Introduction
Le Soleil
est animé d'un mouvement de rotation qui peut être facilement
perçu actuellement en raison du maximum d'activité où
les taches solaires visibles à l'oeil nu*
apparaissent fréquemment. Il est alors possible de voir ces taches
se déplacer sur le disque solaire d'Est en Ouest en quelques jours.
L'observation précise des taches - à l'aide d'un télescope
et sur une durée de plusieurs années - permet de constater
que la rotation au voisinage de l'équateur du Soleil est plus rapide
qu'aux latitudes "élevées" (±40° environ).
L'étude statistique de ces observations montre que la rotation
s'effectue en 25,4 jours à l'équateur et en 27 jours à
±40° de latitude. Cette différence de vitesse de rotation
en fonction de la latitude - appelée rotation différentielle
- montre que le Soleil ne se comporte pas comme un corps solide, du moins
en surface. Les taches solaires sont aisément observables par projection
et constituent des traceurs habituellement utilisés par les amateurs.
Cependant, elles présentent aussi des inconvénients dans
le cadre de l'étude de la rotation différentielle :
- Elles sont étroitement liées à des zones de champs
magnétiques forts, souvent multipolaires, désignées
sous le nom de "centres actifs" et au sein desquelles le
champ de vitesse de la matière peut être complexe.
- Les taches naissent, le plus souvent évoluent en groupe puis disparaissent.
Au cours de ce développement, le mouvement propre des taches
dans le groupe et la déformation ou la dislocation des taches
se superposent à la composante rotationnelle. La sélection
des vieilles taches isolées de type H / J (classification de
Waldmeier), plus stables mais plus rares, permet de réduire
la composante "mouvements propres" (Martres, 1999 ; Beck,
2000).
- La latitude des taches varie entre ±5° et ±40° au cours
d'un cycle d'activité solaire. Il s'avère donc impossible
de faire des mesures de la rotation au-delà de ces valeurs.
Peut-on, en
tant qu'amateur, observer ce phénomène d'une autre façon,
sans pour autant disposer d'observations des taches sur un cycle complet
?
Méthodologie
La spectroscopie
permet de mesurer la vitesse radiale vr du plasma
en utilisant l'effet Doppler-Fizeau qui se traduit par un décalage
des longueurs d'onde Δλ dans son spectre:
vr = c . Δλ / λ
Au limbe
équatorial du Soleil, la matière se déplace à
environ 2 km/s suivant l'axe de visée. Appliquer cette méthode
au plasma solaire nécessite d'avoir la capacité de mesurer
des décalages spectraux de quelques picomètres (10-12m). Nous sortons là des possibilités des amateurs...**
Revenons alors
à la méthode des traceurs. Pour peu que nous soyons en mesure
d'observer le Soleil, non plus en lumière blanche mais en lumière
monochromatique, c'est à dire dans une très étroite
bande spectrale (<0,1nm), l'observation de traceurs autres que les
taches solaires, répartis sur une large zone de part et d'autre
de l'équateur, peut nous ouvrir d'autres horizons. Ainsi, l'observation
du Soleil à l'aide d'un filtre monochromatique ou d'un spectrohéliographe
dans la raie du Calcium ionisé (CaII : λ=
393,4 nm), fait apparaître des structures peu ou pas visibles en
lumière blanche. C'est le cas en particulier des facules, du réseau
chromosphérique, des filaments, etc... Ces structures sont situées
dans la chromosphère, à différentes altitudes comprises
entre quelques centaines et quelques milliers de km.
Parmi ces
éléments qui deviennent ainsi accessibles à l'observation,
de gros points brillants du réseau chromosphérique nous
ont semblé pouvoir servir de traceurs interessants pour les raisons
suivantes:
- Ces structures
se présentent sous l'aspect de petites taches brillantes de
5 à 10" de diamètre et, compte tenu de la faible
résolution des images (échantillonnage à 2,5"
par pixel ), apparaissent presque ponctuelles (Fig. 1, flèches).
Le pointage du centre de ces zones brillantes est assez aisé
et ne nécessite pas de calcul de barycentre.
- Un premier
examen des images obtenues montre que ces gros points du réseau
ont une durée de vie suffisante pour que l'on puisse suivre
leur position sur 1 ou 2 jours, voir quelques fois plus.
- Leur répartition
varie de l'équateur à plus de ±60° de latitude,
en tous cas pour cette phase du cycle solaire.
