UN SPECTROGRAPHE TRES ECONOMIQUE

La technique dont il est question ici vise la spectrophotométrie des supernovae et des comètes jusqu'à la magnitude 17 au moins. C'est un objectif très ambitieux compte tenu du relatif petit diamètre des télescopes dont disposent généralement les amateurs.

Le travail n'est pas tout à fait terminé, mais tout laisse pensé que cet objectif sera atteint. En effet, malgré le très modeste diamètre du télescope utilisé lors de cette étude (190 mm), il s'avère que des spectres lisibles jusqu'à la magnitude 15 ont pu être obtenues en milieu urbain. L'objectif de la magnitude 17 est tout à fait accessible si quelques amateurs disposant de télescopes de diamètre supérieur à 400 mm (et il en a beaucoup en France !) se décident à faire de l'astrophysique en équipant leur collecteur d'un spectrographe, qui, vous allez le voir, est d'une simplicité désarmante. L'enjeu est important, car pouvoir accéder au spectre c'est multiplié par un facteur très important la capacité de prospection de l'objet étudié.

La plupart des spectrographes comprennent un disperseur de lumière. Ce composant optique à la propriété de dévier la lumière qui le traverse d’un angle différent suivant la longueur d’onde. Le disperseur le plus connu est le prisme. Le mécanisme de dispersion est alors provoqué par la variation de l’angle de réfraction qui est une fonction de l’indice de réfraction du verre, qui varie lui-même en fonction de la longueur d’onde. C’est aussi la réfraction qui explique l’arc-en-ciel, la lumière étant dans ce cas déviée lors d’un parcours complexe dans les gouttes d’eau d’une averse de pluie.

L’autre famille importante de disperseurs est basée sur la diffraction de la lumière lorsqu’elle traverse une fine structure périodique ou qu'elle se réfléchie sur une structure de même type. Ce sont les réseaux à diffraction. Les irisations colorées observées dans la lumière réfléchie par un compact disque ont pour origine un phénomène diffractif, la structure périodique étant ici le fin sillon laissé par le laser qui a gravé le disque.

Le spectrographe le plus simple que l’on puisse réaliser comprend le seul disperseur que l’on place directement dans le faisceau optique, soit à l'entrée du télescope, soit dans le faisceau convergent du télescope, à proximité du plan focal. Nul besoin de fente, de collimateur et autre objectif pour réaliser un spectre tout à fait convenable. Cette simplification a bien sûr un prix. Un spectrographe de ce type ne peut prétendre rivaliser en résolution avec le montage plus traditionnel du spectrographe, comprenant un collimateur et une fente. En revanche, la facilité de réalisation est sans commune mesure. De plus, un spectrographe sans fente aura la capacité d'enregistrer simultanément le spectre de plusieurs objets, qui plus est avec une luminosité incomparable ! Ce type de spectrographe est du reste à classer dans la famille des spectro-imageurs, c'est-à-dire d'instruments capables d'acquérir en une fois une information spectrale sur des objets présentant une étendue angulaire (champ d'étoiles, nébuleuses, coma d'une comète...). Ont les appelles aussi spectrographes de champ. Ils sont classiquement utilisés dans le milieu professionnel pour l'observation d'objets très faibles, présentant souvent des raies à émission, tel les quasars. Pour notre part, nous profiterons de la luminosité de ces spectrographes pour compenser en partie le petit diamètre des télescopes d'amateurs.

La résolution R d’un spectrographe est le rapport entre la longueur d’onde et le pouvoir de séparation spectral à cette longueur d’onde Dl :

Annonçons dès à présent que le spectrographe qui fait l'objet de cette description aura du mal à atteindre R=50, alors que certains spectrographes à fente professionnels dépassent la résolution de 10.000. Pourtant, malgré sa modeste résolution, notre spectrographe fournira une information bien plus riche que ne pourrait le faire de simples images faites au travers de filtres BVRI par exemple (10 fois plus riches typiquement si on considère qu'un filtre du système BVRI à une largeur à mi-hauteur de 1000A).

Il faut trancher sur la position du disperseur. Il peut être mis à l'avant du télescope, c'est le principe des prismes objectifs. Cependant, l’inconvénient majeur de cette disposition est que le disperseur doit avoir la taille du miroir du télescope. Le coût est insurmontable pour les amateurs dès que le diamètre du télescope dépasse une centaine de millimètre et pour les professionnels, lorsque le diamètre du télescope dépasse 1 mètre. En conséquence on tirera grand avantage à placer l’élément disperseur dans le faisceau convergent et proche du foyer puisqu'il gardera une taille humaine quelque soit la dimension du télescope.

