Bonsoir à tous   Depuis quelques années, et grâce aux progrès des capteurs d'image, une nouvelle forme d'astrophotographie amateur s'est développée ; je veux bien sûr parler de la photo du ciel profond en poses courtes, ou "lucky imaging". L'idée générale est en réalité plutôt simple : on réduit le temps de pose unitaire afin de "figer" la turbulence, ce qui diminue fortement son impact. La déformation induite étant fluctuante, on peut ensuite sélectionner les poses afin de ne conserver que les images les mieux résolues
Dans la pratique, cela se rapproche assez de l'imagerie planétaire telle qu'on la pratique depuis 15 ans... à ceci près que la faible brillance de certains objets imagés apporte son lot de contraintes supplémentaires.   Ceci étant, il reste beaucoup à défricher dans le domaine, et j'ai voulu essayer de proposer un début de réponse à ces quelques questions :   - Quels sont les bénéfices réels de la pose courte vis à vis de la pose longue, quantitativement parlant ?
- Comment optimiser au mieux les paramètres de prise de vue afin de pouvoir en tirer le maximum ?   Bien évidemment, certaines équipes pros se sont déjà penchées sur le problème, et il suffit de taper les mots "lucky imaging pdf" dans google pour se rendre compte que les publications scientifiques ne manquent pas sur le sujet ; cependant, le monde amateur étant très différent j'ai voulu y aller de mes petits tests de mon côté, afin de voir si je retrouvais des résultat similaires. Nous n'avons pas les mêmes instruments ni les mêmes conditions d'observation, donc il y a certainement quelque chose à en tirer.
D'autre part, la majorité des publications "pro" que j'ai pu trouver se concentrent sur une application du procédé poussé à l'extrème ; on sélectionne un nombre d'images très faible sur un total énorme et on réduit le temps de pose de manière drastique. Bien évidemment, c'est dans ces conditions que l'amélioration de piqué sera la plus importante, mais le rapport signal/bruit de l'image est en contrepartie fortement mis à mal.
Or, ce qui compte afin d'obtenir un résultat final intéressant dans notre domaine, c'est plutôt de trouver le meilleur compromis entre le piqué et le rapport signal/bruit ; habituellement, on réalise plutôt des poses modérément courtes ( de l'ordre de la seconde ) afin de ne pas trop dégrader le RSB final mais obtenir toutefois une amélioration du piqué substantielle. Donc pas tout à fait le même champ de recherches   Les expériences ont été effectuées en mars dernier ( oui ça date... ) et j'en tire un bilan mitigé car quelques biais se sont glissés dans ma méthode.
Je voulais refaire un traitement complet des images afin de me débarrasser d'une partie de ces biais, néanmoins... je suis tellement en retard sur mes traitements que je préfère vous livrer mon analyse telle qu'elle et plutôt retenter entièrement l'expérience une autre fois si cela s'avère nécessaire. Donc, après cette longue introduction, voici le protocole expérimental   Protocole de test   Pour estimer le piqué de nos images, on va utiliser une grandeur facilement mesurable sur nos images : la FWHM ( en français, largeur à mi-hauteur ) d'une étoile que l'on exprimera en nombre de pixels.
La plupart des logiciels astro ont des outils permettant d'extraire de manière précise et rapide cette donnée des images, ce qui rend le procédé tout à fait faisable. Une autre donnée, le rapport de Strehl, aurait peut être été préférable afin de rendre compte du seeing de manière plus précise, mais à ma connaissance je n'ai pas de logiciel qui permette de faire cette mesure rapidement sur des séries de plusieurs milliers d'images...   Pour comparer entre poses longues et poses courtes avec le minimum de biais observationnels, j'ai eu l'idée suivante : -Réaliser une prise de vue en continu à une cadence la plus élevée possible -Puis empiler les images par paquets consécutifs sans les aligner, afin de former une image longue pose virtuelle   Par exemple, si j'empile 100 images de 1/100s, à condition que la latence entre les poses soit négligeable et que les images soient consécutives, j'obtiendrai une image dont le piqué serait identique à une pose de 1s prise au même moment.
