Vesper

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Messages posté(e)s par Vesper


  1. Salut,

    Merci pour ton commentaire tout aussi fort, élogieux et encourageant, qui en vaut bien 10.
    J'essaye non seulement de partager des observations, mais aussi de transmettre l'émotion, "l'émotion du direct", le vécu.

    Pour ce qui est des instruments, j'ai désormais pris le parti d'acheter du ciel plutôt que du matériel.

    ...Bon voyage dans l'hiver austral et ses nuits au long cours !


  2. [CROA] Reflets du ciel austral - Episode I : cristal silencieux
    Récit d’un voyage astronomique au Chili, du 3 au 19 avril 2013

    Il y avait eu ce premier voyage en 2011(1). Les premiers émois. Puis l’émerveillement. L’été austral, flamboyant et fort, presque violent. Enfin le voeu de revenir, d’approfondir, pour confirmer les chemins et sentiers, là-haut. Retrouver des émotions enfuies, noyées dans la grisaille éternelle et les dômes oranges quasi radioactifs.
    J’ai répondu à l’appel du lointain. Il était là, ou plutôt là-bas, le lointain. J’aime cette sensation d’être suspendu à son appel nostalgique. Nostalgia, ou “mal du retour”, maladie de l’âme...
    L’air de cristal dont on fait les étoiles me manquait. La poussière des Andes m’appelait. Et puis j’avais soif, de Pisco et de Carmener. Dans le fond, c’est une histoire simple.

    Il y eut les retrouvailles à Roissy avec Xavier, qui arborait déjà une veste d’alpiniste tout juste acquise. Allions-nous affronter les plus hautes cimes des Andes ? Irions-nous tutoyer les condors qu’on voit là-bas s’ébattre librement en altitude ? S’agirait-il d’aller visiter le site du futur E-ELT, là-haut dans l’Atacama ? Enfin l’antivol, dont la veste était encore munie, allait-il se déclencher aux contrôles de sécurité répétitifs ?
    D’emblée les premiers points semblaient réglés : non, nous n’irions pas réveiller les dieux qui sommeillent dans les volcans andins mais simplement affronter les rigueurs nocturnes de l’automne austral. A 1500m, au milieu de la nuit, quand le Sagittaire entame vaillamment l’ascension du zénith, l’astronome amateur, lui, grelotte et résiste à l’impérieuse nécessité du sommeil... mais j’anticipe. Quant à la dernière question, elle restait en suspens.

    Je fis connaissance de Jean-Luc, dont j’apprendrai la redoutable efficacité dans le maniement des cartes. Pour l’heure, il tentait plutôt de résoudre d’interminables casse-têtes ferroviaires, pour ne pas dire de trains qui se croisent, entre Bordeaux et Roissy. Le retour s’annonçait un brin longuet, pour ne pas détonner avec l’aller qui, en ce qui me concerne et depuis Strasbourg, flirte avec les 35 heures. Non pas par semaine, mais sur 2 jours. Le truc se mérite.

    Je fis connaissance de Jean-Christophe, enthousiaste et presque infatigable observateur. Presque, car n’appréciant guère les pointages en-dessous de 10° (pas de conclusion hâtive). Lui-aussi tentait de résoudre un casse-tête, celui d’un Dobson de voyage. Il était mortifié à l’idée de se résoudre à voyager finalement léger. Le dit futur Dobson était ou trop gros, ou trop lourd, ou les deux. Enfin, quelque chose de rédhibitoire. Un coup à se retrouver à voyager les mains dans les poches.

    Quant à moi, je voyageais léger et les mains dans les poches. Deux Naglers, une paire de 15x70, un trépied et un appareil photo... Le coup des semelles de vent, quoi.

