'un sphinx, d’une sirène, ou d’un centaure femelle, que de Lilith.

Il se reprit. — Lilith ! appela-t-il d’un ton bourru.

Elle se réveilla en sursaut, avec un début de terreur. Un temps, elle lui fit face, la peur dans les yeux ; puis elle se souvint, soupira, et lui lança un sourire timide. Il eut alors de la peine à se rappeler ce qu’il avait redouté en elle ; elle était humaine, d’une beauté admirable, et attirante ; quant à ses yeux sauvages,  couleur de flamme, — il se dit que ce qu’il avait cru y voir était le produit de son imagination.

Elle le suivit en direction des arbres. Il n'y avait aucun signe de ses étranges gardes du corps, mais Carver pensa qu’ils ne devaient pas être bien loin. Ils déjeunèrent à nouveau de fruits ;  faisant usage de son odorat délicat, Lilith les choisissait avec beaucoup de soin, et ne se trompait jamais. Avec intérêt, Carver se mit à réfléchir au fait que sur cette île cinglée, l'odorat semblait un bon moyen d'identifier les genres.

L'odeur est de nature chimique, pensait-il. Les différences chimiques sont d’origine glandulaire, et les différences glandulaires, en dernière analyse, expliquent probablement celles qui séparent les espèces ; les différences entre un chat et un chien, par exemple, sont vraisemblablement de nature glandulaire. À cette pensée, il força les sourcils et se mit à scruter attentivement Lilith ; mais il avait beau faire, elle ressemblait toujours à une petite sauvageonne extrêmement jolie — s’il n’y avait ces yeux.

Il avançait vers la partie orientale de l'île, envisageant de suivre le cours du ruisseau jusqu’à l'emplacement de la cabane en ruine, — si c'était bien une cabane. Une fois de plus, il remarqua l’inquiétude de la jeune fille quand ils s’approchèrent du cours d’eau qui coupait en deux cette partie de la vallée. À moins que ses craintes ne fussent que superstition, il y avait certainement là quelque chose de dangereux. Il vérifia son pistolet et reprit son avance.

Sur la berge du ruisseau, Lilith commença à faire des difficultés. Elle saisit son bras et le tira fortement en arrière, effrayée, criant de manière répétée, « non, non, non ! »

Avec un peu d’impatience, il lui jeta un regard interrogateur ; elle ne pouvait que répéter son expression de la veille. — Lay shot ! disait-elle, anxieuse et pleine de crainte. Lay shot[8] ! 

— Bah ! grogna-t-il. Que je sache, un boulet de canon est le seul genre d’oiseau qui puisse — il se retourna, et se mit à longer le cours d'eau vers la forêt.

Lilith traînait derrière lui. Elle ne pouvait pas se décider à le suivre dans cette direction-là. Un instant il s’arrêta, se retourna pour admirer son charme et sa minceur, puis il se tourna et reprit sa marche. Il pensait « Mieux vaut qu’elle reste ici. Mieux vaut ne plus la revoir, parce qu’elle est trop belle pour que je reste si près d’elle. Dieu sait pourtant qu’elle a l’air humaine. »

Mais Lilith se rebella. Quand elle fut certaine qu'il était déterminé à continuer, elle poussa un cri effrayé. — Alan ! appela-t-elle. Al-an ! 

Il se retourna de nouveau, étonné qu'elle se soit rappelé son nom, et il la vit se précipiter à son côté. Elle était pâle, terriblement effrayée, mais elle n’entendait pas le laisser partir sans elle.

Pourtant, rien n’indiquait que cette région de l'île fût plus dangereuse que le reste. On y trouvait la même profusion folle de variétés végétales, les mêmes feuilles, fruits et fleurs impossibles à répertorier. Cependant, — était-ce son imagination ? — il y avait moins d’oiseaux.

