LES SCHMIDT-CASSEGRAIN SOUS L'ANGLE GEOMETRIQUE

Les Schmidt-Cassegrain (SC) ont connu depuis les années 70 un essor sans précédent. Une des raisons principales, si ce n’est la raison principale de ce succès, tient dans l’extrême compacité de ces appareils.
Pensons donc : un télescope SC de 20 cm a un tube long de 40 cm. De même le tube d’un SC de 40 cm mesure moins de 80 cm de long !
Par rapport à un télescope Newton classique, il y a en fait deux avantages :

La transportabilité : elle est liée pour une bonne part à la longueur du tube. Le Newton ont habituellement un rapport f/d autour de 6, ce qui fait un tube de 1 m 20 de long pour un 20 cm. Cela passe encore dans une voiture mais c’est déjà moins confortable qu’un SC de 40 cm de long. Pour un Newton de 30 cm, il faut prévoir la voiture en conséquence, ce qui n’est pas le cas pour un SC. Mentionnons par ailleurs que les montures à fourche complètent agréablement cette compacité : la longueur de l’ensemble monture et tube ne dépasse pas 60 cm pour un SC de 20 cm.

L’accès au foyer : le foyer peut ne pas être très accessible pour les Newton car le foyer se trouve en haut du tube. C’est en particulier valable pour les grands télescopes d’amateur comme à St-Luc où le foyer Newton n’est pas utilisé lors des visites touristiques à cause des dangers que peut présenter son accès (échelle, chute de quelqu’un, chute d’un objet sur le miroir du télescope).

Cela est donc un avantage du point de vue « géométrique » d’avoir un SC. Toutefois, les Newton ont des avantages également sur les SC : qualité de l’image, rapport f/d plus favorable. Mais il n’est pas dans le but de cet article de comparer les instruments. Par contre, il convient maintenant de préciser ce qu’implique la conception d’un télescope compact.
 

1) Pourquoi un Newton ne peut pas être très compact ?

La réponse se trouve dans l’explication graphique d’un télescope Newton. La conception de Newton est basée sur un renvoi à 90° par un miroir plan du faisceau au préalable réfléchi par le miroir primaire.

Comme on le voit, l’obstruction créée par le miroir secondaire est d’autant plus importante que le rapport f/d est petit. L’obstruction est bien trop grande à f/d = 2,5.

En dehors du fait qu’on perd passablement de lumière avec une telle obstruction, il faut tenir compte encore que plus ce rapport f/d est petit :
- Moins l’image est bonne en périphérie (aspect cométaire des étoiles nécessitant un correcteur de champ)
- Moins l’image est contrastée car plus l’obstruction est grande plus une part importante de la lumière ne se retrouve pas
   dans le disque d’Airy de l’étoile mais migre vers les anneaux de diffraction.
- Plus difficiles sont la collimation et la focalisation.
Pour ces raisons, la plupart des Newton ont des rapports f/d entre 4,5 et 8, la moyenne se trouvant autour de 6. Seuls quelques grands télescopes amateurs, solides, précis mécaniquement et disposant d’un correcteur de champ, peuvent se permettre un rapport f/d entre 3,5 et 4,5. Quoiqu’il en soit, les bons Newton sont connus comme étant d’excellents instruments pour le ciel profond.

2) Comment les Schmidt-Cassegrain arrivent à être si courts ?

Le SC est un mélange astucieux d’un Cassegrain, formé d’un miroir secondaire convexe hyperbolique qui renvoie le faisceau lumineux venant du primaire parabolique, celui étant troué en son centre, et du télescope de Schmidt formé d’un miroir primaire sphérique très ouvert, d’une lame frontale dite de Schmidt corrigeant les aberrations de sphéricité. Le télescope de Schmidt n’a pas de secondaire et le film est placé directement au foyer du primaire. Le SC possède donc une lame frontale, un miroir primaire sphérique très ouvert et troué en son centre et d’un secondaire convexe. La convexité du secondaire est rendue nécessaire si l’on ne veut pas obstruer de moitié l’entrée du télescope ! Comme il est assez petit, il doit nécessairement rendre le faisceau donné par le primaire moins convergent, d’où sa forme convexe.

Le rapport f/d d’un SC (souvent à 10) est celui du système et n’est pas celui du primaire qui est beaucoup plus petit, autour de 2 (ce qui n’est pas sans influence sur la qualité de l’image…). On peut le construire de manière géométrique en prolongeant virtuellement à gauche du secondaire les rayons lumineux réfléchis par celui-ci jusqu’à ce qu’ils s’écartent d’une distance correspondant au diamètre du primaire : on trouve alors la distance focale du système qu’il suffit alors de diviser par le diamètre d du télescope pour obtenir le rapport f/d annoncé.

3) La focalisation avec les SC

La focalisation se fait en déplaçant le miroir primaire. Celui-ci est poussé ou tiré le long d’un tube. Comme il existe un jeu entre ce tube interne et le support du miroir et que la traction ne se fait que par un point, le miroir a tendance à quelque peu changer de direction, ce qui occasionne un déplacement latéral de l’image lorsqu’on fait la mise qui peut être plus ou moins important selon la qualité de ce système mécanique (quelque peu rudimentaire…).