    Et le vent fut trouvé. Celui de la longue, très longue descente vers le grand Sud-Ouest. Là-bas au bord du monde. Brel avait oublié ceux qui sont en l’air, en plus de ceux qui sont en mer.
    L’avion n’étant pas complet, nous avons pu nous replacer à notre guise dans cette boîte de Schrödinger volante. Je me suis ainsi retrouvé seul locataire d’une rangée de 3 sièges. Sur laquelle j’ai pu m’allonger, l’équipage, sympathique et tolérant, ayant décidé de fermer les yeux (ainsi que la majorité des passagers). J’étais seulement bercé par quelques turbulences inévitables et les chuchotements de Jean-Christophe, qui murmuraient une histoire faite de contre-plaqué toujours trop lourd et de cotes toujours trop grandes... C’est avec un plaisir teinté de compassion sincère que j’écoutais sa mélopée.
    En ce qui me concerne, je crois que j’ai raconté n’importe quoi : j’étais déjà dans le coma du voyage. Cet état où tout devient relatif, quand on ne sait plus ni très bien qui, ni très bien quoi, ni pourquoi on erre entre ciel et terre.

    Ah retrouver l’aéroport de Santiago, ses douaniers qui n’aiment pas les grains, graines, et autres barres énergétiques aux fruits, il faut le savoir. D’autres en ont fait les frais, pas nous, pas même Xavier qui aura pour une fois échappé au grand déballage de son Strock 250. Car oui, son Dobson à lui sait voler. Il est familier des cieux du grand Sud et tentera patiemment de me donner à voir quelques indiscernables nébuleuses obscures sur fond de velours noir, dont les trois derniers photons échappés peineront à exciter ma rétine (mais pas ma curiosité, intacte), je l’avoue. Mais j’anticipe. Quant à la veste dont le nom évoque les cimes du nord, elle n’aura pas plus fait tintinnabuler les portillons nordistes que sudistes.

    Pour l’heure, retrouver la chaude ambiance Sud-Américaine. Reprendre l’autocar plein nord, mais oui, direction les 30° de latitude sud de la Canelilla, l’Hacienda des étoiles. Six heures de route mais c’est un beau pays pelé et désertique à souhait, comme il se doit. On y élève des cactus, du Pisco, des arras, quelques condors. Et des flambées de soleils exotiques.

    Mais d’abord nous retrouvons Raymond, le propriétaire des lieux, venu nous chercher au terminal routier pour encore 3 heures de route. Puis de piste. Ah la piste qui mène à l’Hacienda. Et son petit pont de bois qui ne tient plus guère. J’accuse un peu de fatigue, je suis parti depuis plus de 30 heures, mon estomac se noue sur la piste, qui s’étend, se détend, fait des noeuds et des cahots, revient, s’étire dans quelque chose qui trouve des prolongements dans les limbes, dans les songes, au-delà, bien au-delà de la fatigue.
    Puis l’arrivée, l’accueil chaleureux de Nadine venue au devant de nous sur la piste, avec le chien Balladin en escorte. Ce sympathique Bouvier des Flandres, quoi que loin de ses bases, s’épanouit dans les siestes au soleil et la course aux chèvres, deux activités dans lesquelles il excelle.
    Il est encore trop tôt pour la chatte Grisette, qui doit rêver qu’elle effraye le renard, une nuit de pleine lune.

    Mais la nuit sans Lune est là. En avance sur mes souvenirs : c’est que nous sommes en automne. La dernière fois, c’était l’été.

