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[CROA] Reflets du ciel austral - Episode I : cristal silencieux

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[CROA] Reflets du ciel austral - Episode I : cristal silencieux
Récit d’un voyage astronomique au Chili, du 3 au 19 avril 2013

Il y avait eu ce premier voyage en 2011(1). Les premiers émois. Puis l’émerveillement. L’été austral, flamboyant et fort, presque violent. Enfin le voeu de revenir, d’approfondir, pour confirmer les chemins et sentiers, là-haut. Retrouver des émotions enfuies, noyées dans la grisaille éternelle et les dômes oranges quasi radioactifs.
J’ai répondu à l’appel du lointain. Il était là, ou plutôt là-bas, le lointain. J’aime cette sensation d’être suspendu à son appel nostalgique. Nostalgia, ou “mal du retour”, maladie de l’âme...
L’air de cristal dont on fait les étoiles me manquait. La poussière des Andes m’appelait. Et puis j’avais soif, de Pisco et de Carmener. Dans le fond, c’est une histoire simple.

Il y eut les retrouvailles à Roissy avec Xavier, qui arborait déjà une veste d’alpiniste tout juste acquise. Allions-nous affronter les plus hautes cimes des Andes ? Irions-nous tutoyer les condors qu’on voit là-bas s’ébattre librement en altitude ? S’agirait-il d’aller visiter le site du futur E-ELT, là-haut dans l’Atacama ? Enfin l’antivol, dont la veste était encore munie, allait-il se déclencher aux contrôles de sécurité répétitifs ?
D’emblée les premiers points semblaient réglés : non, nous n’irions pas réveiller les dieux qui sommeillent dans les volcans andins mais simplement affronter les rigueurs nocturnes de l’automne austral. A 1500m, au milieu de la nuit, quand le Sagittaire entame vaillamment l’ascension du zénith, l’astronome amateur, lui, grelotte et résiste à l’impérieuse nécessité du sommeil... mais j’anticipe. Quant à la dernière question, elle restait en suspens.

Je fis connaissance de Jean-Luc, dont j’apprendrai la redoutable efficacité dans le maniement des cartes. Pour l’heure, il tentait plutôt de résoudre d’interminables casse-têtes ferroviaires, pour ne pas dire de trains qui se croisent, entre Bordeaux et Roissy. Le retour s’annonçait un brin longuet, pour ne pas détonner avec l’aller qui, en ce qui me concerne et depuis Strasbourg, flirte avec les 35 heures. Non pas par semaine, mais sur 2 jours. Le truc se mérite.

Je fis connaissance de Jean-Christophe, enthousiaste et presque infatigable observateur. Presque, car n’appréciant guère les pointages en-dessous de 10° (pas de conclusion hâtive). Lui-aussi tentait de résoudre un casse-tête, celui d’un Dobson de voyage. Il était mortifié à l’idée de se résoudre à voyager finalement léger. Le dit futur Dobson était ou trop gros, ou trop lourd, ou les deux. Enfin, quelque chose de rédhibitoire. Un coup à se retrouver à voyager les mains dans les poches.

Quant à moi, je voyageais léger et les mains dans les poches. Deux Naglers, une paire de 15x70, un trépied et un appareil photo... Le coup des semelles de vent, quoi.

Et le vent fut trouvé. Celui de la longue, très longue descente vers le grand Sud-Ouest. Là-bas au bord du monde. Brel avait oublié ceux qui sont en l’air, en plus de ceux qui sont en mer.
L’avion n’étant pas complet, nous avons pu nous replacer à notre guise dans cette boîte de Schrödinger volante. Je me suis ainsi retrouvé seul locataire d’une rangée de 3 sièges. Sur laquelle j’ai pu m’allonger, l’équipage, sympathique et tolérant, ayant décidé de fermer les yeux (ainsi que la majorité des passagers). J’étais seulement bercé par quelques turbulences inévitables et les chuchotements de Jean-Christophe, qui murmuraient une histoire faite de contre-plaqué toujours trop lourd et de cotes toujours trop grandes... C’est avec un plaisir teinté de compassion sincère que j’écoutais sa mélopée.
En ce qui me concerne, je crois que j’ai raconté n’importe quoi : j’étais déjà dans le coma du voyage. Cet état où tout devient relatif, quand on ne sait plus ni très bien qui, ni très bien quoi, ni pourquoi on erre entre ciel et terre.