- Ces objets
sont présents hors des régions actives, et nous espérons
donc que leurs mouvements propres ne vont pas trop "brouiller"
la mesure du mouvement de rotation. Leur nombre devrait toutefois
permettre de dégager la composante rotationnelle.
fig. 1 - Le réseau Chromosphérique, traceur
de la rotation solaire
Le choix du
traceur étant fait, il convient maintenant de dépouiller
les images durement acquises, c'est à dire repérer les points
du réseau sur des images espacées dans le temps, en mesurer
les coordonnées héliographiques et en déduire les
vitesses de rotation. Pour faciliter à la fois leur repérage
et la mesure de leur position, nous avons fait appel à la puissance
de l'informatique en réalisant des programmes.
Un premier
logiciel a pour but de produire, à partir d'images de type planisphère
(cf. exemple),
des diagrammes d'évolution d'une bande parallèle à
l'équateur et large de quelques degrés de latitude. Une
telle mise en forme révèle déjà la rotation
différentielle sur les grandes facules des régions actives
(Fig. 2). Ainsi, nous constatons aisément que leur dérive
en longitude est positive vers 10° de latitude alors qu'elle apparaît
nettement négative à une latitude de 35°.
fig. 2 - Mise en évidence de la rotation différentielle
Cette représentation
synthétique permet surtout un bon repérage visuel des points
du réseau puisque la même région du Soleil est vue
à différentes dates. Certains cas d'identification sont
difficiles et il faut souvent se référer à des détails
environnants pour décider d'associer ou non à une même
point deux structures séparées dans le temps.
Le second
logiciel permet de concrétiser cette association en pointant directement
à l'aide de la souris un même traceur à deux dates
voisines t1 et t2. Les positions héliographiques, les dates ainsi
que d'autres paramètres sont injectés automatiquement dans
un tableur. Chaque couple de positions permet de calculer ensuite une
vitesse de rotation :
ω = (l2 - l1) / (t2 - t1)
et la latitude moyenne entre les deux dates :
φ = (φ1 + φ2) / 2
Il est nécessaire
de réaliser des observations journellement si possible afin de
suivre au mieux le déplacement des points du réseau qui,
rappelons le, ont une durée de vie relativement brève.
Données et résultats
Les présents
résultats ont porté sur l'analyse de 73 images journalières
acquises avec notre spectrohéliographe à CCD entre le
22 avril 2000 et le 26 septembre 2000. La couverture, globalement 46%,
n'est donc pas très bonne. 20 diagrammes ont été établis
dans l'intervalle de latitudes -60° à +60°, avec des
bandes de 6° d'extension. 1547 couples de positions ont été
mesurés donnant lieu à autant de vitesses.
Ces données ont été regroupées sous forme
d'un graphique portant en abscisse la latitude héliographique et
en ordonnée la vitesse angulaire sidérale en degré/jour
(Fig. 3a). L'examen de ce graphique montre que les points se concentrent
le long d'une courbe d'allure parabolique.
La relation
entre latitude héliographique φ et vitesse de rotation ω est
habituellement exprimée par les formules:
ω(φ) = A + B sin²(φ)
ou
ω(φ) = A + B sin²(φ) + C sin4(φ)
La première
décrit assez bien la rotation dans la zone où l'on observe
les taches solaires; la deuxième rend mieux compte de la rotation
étendue aux latitudes plus élevées. Les valeurs obtenues
sont indiquées dans le tableau 1. Etant donné le peu de
poids du paramètre C, nous ne prendrons en compte que A et B. Le
nombre de mesures est indiqué dans la colonne n.
Valeurs Considérées |
A |
B |
C |
n |
2 hémisphères
|
14.667 ± 0.018 |
-3.535 ± 0.057 |
- |
1547 |
2 hémisphères |
14.669 ± 0.023 |
-3.556 ± 0.191 |
0.033 ± 0.29 |
1547 |
Hémisphère nord |
14.633 ± 0.019 |
-3.357 ± 0.059 |
- |
671 |
Hémisphère sud |
14.692 ± 0.017 |
-3.664 ± 0.055 |
- |
876 |
Tableau 1 - Paramètres du modèle de rotation
sidérale.
La dispersion
des points est représentée sur la figure 3b. Nous avons
vu précédemment (Rousselle, 2001) que l'incertitude sur
la mesure de la longitude était d'environ 0,5 degré héliographique.
Les mouvements mouvements propres des points du réseau contribuent
également à la dispersion des valeurs (Meunier, 1997).