    Alpha et Beta du Centaure s’allument. Ce sont des flambeaux nets et qui ne scintillent pas. Je retrouve le dessin presque familier des constellations les plus évidentes, la Croix du Sud bien sûr, et j’évite le piège désormais benêt de la fausse croix, à l’intersection des Voiles et de la Carène. Canopus est un phare qui irradie puissamment.
    Mais tout est déjà haut dans le ciel, la fois dernière il fallait attendre, je me laisse surprendre par la saison ! A l’ouest, Orion se couche à l’horizontale tandis qu’à l’est le Scorpion se lève, faisant ainsi mentir la mythologie. Le ciel n’est plus sombre, il est de matière noire, de cette qualité de noir connue uniquement des lieux oubliés. C’est un noir d’encre sans diffusion, où les étoiles levantes apparaissent nettes au ras de l’horizon.
    Sous le poudroiement de cristal silencieux, je m’agenouille mentalement. Les nuages de Magellan sont de retour aussi, ou plutôt c’est moi qui suis de retour sous ces univers-îles cotonneux accrochés au rebord de la Voie lactée. Les yeux brillants de la tarentule me fixent à nouveau, c’est un regard inquisiteur, qui semble dire : qu’as-tu fait de tes nuits depuis la fois dernière ? Faiblement j’avoue que j’ai dormi. Invoque les nuages du nord et le dôme orange, cette cité de Diaspar(2) dont on ne sort plus une fois rentré. Mais en vain. La tarentule fixe Caïn et je suis dans mes petits souliers.
    Plus bas, le Petit nuage vient à ma rescousse. Il chante l’histoire d’une petite galaxie errante. 47 Toucan est un puits de lumière moussu dont les étoiles de périphérie, bien perçues aux 15x70, éclaboussent les bords de bulles fraîches et claires.
    A l’est, Omega du Centaure est bien plus joufflu. Il étale sans complexes ses quelques millions d’étoiles. A l’oeil nu il pourrait être confondu avec une grosse étoile diffuse, cette dernière caractéristique trahissant sa véritable nature de monstre globulaire.
    Oh reprendre contact avec ce ciel sauvage qui danse une ronde éclatante autour du pôle Sud. Le navire Argo plongera lentement dans le sud-ouest, la Poupe la première, tandis que Voiles et Carène étincellent avant de s’enfoncer à leur tour dans la montagne.
    Le Scorpion trônera finalement au zénith, sa fausse comète accrochée comme un lustre de cristal au sommet du ciel.
    Tout ceci viendra plus tard. Pour l’heure l’extrême fatigue me prend, j’ai vaincu les différentes phases hypnotiques du voyage, résisté aux assauts répétés des comas, dormi les yeux ouverts, reculé à nouveau des frontières intérieures. Sensation d’avoir brûlé ma chandelle par les deux bouts, mais d’être en vie.

    A suivre ici : http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/002103.html

    (1) http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/001657.html
    (2) “La cité et les astres”, Arthur C. Clarke

    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 24-07-2013).]

    • J'adore 1

  3. Salut Xavier,

    -> "en gratouillant quelques minutes à l'aube".
    Je vois que tes habitudes n'ont pas changé : gratouiller jusqu'à la dernière minute, capturer les derniers photons avant qu'ils ne brûlent dans l'aube...

    Une Perl 80 / 400, il en reste donc encore. C'était la Perl "Halley", je crois (?).

    Au plaisir de te retrouver sous le ciel du grand Sud,

    Pierre


  4. Bonjour,

    J'ai été au Chili, à l'Hacienda des étoiles (site remarquable, non loin du Gemini Sud...) du 26/01 au 11/02 2011.

    Coût du voyage :

    -avion A/R : 1000 € (en réservant près d'un an à l'avance. Ce coût me semble à peu près incompressible, quelle que soit la destination australe) ;
    - séjour : 950 € (15 j. tout compris : sur place on ne dépense rien, vu qu'il n'y a tout bonnement... rien à acheter) ;

    Total : 1950 €.

    Difficile de faire moins à mon avis... Un voyage qui ne coûte pas plus cher qu'un bête (avis tout personnel) séjour au bord d'une piscine.

    Quant au ciel, c'est la 4e dimension (voir éventuellement mon récit ici : "Episode I : vers l'horizon" http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/001657.html ).

    Amicalement,
    Pierre


  5. Ah, ahah, voilà que je retrouve Gordon dans une "rubrique NASA" du forum

    Mhh, en somme c'est de construction sociale de la réalité dont il est question... Se promener sur Mars en philosophant... Ou plutôt se promener ici bas en philosophant sur là-haut pour contribuer à faire advenir ce là-haut.

