Nous avons eu la chance de participer à une école d’astrophysique organisée dans le cadre du CNRS (sous la direction de Jean-Pierre Rozelot) avec une forte implication de l’association Aude, sur une collaboration entre amateurs et professionnels dans le domaine de la spectrographie. Elle s’est déroulée du 6 au 11 mai sur l’île d’Oléron, dans une structure d’accueil du CNRS (c’est très bien, l’île d’Oléron…). Construite autour de nombreuses présentations de professionnels et d’amateurs sur l’état de l’art en spectro (amateur et professionnelle) et sur la physique des objets concernés par la spectro amateur (physique de la lumière, soleil, astéroïdes, planètes, étoiles variables, étoiles Be, Novae…), cette rencontre a aussi permis de très nombreux échanges entre amateurs et professionnels.
Daniel Egret |
Agnès Acker |
La vidéo du CALA sur grand écran!
Ajoutons que l’on a vécu en direct la fin du transit de mercure sur le soleil (le début était masqué par les nuages), et que nous avons accueili deux classes de quatrième le mercredi matin, et vous aurez une idée de la richesse de cette rencontre! Le compte-rendu détaillé de cette école sera édité d’ici quelques mois.
Valérie Desnoux et des élèves de 4ème
Nous nous focaliserons ici sur l’émergence d’un projet de suivi d’étoiles Be par un groupe d’amateurs sous la direction scientifique d’astronomes professionnelles (Michèle Floquet et Coralie Neiner), et sur une réflexion plus générale sur les perspectives ouvertes par la mise en commun des efforts des amateurs pour faire des observations collectives.
Michèle Floquet |
Coralie Neiner |
Pour situer l’enjeu de la spectro, il est utile de remarquer que si la spectro amateur en est encore à un stade embryonnaire (tout juste rendue possible par la maturité de l’imagerie CCD), elle représente dans le milieu professionnel environ 75% du temps utilisé sur les grand télescopes internationaux. La « troisième dimension », celle apportée par la décomposition spectrale de la lumière enrichit considérablement l’information reçue des étoiles : elle permet de faire de la mesure de vitesse radiale et de composition chimique, de la mesure des paramètre physiques de l’étoile (température, pression, champ magnétique, position sur la séquence principale, morphologie de la surface et de la matière environnante…). C’est sur cette discipline que s’appuie la plupart des découvertes aujourd’hui. Le champ d’étude en imagerie classique est déjà vaste en astronomie; il devient infini en spectro, et il y a là encore une large place pour contribuer à des découvertes!
Alain Klotz, Valérie Desnoux, Christian Buil, Didier & Stéphane Morata, Sylvain & André Rondi (tous de l'association Aude), ont montré depuis plusieurs années que l’observation de ces étoiles est largement à la portée du matériel amateur (à partir de 150mm de diamètre). Très actifs dans ce domaine, ils sont à l’origine d’un projet de suivi collectif de ces astres, projet qui a retenu de nombreux suffrages à Oléron, et qui va maintenant se concrétiser.
Plusieurs obstacles sont à surmonter pour apporter aux pros des résultats réellement exploitables: sur le plan technique, tout d’abord, il faut que les participants à ce projet disposent d’une instrumentation suffisamment homogène, et de nombreux débats ont porté sur la réalisation d’un (plusieurs?) spectrographes standards dans ce but.
Hélas, le spectro universel n’existe pas, et c’est le programme de recherche qui dictera l’architecture de l’instrument (résolution, rapport S/B, encombrement, coût…).Trois formules devraient finalement voir le jour: Un spectro «économique» (~600 euros) suffisamment résolvant pour notre besoin (R=7000 à 8000), qui pourra se monter sur un petit instrument (type C8… à condition qu’il ne soit pas sur une monture à fourche…); une autre formule destinée à des instruments plus gros (comme le 300 du CALA?) et en se mettant moins de contrainte au niveau du coût pour gagner en résolution et en facilité de mise en œuvre. Pour celui-ci la solution du couplage au télescope par fibre optique est à l’étude (il reste tout de même quelques challenges à relever); enfin, et en marge des Be, une formule à plus basse résolution (R=600 à 1000) pour un spectro plus simple, plus généraliste, et à mettre entre toutes les mains.