Quelque chose ralentit leur progression. Parfois, la rive orientale du ruisselet semblait plus praticable que la leur, mais Lilith refusait immuablement de lui permettre de traverser. Quand il tentait de le faire, elle s'accrochait à son bras avec tant de force et de désespoir qu'il finissait par céder, si bien qu’ils durent se frayer un chemin à travers les broussailles qui encombraient leur rive. Tout se passait comme si ce cours d’eau marquait une limite, une division, ou bien — il plissa le front — une frontière.

Vers midi, ils atteignirent un point que Carver croyait proche de l’endroit qu'il recherchait. Il scruta le tunnel de végétation en forme d’arc qui surplombait le cours du ruisseau, et là-bas, recouverte de tant de verdure qu'elle se fondait dans l’arrière-plan de la forêt, il la vit enfin.

C'était bien une cabane, ou plutôt ce qu’il en restait. Les troncs d’arbre qui constituaient les murs avaient tenu bon, mais le toit, sans doute de chaume, s'était désagrégé depuis bien longtemps. Mais ce qui frappa Carver au premier abord, c’est que par la conception des fenêtres, de la porte, du seuil, il était évident que ce n’était pas une hutte indigène. C'était la cabane d'un homme blanc, et elle avait sans doute compté trois pièces.

Elle était située sur la berge orientale ; le ruisseau n’était plus ici qu’un étroit ruisselet, qui s’écoulait d’une mare par de minuscules rapides. Il fit un bond pour le franchir, ignorant le cri d’angoisse de Lilith. Mais en voyant son visage, il fit une pause. Ses yeux magnifiques, couleur de miel, étaient écarquillés de peur, et ses lèvres serrées marquaient une intense détermination. Délibérément, d’un bond, elle franchit le ruisseau pour se retrouver à ses côtés ; elle lui faisait penser à un martyr antique avançant dans l’arène face aux lions. C’était comme si elle avait déclaré, « si tu dois mourir, alors je mourrai près de toi. »

Pourtant, au milieu de cette ruine, il n'y avait rien pour inspirer la crainte. Il n'y avait aucun être vivant, sauf un animal minuscule, semblable à un rat, qui s’enfuit à leur approche par un trou dans la paroi de bois. Carver inspecta avec attention l’intérieur encombré d’herbes et de fougères, les restes de meubles délabrés, et les débris du toit. Il y avait des années que cet endroit n’avait plus connu d’occupants humains, dix ans au moins.

Son pied heurta quelque chose. Il examina le sol et aperçut au milieu des herbes un crâne et un fémur humains. Puis d'autres ossements, mais aucun d’eux n'était en position normale. Leur ancien propriétaire avait dû mourir à l’endroit où le lit de camp en ruine s’était effondré, et avait dû être traîné jusque-là par — eh bien, par ce qui s'était régalé le dernier de charogne humaine.

Il jeta un nouveau coup d’œil dans la direction de Lilith, mais elle contemplait toujours, effrayée, la direction de l'est. Elle n'avait pas vu les ossements, ou bien, si elle les avait vus, ils ne signifiaient rien pour elle. Carver s’avança avec précautions, cherchant un indice qui le renseignerait sur l'identité de ces restes humains, mais ne trouva qu’une boucle de ceinture rouillée.

C’était une boucle de petite taille ; naturellement, il s’était agi d’un homme, et très probablement d’un homme blanc.

La majeure partie des débris était enfoncée de plusieurs centimètres dans l'accumulation d’argile. Il donna un coup de pied aux fragments de ce qui avait dû être une armoire, et encore une fois, son pied heurta quelque chose de dur et de rond — non, cette fois-ci, il s’agissait d’un simple pot.

Il le prit. Il était scellé, et il y avait quelque chose à l’intérieur. Corrodé par les années, le bouchon était irrémédiablement coincé ; Carver brisa le verre contre un tronc d’arbre. Au milieu des fragments, il trouva un cahier jauni, que le temps avait rendu friable. Il jura à voix basse quand une douzaine de pages se désagrégèrent entre ses doigts, mais ce qui restait lui sembla plus solide. S’appuyant sur un tronc, il parcourut du regard une écriture dont l'encre était presque effacée.