Ah retrouver l’aéroport de Santiago, ses douaniers qui n’aiment pas les grains, graines, et autres barres énergétiques aux fruits, il faut le savoir. D’autres en ont fait les frais, pas nous, pas même Xavier qui aura pour une fois échappé au grand déballage de son Strock 250. Car oui, son Dobson à lui sait voler. Il est familier des cieux du grand Sud et tentera patiemment de me donner à voir quelques indiscernables nébuleuses obscures sur fond de velours noir, dont les trois derniers photons échappés peineront à exciter ma rétine (mais pas ma curiosité, intacte), je l’avoue. Mais j’anticipe. Quant à la veste dont le nom évoque les cimes du nord, elle n’aura pas plus fait tintinnabuler les portillons nordistes que sudistes.

Pour l’heure, retrouver la chaude ambiance Sud-Américaine. Reprendre l’autocar plein nord, mais oui, direction les 30° de latitude sud de la Canelilla, l’Hacienda des étoiles. Six heures de route mais c’est un beau pays pelé et désertique à souhait, comme il se doit. On y élève des cactus, du Pisco, des arras, quelques condors. Et des flambées de soleils exotiques.

Mais d’abord nous retrouvons Raymond, le propriétaire des lieux, venu nous chercher au terminal routier pour encore 3 heures de route. Puis de piste. Ah la piste qui mène à l’Hacienda. Et son petit pont de bois qui ne tient plus guère. J’accuse un peu de fatigue, je suis parti depuis plus de 30 heures, mon estomac se noue sur la piste, qui s’étend, se détend, fait des noeuds et des cahots, revient, s’étire dans quelque chose qui trouve des prolongements dans les limbes, dans les songes, au-delà, bien au-delà de la fatigue.
Puis l’arrivée, l’accueil chaleureux de Nadine venue au devant de nous sur la piste, avec le chien Balladin en escorte. Ce sympathique Bouvier des Flandres, quoi que loin de ses bases, s’épanouit dans les siestes au soleil et la course aux chèvres, deux activités dans lesquelles il excelle.
Il est encore trop tôt pour la chatte Grisette, qui doit rêver qu’elle effraye le renard, une nuit de pleine lune.

Mais la nuit sans Lune est là. En avance sur mes souvenirs : c’est que nous sommes en automne. La dernière fois, c’était l’été.

Alpha et Beta du Centaure s’allument. Ce sont des flambeaux nets et qui ne scintillent pas. Je retrouve le dessin presque familier des constellations les plus évidentes, la Croix du Sud bien sûr, et j’évite le piège désormais benêt de la fausse croix, à l’intersection des Voiles et de la Carène. Canopus est un phare qui irradie puissamment.
Mais tout est déjà haut dans le ciel, la fois dernière il fallait attendre, je me laisse surprendre par la saison ! A l’ouest, Orion se couche à l’horizontale tandis qu’à l’est le Scorpion se lève, faisant ainsi mentir la mythologie. Le ciel n’est plus sombre, il est de matière noire, de cette qualité de noir connue uniquement des lieux oubliés. C’est un noir d’encre sans diffusion, où les étoiles levantes apparaissent nettes au ras de l’horizon.
Sous le poudroiement de cristal silencieux, je m’agenouille mentalement. Les nuages de Magellan sont de retour aussi, ou plutôt c’est moi qui suis de retour sous ces univers-îles cotonneux accrochés au rebord de la Voie lactée. Les yeux brillants de la tarentule me fixent à nouveau, c’est un regard inquisiteur, qui semble dire : qu’as-tu fait de tes nuits depuis la fois dernière ? Faiblement j’avoue que j’ai dormi. Invoque les nuages du nord et le dôme orange, cette cité de Diaspar(2) dont on ne sort plus une fois rentré. Mais en vain. La tarentule fixe Caïn et je suis dans mes petits souliers.
Plus bas, le Petit nuage vient à ma rescousse. Il chante l’histoire d’une petite galaxie errante. 47 Toucan est un puits de lumière moussu dont les étoiles de périphérie, bien perçues aux 15x70, éclaboussent les bords de bulles fraîches et claires.
A l’est, Omega du Centaure est bien plus joufflu. Il étale sans complexes ses quelques millions d’étoiles. A l’oeil nu il pourrait être confondu avec une grosse étoile diffuse, cette dernière caractéristique trahissant sa véritable nature de monstre globulaire.
Oh reprendre contact avec ce ciel sauvage qui danse une ronde éclatante autour du pôle Sud. Le navire Argo plongera lentement dans le sud-ouest, la Poupe la première, tandis que Voiles et Carène étincellent avant de s’enfoncer à leur tour dans la montagne.
Le Scorpion trônera finalement au zénith, sa fausse comète accrochée comme un lustre de cristal au sommet du ciel.
Tout ceci viendra plus tard. Pour l’heure l’extrême fatigue me prend, j’ai vaincu les différentes phases hypnotiques du voyage, résisté aux assauts répétés des comas, dormi les yeux ouverts, reculé à nouveau des frontières intérieures. Sensation d’avoir brûlé ma chandelle par les deux bouts, mais d’être en vie.

