Bonjour à tous,   Je souhaite aborder ici un sujet qui paraît traité de longue date dans la littérature, et qui pourtant présente encore des lacunes dans la compréhension des phénomènes mis en jeu et leur interprétation, conduisant à des problèmes comme par exemple la présence d’astigmatisme dans certains télescopes. De par mes travaux sur le design des miroirs allégés, leur supportage et leur performance, mais également de par les instruments que j’ai été amené à tester, je me suis interrogé sur les avantages que présentaient les barillets astatiques, et les justifications techniques communément avancées sur le choix de ce concept.   C’est pourquoi je souhaite partager avec vous le fruit de dizaines d’heures d’étude et de calcul, de vérifications et d’interrogations réparties sur plusieurs mois, qui m’ont permis de mieux appréhender les particularités d’un tel barillet, ses avantages, ses défauts et ce que cela implique pour l’amateur. Je vous propose d’aborder cela en détail.     Les 2 grands principes de barillets :   En astro, il existe 2 types de barillets : les conventionnels et les barillets astatiques. Les conventionnels sont constitués d’un ensemble mécanique plus ou moins complexe, incluant triangles, balanciers et rotules, le tout permettant un appui réparti de manière isostatique et uniforme sur n points (6, 9, 18 etc…). Ici l’exemple de mon propre 18 points sur mon 600.       Le barillet astatique utilise quant à lui le concept de levier que l’on associe la plupart du temps à 3 points fixes pour la collimation du miroir. Les points fixes en contact direct au dos du miroir figent la position du primaire, les leviers venant alors soulager le miroir en chaque point d’appui.     L’astatique est mis en avant comme étant plus adapté que le conventionnel pour les grands diamètres, car il ne nécessite pas d’empilement d’étages multiples comme sur un 18 ou 27 points classique, tout peut être ramené sur la face arrière de la structure du télescope, simplifiant ainsi la conception de l’ensemble, et limitant au maximum les jeux nuisibles à la précision.   On constate par ailleurs au travers des différents posts sur le sujet que ce système est reconnu comme étant meilleur qu’un barillet classique pour un même nombre de point d’appui donné, sans que ses défenseurs ne sachent réellement expliquer pourquoi. Il est aussi admis que le revers de cet avantage est la nécessité d’un réglage « touchy » et pas à la portée de n’importe qui (mécanique de précision des leviers). Pourtant, de nombreux observateurs équipés de tels systèmes font état de présence d’astigmatisme dans leur télescope et de difficultés de réglage, sans qu’une réelle réponse n'ait été apportée à ce problème... Certains font même marche arrière et reviennent à une solution de barillet « classique ».   Les différences :   Prenons comme base de réflexion un barillet 18 points. Dans une configuration classique tel qu’illustré plus haut, celui-ci sera constitué de 6 triangles rotulés et solidaires 2 à 2 via 3 balanciers. Le miroir est alors posé sur un plan équivalent, immobile et stable, et son poids se répartit automatiquement sur les 18 points. La raideur de l’ensemble est apportée par la mécanique du barillet, le miroir ne subissant qu’une flexion locale entre les points d’appui. Enfin, les outils tels que PLOP permettent d’optimiser l’ensemble, en particulier la position des touches.   Son « jumeau » en version astatique est constitué des mêmes positions d’appui au dos du miroir, mais à l’inverse du conventionnel, seuls 3 points seront fixes et solidaires de la structure. Ces 3 points forment également un plan, et l’inclinaison de ce plan permet de gérer la collimation du miroir. Associé à ces points fixes, 15 autres points sont rajoutés au dos du miroir, 6 au centre et 9 en périphérie, via des leviers. On applique alors un effort au dos du miroir grâce à ces leviers, cet effort étant sensé contrecarrer localement la gravité et soutenir le miroir.  