Il y avait là une date et un nom. Le nom était celui d’Ambrose Callan, la date, celle du 25 octobre 1921. Il plissa le front. En 1921, il se trouvait — voyons, réfléchit-il ; c’était il y a quinze ans — il était encore à l'école primaire. Et pourtant, le nom d’Ambrose Callan lui était familier.

Il reprit la lecture de ces lignes manuscrites à moitié effacées, puis regarda le ciel, pensif. C'était donc bien lui. Il se rappelait l'expédition de Callan, parce que tout jeune, il s’intéressait à la géographie, aux explorations, aux aventures lointaines — mais quel jeune ne s’y intéresse pas ? Le Professeur Ambrose Callan, de la Northern University ; il se souvenait aussi que Morgan avait fondé une partie de son travail sur les espèces nouvelles — l’évolution synthétique — sur les observations de Callan.

Mais Morgan avait seulement réussi à créer de nouvelles espèces de la mouche du fruit, de la drosophile, en exposant du plasme[9] de semences à des rayons X durs. Rien à voir avec ça — cette maison de fous qu’était l'île Austin. Il porta son regard sur Lilith, tendue et craintive, et frissonna, tant elle lui semblait belle — et si humaine. Son regard revint aux pages friables du cahier, et il reprit sa lecture ; il pressentait qu’ici il était tout près de découvrir le secret.

Il fut surpris par le cri de terreur poussé soudain par Lilith. — Lay shot ! criait-elle. Alan, lay shot !

Il suivit son geste, mais ne vit rien. Sa vue était sans doute meilleure que la sienne, pourtant — là ! Parmi les ombres allongées de l’après-midi, quelque chose se déplaçait dans la forêt. Un instant, il le vit clairement — un pygmée malveillant, très semblable à l'horreur aux yeux de chat qu'il avait aperçue en train de boire l’eau du ruisseau. Semblable ? Non, c’était le même ; il fallait que ce fût le même, puisqu’ici, sur Austin, aucune créature ne ressemblait aux autres, — ç’aurait été impossible, sauf par le plus grand des hasards.

La créature disparut avant qu'il ait pu tirer son arme, mais dans l’ombre, d’autres silhouettes guettaient, d'autres yeux luisaient d’une intelligence inhumaine. Il fit feu, et un gloussement curieux lui revint ; un temps, il lui sembla que les créatures avaient reculé. Mais elles revinrent, et c’est sans surprise qu’il contempla leur horde de cauchemar.

Il fourra le cahier dans sa poche et saisit le poignet de Lilith, qui se tenait debout, paralysée par l’horreur. Il s’éloigna de l'entrée privée de porte, et bondit par-dessus l’étroit ruisseau. La jeune fille semblait hébétée, à moitié paralysée par les brefs aperçus qu’ils avaient des êtres qui les poursuivaient. Ses yeux écarquillés montraient qu’elle avait peur, et elle trébuchait derrière lui, marchant à l’aveuglette. Il fit feu à nouveau en direction des ombres.

Cela parut réveiller Lilith. — Lay shot ! gémit-elle encore, puis elle reprit son sang-froid. Elle poussa son curieux cri, et quelque part il y eut une réponse, puis une autre, encore plus lointaine.

Sa meute accourait pour la défendre, et Carver sentit monter l’appréhension — pour lui-même. N’allait-il pas se trouver pris entre deux ennemis ?

Il n'oublia jamais cette retraite vers l’embouchure du petit ruisseau. Seul un dément peut évoquer les batailles féroces auxquelles il assista, les cris surnaturels, l’étreinte mortelle de créatures parfaitement anormales, combattant avec la folle frénésie de monstres de foire. Sans l'interposition de la meute de Lilith, ils auraient tous deux été immédiatement massacrés ; ils se faufilèrent hors du couvert avec des cris sourds, animaux, et firent cercle avec méfiance autour de Carver, mais sans cesser de prêter attention aux — aux autres.

