Superfulgur

Deux rayons verts

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C'est l'histoire de deux rayons verts. Voici trois semaines, j'étais à Cerro Paranal. J'avais passé la nuit entière sur la plateforme, cet improbable astroport, cerné par les quatre silhouettes immenses des VLT. A la fin du crépuscule astronomique, les quatre tours, dans un bel ensemble, s'étaient lentement refermées, tandis qu'à l'intérieur, les cyclopes fatigués s'orientaient en position de repos. Dans la nuit finissante, cela craquait, grognait, ces quatre grandes formes sombres qui bougeaient et tournaient avaient l'air vivantes, on ressent cela dans tous les grands observatoires, la nuit, quand il n'y a plus de repères, avec l'obscurité, les étoiles là-haut et, entre l'obscurité et la nuit, ces choses immenses qui se meuvent et mugissent.
Quand les quatre coupoles ont été fermées, avec une estompe de lumière venant de la lumière zodiacale, à l'est, j'ai senti que l'observatoire s'assoupissait, et, après une nuit blanche, j'ai commencé à fatiguer, aussi. Dilemme. Laisser l'appareil photo continuer son travail tout seul, jusqu'au petit matin, l'abandonner là-haut et descendre à la « Residencia » m'offrir un gargatuesque petit déjeuner et dormir ? Rester ici jusqu'au lever du jour ? J'ai hésité, les étoiles palissaient, Orion s'éclipsait, les deux Nuages de Magellan s'estompaient ; vers l'est, la lumière zodiacale se perdait dans l'annonce du Soleil levant. Je suis resté, il faisait froid, mais un je ne sais quoi dans la pureté de l'atmosphère m'a retenu. Pendant que derrière moi l'appareil « bip bip bip... clic ! », « clac » égrenait le temps qui passe et cueillait les photons, je regardais poindre l'aube sur le désert.
Plus la lumière s'affirmait, plus j'étais émerveillé. Je n'avais jamais connu une nuit aussi pure, ici. A l'horizon, du nord est au sud est, c'est à dire sur près de quatre cent kilomètres, les volcans des Andes s'alignaient, depuis le San Pedro et le San Pablo, au nord, jusqu'au Socompa et au Llullaillaco, au sud. Un spectacle rare, extraordinaire. Fasciné par ce chapelet de pyramides noires, projetées sur le fond de l'aube, je n'avais pas pensé au lever de Soleil à venir. Je suppose que vous êtes comme moi, pleins d'entrain au coucher du Soleil, et lessivés quand il se lève. Cela paraît normal, après une nuit blanche... Du coup, je ne sais pas si c'est pareil pour vous, mais je dois bien reconnaître avoir contemplé nombre de rayons verts le soir... mais quasiment aucun le matin... C'est dommage. Comme vous le savez, le soir, l'observation du rayon vert est gênée par l'éclat du Soleil couchant. Le matin, non, à condition de savoir où le Soleil va se lever...
Ce matin là, en Atacama, c'était impossible, l'atmosphère était d'une telle pureté, coronale, que l'horizon est semblait uniformément éclairé, je n'arrivais pas à prévoir où le Soleil allait apparaître...
Et puis il s'est passé quelque chose de féérique, que je n'oublierais jamais. Il faisait presque grand jour, le ciel était d'un bleu insolent au dessus des coupoles endormies, à l'horizon, les volcans, d'un noir d'encre, n'avaient pas bougé... sauf le Llullaillaco. Ce sommet sublime de 6740 m d'altitude, où se trouve le plus haut temple du monde et où l'on retrouva jadis des enfants Incas endormis pour l'éternité, momifiés, gelés, fait figure de totem en Atacama. Au loin, souvent, on repère sa pyramide perpétuellement enneigée, mirage incongru lorsqu'au coeur de l'été, il fait 40 degrés... Eh bien, ce matin là, le Llullaillaco, s'est progressivement enveloppé d'une sorte d'aura lumineuse dont j'ai mis un moment à comprendre l'origine... Le Soleil se levait sur le Llullaillaco, ce que je voyais, à contre jour, c'était la diffusion de la lumière sur ses neiges, dans son atmosphère ; le vent, comme souvent dans les Andes, devait souffler si fort là-haut...
C'était magnifique. Au bout d'un moment, sans prévenir, un éclat de lumière est apparu sur l'horizon, juste à droite de la pyramide plongée dans son aura sanguine. Le rayon vert. Intense, lentement, il s'est dressé à côté du Llullaillaco quelques secondes durant avant que le Soleil n'éteigne tout.
Je ne vous aurais pas raconté cette histoire si elle n'avait pas un épilogue qui m'a marqué. Rentré chez moi, en banlieue parisienne, quelques jours plus tard, je buvais mon café, mal réveillé, en regardant sans le voir le paysage d'immeubles, de rues, de lampadaires, depuis la fenêtre de ma cuisine. Vers le sud ouest, les avions décollaient d'Orly au rythme lancinant d'un time lapse, plus à l'est, les camions se trainaîent sur l'autoroute du sud. Un peu partout, des fenêtres allumées, des grues, des cheminées. La banlieue sud de Paris. Je ne regardais pas vraiment le ciel. Regarde t-on le ciel de Paris quand on revient d'Atacama ?
A l'est, le ciel rouge sang annonçait le lever du Soleil. Je rêvassais en écoutant France Infos. Le ciel était rouge. Le Soleil allait se lever. Et oui, vous avez deviné, entre deux tours lointaines, le rayon vert est apparu.