    Bon, je retourne à mes observations visuelles (il faut bien un observateur, non, pour que la réalité ait du sens et, finalement, existe ?)

    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 08-11-2011).]


  6. Episode IV : l’Oeil du cyclope - Envol.

    Episode précédent : “Des ponts de matière noire” http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/001715.html


    Puis il y eut la visite au Cyclope. Le cyclope vivait en haut d’une montagne. Cette montagne s’appelait Cerro Pachon.
    Il y eut un matin. Un tout petit matin, après une nuit d’observation et deux heures de sommeil sans rêve. Bien que visible depuis une des collines de l’Hacienda des Etoiles, le Gemini Sud ne s’approche qu’avec prévenance. C’est que le Géant a des pudeurs de diva. Il vit sur un autre massif ; il faut changer de vallée, reprendre les routes, sentiers et autres pistes vertigineuses. Et puis n’y vient pas qui veut, tout bonnement : l’observatoire n’est pas ouvert au public. C’est uniquement grâce aux contacts privilégiés de Raymond, notre hôte, qu’une visite exceptionnelle a pu être arrangée.
    Nous partons à l’aube. La piste en 4x4, le petit pont de bois qui ne tient plus guère, une bonne heure et demie jusqu’au premier village, El Romeral. Changement de véhicule, puis direction Ovalle où nous attendent nos laissez-passer pour le cerbère du Cyclope. Où devraient nous attendre nos laissez-passer car voilà, ils sont en possession du frère d’un cousin qui connaît le gars qui... bref, une histoire chilienne. Nous attendons, tournons, finissons par trouver le frère, enfin le cousin, le gars quoi. Sympa. Mais nous sommes en retard, et l’horaire d’arrivée au poste de contrôle du géant est impératif. Il faut être à l’heure, sinon la diva se refusera.
    Mais Raymond sait rouler vite et bien. Nous fonçons à tombeau ouvert sur la panaméricaine. Ici point de radars. Le décor est une frise de vallées, montagnes, lacs de retenue vert émeraude, qui défile en accéléré. J’ai encore, moi, l’esprit plein des étoiles de la veille, enfin de tout à l’heure :
    NGC 1566, une miniature vue du dessus, ses bras spiraux délicats ciselés dans le 406. NGC 1549 et 1553, en interaction dans la Dorade. Petites galaxies lenticulaires. Superbes, comme figées dans l’éternité. NGC 1715, j’ai noté : “nébuleuses semblent groupées”. C’était bien petit, en tout cas. Mais les images sont tellement pures, et d’une stabilité quasi-spatiale. Images surréelles.
    Pour l’heure les contreforts des Andes défilent accélérés, comme victimes d’une déformation de l’espace. Des sons me parviennent, c’est une voix, celle de Raymond : “j’espère qu’on y arrivera”. Il appuie encore sur la touche avance rapide, l’accélération s’accélère. La voix elle-même se déforme : “j’espèèèère qu’on yyy arriveraaaaa”. Images, sons distendus... L’image tressaute plus vite, fragments de piste dans la poussière du matin. J’ai peu dormi, c’est hypnotique...
    Je me souviens de NGC 3132, nébuleuse planétaire dans les Voiles. La naine blanche qui est au centre semble clignoter au Nagler 13. Au 7 également. Et je dois dire qu’au 5, elle clignote encore. J’avais dû aller dénicher un 3,5 quelque part au fond d’une boîte pour qu’enfin elle me fixe, mais pâle ; de pudeur sans doute.
    Enfin nous y sommes. Le poste de contrôle au bas du Cerro Pachon. Nous voici presque à l’heure, au rendez-vous, au lieu dit, après 4h de route l’esprit ailleurs. Vérification des laissez-passer et des passeports. Début de l’ascension. Le ciel est d’un bleu coronal. Il est comme cela 350 jours par an. Et 351 nuits, sûrement...