Il vit, ou plutôt il perçut quelque chose qui lui avait échappé jusque-là. En dépit de leur aspect étrange, quel qu’il fût, les membres de la meute de Lilith s’apparentaient aux chiens. Pas par l’aspect, bien sûr ; c’était bien plus profond que cela. Par leur nature, leur comportement, en réalité.

Et leurs ennemis, ces créatures sauvages, cauchemardesques, avaient en elles quelque chose de félin. Comme pour les autres, l'aspect ne comptait pas, mais leur nature et leur comportement en étaient la preuve. Leur façon de combattre, par exemple — dans un silence complet, avec des griffes mortelles et des dents pointues comme des aiguilles, rien qui rappelât les combats de chiens, mais bien plutôt les bonds et les coups de griffes des félins. Leur aspect, leur — leur félinité était camouflée par leur aspect extérieur, leur apparence, qui allait de la forme à moitié humaine du petit démon du ruisseau jusqu’à celle d’une créature à tête d’ophidien aussi lourde et agile qu’une panthère. Et la férocité et l’intelligence avec lesquelles ils combattaient étaient en elles-mêmes anormales.

Le pistolet de Carver leur fut utile. Il faisait feu sur toutes les cibles qui passaient à sa portée, ce qui n'arrivait pas très souvent ; mais ses coups occasionnels semblaient inspirer du respect à ses adversaires.

Lilith, armée seulement de pierres et de son couteau de bois, se serra simplement contre lui pendant qu’ils reculaient vers la plage. Leur avance était affreusement lente, et Carver remarqua avec appréhension que les ombres s'allongeaient vers l'est, comme pour accueillir la nuit qui allait recouvrir cette moitié du monde. La nuit signifiait — la destruction.

S’ils arrivaient à rejoindre la plage, et si la meute de Lilith pouvait retenir les autres jusqu'à ce que Carver ait pu bâtir un feu, ils arriveraient à survivre. Mais les créatures qui étaient les alliés de Lilith allaient être défaites. Elles étaient beaucoup trop peu nombreuses. De même qu’un glaçon fond plus vite quand sa taille diminue, la mort de l’une d’elles rendait plus probable celle des survivants.

Carver trébucha dans la lumière orange du soleil. La plage ! Le soleil touchait déjà le récif de corail, et dans quelques minutes à peine, ce serait l'obscurité — bien trop vite.

Des buissons jaillirent les restes de la meute de Lilith, une demi-douzaine de bêtes incroyables, grondantes, ensanglantées, haletantes, et épuisées. Pour l’instant, elles étaient débarrassées de leurs attaquants, car les félins monstrueux avaient choisi de demeurer parmi les ombres. Carver reculait toujours, éprouvant un sentiment de défaite, et pendant ce bref instant crépusculaire qui sépare le jour de la nuit, sous ces latitudes, son ombre continua à s’allonger. Au moment précis où il conduisit Lilith à l’affleurement de corail, la nuit finit de tomber.

Il vit venir la charge. D'étranges ombres se détachèrent de celle, plus profonde, des arbres. Sous l’un d’eux, une des créatures indéfinissables gémit doucement. ; l’espace d’un instant, sombre contre le blanc du corail qui parsemait la plage, Carver aperçut la silhouette du petit démon à moitié humain, et un grondement malveillant se fit entendre. C’était exactement comme si la créature s’était portée en avant, pareille à un chef qui ordonne à ses troupes de charger.

Carver la prit pour cible. Dans sa main, son pistolet eut un sursaut ; le grondement se changea en hurlement d'agonie, puis ce fut la charge. La meute de Lilith s'était tapie ; Carver savait que c'était la fin. Il fit feu. Les ombres continuaient à avancer. Le magasin de l’arme était vide ; il n'avait pas le temps de recharger. Il retourna l'arme, pour s’en servir comme d’un gourdin. Il sentait la tension de Lilith derrière lui.

