LE « SNAKE » SPECTROGRAPHE

par  Christian Buil

Juin 2018

Cette page décrit un spectrographe de forme très classique, évoquant les modèles ancestraux, conçus à une époque où le prisme de verre était le seul moyen raisonnablement disponible pour disperser spectralement la lumière. Plus tard, le réseau à diffraction à supplanté le prisme de par ces performances supérieures (plus fort pouvoir dispersif, linéarité de la dispersion, compacité…). L’écrasante majorité des spectrographes utilisés par les amateurs et les professionnels sont maintenant conçus autour du réseau à diffraction.

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Alors pourquoi construire aujourd’hui un spectrographe à prisme ? L’entreprise ne peut se justifier que pour des applications de niche bien précises. Par exemple, pour pour ne pas être empoisonné par le problème de recouvrement d’ordres, inhérent du réseau à diffraction. Autre exemple, pour spécialiser le spectrographe à un domaine de longueur d’onde très restreint, dans l’idée d’optimiser le rendement radiométrique dans cette partie sans que de la lumière soit distribuées en pure paire perte dans des ordres de diffraction non exploité. C’est cette application qui justifie la présente réalisation : on vise plus particulièrement à détailler avec un pouvoir de résolution proche de R=1000 un domaine de longueur d’onde allant du bleu profond jusqu’au proche ultraviolet, à la limite de la série de Balmer environ.

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Mais il y a une autre raison : le spectrographe est particulièrement simple à fabriquer, démonstratif et ludique, ce qui est en fait un bon projet à caractère éducatif, qui nous ramène aussi à quelques fondamentaux de l’optique (la réfraction et ces propriétés). 

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Les schémas à suivre montrent la définition optique de SNAKE avec quelques côtes en millimètres :

Pour la fente, j’utilise un modèle qui équipe le spectrographe Alpy 600, disponible auprès de la société Shelyak. Plusieurs largeurs sont disponibles (14 microns, 23 microns, 35 microns…). La collimateur est un doublet achromatique de marque ThorLabs, de focale 80 mm, de diamètre 25 mm, référencé AC254-80-A. Le prisme est un modèle équilatéral, en verre F2, de 50 mm de coté, dont la référence ThorLabs est PS854. L’objectif de caméra est un doublet de 60 mm de distance focale, référencé AC254-060-A au catalogue ThorLabs.  Avec ce spectrographe, j’utilise une caméra ZWO ASI183MM, équipée d’un capteur CMOS aminci, offrant un très bon rendement dans le bleu (voir ici un test de ce modèle).

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Les composants optiques sont choisi pour offrir une transmission optique correcte jusqu’à 370 nm de longueur d’onde. Sur ce plan, le choix du F2 pour le prisme est excellent, ce matériau étant encore transparent en dessous de 350 nm. Les choses  sont délicates avec les objectifs achetés sur étagère. En dessous de 365 nm, les verres employés (exceptés le BK7) deviennent brutalement quasi opaque. Le tableau suivant, précise la transmission optique calculée des composants qui équipent notre spectrographe pour plusieurs longueurs d’onde :

Une spécificité importante de ce spectrographe est l’angle que fait le plan du détecteur par rapport à l’axe optique. Dans le schéma précédent, la normale au détecteur par rapport à l’axe optique est d’environ 19°. Le  but est que le plan du détecteur épouse la surface focale de netteté délivrée par le spectrographe dans la partie bleu du spectre. Celle-ci varie très vite dans l’ultraviolet avec les composants employés à cause du défaut de chromatisme. Avec un angle de 19°, la netteté est réalisée entre 380 et 480 nm environ. En deçà est au delà, le spectre est flou. Pour couvrir un domaine allant de 370 nm à 450 nm, l’angle atteint 27°, ce qui a pour effet de donner une forme bien particulière à l’instrument fini, celui d’un SERPENT  (SNAKE en anglais), d’où le nom donné à ce projet.

Cette photographie est une vue de l’instrument sous sa forme complète. Le nom « SNAKE spectrographe » vient de sa forme bien particulière, filiforme et torturée. A l’avant du spectrographe, à gauche, on trouve le système de guidage du spectrographe Alpy 600, dont l’usage est détourné pour ce projet. La caméra de guidage est un modèle ZWO.

La structure de ce spectrographe prototype a été réalisée en impression 3D :

Le télescope SNAKE attaché au foyer d’un télescope RC de 10 pouces ouvert à f/8 lors de la première « lumière », le 6 juin 2018, depuis mon observatoire de Castanet-Tolosan.

Ci-contre, spectres 2D SNAKE centrés sur la partie ultraviolette. En haut, le spectre d’une lampe fluo-compacte (lampe « basse consommation » domestique). Les raies en  émission proviennent d’une vapeur de mercure. Au centre, le spectre du Soleil (les raies du CaII H&K sont visible au centre). En bas, le spectre d’une lampe Argon.  