La figure 1 montre la position du disperseur, ici un réseau, dans le faisceau optique. La lumière polychromatique en provenance d’une étoile du champ est déviée différemment en fonction de la longueur d'onde lors de la traversée du réseau. Un spectre se forme donc dans le plan du CCD. Dans la figure, seuls 3 pinceaux de lumières correspondants à 3 longueurs d’onde distinctes sont tracés. En pratique, le nombre de longueur d’onde est infini et on observe un spectre continu. Une autre étoile du champ produira de la même manière un spectre, mais celui sera décalé spatialement.. Il en sera de même pour tous les autres objets du champ : galaxies, astéroïdes, novae... On voit que ce spectrographe permet d’acquérir simultanément le spectre d’un très grand nombre d’objet, et ce n’est pas le moindre de ses avantages. Comparativement, un spectrographe à fente n’autorisera l’étude que d’un seul objet à la fois.

Figure 1. Disposition du disperseur dans le faisceau convergent du télescope.
 
La formule donnant l'angle de déviation d'un rayon de longueur d'onde donné est :
Dans cette formule a est l’angle d’incidence du rayon par rapport à la normale au réseau, b est l’angle d’émergence après diffraction par rapport à la normale, m est le nombre de traits par millimètres gravés (généralement m est compris entre 50 et 1200 traits/mm), k est un nombre entier représentant l’ordre du spectre et l est la longueur d’onde en millimètre.

Si le faisceau incident arrive en moyenne perpendiculairement à la surface du réseau (c'est le cas sur la figure 1), nous avons a=0, et nous pouvons écrire la formule précédente sous une forme simplifiée :
 

 
Le paramètre k peut prendre toutes les valeurs entières, y compris négatives (k=…, -2, -1, 0, 1, 2, …). Pour chaque valeur de k un spectre distinct se forme. Prenons un exemple. Supposons que le réseau comporte 100 traits au millimètre et que nous étudions le parcours d’un rayon de longueur d’onde 0,65 micron, soit 0,65.10-3 mm. Pour k=0, il est évident que b vaut 0 quelle que soit la longueur considérée. Cela signifie que nous observerons au travers du réseau une image directe, non déviée et polychromatique de l’objet. Pour k=1, l’angle b est donné par :
Pour k=-1, nous trouvons un angle de déviation de –3,7°. Ceci signifie que de part et d’autre de l’angle déviation nul (ordre 0), on trouve deux spectres identiques. Il est facile de vérifier que pour des valeurs supérieures de k il se forme d’autres spectres plus éloignés géométriquement de l’ordre 0 et symétriques par rapport à celui-ci. Une conséquence importante de la présence des ordres spectraux supérieurs est que le flux lumineux se répartie dans de nombreux spectres alors qu'un seul nous serait utile. Cette perte de lumière est un véritable gachie, inhérent aux réseaux à diffraction. Un prisme ne présenterait pas cet inconvénient, mais en contre-partie, le fait de l'installé dans le faisceau convergent produits des aberrations optiques qui le font rejeter immanquablement de ce type de montage. Fort heureusement, il est possible d'accroître l'efficacité des réseaux en faisant en sorte de concentrer un maximum de flux dans un spectre donné, c'est-à-dire dans un ordre de diffraction distinct. On appelle cela le blaze du réseau. En donnant une forme spéciale aux sillons du réseau on peut même concentrer le flux autour d'une certaine longueur d'onde dans un ordre donné. Ainsi, on dira par exemple d'un réseau qu'il est blazé pour la longueur d'onde de 5000A dans l'ordre 1. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas de flux optique à 4000 ou 6000A dans l'ordre 1, mais il y en aura peu :moins qu'à 5000A.
Figure 2. La diffraction d'un faisceau laser HeNe lorsque celui-ci traverse un réseau. On apperçoit sur l'écran autant d'images monochromatiques du faisceau qu'il y a d'ordre. Une des images est bien plus intense que ces voisines : elle correspond à la direction de l'angle de blaze.

Il est bon cependant qu'il reste un peu de lumière dans l'ordre 0 (en pratique il y en à toujours) car l'image directe des objets réalisée dans cet ordre permet de repérer aisément dans le champ l'objet dont on étudie le spectre et constitue aussi une aide très précieuse pour calibrer en longueur d'onde les spectres.

Figure 3. De part et d’autre de l’image d’ordre zéro de l’étoile Vega (saturée sur ce document, d’où la traînée de blooming verticale), se forme les spectres d’ordre 1 et  –1. Plus loin encore on trouve les ordres supérieurs, mais ils sont trop faibles pour donner un signal visible dans cette reproduction d’image CCD. Les ordres induisent un problème du fait de leur recouvrement. Par exemple, la longueur d’onde 8000 A dans l’ordre 1 se superpose à la longueur d’onde 4000 A dans l’ordre 2. Sans précautions particulières, il faut considérer que le spectre à l’ordre 1 est inexploitable au-delà de 8000 A à cause de ce phénomène avec les CCD. Observation réalisée avec un réseau Cokin N°40 + caméra Audine équipée d’un KAF-0400.