Feu d'artifice dans le Sagittaire (CROA)

[Benj Poup 0]

Jour de fête sur les hauteurs de Try. Alors que le vent porte la musique des bals populaires à travers la campagne et que les artificiers s'affairent à régler les derniers détails pour le lancement de leurs bombes colorées, je me prépare - artificier à ma manière - à une très belle soirée étoilée au milieu du Scorpion, d'Ophiuchus et du Sagittaire

Il est 22h30, et alors que j'installe mon matériel, les dernières lueurs du soleil donnent des couleurs fauves aux nuages qui finissent de s'effilocher sur un ciel encore sans étoiles. Au nord-ouest, un croissant de Lune, aiguisé comme une serpe, s'enfonce dans les brumes de l'horizon. La planète Mercure n'est probablement pas très loin, mais j'ai beau balayer l'horizon aux jumelles, rien n'y fait, elle reste invisible : je n'ai peut-être pas cherché au bon endroit, ou bien Mercure n'était peut-être pas assez brillante.

La Lune s'efface à son tour, et à cet instant, seule Vénus domine le ciel crépusculaire. Mais Arcturus la rattrape, et rapidement, les étoiles les plus brillantes du ciel la rejoignent : Véga, Deneb, puis Altaïr. Saturne et Mars tentent également une timide apparition. Il fait encore chaud - 20°C - et en dépit du vent, je commence cette soirée estivale en tee-shirt

Le T250 est rapidement en place; j'attends maintenant le réveil du Scorpion, à travers lequel je me me suis établi un petit tour apéritif.

Crépuscule dans le Scorpion

Ma première cible est Nu Sco, une étoile double. Une double-double, pour être précis. Difficile ... Le couple CD (2.4" de séparation) est tout juste dédoublé à 120x. AB, en revanche, m'échappe. Avec une séparation de 1.2", il aurait sans doute fallu un grossissement plus fort, un vent plus faible, et un tube en température. Une double sérieuse, à retenter l'année prochaine.

Je remonte ensuite vers Rho Ophiuchus : il s'agit d'un joli trio en accent circonflexe. L'étoile la plus brillante, située à la pointe, est une double brillante, séparée à 120x. Les deux composantes, très serrées, sont de luminosité comparable. Un très bel objet !

En redescendant, je m'arrête sur M 4. Ce grand et pâle amas globulaire n'est pas à la fête : bas sur l'horizon, il se perd dans un ciel qui tarde à noircir. Je ne parviens à résoudre qu'une dizaine d'étoiles dans la tache pâle. Elles semblent dessiner deux chaines qui encadrent le cœur de l'amas.

La comparaison avec M 80 est intéressante : cet amas globulaire est beaucoup plus petit et plus compact, avec un cœur fortement condensé. Toutefois, le ciel encore clair m'empêche de résoudre l'amas.

Ce début de feu d'artifice ne rivalise pas d'éclat avec le feu d'artifice - le vrai - qui vient de débuter à Dormans, 2 km plus à l'ouest. La lumière des fleurs colorées qui illumine l'horizon me fascine en même temps qu'elle m'éblouit; j'en profite pour marquer une pause pyrotechnique et photographique.

Après le bouquet final, je retrouve le ciel, qui s'est sensiblement assombri.

Je monte alors en intensité : M 12 est superbe ! L'amas est grand, riche, détaillé. Il occupe le quart du champ du 10mm. 5 étoiles dominent, mais en réalité, des dizaines et des dizaines d'étoiles sont visibles en vision directe. Le noyau est dense, la périphérie irrégulière, avec, par endroits, quelques assombrissements.

Avec M 10, je monte encore d'un cran. Plus grand, plus homogène que M12, il est résolu en dizaines d'étoiles. Un grand S formé d'étoiles plus brillantes traverse l'amas. Féérique !

NGC 6426 est en revanche beaucoup plus faible - le plus faible des objets effectivement repérés ce soir. Cet amas globulaire apparaît comme une tache floue sans condensation, sans noyau compact. J'en établirais une description plus fidèle en le qualifiant de simple aspérité, d'épaisseur grisâtre sur le fond de ciel.

J'avais noté, dans ma liste d'objets à observer, l'étoile double 70 Oph; mais sans plus de précision, et sans la moindre information. Elle s'affirme pourtant comme la plus belle double de ma soirée ! Les deux composantes sont brillantes, et tout juste séparées au 21mm. Cette proximité renforce la différence de couleur entre les deux étoiles : la plus brillante apparaît blanc-jaune, alors que sa compagne est orange. Un couple de toute beauté !

M 6 me ramène vers l'horizon et me rapproche lentement du Sagittaire. Bien que bas, l'amas est joli, et occupe le tiers du champ du 21mm. Quelques étoiles se distinguent - notamment une belle étoile orangée, située sur le bord - et dessinent un forme de papillon. Je ne suis pas surpris de découvrir que les anglo-saxons l'appellent le "butterfly cluster".