Pour réaliser les spectres ci-dessus (essais sur table), j’ai utilisé une fente de 14 microns de large. Le pouvoir de résolution est de R = 1700 environ à 3650 A et de seulement R = 1000 à 4400 A. Cette variation pointe l’un des défauts d’un spectrographe à prisme : la loi de dispersion n’est pas linéaire avec la longueur d’onde, ce qui va compliquer l’analyse des données acquises. Les spectres SNAKE ont pu cependant être étalonné avec le logiciel ISIS dans cette partie du spectre à 0,2 angström près en adoptant une loi de dispersion polynomiale d’ordre 3, ce qui est très satisfaisant. Clairement, le pouvoir de résolution augmente dans le bleu, et c’est la raison pour laquelle SNAKE est employé prioritairement pour étudier cette partie du spectre.

Ci-contre l’image 2D du spectre d’étoiles pris au foyer du télescope RC10 avec le spectrographe SNAKE équipé d’une fente de 23 microns lors de la première lumière. En haut, le spectre de l’étoile Véga, dominé par la série de Balmer de l’hydrogène. En bas, le spectre de l’étoile symbiotique AG Dra pour deux contrastes (pose de 3 x 600 s + 300 s). Les raies de l’hydrogène sont cette fois en émission.

Ci-dessous, un échantillon de spectres obtenus lors de la première « lumière » (06/06/2018). La dispersion specrale a été linéarisée dans ces représentations. On remarque que la résolution spectrale diminue en allant du bleu vers le rouge. Cette dernière est ici de R = 1200 environ à 3800 A (fente de 14 microns de large)  :

A gauche, le spectrographe SNAKE attaché à un spectrographe Newton SkyWatcher de 250 mm f/4. L’observation relatée ci-après montre comment cette disposition est employée pour l’observation du spectre des comètes dans le bleu profond. L’étude de l’émission de la bande du CN vers 3880 A est notamment une des raisons de la conception de ce spectrographe à prisme.

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Observation de la comète 21P/Giocobini-Zinner le 20,1 Juin 2018. La fente d’entrée fait 23 microns de large. Lors de cette observation, l’angle de la caméra est de 18° avec un point de focalisation optimisé vers 4300 A. La comète était de magnitude m1=11,5 à cette date (voir l’image de la caméra de guidage en bas à gauche, exposée 20 secondes, noter la faiblesse de l’objet et la très intense pollution lumineuse de mon observatoire). L’émission liée à la molécule CN (cyanogène) domine largement en intensité dans le proche UV. L’image 2D dans la partie supérieure est la différence de deux images exposées le même temps (11 x 300 secondes) : une image du champ de la comète et une image en dehors du champ de comète. Le but est de retirer la partie commune, c’est-à-dire le spectre de la pollution lumineuse. La comète périodique Giacobini-Zinner est à l’origine de l’essaim de météores des Draconides.

Ci-dessus comparaison entre le spectrographe SNAKE et le spectrographe Alpy 600 sur la même cible, la comète 21P/Giocobini-Zinner le 20,9 Juin 2018. Dans les deux cas, la fente d’entrée fait 23 microns de large et le télescope est le même (Newton 250 mm f/4). Le temps de pose est aussi identique. La focalisation du spectrographe à prisme est optimisée vers 3900 angströms de longueur d’onde (le pouvoir de résolution est évalué à R = 700). En haut de cette figure, l’observation SNAKE, en bas l’observation Alpy 600. On peut deviner que la loi de dispersion de SNAKE n’est pas similaire à celle de Alpy 600 : le premier « étire » sensiblement plus le spectre dans le bleu. Si le pouvoir de résolution du spectrographe SNAKE est supérieur (noter que l’émission CN est séparée en deux sous-bandes), en revanche, la couverture du spectrographe Alpy 600 est considérablement plus large. 

En conclusion, le spectrographe SNAKE ainsi réalisé répond au cahier des charges. Comme indiqué au début, ce n’est pas du tout un instrument généraliste. Il ne peut en aucune manière remplacer par exemple un spectrographe Alpy 600. On note son emploi très spécifique, avec une couverture spectrale limitée, mais un pouvoir de résolution intéressant pour détailler le spectre ultraviolet d’objets faibles. C’est aussi un bon instrument pour expliquer dans une démarche éducative ce qu’est la classification stellaire, qui repose pour beaucoup sur l’observation du spectre bleu et UV, en demandant aux étudiants de parcourir les étapes allant de la réalisation à l’analyse en passant par l’observation.

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Mais il y a aussi cet indéfinissable plaisir de côtoyer la « spectrographie à l’ancienne » avec des moyens modernes ! C’est une revisite donc l’aspect rassurant, démonstratif et plaisant, a été pour moi source de motivation pour me lancer dans ce petit projet. 

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Et un grand merci à Pierre Thierry et François Cochard pour l’aide décisive qu’ils m’ont apporté pour la conception CAO du projet SNAKE.

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