Bien sûr le bruit de lecture de la caméra sera compté 100 fois dans le premier cas et pas dans le second, ce qui va fortement impacter le RSB, mais cela n'a ( normalement ) aucune incidence pour la mesure qui m'intéresse ici,  la FWHM d'une étoile.   L'avantage de procéder ainsi est énorme, puisque c'est la même série d'images qui peut être utilisée pour mesurer le piqué sur les poses courtes et les poses longues. On évacue ainsi tout le problème que pose le caractère aléatoire de la turbulence, puisqu'on réalise les différentes mesures au même moment et avec le même matériel
De plus, on peut multiplier à l'infini les différents temps de pose "virtuels" que l'on souhaite tester.   Autre biais à évacuer, les erreurs de suivi... cela entache les images "longue pose" sans pour autant que ce ne soit dû à l'atmosphère. Pour pallier à ça, j'ai tout simplement débranché la monture totalement et fait l'ensemble des vidéos sur l'étoile polaire. Cette dernière bouge suffisamment peu pour que le déplacement soit négligeable jusqu'à des poses "virtuelles" de 250ms environ ; mais même au delà, son déplacement est connu et peut être considéré comme rectiligne et uniforme sur une durée pas trop longue. Comme mon film ne dure qu'une minute, j'ai simplement compensé ce déplacement ( prévisible ) sur les brutes. C'est d'ailleurs là ou arrive le premier biais dans ma méthode... mais j'y reviendrai   La caméra utilisée est la QHY290, elle permet de tenir une cadence d'image de 500fps avec un temps de pose de 1/500s et un nombre de frames droppées que je considère comme négligeable ( j'ai du en avoir quatre ou cinq sur les 32767 acquises )
Cette caméra possède des photosites de 2.9 microns. Le télescope est un Newton 250/1300 artisanal, et sera utilisé au foyer ; je voulais utiliser une barlow pour augmenter l'échantillonnage afin d'observer une différence la plus significative possible mais je me suis rendu compte, suite à un changement récent de miroir secondaire, que l'adaptation n'était plus possible... cela donne donc un échantillonnage final de 0.45"/pixel.
Cependant, la nuit était plutôt turbulente, ce qui était plutôt une bonne chose ( pour une fois ) ; ainsi l'image de l'étoile était étalée sur plus de pixels.   Même à 48° de hauteur, la dispersion atmosphérique est déjà sensible, aussi ai-je utilisé un filtre bleu pour la réduire en partie. Néanmoins, on verra en dessous que cela n'a pas été suffisant...
J'ai préféré un filtre bleu au vert ou rouge parce que la turbulence est plus forte dans cette longueur d'onde. Malheureusement, c'est également le cas de la dispersion atmosphérique...   Avant tout traitement, j'ai multiplié la taille des images par deux afin de réduire au maximum la perte de piqué dû à l'alignement. Aussi, les chiffres avancés ci-dessous correspondent à un échantillonnage résultant de 0.225"/pixel. J'ai acquis plusieurs films de 128 secondes chacun ( plus de 60.000 images ) et au traitement, je me suis aperçu qu'IRIS ne gérait pas de listes de plus de 32768 fichiers, donc je me suis contenté de traiter la moitié d'un film, soit 64 secondes réelles. Au départ je voulais faire un croisement des données en traitant chaque film indépendamment, mais ayant passé plusieurs heures sur le premier film, je me suis dit que je ne traiterais pas les autres, parce que la flemme   Pour le traitement, voici les étapes, dans l'ordre : -Retrait du dark
-Empilement d'images par paquets de différentes tailles ( allant de 1 image pour une pose de 1/500s à 1024 pour une pose de 2s ( environ ) ) en utilisant la commande COPYADD d'IRIS Puis, pour chaque série de paquets obtenus correspondant chacun à un temps de pose différent : -Alignement des images sur l'étoile
-Mesure de la FWHM finale sur l'image empilée.   Pour faire cette mesure, j'ai préféré Siril à IRIS car celui-ci permet une mesure ne demandant pas à l'utilisateur de tracer un carré autour de l'étoile ; j'ai remarqué que la valeur variait selon que la sélection était faite serrée ou large autour de l'étoile, ce qui n'est pas bon pour la cohérence des données