Puis la charge cessa brusquement. Simultanément, comme si elles obéissaient à un ordre, les ombres s’immobilisèrent, silencieuses. On n’entendait plus que les gémissements des créatures agonisant sur le sable. Quand le mouvement reprit, ce fut — en direction des arbres !

Carver déglutit. Sur le mur de végétation, un faible reflet attira son attention, et il fit volte-face. C'était cela ! Plus loin sur la plage, là où il avait laissé son coffre à provisions, un feu était en train de brûler, et se profilant contre sa lumière, il y avait des silhouettes humaines qui leur faisaient face dans l'obscurité. Le danger inconnu représenté par le feu avait suffi à dissuader la horde féline d’attaquer.

Il se mit à observer les alentours. Là-bas sur la mer, sombre contre la faible lueur qui marquait encore l’horizon, y avait une forme familière. La Fortune ! Ces hommes-là étaient donc ses associés ; ils avaient entendu ses coups de feu, et avaient allumé le feu pour le guider.

— Lilith ! s’étrangla-t-il. Regarde là-bas. Viens ! 

Mais la jeune fille reculait. Ce qu’il restait de sa meute était tapi à l'abri de l'affleurement de corail, loin du feu redouté. Ce n'était plus le feu qui effrayait Lilith, mais les ombres noires qui l’entouraient, et Alan Carver eut soudain à prendre la plus difficile décision de sa vie.

Il pouvait la laisser ici. En voyant l’expression tragique de ses yeux couleur de miel, il savait qu’elle ne le suivrait pas. Et sans aucun doute, c’était la meilleure chose à faire ; car il ne pouvait pas l'épouser. Personne ne pourrait jamais l'épouser, et elle était trop belle pour être placée au milieu d’hommes qui pourraient l’aimer — comme Carver. Mais il frissonna quand une image s’imposa à son esprit. Les enfants ! Quelle sorte d'enfants Lilith aurait-elle ? Aucun homme ne pouvait courir le risque que Lilith fût touchée, elle aussi, par la malédiction de l'île Austin.

Attristé, il partit — un pas, deux pas en direction du feu. Puis il se retourna.

— Viens, Lilith, dit-il doucement, et il ajouta, mélancolique, d'autres se sont mariés, ont vécu ensemble, et sont morts sans avoir eu d’enfants. Nous pouvons faire comme eux.

L

a Fortune glissait par-dessus les vertes collines, en direction du nord et de la Nouvelle-Zélande. Carver sourit en s’allongeant sur une chaise de pont. De mauvaise humeur, Halburton fixait à l’horizon la ligne bleue qu’était devenue l’île Austin.

— Console-toi, Vance, plaisanta Carver. Même en cent ans, tu serais incapable de répertorier cette flore, et si tu le pouvais, à quoi est-ce que cela servirait ? Il n’y en a qu’un seul de chaque espèce, de toute manière. 

— Je donnerais volontiers deux orteils et un doigt pour essayer quand même, rétorqua Halburton. Tu as passé à peu près trois jours là-bas, et si tu n’avais pas blessé Malloa, cela aurait pu être encore plus long. Ils seraient sûrement rentrés directement chez eux, dans les Chathams, si ta balle n'avait pas atteint son bras. C'est la seule raison pour laquelle ils ont rejoint Macquarie. 

— Et c’est heureux pour moi. Votre feu a effrayé les chats. 

— Des chats, dis-tu ? Est-ce que cela te dérangerait de me répéter tout ça, Alan ? C’est tellement dingue que je n’ai pas encore tout saisi. 