Mais ce qui nous intéresse ici, c’est la précision de la mise au point. Supposons que la distance initiale entre le miroir principal et le miroir secondaire est d. Le déplacement du miroir primaire est noté par Dd. La distance entre le miroir secondaire et le foyer est noté par b. Et le déplacement du foyer est noté par Db.

Première surprise :
Un déplacement Dd du miroir n’occasionne pas le même déplacement Db du foyer !

Ce serait le cas si le miroir secondaire était plan. Mais il est convexe. En fait, lorsque le miroir primaire s’approche du secondaire, les rayons lumineux qui frappent les bords du miroir secondaire arrivent de manière plus « tendue » et sont renvoyés encore de manière plus tendue ce qui fait que le foyer se déplace considérablement vers l’arrière.

Deuxième surprise :
Le déplacement Db du foyer ne correspond pas au changement Df de la distance focale.

D’après la première surprise, on peut s’attendre logiquement à ce que la distance focale du système change. On pourrait penser qu’elle change de la même grandeur que le déplacement du foyer. En refaisant la construction précédente de la prolongation virtuelle des rayons lumineux, on remarque aisément que les rayons en pointillés, étant moins tendus, doivent aller beaucoup plus loin virtuellement à gauche pour être écartés d’une distance correspondant au diamètre du télescope.

Voilà pour les surprises, qualitativement parlant. Il convient toutefois de cerner le déplacement du foyer et le changement de la distance focale en fonction du déplacement du primaire de manière plus quantitative.
Considérons donc pour notre étude les différentes grandeurs suivantes :

f1 : distance focale fixe du miroir primaire concave (distance focale positive)

f2 : distance focale fixe du miroir secondaire convexe (distance focale négative)

d : distance variable entre le miroir primaire et le miroir secondaire

Dd : déplacement du miroir primaire

b : distance entre le miroir secondaire et le foyer

Db : déplacement du foyer résultant d’un déplacement du primaire

f : distance focale du système

Df : variation de la distance focale du système résultant d’un déplacement du primaire

f/d : rapport entre la distance focale du système et le diamètre du télescope

Du point de vue optique, en négligeant la lame de Schmidt (qui corrige l’aberration de sphéricité), nous avons un système constitué d’un miroir concave et d’un miroir convexe. Les lois de l’optique pour un tel système nous donnent la distance b et la focale f du système par les formules :

  b   =    f2*(d – f1) / (d - f1 - f2)    f   =  (f1* f2) / (f2 + f1 - d)

J’ai appliqué ces formules aux données de mon télescope SC de 20,3 cm :
f1 = 408,5 mm (ce qui donne un rapport f/d = 2 pour le primaire)
f2 = - 127 mm
et regardé l’influence d’un déplacement du primaire sur b, f et donc f/d. A part f/d, les grandeurs sont toutes exprimées en millimètres.
 
d
b
f
f/d
Dd
Db
Df
309
459,5
1886,5
9,28
     
308,5
470,4
1921,5
9,46
0,5
10,9
35,0
308
481,6
1957,8
6,93
0,5
11,2
36,3
307,5
493,3
1995,4
9,82
0,5
11,7
37,6
307
505,5
2034,5
10
0,5
12,2
39,1
306,5
518,2
2075,2
10,21
0,5
12,7
40,7
306
531,3
2117,5
10,42
0,5
13,1
42,3
305,5
545,0
2161,6
10,64
0,5
13,7
44,1
305
559,3
2207,6
10,86
0,5
14,3
46
304,5
574,3
2255,6
11,10
0,5
15
48
304
589,8
2305,8
11,35
0,5
15,5
50,2
303,5
606,1
2358,2
11,61
0,5
16,3
52,4

Ainsi, au voisinage de sa configuration standard à f/d = 10, un déplacement du primaire produit un déplacement 25 x plus important du foyer et une variation 80 x plus grande pour la distance focale !!!

Vers f/d = 10 :     Db   =   25 Dd                   et                 Df   =   80 Dd

Plus concrètement, déplacer le miroir primaire de 1 mm vers l’avant revient à déplacer le foyer de 25 mm vers l’arrière et d’augmenter la distance focale de 80 mm !!

Ou aussi : déplacer le miroir primaire de 4 mm (de d = 309 mm à 305 mm) revient à déplacer le foyer de 10 cm et revient à faire passer la distance focale de 1,89 m à 2,21 m, soit à changer le rapport f/d de 9,3 à 10,9.

On peut tirer plusieurs renseignements de cette analyse :

1) La distance focale, et donc le rapport f/d, peut changer de manière non négligeable selon la position du miroir primaire. Ce fait est souvent malconnu ou alors négligé par les astronomes amateurs. Beaucoup de photos sont par exemple publiées à f/d = 10, ou à f/d = 6,3 (emploi d’un réducteur) alors que ces rapports peuvent différer dans la pratique de plus de 10 % selon la configuration utilisée. Ainsi, à l’observatoire d’Arbaz, nous avons un SC de
40 cm qui a été équipé d’un focuseur secondaire ce qui exige un foyer plus en arrière du télescope ; cette configuration nous donne un rapport f/d = 11,2 au lieu du 10 de la configuration « standard ».