La littérature
(Ward, 1966; Balthasar and Wöhl, 1980; Arévalo et al., 1982;
Meunier, 1997) donne diverses valeurs pour les paramètres A, B
et C selon les types traceurs, selon la phase du cycle solaire, selon
les cycles solaires, etc
La comparaison rapproche les valeurs A
et B obtenues ici - plutôt élevées - de celles correspondant
aux taches jeunes (type C et D) ou aux petites structures associées
à des champs magnétiques (Belvedere et al, 1977), ce qui
est le cas des points du réseau, et à une phase de maximum
d'activité solaire (Balthasar et al., 1986), ce qui est également
le cas actuellement.
Notons qu'il
existe une légère dissymétrie entre les 2 hémisphères.
Ce phénomène est d'ailleurs observé tant pour les
vitesses de rotation que pour le dénombrement des taches (nombre
de Wolf) ou d'autres indices d'activité et peut être beaucoup
plus marqué.
Les 2 modèles "nord" et "sud" sont globalement
similaires mais le défaut de symétrie devient plus apparent
si l'on modifie le graphique 3a en calculant la vitesse de rotation moyenne
à l'intérieur de bandes de quelques degrés de latitude
(Fig. 4). Une largeur de 6° a été choisie comme compromis
entre le nombre de bandes et le nombre de mesures par bande. Les effectifs
ne sont pas équivalents.
Fig. 4 - Distribution des vitesses de rotation (courbe)
et répartition des mesures
Le graphique
résultant, bien que fortement lissé, présente des
ondulations, notamment dans l'hémisphère nord, pouvant résulter
de diverses causes: vitesse de rotation très différenciée
dans certaines bandes de latitude, mouvements propres importants, sous-échantillonnage
à certaines latitudes
Aucune corrélation
significative n'a été mise en évidence quant aux
mouvements méridiens. La précision des mesures est dans
ce cas beaucoup plus déterminante.
Conclusion
Il semblerait
donc que l'on puisse accéder - au niveau amateur - à des
mesures approximatives de la rotation différentielle solaire sur
une assez large bande de latitude en l'espace de quelques mois, l'idéal
étant toutefois de comparer ces résultats avec une étude
portant sur la même période et sur les mêmes traceurs.
Par ailleurs, l'augmentation du nombre de mesures et/ou d'observateurs
permettrait d'affiner les résultats.
Bibliographie
- Arévalo
M.J., Gomez R., Vázquez M., Balthasar H., Wöhl H. : 1982,
Differential Rotation and Meridional Motions of Sunspots from 1874
to 1902. Astron. Astrophys. 111, 266.
- Balthasar
H., Vázquez M., Wöhl H. : 1986, Differential rotation
of sunspots groups in the period from 1874 through 1976 and changes
of the rotation velocity within the solar cycle. Astron. Astrophys.
155, 87.
- Balthasar
H., Wöhl H. : 1980, Differential rotation and meridional motions
of sunspots in the years 1940-1968. Astron. Astrophys. 92, 111.
- Beck
J. : 2000, A comparison of differential rotation measurements. Solar
Phys. 191, 47.
- Belvedere
G., Godoli G., Motta S., Paternò L., Zappala A. : 1977, K faculae
as tracers of the solar differential rotation. Ap. J. 214, 91.
- Martres
M.J. : 1999, PMMPTS. L'Astronomie, 113, 85.
- Meunier
N. : 1997, Diagnostic observationnels du champ magnétique solaire
: distribution spatiale, dynamique et processus de génération.
Thèse de doctorat d'Astrophysique et techniques spatiales.
Université D. Diderot - Paris VII
- Rousselle
P. : 2001. Spectrohéliographie à CCD
Et après?
L'Astronomie, vol 115, 182.
- Ward
F., : 1966, Determination of the solar rotation rate from the motion
of identifiables features. Ap. J. 145,416.
Ouvrage recommandé
- Beck
R., Heinz H. , Reinsch K., Völker P. :1995, Solar Astronomy Handbook.
Willmann-Bell, inc. Richmond, Virginia.
ooOoo
* II est rappelé que, dans
le cas du Soleil, l'expression "oeil nu" veut dire "sans
appareil grossissant". Un filtre de protection de qualité
certifiée est évidemment nécessaire.
** Voir éventuellement l'essai
mentionné dans la page mise en évidence de la rotation solaire par spectroscopie
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