De la lumière naît l'ombre

NGC 6544 et NGC 6553 me conduisent vers ma cible suivante. Vous n'en saurez pas plus ces deux amas globulaires, qui font pâle figure face à la nébuleuse de la Lagune. Avec un tel voisin, difficile de faire sa place dans le ciel d'été. La Lagune, donc ... Avec le filtre Ultrablock, les lobes de la nébuleuse présentent des contours nets, séparés par des canaux plus sombres. La partie la plus large de la nébuleuse apparaît renflée, avec une pointe plus lumineuse en son centre. Sur l'autre rive du canal sombre, un lobe allongé, dominé par une poignée d'étoiles brillantes. A mesure que le regard se pose, les contours deviennent plus précis. Des points de lumière, des détails et des nuances apparaissent dans des taches qui n'étaient jusque-là que des formes ovales.

La Trifide, un peu plus haut, conduit au même constat : la nébuleuse, qui se résumait à une tache floue lors de mes précédentes observations (dans des instruments, il est vrai, plus modestes) est marquée par 3 bandes sombres visibles en décalé, et qui convergent vers l'étoile brillant au centre. A côté, l'autre nébulosité apparaît comme une simple tache floue.

M 24, un de mes objets préférés dans ma lunette de 80mm, offre ici un spectacle époustouflant ! Immense, il ne rentre évidemment pas dans le champ de l'oculaire de 21mm. Mais cette nuée d'étoiles révèle quantités de détails jusqu'alors invisibles : des condensations d'étoiles assez denses, et, à l'inverse, des nébuleuses obscures qui éteignent les étoiles situées derrière. C'est ainsi que je m'offre mes deux premiers objets de Barnard (92 et 93).

M 17, la nébuleuse Oméga, confirme l'impression laissée par la Lagune, la Trifide ou M 24. Au 10mm, avec le filtre Ultrablock, des stries sombres apparaissent et révèlent les détails de la nébuleuse. Celle-ci semble entourée d'un large halo qui domine le fond de ciel.

La conclusion de ce festival nébulaire me surprend encore. Un télescope de plus grand diamètre ne permet donc pas seulement de capter plus de lumière. Il révèle également l'obscurité cachée entre les étoiles. Une vraie révélation !

Bouquet final

Après ce festival d'ombres et de lumières, je tourne le dobson vers M 22, un autre monument du Sagittaire. Il me semble pourtant étonnamment fadasse ... avant que je ne réalise que l'Ultrablock est encore présent. Débarrassé du filtre, l'amas apparaît compact et riche; les étoiles sont résolues jusqu'au cœur. A 120x, l'amas est superbe ! Résolu en direct sur toute sa surface, il occupe tout le champ de l'oculaire. En partant du bord et en évoluant vers le centre, la montée de la luminosité est très douce.

Après M 22, un petit tour par M 28 s'impose. Plus petit, sa vision évoque celle de M 80 : un noyau très marqué, résolu en décalé.

L'heure avance, et je cherche à conclure ma soirée en beauté. Jupiter et M 31, compte-tenu de leur faible hauteur sur l'horizon, sont décevants au possible; l'image est empâtée, pour ne pas dire bouillasseuse.

C'est donc avec les dentelles du Cygne que je conclus ma soirée. Les deux éléments principaux des dentelles son visibles sans filtre. L'Ultrablock permet de faire ressortir le triangle de Pickering. Il révèle surtout toute la richesse de ces lambeaux d'étoiles. La vision n'a jamais été aussi proche de la photographie. Une conclusion merveilleuse, à la fois fine et précise, à l'image de cette magnifique soirée d'été.

Benjamin

Si vous m'avez lu jusqu'au bout et que vous n'en avez pas assez, le récit COMPLET de cette soirée est lisible ici

[Ce message a été modifié par Benj Poup (Édité le 28-07-2010).]

[aries51 0]

Magnifique CROA, trés bien écrit, et qui donne envie d'emboîter tes pas sur cette portion de la voûte céleste. Bravo et merci !
aries51

[penn 20 253]

Je suis d'accord : c'est un superbe croa Benjamin ! Merci pour cet agréable instant de lecture !
Pour Rho Ophiiuchus, te souviens-tu de la couleur des trois composantes ??

[Benj Poup 0]

Pour la couleur, je te dirais que je n'ai rien noté de particulier.

Je pencherais pour du blanc-bleuté, mais ma mémoire se laisse peut-être influencer par le souvenir de quelques photos ... et des couleurs de la nébuleuse qui entoure les 3 étoiles.

La prochaine fois, je regarde plus attentivement.

Benjamin