Les voiles photoniques

par Henry Harris

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Depuis que les astronomes ont découvert que notre Galaxie contient de nombreuses planètes, les rêves des auteurs de science-fiction semblent plus réalistes. L'étude de ces planètes lointaines pourrait nous en apprendre davantage sur notre place dans l'Univers. Cette perspective conduit les ingénieurs à tourner leur regard vers les étoiles.

L'exploration de ces mondes n'est pas pour demain : avec les moyens techniques actuels, il faudrait des dizaines de milliers d'années pour atteindre les étoiles les plus proches. En 1998, j'ai coordonné pour la NASA une étude des systèmes de propulsion qui permettraient à un véhicule d'exploration de faire l'aller-retour vers une autre étoile en 40 ans, soit la durée d'une carrière pour un scientifique. Trois systèmes semblent envisageables : la fusion (voir l'encadré 6), l'antimatière et la pression de radiation. Aujourd'hui, seul le dernier phénomène est suffisamment bien connu pour qu'on puisse en tester les potentialités.

L'attrait de la pression de radiation est évident : lorsque vous prenez votre voiture pour un long trajet, vous être tributaire de la présence de stations-service pour le ravitaillement en carburant et de mécaniciens qui la maintiennent en état. En revanche, les véhicules spatiaux actuels doivent emporter tout le carburant dont ils auront besoin et fonctionner sans intervention humaine. Ne pourrait-on pas laisser le moteur et le carburant sur la Terre? On pourrait alors procéder à des réparations au cours des vols et alléger le véhicule, de sorte qu'il serait accéléré plus facilement.

Dès les années 1980, les ingénieurs en aéronautique ont proposé de pousser des vaisseaux pour les vols de longue durée avec un puissant faisceau laser projeté sur une grande «voile». Les lasers transportent de l'énergie à de très grandes distances, et une surface importante de voile permet à cette dernière de recevoir une quantité d'énergie considérable. D'autres rayonnements sont envisageables : les micro-ondes sont évoqués par Leik Myrabo (voir l'encadré 3), mais on pourrait aussi utiliser des particules chargées qui, atteignant le vaisseau, traverseraient une boucle magnétique supraconductrice, créant ainsi une force électromagnétique qui produirait une poussée. À ce jour, la lumière laser semble être encore la plus efficace.

Lorsqu'un photon émis par un laser atteint la voile, deux phénomènes peuvent se produire. Soit il entre en collision élastique avec le champ électromagnétique qui entoure les atomes de la voile, et il est alors réfléchi ; soit il est absorbé par le matériau de la voile, ce qui échauffe légèrement la voile. Dans les deux cas, la voile est accélérée, mais l'accélération qui résulte de la réflexion est deux fois supérieure à celle qui résulte de l'absorption.

L'accélération due à un laser est proportionnelle à la force qu'il transmet à la voile et inversement proportionnelle à la masse du véhicule spatial. Comme pour d'autres méthodes de propulsion, les performances des voiles photoniques sont limitées par les propriétés thermiques et par la résistance des matériaux, ainsi que par notre capacité à concevoir des structures légères. Les voiles proposées seraient un mince film métallique poli, tendu sur une structure de soutien qui conférerait une résistance structurale à l'ensemble.

La puissance transmise est limitée par l'échauffement de la voile : lorsque sa température augmente, la surface métallique devient moins réfléchissante. Pour refroidir la voile et augmenter ainsi l'accélération, on recouvrirait la face non réfléchissante de matériaux qui dissiperaient efficacement la chaleur.

Pour atteindre des vitesses très élevées, un véhicule spatial devrait accélérer longtemps. La vitesse finale qu'une voile photonique peut atteindre est déterminée par la durée pendant laquelle un laser au sol peut l'éclairer efficacement. La lumière laser est cohérente : l'énergie transmise est constante quelle que soit la distance, dans la limite d'une distance critique nommée distance de diffraction. Au-delà, la puissance transmise devient rapidement négligeable.

