Vers les étoiles

par Stephanie Leifer

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L'idée de voyage vers les étoiles était déjà évoquée par les poètes romains, mais elle a toujours correspondu à une sorte de course à l'impossible. Bien que le voyage interstellaire reste un merveilleux rêve futuriste, un petit groupe d'ingénieurs et de scientifiques analyse théoriquement et expérimentalement des techniques capables de propulser des vaisseaux spatiaux à des vitesses suffisamment élevées pour s'échapper de notre Système solaire. Un système de propulsion fondé sur la fusion nucléaire pourrait emmener des hommes vers les planètes externes et envoyer des engins spatiaux automatiques à des milliers d'unités astronomiques dans l'espace interstellaire (une unité astronomique, égale à 150 millions de kilomètres, est la distance moyenne entre la Terre et le Soleil). Un tel système pourrait voir le jour dans les décennies à venir. Des moteurs encore plus puissants, propulsés par annihilation de matière et d'antimatière, pourraient emmener des astronefs vers des étoiles voisines.

L'attrait de ces modes de propulsion exotiques réside dans la quantité fantastique d'énergie produite à partir d'une masse donnée de combustible. Un système de propulsion fondé sur la fusion nucléaire, par exemple, fournirait environ 100 milliards de joules par gramme de combustible, soit dix millions de fois plus qu'avec des réactions chimiques. Les réactions matière-antimatière seraient plus difficiles à exploiter, mais elles engendreraient 20 000 milliards de joules à partir d'un seul gramme de combustible!

Dans la fusion nucléaire, des atomes légers fusionnent en atomes plus lourds, lorsque la température et la pression sont suffisantes pour les rapprocher durant un temps assez long. La différence de masse (Dm) entre la somme des masses des deux atomes légers et la masse de l'atome fusionné correspond à l'énergie libérée (E) suivent la célèbre formule E = Dmc2 (c est la vitesse de la lumière).

On explore la fusion contrôlée de deux façons, selon la technique utilisée pour confiner le gaz extrêmement chaud, le plasma, au sein duquel a lieu la fusion. Dans la fusion par confinement magnétique, de puissants champs magnétiques confinent le plasma. En revanche, la fusion par confinement inertiel est fondée sur des faisceaux lasers ou d'ions, dont le rayonnement chauffe et comprime de minuscules billes de combustible fusible.

DANS UN VAISSEAU SPATIAL À ANTIMATIÈRE, la charge utile serait située loin de la zone de production de l'énergie. L'anneau à l'arrière du vaisseau est une partie de la tuyère magnétique qui orienterait les particules chargées pour obtenir la poussée.

En novembre 1997, des physiciens qui étudient le confinement magnétique ont produit une réaction de fusion dont l'énergie était égale à 65 pour cent de l'énergie fournie pour amorcer la réaction. La réaction eut lieu en Angleterre, dans le tokamak européen jet, une enceinte toroïdale où le plasma est confiné par des champs magnétiques. La fusion ne sera utilisée pour la production d'énergie que si l'on parvient à produire plus d'énergie qu'il en faut pour amorcer ou entretenir la réaction, mais, même si on l'obtient, sur la Terre, il y aura plusieurs problèmes spécifiques à résoudre pour le développement de fusées à fusion. Notamment, on devra canaliser les particules chargées, très énergiques, créées par la réaction. En outre, on devra apprendre à stocker suffisamment de combustible et à régler la libération de l'énergie produite.

La fusée à fusion est évoquée depuis la fin des années 1950. Bien que la fusion produise d'énormes quantités de particules très énergiques, la réaction n'accélérera un vaisseau spatial que si ces particules sont dirigées de façon à produire une poussée. Dans les systèmes à fusion par confinement magnétique, on alimenterait la réaction en combustible pour l'entretenir, tout en permettant à une partie du plasma de s'échapper par une tuyère. Comme le plasma détruirait toute paroi matérielle rencontrée, la tuyère devrait être magnétique : de puissants champs magnétiques dirigeraient les particules chargées vers la sortie de la fusée.

Dans un moteur fondé sur la fusion par confinement inertiel, de puissants lasers ou des faisceaux d'ions fusionneraient de minuscules billes de combustible à une cadence de 30 microbilles par seconde. Une tuyère magnétique suffirait également pour évacuer le plasma, créant ainsi la poussée.

Les particules créées par fusion dépendent des combustibles utilisés. La réaction la plus facile à amorcer est celle entre le deutérium et le tritium, deux isotopes lourds de l'hydrogène dont les noyaux atomiques comprennent un proton et, respectivement, un et deux neutrons. La réaction libère des protons et des particules alpha, c'est-à-dire des noyaux d'hélium, composés de deux protons et de deux neutrons. Les particules alpha communiqueraient une poussée (on peut les diriger à l'aide de champs électriques ou magnétiques, parce qu'ils sont électriquement chargés), mais les neutrons (neutres) sont indésirables parce qu'on ne peut les diriger. Leur énergie cinétique peut être exploitée pour la propulsion, mais pas directement : on pourrait les bloquer dans un matériau et utiliser la chaleur qui résulte de leur capture. Enfin les neutrons menaceraient l'équipage humain, de sorte que les fusées emportant un équipage seraient alourdies par des protections.