— Bien sûr. Écoute bien le professeur et tu comprendras. Il sourit. Pour être franc, au début, je n'ai pas eu moi-même l’ombre d'un soupçon. L'île entière semblait folle. Pas deux êtres vivants qui fussent semblables ! Un seul de chaque genre, et en plus, uniquement des genres inconnus. Jusqu'à ma rencontre avec Lilith, je n'ai pas découvert le moindre indice. C’est alors que j'ai remarqué qu'elle identifiait les choses par leur odeur. Elle distinguait les bons fruits de ceux qui étaient toxiques en les reniflant, et elle a même identifié la première créature féline tuée par moi à son odeur. Elle n’a accepté d’en manger que parce que c'était un ennemi, mais elle n’aurait pas touché aux créatures canines de sa meute que j'avais tuées. 

— Et alors ? demanda Halburton en fronçant les sourcils.

— Eh bien, l'odeur est de nature chimique. C’est beaucoup plus fondamental que l’aspect extérieur, parce que le fonctionnement chimique d'un organisme dépend de ses glandes. J'ai donc commencé à soupçonner que la nature fondamentale de tout ce qui vit sur l'île Austin est exactement la même que partout ailleurs. Ce n'était pas la nature des êtres vivants qui était modifiée, seulement leur aspect. Tu comprends ? 

— Pas du tout. 

— Cela va venir. Tu sais ce que sont les chromosomes, bien sûr. Ce sont eux qui portent l'hérédité, ou plutôt, selon Weissman[10], ils contiennent les gènes qui portent les déterminants qui portent eux-mêmes l'hérédité. Un être humain dispose de quarante-huit chromosomes, dont la moitié provient de chacun de ses parents. 

— C’est vrai aussi, dit Halburton, d’une tomate. 

— Oui, mais les quarante-huit chromosomes d'une tomate sont porteurs d’une hérédité différente, sinon il serait possible de croiser un être humain avec une tomate. Pour en revenir à notre sujet, toutes les variations qui existent entre les individus proviennent de la façon dont le hasard mélange ces quarante-huit chromosomes, avec leur charge de déterminants. C’est cela qui limite, d’une manière assez efficace, la gamme des variations possibles.

« Par exemple, on sait que la couleur des yeux est contrôlée par les gènes de la troisième paire de chromosomes. Supposons que ce gène contienne deux fois plus de déterminants pour la couleur marron que la couleur bleue ; il y aura deux fois plus de chances que l'enfant d’un homme ou d’une femme possédant ce chromosome particulier ait les yeux marron — si du moins le conjoint n'a pas d’orientation marquée dans une direction ou dans l’autre. Tu comprends ? »

— Je sais fort bien tout cela. Venons-en à Ambrose Callan et à son cahier. 

— J’y viens. Rappelle-toi maintenant que ces déterminants sont porteurs de toute l’hérédité, et j’y inclus la forme, la taille, l’intelligence, le caractère, la couleur de peau — tout. Les gens — ou les plantes et les animaux — peuvent différer d’autant de façons qu’il existe de combinaisons de ces quarante-huit chromosomes, avec leur charge de gènes et de déterminants. Mais ce nombre n'est pas infini. Il existe des limites, des limites à la taille, à la couleur de la peau, à l'intelligence. Personne n’a jamais vu un être humain avec des cheveux bleu ciel, par exemple. 

— Et personne ne voudrait voir pareille chose ! grommela Halburton.

— C’est dû au fait, poursuivit Carver, qu’il n’existe pas de déterminants bleu clair dans les chromosomes humains. Mais — et c’était là l'idée de Callan, — supposons que nous puissions augmenter le nombre de chromosomes d’un ovule donné. Que se passerait-il alors ? Chez l'homme ou chez la tomate, au lieu de quarante-huit chromosomes, il y en aurait quatre cent quatre-vingts, et la gamme des variations possibles serait dix fois plus étendue qu'elle ne l’est maintenant.