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Superbe recit qui transmet bien les émotions ressenties.

C'est dans ces moments là que l'on se sent une part infime de l'univers, vivant et heureux tout simplement.

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Salut,

alors là, ce n'est pas rien que d'avoir la prose de supermachin dans ce sous-forum, merci !!!!
ton récit est diablement évocateur. On s'y croirrait, des images se forment d'elles-mêmes dans l'immagination. Mais plus que tout, ce sont les souvenirs que cela rappelle, particulièrement intenses.
Je ne suis pas près d'oublier les quelques jours passés dans l'Atacama, cette ambiance si particulière de planète quasi primitive, un peu rapeuse et hostile, un endroit où l'on ne fait que passer - sauf à vivre dans la Residensia - son ciel d'exception (même si pour nous ça a été du coté de la Silla qu'on a touché le sublime....)
Rayon vert du matin, fichtre, une grande rareté, surtout en région parsienne....

Serge

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Merci,

Voilà, çà c'est passé là. Mais la scène que je décris est de l'autre côté, là, l'appareil était tourné vers l'ouest...

S

PS : de toute façon, ce genre de moment ne se photographie pas, il se vit...

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superbe récit, prenant et émouvant à la fois
tu devrais nous faire un livre de tes randonnées
polo

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Très beau témoignage , ben moi je ne l'ai jamais vu ce fameux rayon vert... il faut dire que je n'espionne pas trop le Soleil ...

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...idem...superexcellent!

ça te dirait un fauteuil à l'Académie pour la gloire de la langue et de la belle prose? Trois fauteuils sont toujours vacants: ceux de Maurice Druon, Claude Lévi-Strauss et Pierre-Jean Rémy...

[Ce message a été modifié par Rastaman (Édité le 02-11-2010).]

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j'ai pour ma part un souvenir de rayons verts en cascade, un matin, après une longue nuit de prise de vue à l'observatoire de Saint Véran.

Notre fine équipe, fatiguée après sa nuit blanche, attendait le lever du Soleil. Le regard tourné vers l'est, nous attendions le Soleil ... qui nous récompense d'un magnifique rayon vert !

Et là, je ne sais pas qui a lancé le mouvement, mais il s'est mis à descendre le flanc de montagne, pour assister, quelques mètres plus bas, à un nouveau lever de Soleil ... et un nouveau rayon vert !

... Et à mesure que le Soleil montait le long de la crête, nous descendions et avons ainsi ainsi pu assister à pas moins d'une demi-douzaine de rayons verts en l'espace deux minutes.

Je ne vous dis même pas dans quel état nous sommes allé nous coucher

Benjamin Poupard - Jupiter, résonance & chorégraphie

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J'adore ce récit, il est très joliment écrit !!

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