Comme il est difficile de mesurer précisément le déplacement d du primaire, on fera une analyse de la distance focale en comparant la distance angulaire de deux étoiles avec la distance qui les sépare sur une photo.

Le fait de pouvoir placer le foyer bien en arrière du télescope représente un avantage certain lorsqu’on veut équiper le télescope de différentes configurations (différents réducteurs, visuel, photo classique, photo CCD, projection oculaire, spectro…). On dit que les SC ont des backfocus importants (c’est-à-dire, on peut fortement éloigner le foyer de l’arrière du télescope : avec notre SC de 40 cm, on peut avoir un backfocus de plus de 1 mètre !!).

2) La focalisation est délicate

Pensons en effet à un SC avec un rapport f/d soit voisin de 10. La plage théorique de focalisation est alors de 0,4 mm, ce qui correspond à un déplacement du primaire de seulement 0,016 mm. A f/d = 5, il faut être encore 4 x plus précis !!

Lors d’une focalisation en visuel, l’observateur remarque qu’il faut une toute petite rotation du bouton qui déplace le primaire pour passer d’une image intrafocus à une image extrafocus. Sans parler du shifting de l’image liée au fait que le miroir change un peu de direction. Mise à part l’observation des planètes et d’étoiles doubles très serrées, ce manque de finesse dans la focalisation est encore supportable.

Mais lorsqu’on veut réaliser de la photographie classique ou CCD haute résolution, les choses se corsent. Il devient alors très difficile d’obtenir une bonne focalisation en manipulant le focuseur du primaire à cause de ce rapport de 25 entre le déplacement du primaire et celui du foyer. D’autre part, la position n’est guère reproductible à cause du jeu sur le focuseur primaire. Il existe alors deux solutions : ou se contenter d’une mise au point grossière ou alors équiper le télescope d’un focuseur secondaire.

Nous avons retenu cette dernière solution à l’observatoire d’Arbaz : une fois que l’emplacement du foyer est fixé par la configuration choisie, on essaie de fixer le miroir primaire (attache en un seul point). Puis on travaille avec le focuseur secondaire directement à l’arrière du télescope : c’est le principe utilisé sur les appareils à foyer fixe comme le Newton ou les lunettes.

Il faut cependant avouer que cette méthode ne nous assure pas une focalisation reproductible : il suffit que des dilatations ou des flexions changent la distance entre les deux miroirs d’environ 1/100 mm pour que la focalisation ne soit plus bonne à f/d = 5 !! On pourrait étalonner la position du foyer en fonction de la température mais cette mesure est caduque du fait des flexions qui dépendent de la position du télescope.
Pour ces mêmes raisons, il semble inutile de vouloir fixer le miroir à trois points (ce qui nécessite par ailleurs un sérieux bricolage).

Conclusion

Les SC* ont l’avantage d’être très compacts et donc très facilement transportables. Cette compacité implique un miroir primaire très ouvert, dont le rapport f/d très petit est fortement augmenté par un miroir convexe.
Le déplacement du miroir primaire pour la focalisation produit un déplacement bien plus important du foyer et une forte augmentation de la distance focale.

Avantages :
- les SC peuvent être équipés sans problème de différentes configurations car le foyer peut être déplacé très en arrière du
   télescope.
- Le rapport f/d = 10 en fait un télescope polyvalent utilisable pour l’observation visuelle des planètes et du ciel profond.
   Un réducteur est toutefois souhaitable en photographie du ciel profond.

Désavantages :
- la focalisation par déplacement du primaire est grossière. Elle est acceptable pour l’observation visuelle. Pour la
   photographie classique ou CCD, l’adjonction d’un focuseur secondaire derrière le télescope est fortement
   recommandée.
- La position du foyer n’est pas reproductible à cause des flexions et des dilatations. La mise au point en
   photographie doit se faire chaque soir, voir même plusieurs fois dans la même soirée dans le cas de
   variations de températures et/ou de déplacements importants du télescope.

Il ne s’agissait pas ici de vanter ou de démolir les SC. Simplement tout astronome amateur qui a un SC ou qui veut s’en acheter un devrait être au courant de cette problématique géométrique.
Pour moi qui ai l’habitude de travailler avec ces engins, je peux dire que les SC sont des télescopes très pratiques, facilement transportables (pour les diamètres usuels…), vite installés et très conviviaux pour l’observation visuelle. Je ne vais pas rentrer ici sur le débat de la qualité des images, il faudrait un article au moins tout aussi important. Mais je mettrai quelques bémols dans l’utilisation des SC pour la photographie haute résolution : c’est évidemment possible mais cela demande quelques adaptations de la version « standard ».

* Cette conclusion vaut aussi pour le Maksutov