… Et donc voilà…. L’avant veille du phénomène, il est temps de se mettre en situation réelle, avec une observation solaire en lumière naturelle sur la Swaro 80ED et filtre astrosolar. L’occasion de tester l’ergonomie de emplacement, la configuration du matériel, voir si tout est à poste, de prendre des repères, bien juger de la trajectoire du Soleil et sa configuration. Épatant, il se présente quasi comme le mois dernier et je reconnais le groupe de tâches que j’avais dessiné, désormais un peu modifié. Et si la chromosphère se présentait elle aussi comme précédemment, particulièrement active avec une belle protu majeure ?     Le lendemain, il y eu les péripéties d’avoir été dans l’obligation de lever notre campement, de passer la nuit dans la voiture faute de possibilités d’hébergement, puis de revenir sur les lieux choisis vers quatre heure du matin. Il y a déjà quelques voitures, qui sur le bas côté de la route, qui sur les rares pistes terreuses menant vers le proche rivage, mais bien loin de l’affluence imaginée. Nous nous installons dans une jolie petite fondrière inoccupée et prenons un petit déjeuner roboratif, bizarrement sans le stress qui sied dans l’attente fébrile de ce genre d’évènement. Pour le matériel, il faut que tout soit parfaitement positionné de façon ergonomique, la lunette, le siège, le matériel de dessin. Juste deux crayons HB et deux crayons verts, tout est en double, hors de question de se servir d’un taille crayon si par inadvertance une pointe venait à se briser. Dans l’idée de réaliser une vidéo didactique, j’installe la Gopro et le Sony de l’ami Jean-Paul, ainsi que deux Smartphones, l’un pour tenter de filmer ce qui va se passer sur la planche à dessin et l’autre pour égrainer un compte à rebours préenregistré. Encore faut-il avoir l’heure exacte, chose délicate quand on est hors connexion … Le salut viendra d’un groupe de sympathiques amateurs japonais joliment équipés - et l’on sait que l’on peut compter sur un japonais. J’observe le premier contact à la seconde près, preuve  de la fiabilité légendaire du japonais. C’est parti, c’est le bonheur, que la fête commence ! L’ambiance est étrangement calme, des véhicules arrivent encore bien après le premier contact. On est très largement dans le dilettante,  juste quelques lunettes en papier pour qui s’en sont fourni - les autres bénéficiant de la générosité des plus prévoyants. Hormis les japonais, il n’y a que fort peu d’instruments astronomiques. A dix minutes de la totalité, on commence à sentir que quelque chose se passe, l’étrange crépuscule s’invite timidement et l’on commence à entendre les invocations de circonstance répétées jusqu’à plus soif propres à la langue de Shakespeare, comme l’évocation d’un objet électroménager propre à assouvir des pulsions lubriques – un bon point pour qui apportera l’explication… T-cinq minutes, je déclenche le compte à rebours qui, merdum, me chante les airs du dernier carnaval de Guadeloupe - diablesse de fébrilité qui s’installe insidieusement et me fait tromper de touche sur le smartphone. Mais par bonheur et craignant pour ce genre de loupé, j’avais préparé un compte à rebour à T – trois minutes qui, lui, partira à l’heure exacte. Le temps d’enclencher les diverses caméras et de gagner le poste d’observation pour le grand rendez-vous cosmique, on entre dans le vif du sujet comme on se met à table pour un fin diner. On note que le crépuscule s’installant n’est pas très profond, témoignage visible de cette éclipse de courte durée, dont la bande de totalité ne fait que quarante kilomètres de diamètre. Le croissant diminue et ne devient qu’un mince filet de lumière, puis il s’étiole de part et d’autre en chapelets de grains de Bailly. Le filtre est ôté, la lueur vacille dans l’oculaire et PAF ! Le grand interrupteur céleste bascule brutalement, la totalité commence ! A l’oculaire, je n’ai jamais vu un tel spectacle : généralement, la chromosphère et les détails apparaissent en premier lieu sur le côté du limbe où le Soleil vient de disparaitre. Et là c’est le contraire, ou disons que c’est totalement différent : la chromosphère parée de ce rose électrique si particulier orne l’intégralité de la périphérie et le spectacle est hors norme à l’opposé avec deux protubérances majeures, l’une comme un gros jet vertical, l’autre évoquant une queue de baleine dont l’une des extrémités se prolonge en une vaste arche. La basse couronne n’est pas en reste, complexe et toute fofolle avec de nombreux plumets irradiant de toutes parts. Ca dépasse toutes mes espérances et il me faut un certain temps avant de revenir sur la planche à dessin, le compte à rebours annonçant implacablement dix secondes écoulées –déjà…. En vingt secondes, j’esquisse au crayon vert cette chromosphère sophistiqué. Trente secondes, changement de crayon pour le HB, il est temps de passer à la basse couronne et ses trop nombreux plumets, plumets s’exacerbant au fil du temps avec la sortie prochaine du Soleil. Dans le quart haut à gauche, voilà qu’ils prennent une texture particulièrement filamenteuse. Dix-neuf-huit…. Punaise, je n’aurais pas le temps d’en faire le tour, j’abandonne définitivement les crayons et m’absorbe dans la mémorisation de cette extraordinaire fleur céleste …quatre- trois- deux et va fanculo - c’est terminé, le temps de beugler ma joie, de contempler cette ombre fuyant dans l’océan, remarquer la présence de Vénus et de Jupiter toute proche,  et de replonger illico sur le papier, couchant l’esquisse des choses fraichement en mémoire, puis apportant le rendu dans un travail de finition.       A noter aussi la rotation de champ du Soleil durant le phénomène, particulièrement visible avec ce dernier dessin proche du dernier contact.     Wahooo, je ressens une grande joie d’avoir fait le pari de cette éclipse si particulière qualifiée de mixte, débutant en annulaire et se terminant en totale. Certes, de part cette configuration elle n’offrait que soixante deux secondes de visibilité maximum, mais aussi la rare opportunité de présenter un disque lunaire de taille apparente quasi identique à celle du Soleil, gage d’une visibilité exceptionnelle de la chromosphère et de la base couronne, éléments magnifiés en cette période de maximum d’activité solaire. Et puis ya le petit plaisir d’avoir immortalisé l’instant présent du bout des crayons et  d’être parmi ceux qui y était - et le regret des copains qui n’y étaient pas.  
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