Ainsi, bien que la fusion entre deutérium et tritium soit a priori la plus facile à réaliser, il serait préférable d'utiliser du deutérium et l'isotope 3 de l'hélium (deux protons et un neutron). La fusion de ces noyaux produit une particule alpha et un proton, tous deux manipulables par des champs magnétiques. Cependant, l'hélium 3 est extrêmement rare sur la Terre, et la réaction entre le deutérium et l'hélium 3 est plus difficile à amorcer que la réaction entre le deutérium et le tritium. Dans tous les cas, seul un vaisseau spatial de plusieurs milliers de tonnes (la majeure partie étant du combustible) pourrait conduire des hommes jusqu'aux confins du Système solaire ou dans l'espace interstellaire (pour comparaison la Station spatiale internationale aura une masse de 500 tonnes environ).

Chacune des difficultés évoquées semble rédhibitoire, mais, pour chacune, des solutions semblent en vue. Tout d'abord, la réaction de fusion dépassera de loin le seuil de rentabilité à partir duquel un réacteur produit autant d'énergie qu'on lui en fournit. Les études du confinement inertiel progressent rapidement. En 2003, avec un laser dont la puissance atteindra près de deux millions de joules pendant quatre milliardièmes de seconde, les physiciens espèrent libérer jusqu'à dix fois la quantité d'énergie nécessaire pour amorcer la réaction de fusion.

Par ailleurs, plusieurs éléments indiquent que le tokamak, qui a dominé la recherche sur la fusion par confinement magnétique, sera un jour supplanté par des techniques plus compactes et plus adaptables à la propulsion des fusées. En 1996, plusieurs pays ont financé les recherches sur des techniques de confinement magnétique prometteuses comme les strictions à champ toroïdal inversé, la configuration à inversion de champ et le tokamak sphérique.

UN VAISSEAU SPATIAL INTERSTELLAIRE HABITÉ aurait une structure tournante à l'avant, pour simuler la gravité à l'intérieur de quatre compartiments.

En attendant, les physiciens étudient les tuyères magnétiques. Des physiciens de l'Université de l'Ohio et du Laboratoire de Los Alamos utilisent des courants électriques qui créent des plasmas chauds, et ils étudient les interactions de ce dernier avec le champ magnétique.
Même le problème de la rareté du combustible fusible peut être résolu. Bien qu'il y ait très peu d'hélium 3 sur Terre, il en existe de grandes quantités dans le sol lunaire ou dans l'atmosphère de Jupiter. En outre, d'autres éléments présents sur la Terre, comme le bore, peuvent servir dans des réactions de fusion qui produisent des particules alpha.

L'annihilation de matière et d'antimatière libérerait encore plus d'énergie par unité de masse que la fusion. Un système de propulsion spatiale fondé sur ce principe exploiterait l'annihilation de protons et d'antiprotons.

Cette annihilation conduit à une succession de réactions. La première d'entre elles est la production de pions, des particules de courte durée de vie, dont certaines peuvent être canalisées par des champs magnétiques. Les pions qui résultent de l'annihilation matière-antimatière se déplacent à des vitesses proches de celle de la lumière.

Où trouver les antiprotons, alors que les accélérateurs de particules de haute énergie du monde entier n'en produisent que quelques dizaines de nanogrammes par an? Pour transporter des missions habitées vers Alpha du Centaure, un système de propulsion par annihilation de matière et d'antimatière nécessiterait des tonnes d'antiprotons. Le piégeage, le stockage et la manipulation des antiprotons restent une difficulté majeure, car ces particules s'annihilent au contact de protons de la matière ordinaire.

Néanmoins, on pourrait exploiter une partie seulement de l'énorme quantité d'énergie contenue dans l'antimatière, tout en n'utilisant que de petites quantités d'antiprotons, quantités qui seront probablement disponibles dans le courant de la prochaine décennie. Ce système utiliserait des antiprotons pour déclencher une fusion initiale par confinement inertiel. Les antiprotons pénétreraient dans les noyaux d'atomes lourds, s'annihileraient avec des protons et déclencheraient la fission des noyaux lourds. Les fragments énergiques obtenus par fission chaufferaient le combustible fusible et amorceraient la réaction de fusion. L'étude de la faisabilité d'un tel système de propulsion est en cours.

Au premier abord, les défis techniques de la construction de systèmes de propulsion à fusion, sans parler de l'antimatière, paraissent insurmontables. Cependant, l'humanité a déjà réalisé des exploits aussi extraordinaires. Le programme Apollo a montré ce que l'on peut accomplir lorsqu'on mobilise des efforts et les moyens. Avec la propulsion par fusion et par annihilation de matière et d'antimatière, l'enjeu serait considérable : c'est l'accès aux étoiles.

Stephanie Leifer travaille au Laboratoire de propulsion spatiale de Pasadena (Californie).

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N° 258 avril 1999
© Pour la Science (1999)