Siril en revanche donne une valeur sans avoir besoin de zone de sélection, ce qui évite ce problème ; même si la méthode de mesure n'est pas exacte, au moins elle est faite de la même manière sur toutes les images. Les données sont ensuite inscrites dans un tableau ( deux colonnes, une pour la fwhm X et l'autre pour la fwhm Y )
La mesure de la FWHM donnée par SIRIL a ici un autre avantage : la FWHM X et Y ne correspond pas nécessairement à une mesure sur les axes X et Y de l'image, mais sur la plus petite et la plus grande dimension de l'ellipse que forme l'étoile. On a donc une véritable mesure de l'allongement de l'étoile, utile pour mettre en évidence la dispersion atmosphérique, ou tout autre effet ayant induit un allongement.   J'ai donc tiré un premier graphique de tout ça, mais je ne me suis pas arrêté là   J'ai ensuite utilisé les mêmes données afin de mesurer l'impact d'une sélection d'images sur cette même FWHM. Afin de ne pas me surcharger de travail rébarbatif, j'ai sélectionné les temps de poses virtuels de 1/500s, 1/64s, 1/8s et 1s, puis j'ai utilisé Siril afin de sélectionner un pourcentage de meilleures images unitaires, ceci encore une fois basé sur une mesure de la FWHM.   J'obtiens donc un deuxième tableau et un deuxième graphique, et vous pouvez aller admirer tout ça sur le pdf que voici :                      l              l                 V             V -> ->   graphes fwhm.pdf  <- <-                      Bon et puis pour vous épargner le clic, je vous les met en jpeg aussi :  
   
    Analyse des résultats :   Je commence par le premier graphique   Première constatation : l'amélioration de piqué en réduisant le temps de pose unitaire est clairement montrée. Victoire
Bon ensuite on peut aller un peu plus loin...   Déjà on entend souvent dire que réduire le temps de pose en deça d'une certaine limite ne sert plus à rien ( je pense aux planéteux... )
En passant les images à 500fps au ralenti, j'avais moi aussi l'impression que travailler à cette cadence ne donnerait rien de plus tant une image était semblable à la suivante.
Et pourtant, même si l'amélioration n'est pas aussi significative que pour des fréquences plus faibles, on observe bien une amélioration.
Ceci étant, c'est peut être à mettre en relation avec la turbulence de ce jour là, qui était particulièrement présente.   Ensuite, on observe un allongement significatif de l'étoile. C'est dû, je pense, à la dispersion atmosphérique. on observe un allongement moyen de 1.5 pixel, ce qui correspond à environ 0.3" d'arc, ce qui est dans l'ordre de grandeur de ce qui serait attendu pour cette élévation et cette bande passante.
Cependant, l'allongement augmente en taille à partir de poses d'environ 500ms, et ça ce n'est pas normal. Enfin je ne crois pas. En admettant que les données soient représentatives, il se pourrait qu'un autre facteur extérieur soit venu jouer les trouble-fête : le vent ! En effet, il y avait du vent ce soir là. J'étais pourtant dans un coin relativement abrité, mais il se peut que cela n'ait pas suffi... après c'est évidemment un problème auquel les imageurs en ciel profond "pose longue" sont confrontés, et donc c'est également un des avantages de la technique des poses courtes, mais quand même, j'aurais aimé faire une comparaison plus juste De fait, en voyant la courbe, on pourrait être tenté de dire que des poses de 1s ou 2s sont déjà fortement bénéfiques, car si on prolonge, on voit bien que la fwhm n'a pas encore atteint son maximum. Mais il se peut que l'on voie l'effet du vent davantage que l'effet de la turbulence, donc je ne ferai pas de conclusion hâtive et referai une expérience plus poussée, en montant les temps de poses unitaires vers des valeurs plus hautes. Dans l'idéal, j'aimerais tester jusqu'à la minute de pose.
