UNE HISTOIRE PERSONNELLE
DU CCD
OU
LA GENÈSE D'AUDINE
Christian Buil Home Page
1972, je plonge dans le grand bain : adhésion simultanée
à l'Association Française d'Astronomie et à la Société
Astronomique de France. La totale ! Je me forme à l'astronomie en
commençant par acquérir des spectres du Soleil, bien avant
d'observer M42 ou Jupiter dans une lunette (la spectrographie
me poursuivra toujours...), puis je me spécialise dans l'observation
des météores (création de l'Association Française
des Observateurs de Météores), enfin, je tripote le fer à
souder et je caresse le clavier de mon premier ordinateur, un PET Commodore,
pour tutoyer la photométrie photoélectrique (photomultiplicateurs
et photodiodes). Je pratique cette discipline en plein 15ème arrondissement
à Paris de 1978 à 1981, puis à Toulouse, entre 1982
et 1983.
Paris, 1978, 15 ème arrondissement, rue de la Rosière. Sur
un balcon d'un grand ensemble immobilier je réalise mes premières
mesures photométriques. Le détecteur était un photomultiplicateur
de récupération RTC XP1115. Le signal de sortie du photomultiplicateur
était lu, après amplification, sur un voltmètre, si
possible à aiguille pour intégrer les fluctuations de la
scintillation atmosphérique ! Un premier système flip-mirror
avait pour fonction de centrer approximativement l'étoile à
étudier. Un second système permettait de positionner l'étoile
au centre d'une petite ouverture circulaire de mesure avec l'aide d'un
véritable microscope. C'est l'ancêtre de la technique de la
photométrie d'ouverture numérique avec un CCD. Le télescope
est un 200 mm dont le miroir est signé Texereau. La plus grande
incertitude de mesure provenait des voisins qui allumaient et éteignaient
plus ou moins régulièrement leurs appartements.
Octobre 1983, à Carcassonne, avec des membres du club d'astronomie
Alpha Centauri (de gauche à droite, Bernard Marlière, Christian
Buil, Serge Chevrel) : la première sortie d'un tout nouveau photométre
à base de photodiode (le matériau de base de ce détecteur
est le silicium, le CCD n'est plus très loin). Dans à peine
6 mois, je réalise une première image CCD...
L'intérêt pour la photométrie photoélectrique
me pousse à rechercher des détecteurs de plus en plus sensibles.
Je découvre alors fin 1983 le CCD sous sa forme la plus simple :
une seule ligne de pixels.
La première caméra CCD. Nous sommes début 1984. Le
dernier photomètre à photodiode est transformé pour
accueillir dans sa partie arrière, de forme cylindrique, le circuit
imprimé rond du CCD. Un système de visée basé
sur cube optique séparateur facilite le pointage. Le tout est monté
sur un bon vieux Celestron 8.
La carte électronique de la première caméra à
barrette CCD (une double carte en fait qui se connecte dans un des slots
du bus de l'Apple IIe, visible en arrière plan). L'électronique
est minimaliste : un circuit de mise en forme des horloges, un convertisseur
analogique-numérique 8 bits et un amplificateur opérationnel.
On aperçoit un régulateur de tension sur la gauche. Une carte
en second plan supporte les circuits d'interfaces (PIA 6821) avec le bus
de l'ordinateur.
L'une des premières images réalisée avec un dispositif
CCD chez les astronomes amateurs. Le détecteur : une barrette CCD
de 1728 pixels TH7801 de Thomson. La ligne de détecteur était
disposée perpendiculairement au mouvement céleste et le moteur
du télescope (un Celestron 8) arrêté. En synchronisant
le déplacement de l'image au foyer dû à la rotation
de la Terre, avec la lecture du CCD, l'image se reconstituait ligne après
ligne. C'était du drift-scan avant l'heure en somme. Les seuls objets
raisonnablement accessibles étaient la Lune, le Soleil et les plus
brillantes planètes. Cette image est une photographie d'un écran
de télévision. Il était possible de restituer des
couleurs grâce à l'ajout, dans l'Apple IIe, d'une coûteuse
et extraordinaire carte graphique pour l'époque, la fameuse carte
"Le Chat Mauve" (jusqu'à 16 couleurs simultanées !).
En 1984, l'informatique fait ce qu'elle peut. L'ordinateur est pourtant
à la pointe du progrès pour l'époque (un Apple IIe),
mais malgré cela, cette machine est extraordinairement mal adaptée
au traitement d'images. L'écran n'affiche que 8 couleurs et un seul
niveau de gris (il faut ruser avec de savants tramages pour simuler une
vague échelle de gris). Pour tracer des isophotes, ici de l'intensité
du fond de la Mer des Crises, il faut se résigner à sortir
sur imprimante un grand nombre d'images binaires correspondant à
autant de seuils judicieusement choisis dans la gamme de dynamique (8 bits).
Puis, c'est avec un papier calque, patiemment, que l'on reporte les contours
de chaque image. Une bonne heure de travail pour sortir un résultat
à l'époque, une seconde aujourd'hui !
Ce document, issue d'une hardcopy réalisée avec une
imprimante à aiguilles, montre la première image d'objets
stellaires faite avec une barrette CCD TH7801A, c'est-à-dire, en
faisant défiler le ciel sur le détecteur. Il s'agit de l'étoile
double Bêta Cygne. Pour augmenter le temps de pose (de l'ordre de
1 seconde ici), il était nécessaire de mettre en route le
moteur de suivi du télescope, mais avec une vitesse légèrement
différente de la vitesse sidérale. Le déplacement
de l'image au foyer se faisait alors au ralenti. L'image était ici
agrandie par projection avec un oculaire de 20 mm placé au voisinage
du foyer du Celestron 8. Réaliser un défilement bien uniforme
et conserver une échelle identique suivant les deux axes tenaient
de la haute voltige.
Le système à barrette CCD est décrit dans un texte
qui sera tout d'abord diffusé par photocopie, puis imprimé
à une centaine d'exemplaires par la Société Astronomique
de l'Hérault en janvier 1987 (l'image ci-dessus montre la couverture),
et enfin édité sous la forme d'un livre (Astronomie CCD)
par la Société Populaire d'Astronomie en 1989 et Willmann
Bell, aux États-Unis, en 1991.