Les moteurs aérobies

par Charles McClinton

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Depuis des années, les ingénieurs rêvent de construire un avion qui atteindrait des vitesses hypersoniques, supérieures à Mach 5 (cinq fois la vitesse du son). Propulsé par un réacteur qui consommerait l'oxygène de l'air, un avion hypersonique pourrait même se mettre en orbite. Les progrès de l'aéronautique et les besoins de l'aérospatiale ont récemment conduit les ingénieurs à étudier de tels systèmes.

Les moteurs «aérobies» présentent plusieurs avantages par rapport aux fusées : utilisant l'oxygène de l'atmosphère, ils ne consomment pas de comburant, ce qui les allège et réduit le coût de leur fonctionnement. En outre, les véhicules à moteurs aérobies exploitent plus les forces de portance que la poussée, de sorte qu'ils sont plus maniables et plus sûrs : en cas de panne de moteur, le véhicule revient vers la Terre en vol plané. Les missions sont également plus flexibles.

Toutefois, les moteurs aérobies sont moins perfectionnés que les fusées étudiées depuis 40 ans. Certes, les ingénieurs maîtrisent bien les turboréacteurs, qui fonctionnent par compression de l'air atmosphérique et par combinaison de ce dernier avec un carburant, suivi de la combustion du mélange et de la détente des produits de combustion. Cependant, les turboréacteurs actuels ne propulsent les avions qu'à des vitesses inférieures à Mach 4 ; au-delà, la turbine et les pales qui compriment l'air sont endommagées par la surchauffe.

Heureusement, à ces vitesses supersoniques, la turbine devient superflue si le moteur est équipé d'une prise d'air qui comprime et ralentit l'air en mouvement. Ces statoréacteurs ne pouvant fonctionner qu'à grandes vitesses, on les a associés à des turboréacteurs, comme sur l'avion expérimental français Griffon II, qui a atteint la vitesse de 2 330 kilomètres par heure lors d'un vol en 1959. Des statoréacteurs ont également été associés à des fusées dans des missiles.

Faible
Transfert de chaleur
Élevé
DES MODÈLES NUMÉRIQUES d'un statoréacteur à combustion supersonique révèlent les zones où le transfert de chaleur est maximum (en rouge). L'air qui circule sous le véhicule à vitesse supersonique diminue l'échauffement.

A des vitesses supérieures à Mach 6, la chambre de combustion atteint une température telle que les produits de combustion (l'eau) se décomposent. Pour atteindre des vitesses supérieures, les statoréacteurs à combustion supersonique doivent réduire la pression de l'air à l'entrée ; l'écoulement de l'air dans le réacteur restant supersonique, sa température n'augmente pas autant que dans les statoréacteurs classiques. Le carburant est injecté dans l'air supersonique auquel il se mélange et où il doit brûler en une milliseconde. La vitesse maximale des statoréacteurs à combustion supersonique (nommés scramjet) reste à déterminer, mais elle semble être supérieure à la vitesse de satellisation (Mach 20 à 25). Toutefois, à ces vitesses considérables, les avantages des statoréacteurs à combustion supersonique par rapport aux fusées sont minimes, voire discutables, en raison des fortes contraintes structurales que leur conception engendre.

Des moteurs aérobies hypersoniques fonctionnent avec des carburants variés, tels l'hydrogène et les hydrocarbures. L'hydrogène liquide qu'utilise la navette spatiale américaine ou le lanceur européen Ariane 5 est avantageux, car il refroidit le moteur et le véhicule avant le lancement. Les hydrocarbures, moins efficaces, limitent la vitesse à environ Mach 8.

Dans un véhicule propulsé par un statoréacteur à combustion supersonique, la distinction entre moteur et véhicule est floue : l'air est principalement dévié – et comprimé – par la partie inférieure du véhicule. En général, cette déviation crée une discontinuité de la pression, nommée onde de choc, qui apparaît près du nez de l'aéronef et se propage dans l'atmosphère. La majeure partie de l'air comprimé entre le bas du véhicule et l'onde de choc est dirigée vers le moteur. L'air s'échauffe quand il est ralenti et quand le carburant se consume dans la chambre de combustion. Le produit de la réaction se détend dans une tuyère interne et externe, ce qui engendre la poussée. Les pressions élevées sur la partie inférieure du véhicule créent également une portance.


LES STATORÉACTEURS À COMBUSTION SUPERSONIQUE (ci-dessus) capteront de grandes quantités d'air, au-dessous de l'avion, pour faire brûler un carburant tel que l'hydrogène liquide. Des statoréacteurs à double mode de fonctionnement pourraient être associés à des fusées (graphique) dans un véhicule qui «volerait» vers l'espace.

Pour élargir le domaine de fonctionnement des statoréacteurs à combustion supersonique, les ingénieurs ont conçu des véhicules mixtes, qui volent soit en mode statoréacteur simple, soit en mode combustion supersonique.

Comme les statoréacteurs classiques ou à combustion supersonique ne fonctionnent efficacement que s'ils se déplacent à plus de Mach 2 ou 3, une propulsion additionnelle (turboréacteur ou fusée) est nécessaire à faible vitesse. Les «moteurs fusées à cycles combinés», qui seraient utilisables pour un véhicule spatial, sont fondés sur une architecture combinée : une fusée intégrée dans la chambre de combustion du statoréacteur crée la poussée du décollage jusqu'aux vitesses subsoniques, puis des statoréacteurs accélèrent jusqu'à la vitesse du son ; le fonctionnement en mode statoréacteur passe en propulsion à combustion supersonique jusqu'à au moins Mach 10 ou 12, puis la fusée reprend le relais pour augmenter la poussée. Au-delà de Mach 18, c'est la fusée seule qui propulse le véhicule en orbite et le manœuvre dans l'espace.

Beaucoup reste à faire avant que les statoréacteurs à combustion supersonique soient au point. Grâce à des méthodes numériques élaborées, on a établi les plans d'un véhicule de lancement avec un statoréacteur à combustion supersonique intégré dans sa structure. Les ingénieurs doivent encore trouver des matériaux légers et résistant à la chaleur pour revêtir les systèmes qui assureront un mélange de carburant et une combustion rapides et efficaces.

Dans les années 1970, le Centre de recherche Langley de la NASA a démontré la faisabilité des statoréacteurs à combustion supersonique sur des modèles de véhicules hypersoniques en soufflerie. Puis des équipes anglaises et françaises, notamment, ont testé ces systèmes au sol. Aujourd'hui, les ingénieurs testent, au sol toujours, des prototypes dans des conditions qui reproduisent celles qu'un avion rencontrerait à Mach 15. Au cours d'essais en vol, les Russes ont fait fonctionner de statoréacteurs en double mode jusqu'à une vitesse de Mach 6,4.

Charles McClinton est directeur technique du programme Hyper-X au Centre de recherche Langley de la NASA.

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N° 258 avril 1999
© Pour la Science (1999)