La littérature recommande de répartir peu ou prou équitablement le poids du miroir sur le nombre de points d’appui, certains « ajustant » parfois ce calcul de base en renforçant le soutien sur la couronne périphérique. A priori donc, pour le miroir, le système est équivalent à un système conventionnel, mais avec une mécanique plus simple que l’on peut même « ajuster » si besoin, à la première lumière de l’instrument.   A noter enfin que différentes variantes sont possibles, barillet astatique 15 ou 12 points, sur ce même principe de 3 fixes + 9 ou 12 leviers, voire même y associer des triangles. Ici par ex un  astatique 12 points.     Dans son fonctionnement, les leviers sont alors sensés maintenir le miroir au moins de manière équivalente à ce que ferait un barillet conventionnel, puisque qu’un effort de soutien en son dos est appliqué en permanence, et ce, quelle que soit l’inclinaison du tube… Oui mais voilà… ce beau raisonnement n’est malheureusement que théorique, et ne tient pas compte de plusieurs facteurs, tels que l’équilibrage réel des masses sur les appuis et la sensibilité de l’ensemble.   Question : Dans le cas d’un astatique, que se passerait il si l’on venait à appuyer sur la face optique du miroir pile au droit d’un levier ? Le miroir pourrait il « descendre » localement sous la pression de l’appui ? La réponse est OUI.     Le pourrait il également avec un appui conventionnel? NON, impossible.   Donc, si le miroir le voulait, l’astatique ne pourrait pas empêcher le miroir de descendre à une position plus basse qu’il ne le devrait normalement, puisque par principe même le levier présente une capacité de déplacement selon l’axe optique. A l’inverse, c’est impossible avec un barillet classique. Mais pourquoi cela se produirait il ? Cela signifierait que localement, ce point d’appui voit plus de charge qu’escompté, et que le contrepoids du levier ne suffit pas à compenser l’affaissement du miroir vers le bas. Le miroir ne peut pas peser plus lourd que ce qu’il ne pèse ! La réponse à cette question, et c’est là toute la subtilité du concept, tient dans le fait qu’il faut également tenir compte du balancement et de l’équilibrage des charges vis-à-vis des points fixes…   OK, je m’explique.     Prenons l’exemple d’un pont suspendu à haubans, type Viaduc de Millau. Le tablier, sensé rester le plus plan possible, est retenu via des piliers fixes sur lesquels il est partiellement posé, et via un ensemble de haubans tendus entre les piliers, haubans qui contrecarrent l’effet de la gravité et donc la déformation du tablier. A cela s’ajoute le fait que l’ensemble est géométriquement équilibré et uniformément réparti, un pilier donné supportant exactement la même masse sur son côté droit que sur son côté gauche. Dès lors, la seule déformation du tablier sera de la flexion locale entre 2 points de fixation des haubans. Qu’en est il maintenant si un des piliers était décalé, et qu’il supportait une masse plus importante d’un côté que de l’autre ? Dans ce cas, le déséquilibre de masse ferait pencher le tablier du côté du balourd, tout en soulevant la partie du tablier située de l’autre côté du pilier, via la raideur en flexion intrinsèque au tablier. Côté balourd, le tablier se retrouverait à un niveau anormalement bas, à une position stable d’équilibre, au prix d’une importante flexion de l’ensemble associée à une contrainte interne anormale. Le pilier voisin serait aussi impacté, et c’est finalement l’ensemble du tablier qui prendrait une nouvelle géométrie inédite de flexion, avec des amplitudes d’autant plus importantes que le déséquilibre vis-à-vis du pilier est important.     A ce stade, la déformation en hauteur du tablier sera considérablement plus importante que la micro flexion locale acceptable entre 2 haubans. Notons enfin que dans cet exemple, la tension des haubans ne change pas (supposition de premier ordre). Par analogie, on peut appliquer ce même raisonnement à un miroir sur barillet astatique, dont 3 points seraient fixes et dont l’effort des leviers aurait mal été dimensionné.      