« S’agissant de la taille, par exemple, la gamme actuelle, qui est d’environ soixante-quinze centimètres, s’étendrait à sept mètres et demi ! Et pour ce qui est de l’aspect — l'homme pourrait alors ressembler à peu près à n'importe quoi ! Dans les limites, bien sûr, de ce qui est possible dans l’ordre des mammifères. Enfin, pour l'intelligence — il s’interrompit, pensif. »

— Mais comment, intervint Halburton, Callan envisageait-il de réaliser l’exploit consistant à introduire dans un œuf des chromosomes supplémentaires ? Les chromosomes, par eux-mêmes, sont microscopiques ; les gènes sont à peine visibles au grossissement maximal, et personne n'a jamais été capable de voir un déterminant. 

— Je ne sais pas, dit Carver avec gravité. Le début de ses notes est parti en poussière, et la description de sa méthode devait figurer dans ces pages-là. Quant à Morgan, il utilise bien des rayonnements durs, mais son but et ses résultats sont complètement différents. Il ne modifie pas le nombre des chromosomes. 

Il hésita. « Je pense que Callan employait une combinaison de rayonnements et d’injections, reprit-il. Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu'il est resté sur Austin quatre ou cinq ans, et qu'il n’est venu qu’avec son épouse. C’est tout à fait clair d’après ses notes. Il a commencé à traiter la végétation qui était proche de sa cabane, et aussi quelques chats et quelques chiens qu'il avait amenés avec lui. C’est alors qu’il a découvert que la chose se répandait comme une maladie. » 

— Se répandait ? fit Halburton en écho.

— Bien sûr. Chacun des arbres qu'il traitait répandait dans le vent son pollen à chromosomes multiples, et pour ce qui est des chats — de toute façon, le pollen modifié fertilisait les semences normales, et le résultat était lui-même aberrant, puisqu’une graine obtenait le nombre habituel de chromosomes de l'un de ses parents, et dix fois plus de l'autre parent. Il n’y avait plus de limite aux variations. Tu sais à quelle vitesse les pins kauri et les fougères arboricoles se développent normalement ; ici, leur croissance était dix fois plus rapide.

« Les déviants ont envahi l'île tout entière, étouffant la vie normale. Les radiations de Callan, et peut-être aussi ses injections, ont affecté la vie indigène de l’île Austin — les rats, les chauves-souris. L’île a commencé à produire des mutants. Callan est arrivé en 1918, et quand est survenue sa propre tragédie, Austin était devenue une île de déviants et de monstres, où aucun enfant ne ressemblait plus à ses parents — sauf par le plus grand des hasards. »

— Sa propre tragédie ? Que veux-tu dire par là ? 

— Eh bien, Callan était biologiste, pas expert en rayonnements. Je ne sais pas exactement ce qu’il s'est produit. L'exposition durable aux rayons X produit des brûlures, des ulcères, des tumeurs malignes. Peut-être Callan n'a-t-il pas pris les précautions appropriées pour se protéger de son appareillage, ou peut-être utilisait-il des doses excessives de rayonnement. Toujours est-il que son épouse développa tout d’abord un ulcère, qui tourna plus tard au cancer.

« Il avait une radio — ou plutôt, en 1921, un télégraphe sans fil, — et il demanda que son sloop vienne des îles Chathams. Le navire fit naufrage sur cet affleurement de corail, et Callan, de plus en plus désespéré, réussit d’une manière ou d’une autre à mettre en panne sa radio. Il n’était pas électricien, vois-tu. »

« C’était une époque troublée, juste à la fin de la guerre. Comme le sloop de Callan avait coulé, personne ne savait exactement ce qu’il était advenu de lui, et assez vite on l’oublia. Quand son épouse mourut, il l'enterra ; mais quand il mourut lui-même, il n'y avait plus personne pour l'enterrer. Les descendants de ce qui avait été ses chats se chargèrent de son corps, et c’est tout. »

— Ah oui ? Et Lilith, alors ? 

— Oui, dit sobrement Carver. Lilith ? Quand j'ai commencé à soupçonner le secret de l’île Austin, c’est quelque chose qui m'a beaucoup inquiété. Lilith était-elle tout à fait humaine ? Ou bien avait-elle également été infectée par le phénomène des variations chromosomiques, en sorte que ses enfants futurs risqueraient de ressembler aux — aux chats ? Elle ne parlait aucune langue connue de moi — c’est du moins ce que je pensais — et je ne savais pas l’intégrer dans le tableau. Le journal intime de Callan et ses notes s’en sont chargés pour moi. 