Mais dans tous les cas, on observe bien une baisse de la FWHM très significative. Qui plus est, dans le cadre de mon setup et avec les conditions météo de ce jour là, cette baisse semble la plus importante quand on arrive sur des temps de pose "intermédiaires" entre 1s et 1/10s que sur des temps de pose "faibles", entre 1/10s et 1/500s
Maintenant deuxième graphique !   Premièrement je suis étonné par la lisibilité des données, notamment sur les temps de pose très courts. La courbe est limpide comme jamais je n'aurais imaginé
Les courbes correspondant aux temps de pose de 1/8s et surtout 1s sont moins "belles" mais je met ça sur le compte du nombre d'images qui n'est pas assez élevé pour avoir une statistique significative ( rappel, j'ai toujours 64s de temps de pose total utilisé pour l'analyse )   La première chose à observer pour moi, c'est que la courbe monte de plus en plus vite. Autrement dit, si on décide de diviser son nombre d'images utiles par 2 plusieurs fois, la première division apportera un bénéfice plus important que la deuxième division, et elle même apportera plus que la troisième division, etc, etc. J'aurais bien voulu aller encore plus loin dans la sélection en ne prenant par exemple qu'une image sur mille pour la séquence à 1/500s, mais Siril ne permet de sélectionner qu'un pourcentage entier de la séquence, pas de 0.1% possible donc   On observe également bien là encore que c'est sur les temps de poses "intermédiaires" que le bénéfice semble le plus important.   Dernière chose... je vais peut être un peu loin dans l'analyse, mais il semble que sélectionner des images en poses très courtes soit plus bénéfique que de sélectionner des images plus longues. En effet, pour les poses de 1/500s, on passe d'une FWHM de 10.32 à 6.59 pixels si on passe d'une sélection de 100% à 2% des images, ce qui correspond à une réduction de la FWHM de 37% environ. Par contre, pour les poses de 1/8s, la réduction n'est plus que de 12.95 pixels à 9.11 pixels, ce qui correspond à une baisse de 30%   Alors maintenant, mettons un peu en parallèle les deux courbes et voyons un peu ce que ça donne   Déjà, grâce à du lucky imaging, on peut faire chuter la FWHM d'une étoile de 16.8 pixels au pire à environ 6.3 pixels au mieux ; le piqué final est plus de 2.5 fois meilleur
Ces valeurs correspondent à peu de choses près à ce que j'ai pu observer chez les mesures faites par les pros, si je considère des sélections et temps de poses équivalents. Il se pourrait qu'on puisse gagner encore plus, car :
- Mon échantillonnage était un peu limite et a peut-être été facteur limitant de l'amélioration observée
- Je ne suis pas allé dans les valeurs extrèmes, que ce soit en terme de sélection d'image mais surtout en temps 'exposition minimal et maximal. Peut être que l'étoile prise avec des poses de 1 minute aurait une dimension de 20 pixels ou plus... ou peut être qu'on aurait été seulement à 15 et que c'est le vent qui a amplifié la chose.
  Ensuite, la grande question, qu'on se pose souvent en imageant... vaut-il mieux réduire le temps de pose ou le nombre d'images utilisées ?
Si je prends l'exemple d'un objet réalisé en poses de 1/4s. Passer à des poses de 1/8s engendrera une diminution de FWHM d'environ 6%, alors que passer d'une sélection de toutes les images à seulement la moitié apportera une diminution de 12%. Par contre, passer de 10% des images à 5% des images n'apportera qu'un gain de 3%... Donc finalement, la méthode utilisée empiriquement par les quelques membres du "club des pose-courtistes" semble être la bonne à savoir, un savant mélange de temps de pose bien diminué avec une sélection d'images pas trop drastique. Après ça dépend un peu aussi de ce que l'on veut faire, car sélectionner une moitié d'images prises avec un temps de pose donné ne revient pas exactement à prendre des images avec un temps deux fois plus court... j'y reviendrai certainement plus tard.
Voilà, c'est fini ! félicitations à ceux qui ont tout lu, je pense que je dois avoir la palme du post le plus long aboutissant sur des conclusions que l'on connaissait déjà mais bon, vu que je l'ai fait, je le met là, et après, faites-en ce que vous voulez hein   Par contre, je prépare une partie 2 avec un autre petit test, là je crois qu'on pourrait avoir des surprises, mais je n'en dis pas plus...   A bientôt !   Romain