Ces spectros seront disponibles avant tout sous forme de plans et de sources d’approvisionnement; la fabrication en petite série des pièces mécaniques les plus critiques est aussi fortement envisagée.
Toujours sur le plan technique, on a aussi beaucoup débattu de la nécessité de se concerter pour le prétraitement des images et la calibration des spectres. Le groupe va devoir mettre en place des protocoles de traitement suffisamment rigoureux… et probablement des formations destinées aux participants qui en exprimeront le besoin.
Sur le plan de l’organisation ensuite. Comme cela existe déjà en partie pour le suivi des astéroïdes, nous allons mettre en place un système permettant la promotion de ce domaine d’étude, une meilleure coordination (quelles cibles & quand), ainsi qu’un système de centralisation des résultats pour les mettre à disposition des professionnels. Olivier Thizy s’est proposé pour mener cette coordination des observations...
Comme François Colas (Institut de Mécanique Céleste et de Calculs d’Ephémérides… bref, le Bureau des Longitudes, quoi!) l’a fait judicieusement remarquer, il est souhaitable d’organiser des campagnes de mesures suffisamment courtes pour que les observateurs ne s’épuisent pas… et à trouver un mode de communication efficace avec les pros pour entretenir la motivation du réseau d’observateurs! Pour information, la plupart des volontaires qui se sont manifestés à Oléron pensent pouvoir s’engager pour une à deux nuits d’observation par mois: C’est le nombre qui fera la force de cette équipe ! Pour avoir une idée de planning, on se donne comme horizon d’avoir une structure opérationnelle (matériel, protocoles, organisation) d’ici un an (> mai 2004). Notons que ce projet se fera sous la direction scientifique de Coralie Neiner, astronome à l’ESA, dont les travaux portent sur les Be – elle est donc directement intéressée par notre démarche!
Atelier traitement de spectres
Et pourtant, l’astronomie est un domaine où cette contribution est réellement possible. Quand on prend conscience de cette possibilité, et que l’on a pris le temps de goûter abondamment à M42, M57 et Jupiter à la webcam, il vient un moment où l’idée de participer, dans une démarche scientifique, à une meilleure connaissance de notre univers ouvre de nouveaux horizons. Mais il faut alors changer un peu notre état d’esprit: la force des amateurs, c’est leur nombre, leur réactivité, leur répartition sur le territoire (soit pour des mesures de parallaxe, soit pour s’affranchir des caprices de la météo), et leur enthousiasme.
D’une astronomie individuelle, il faut alors passer à une astronomie collective. Cette mise en commun des ressources peut se faire de deux manières différentes: En se regroupant pour avoir accès à une instrumentation plus importante (c’est exactement le cas du T60 du pic du midi ou de l’association AstroQueyras qui gère le télescope T620 de St-Véran équipé d’un spectro haute résolution – merci à Jacques Boussuge !), ou en participant à des programmes d’observations concertées.
Dans la continuité de quelques expériences réussies (étoiles variables, occultations d’étoiles par des astéroïdes, suivi et courbes de lumières d’astéroïdes, etc.), le suivi d’étoiles Be ouvre une nouvelle opportunité, basée sur une technologie naissante dans le monde amateur.
Alors si observer la lune ne vous émeut plus comme au premier jour, si votre dernière image de M42 vient s’ajouter aux précédentes, si vous savez pointer M65 et M66 les yeux fermés même par temps de brouillard, si vous maîtrisez votre tout nouveau télescope au point de vous demander ce que vous pourriez bien observer maintenant, si vous vous dites que votre webcam, même modifiée «longue pose» est un peu courte… alors ne cherchez plus: venez observer Ha dans une Be: ça bouge tellement vite que vous observerez quelque chose que personne n’a vu avant vous, et votre nom sera à coup sûr bientôt associé à une publication professionnelle, voire à une découverte fracassante!