— Comment cela ? 

— C’est la fille du capitaine du sloop de Callan, qu'il a sauvée quand le navire a fait naufrage sur le banc de corail. Elle avait cinq ans à l’époque, ce qui fait qu’elle en a presque vingt maintenant. Quant à son langage — eh bien, j’aurais sans doute dû reconnaître les quelques mots hésitants qu'elle se rappelait. « C'm on, » par exemple, c’était comment.  Et « pah bô » représentait pas bon. C’est ce qu’elle disait du fruit toxique. « Lay shot », signifiait les chats ; d’une manière ou d’une autre, elle se rappelait — elle sentait — que les créatures qui vivaient dans la partie orientale de l’île étaient des chats.

« Autour d’elle, pendant quinze ans, il y a eu ces créatures, qui, en dépit de leur aspect, étaient après tout de nature canine, et donc fidèles à leur maîtresse. Et entre les deux groupes, ce fut une guerre sans fin. »

— Mais es-tu vraiment certain que Lilith a échappé à la contamination ? 

— Elle se nomme Lucienne, réfléchit Carver, mais je crois bien que je préfère Lilith. Il sourit à la mince silhouette revêtue de pantalons qui appartenaient à Jameson et d’une de ses propres chemises, et qui contemplait l’île Austin, debout à la poupe du navire. Oui, j’en suis sûr. Quand elle a été jetée sur l'île, Callan avait déjà détruit l’appareillage qui avait tué son épouse, et qui était sur le point de le tuer lui-même. Il détruisit complètement son équipement, sachant qu'à moyen terme les déviants qu'il avait créés étaient condamnés. 

— Condamnés ? 

— Oui. Les êtres vivants normaux, endurcis par l’évolution, sont en train de reprendre le dessus. Cela se voit déjà sur le pourtour de l'île, où ils réapparaissent en ce moment même, et un jour Austin n’aura rien de plus étrange que d’autres terres isolées. La nature reprend toujours ses droits. 

 


Du même auteur, aux Éditions de l’Âge d’Or :

Anthologies :

Une Odyssée Martienne, et Autres Histoires de Science-Fiction

La Péri Rouge, et Autres Histoires de Science-Fiction

Romans :

La Flamme Noire (The Black Flame)

Le Nouvel Adam (The New Adam)

Le Cerveau Fou (The Mad Brain, ou The Dark Other

The Lady Dances (en Anglais)

Nouvelles :

Meurtre en Haute Mer (Murder on the High Seas, ou The King’s Watch, ou The Green Glow of Death)

Les Esclaves Jaunes (Yellow Slaves)

Poésie :

Poems: recueil de poésies en anglais

 

 



[1] Arbre résineux du Sud-est asiatique, dont la sève permet de fabriquer des vernis.

[2] Dammara australis, grand conifère, arbre persistant originaire de Nouvelle-Zélande.

[3] Monstre mythique des aborigènes, censé vivre au fond des marais et trous d’eau de l’Outback australien, et transmettre des maladies..

[4] Les deux îles qui constituent la Nouvelle-Zélande.

[5] Îles situées au sud de la Nouvelle-Zélande, les îles Aucklands font partie de la Nouvelle-Zélande, Macquarie appartient à la Tasmanie (Australie) ; les îles Balleny sont revendiquées par la Nouvelle-Zélande.

[6] Sanctuaire bouddhiste japonais.

[7] « Come on, » Viens

[8] « to lay : être étendu », « shot : victime d’un coup de feu. » 

[9] Matériau qui forme les cellules vivantes

[10] August Friedrich Leopold Weismann (1834-1914) : biologiste allemand qui découvrit que les caractéristiques héréditaires sont transmises par le plasme germinal.