La distance de diffraction d'un laser, et donc la vitesse maximale du véhicule qu'il propulse, dépend de l'ouverture du laser. Des lasers très puissants consisteraient probablement en une batterie de plusieurs centaines de petits lasers. L'ouverture équivalente est alors à peu près égale au diamètre de la totalité de la batterie de lasers. La puissance maximale est transmise lorsque les lasers forment un ensemble le plus serré possible. Nous avons conçu un arrangement en mosaïque d'une densité voisine de 100 pour cent.

Au Laboratoire de propulsion spatiale de Pasadena, nous avons étudié les compromis techniques pour le coût des missions entre la puissance de lasers individuels et la taille d'une batterie de lasers. L'ouverture requise pour une mission interstellaire est énorme. Pour envoyer une sonde en 40 ans vers l'étoile proche Alpha du Centaure, la batterie de lasers devrait avoir un diamètre de 1 000 kilomètres. Heureusement, les missions dans le Système solaire requièrent des ouvertures moindres : l'envoi d'une charge utile de dix kilogrammes vers Mars en dix jours nécessite une ouverture de 15 mètres avec un laser de 46 gigawatts qui éclairerait une voile de 50 mètres de diamètre recouverte d'or. Avec ce mécanisme, on pourrait envoyer une sonde jusqu'à la frontière entre le vent solaire et le milieu interstellaire, aux confins du Système solaire, en trois ou quatre ans.

Un véhicule spatial à voile photonique suivrait automatiquement un faisceau, de sorte qu'on pourrait le diriger de la Terre. On peut même construire une voile avec un anneau externe réfléchissant qui se détacherait une fois la destination atteinte. L'anneau continuerait sa route, réfléchissant la lumière laser vers la partie centrale, séparée de la voile, la propulsant ainsi sur le trajet de retour vers la Terre.

UN VÉHICULE SPATIAL À VOILE PHOTONIQUE (en haut), poussé de la Terre par un laser, pourrait un jour transporter des sondes vers des destinations lointaines du Système solaire, voire vers d'autres étoiles. L'accélération serait due à la pression de radiation. De telles voiles seraient liées à des charges utiles légères (ci-dessus).

Une grande partie du travail sur les voiles photoniques a déjà été réalisée. Le ministère américain de la Défense a mis au point des lasers de haute puissance et des systèmes de pointage de précision dans le cadre de sa recherche sur les missiles balistiques et sur les armements antisatellites. Des satellites qui réfléchissent la lumière solaire ont déjà été testés. Les Russes ont fait voler un réflecteur solaire tournant, en polymère, de 20 mètres de diamètre, Znamya 2, dans le cadre d'un projet d'éclairage hivernal d'appoint des villes du Nord de la Russie.

Aux États-Unis, l'Agence américaine pour l'océan et l'atmosphère prévoit de lancer dans les quatre ans à venir un véhicule spatial propulsé par une voile solaire. L'engin tournerait sur une orbite instable entre la Terre et le Soleil, d'où il détecterait les particules émanant de tempêtes solaires, une heure avant qu'elles n'atteignent la Terre.

La NASA évalue des projets de voiles photoniques comme d'éventuelles solutions de remplacement à faible coût des fusées classiques. Les missions envisagées vont de la démonstration d'une voile de 100 mètres de diamètre en orbite terrestre à un voyage à travers l'onde de choc, aux confins du Système solaire.

Pour le moment, on teste les propriétés de matériaux susceptibles de constituer des voiles à laser pour des missions vers Mars, la ceinture de Kuiper et le milieu interstellaire. Au Nouveau-Mexique, un laser chimique militaire, d'une puissance de l'ordre de un mégawatt, testera les accélérations résultantes sur des voiles déployées à partir de véhicules spatiaux. D'ici à cinq ans, des lasers délivrant une puissance de un mégawatt pourraient propulser des voiles photoniques d'une orbite à une autre. De tels lasers assureraient la propulsion de missions scientifiques vers la Lune au cours de la prochaine décennie.

Si les voiles photoniques font naviguer dans le Système solaire, on envisagera ensuite leur utilisation pour des voyages vers des étoiles lointaines.

Henry Harris étudie l'exploration interstellaire au Laboratoire de propulsion spatiale de Pasadena (Californie).

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N° 258 avril 1999
© Pour la Science (1999)