Les 3 points fixes constituent en fait 2 lignes d’équilibre, les fameux « piliers » du pont, lignes vis-à-vis desquelles les forces qui entrent en jeu sur le miroir vont chercher à s’équilibrer. Si les leviers contrebalancent mal l'équilibrage de part et d'autre des points fixes, un balourd va se créer, et c'est la raideur même du miroir qui va rentrer en jeu pour le compenser. Conséquence, le centre va s’affaisser et de manière non centrée, les leviers vont s’enfoncer et c’est finalement l'ensemble barillet + miroir qui va trouver une position d’équilibre, induisant par la même occasion une contrainte interne et une forte déformation de la surface du miroir, orientée perpendiculairement aux lignes rouges. Cette figure de flexion mécanique se traduit optiquement par un fort astigmatisme. Modélisée, cela ressemble à ceci :     Ce que je cherche ici à vous faire sentir, c’est que le degré de liberté possible amené par les leviers fait que le miroir ne reste pas forcément dans la position espérée par le concepteur, contrairement au barillet conventionnel. Avec la géométrie ci-dessus, la répartition des plots a beau être circulaire, il faut raisonner plutôt selon un schéma en croix.. Autre point gênant : il existe en fait 3 positions stables pour ce cas de figure, comme l’illustre la vue ci-dessous. Cela signifie que l’astigmatisme peut aléatoirement tourner de 120° en fonction des déplacements du télescope...Bonjour le réglage...     A ce stade, il est important d’insister sur le fait que cette figure n’est pas générique. On peut également avoir une figure majoritaire de tréfoil, dans le cas où l’effort des leviers serait nettement inférieur à ce qu’ils devraient être.   Prenons maintenant un cas concret, celui d’un 760mm de 50mm d’épaisseur, F/d 3,2, percé d’un trou de 50mm en son centre. Le miroir pèse 48,5kg (masse CAO). Il est retenu latéralement par 3 touches à 120°.   Avec un barillet classique, Plop donne pour un 18 points un RMS de 3.95nm pour un PtV de 35.2nm au centre (sans option refocalisation).     La simu équivalente confirme la figure de déformation, avec un Pic To Valley « brut de calcul » un peu plus élevé (-48nm, à postériori de l'analyse je n'ai pas vérifié que le module d'Young et la masse volumique étaient identiques dans les 2 outils...)     Dans le cas d’un astatique, un premier cas d’analyse est fait en considérant la masse équitablement répartie sur les 18 points pour le calcul de l’effort des leviers. Le miroir faisant 48,5kg, cela représente 2,694 kg par point d’appui, touches de collimation comprises, soit 26.428N par levier. La position des touches reste inchangée par rapport à ce qui précède. On obtient ceci :     Le miroir présente une déformation à la fois positive au centre, et négative en bord, ce qui se traduit ici par du tréfoil. Les parties externes situées entre les 3 touches de collimation fléchissent sous l’effet de la gravité, la surface est marquée d’un Pic to Valley de 104nm, soit pour simplifier 2 fois plus que dans le cas d’un barillet conventionnel ! Qui plus est, les zones de fortes déformations ne sont pas cachées dans l’ombre du secondaire, donc la comparaison avec le barillet classique est encore plus sévère !   Prenons maintenant le cas où les leviers extérieurs présentent un effort 50% plus important que les leviers intérieurs. Cela donne un effort sur la couronne intérieure de 19.824N et sur la couronne extérieure de 29.736N. Cela donne ceci :     Là c’est carrément plus de 330nm de déformation que voit le miroir, avec certes une grosse composante de courbure, mais on est clairement pas dans l’optimum.   Alors justement, où se situe cet optimum ? A quoi correspond t il ? Et bien dans ce cas, il faudrait régler les leviers intérieurs à (environ) 25,5N et les extérieurs à 28N. Je dis "environ" car avec ces valeurs, on a encore 10nm de soulèvement local du miroir que l’on a pas avec un barillet classique, ce qui signifie qu’il faut encore pousser plus loin les runs d’analyse pour trouver le parfait équilibre équivalent à un barillet classique. Voici la déformation correspondante :   Ici, et c’est fondamental, on arrive donc au fait que les touches au dos ne supportent pas rigoureusement la même portion de poids du miroir. L’écart peut paraitre faible (25,5N + 28N, VS 26,43N pour un poids équitablement réparti), cette différence n’en demeure pas moins suffisante pour que l’effet de l’équilibrage des masses présenté plus haut entre en jeu et déforme finalement le miroir. Et cela va très vite. La cause racine vient du fait que PLOP optimise la position des touches vis-à-vis de la déformée RMS et PtV du miroir, et non pas sur un critère de répartition homogène des masses. Or ce critère, s’il est automatique et complètement transparent dans le cas d’un barillet conventionnel, devient crucial dans le cas d’un astatique.   