A suivre ici : http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/002103.html

(1) http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/001657.html
(2) “La cité et les astres”, Arthur C. Clarke

[Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 24-07-2013).]

  • J'adore 1

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Yo !
voici un récit qui parle, et qui parle fort !
et qui inspire bien, car pour le club Magnitude 78, le départ est pour dans 12 jours..... Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhh !!!!!!!!!!
Cela étant, considére le CTP bien fin pour des instruments fait pour ces aventures: elles sont uniques, eux seuls les permettent.

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Salut,

Merci pour ton commentaire tout aussi fort, élogieux et encourageant, qui en vaut bien 10.
J'essaye non seulement de partager des observations, mais aussi de transmettre l'émotion, "l'émotion du direct", le vécu.

Pour ce qui est des instruments, j'ai désormais pris le parti d'acheter du ciel plutôt que du matériel.

...Bon voyage dans l'hiver austral et ses nuits au long cours !

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Magnifique récit, très puissamment évocateur...
On attend la suite avec impatience !
(et merci de ce partage )

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Vesper,
magnifique commentaire et ta démesure traduit bien le choc devant ces cieux chiliens nocturnes.
continues
jcj13

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Merci à tous pour vos commentaires sympathiques, élogieux même, et surtout... indulgents.
La suite très prochainement, mais il faut que les mots s'assemblent, que les phrases se solidifient, se cristallisent... quelque chose comme ça.
A très bientôt donc, et bien amicalement !

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Merci pour ce magnifique CROA rempli de poésie et teinté de philosophie.
La suite..... avec impatience.

Xavier

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Ah, bien ! Des nouvelles de l'Austral, et de l'Hacienda perdue quelque part au versant des Andes...

Je m'en vais lire ça, cool, depuis le Ponant (nuageux) de France, en bout de terre (Penn ar Bed).

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Salut,
Content de te lire !
Bonne idée que d'aller là où finit la Terre pour échapper à la canicule. Ici on bout dans les brumes de chaleur...
Au plaisir, qui sait, de se retrouver sous un ciel reculé.

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Salut Pierre (et merci de ton message annonciateur!)

Belle entrée en matière, toujours la même maitrise des mots pour décrire les impressions, raconter les anecdotes, la marque d'un grand CROA! Je vais me jeter sur la suite

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Bonjour Pierre ,

Un magnifique récit, comme un conte fantastique ... on vit avec toi la découverte du merveilleux ciel chilien, des ses étoiles étincelantes et de ses objets précieux.

quote:
Pour ce qui est des instruments, j'ai désormais pris le parti d'acheter du ciel plutôt que du matériel.

Un achat raisonné : le matériel encombre, devient obsolète, s'abime alors que les souvenirs enrichissent et construisent l'esprit, ouvrent vers d'autres horizons.

quote:
Le Scorpion trônera finalement au zénith, sa fausse comète accrochée comme un lustre de cristal au sommet du ciel.

C'est beau ...

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Bonjour Anne,
...Merci pour ton commentaire ! Au plaisir de lire à nouveau tes Croas, non moins magnifiques et aux observations beaucoup plus finement détaillées que les miennes...


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