Cela m’amène au dernier point pour traiter complètement le sujet : la sensibilité. Le réglage d’un astatique est en effet extrêmement sensible ! Avec le 760 ci-dessus, si l’on réduit de 75 grammes seulement la charge des leviers externes et internes, soit 27,25N ext et 24,75N intérieur, on quasi double la déformation PtV du miroir ! On s’éloigne alors rapidement d’un bon maintien.   Cette sensibilité montre que les leviers doivent être calibrés précisément, et leur bon fonctionnement régulièrement vérifié sans quoi le maintien du miroir dérivera dans le temps.   En conclusion, je tenais de longue date à partager avec vous ces analyses pour vous faire prendre conscience que les choix de conception initiaux sont cruciaux dans la performance d’un télescope et la qualité des images qu’il fournit. En particulier, le choix du type de barillet entre un conventionnel et un astatique doit être particulièrement pesé.   Il existe malheureusement de nombreux gros télescopes d’observatoire sur le territoire équipés en astatique. Ce choix a été relativement à la mode dans les années 1990-2000. Nombreux sont les posts relatifs à ces télescopes de 500mm à 1 mètre qui relatent une qualité image perfectible. En l’état, un astatique ne peut pas mieux supporter un miroir qu’un barillet classique, et cela constitue même un graal à atteindre pour l'astatique. Selon moi, les 2 seuls avantages de l’astatique sont en effet une architecture mécanique du barillet plus simple, et éventuellement la possibilité de pouvoir compenser de potentiels défauts intrinsèques au miroir, relatifs à son polissage. Mais cela peut être au risque d’un mauvais réglage aux conséquences catastrophiques.   Opter pour un astatique nécessite donc d’avoir une parfaite connaissance de son miroir d’une part, et un moyen de contrôle optique précis pour vérifier par mesure réelle la performance du télescope. Un Shack hartmann fait en soi très bien ce job. Par ailleurs, la mécanique doit être de l’orfèvrerie, les leviers calibrés à quelques dizaines de grammes près, et ne pas dériver dans le temps….On touche là du doigt le principe même de l’optique adaptative mise en œuvre sur les très grands observatoires professionnels...   Personnellement, vous aurez compris que je ne suis pas fan des astatiques pour des télescopes amateurs classiques, même jusqu’au 800mm ou plus. Pour peu que le miroir soit un peu épais, un 18 points classique peut très bien convenir, et s’il est convenablement réalisé, vous n’aurez aucune question à vous poser quant au maintien de votre miroir. Cela n’est pas garanti avec un astatique, vous amenant à douter de son réglage lors des soirées, au risque de passer des nuits à « trifouiller » le barillet…   Enfin, je ne rentrerai pas ici dans le détail des rares cas où un levier est la seule solution possible, comme par exemple des leviers tirants pour compenser des effets de gravité sur de très gros miroirs plans secondaires, ou sur les tranches des miroirs primaires. Ce sont ici des cas très particuliers qui relèvent d’une étude spécifique.   Je terminerai en disant que chacun est libre de ses choix technos et de ses convictions. Je vois passer des projets jusqu’à 1,5m montés en astatique... J’attire toute l’attention de leurs concepteurs sur le fait même que réaliser des optiques maintenues dans leur barillet pendant les phases de contrôle peut présenter le risque "d'imprimer" dans le miroir les défauts du barillet (en négatif)…   Voilà, j’espère que ce (long) post qui m’a demandé énormément de temps de préparation et d'analyse pourra en aider certains. Nous disposons en France des meilleurs artisans à même de fabriquer les meilleures optiques, et ces optiques méritent selon moi la meilleure mécanique qui soit. Et bien sûr les remarques ou commentaires constructifs sur le sujet seront les bienvenus.   Alexandre