    Il faut encore près d’une heure, mais la piste est roulante. Poussiéreuse mais roulante. Nous devons soulever une queue de poussière de 100m de long... Notre mini van est une comète, me dis-je. Si les gars du sommet ne nous voient pas arriver... Difficile de monter incognito, en tout cas.
    Enfin voici le géant, le cyclope, la diva, que sais-je, les mots manquent. L’oeil de 8m est abrité par une gigantesque coupole, évidemment, d’un blanc pur aux reflets métalliques sous-le-soleil-coronal-dans-le-ciel-bleu-profond.
    Les Andes, tout autour, s’étendent en majesté. En face, presque à portée de main, le Cerro Tololo et ses autres coupoles. Mais la puissance des Andes domine tout. Il y a la splendeur et la force, quelque chose d’inexorable et de massif. Quelques neiges éternelles éclaboussent le fond de l’horizon. Nous sommes à 2722m. L’air est clair, comme du cristal.
    Nous frappons à la porte du Gemini Sud. En visite, presque en voisins. C’est tout simple, il suffit de sonner : dring. Je sens venir un rire nerveux, c’est l’émotion, trop d’émotions, trop vite... Mais Miguel nous ouvre avec chaleur. C’est lui, le “communication officer”, qui habituellement reçoit plutôt la presse scientifique. Aujourd’hui eh bien... c’est nous. Le privilège est grand. Merci, Raymond.
    Les bureaux, sans être vastes, sont spacieux. Nous sommes reçus dans une pièce aux tables chargées de fruits. Si, si.
    Au mur une double horloge, qui affiche l’heure de Hilo (Hawaï) en plus de l’heure locale (La Serena, Chili). C’est que les Gemini sont jumeaux, comme leur nom l’indique. Un pour chaque hémisphère. Deux yeux identiques, écartés à l’échelle de la planète.
    Nous passons rapidement les bureaux, puis abordons les installations techniques. Ici, la cuve de réaluminure du miroir primaire. Plus de 8m de diamètre, tout de même. Etrange OVNI. Là, les pompes à vide... Et enfin la coupole. Ici ce sont les dimensions qui frappent. Le cimier culmine bien haut, forcément. Et nous passons sous le géant sans presque nous en apercevoir : des boîtes de la taille de cabines téléphoniques sont accrochées à sa base. Elles contiennent les instruments, caméras ccd et autres expériences. C’est en contournant la base qu’on aperçoit le cyclope : immense, sa structure ouverte escalade le ciel. On aperçoit facilement le miroir secondaire de 1m de diamètre, tout là haut. Privilège rare, nous pouvons accéder au miroir primaire. J’apprends au passage que ce 8,1m est surnommé “Jolly Jumper”. “Lucky Luke” est l’oeil du Gemini nord.
    Miguel commande l’ouverture du rideau de protection et la surface du miroir, sa “peau”, apparaît. Défense de toucher, bien entendu. Nous nous penchons à tour de rôle et quand arrive mon tour je prends bien soin d’arrimer tout ce qui pourrait tomber : je ne veux pas être celui-qui-a-éborgné-le-cyclope d’un coup de lunettes de soleil, qui sentent la crème solaire, en plus. Le miroir, forcément énorme, paraît légèrement... poussiéreux. Effet optique, nous assure-t-on. L’ensemble dégage une impression de puissance assoupie. Ca c’est un dobson me dis-je, bien qu’il s’agisse plutôt d’un Cassegrain et non d’un Newton.
    Quelle serait la vision de cet amas ouvert dans le Grand Chien, que me montrait Xavier cette nuit encore, à l’hypothétique oculaire de ce monstre ? Comment y apparaîtrait le rémanent de supernova, dans les Voiles, sur lequel je m’extasiais grâce à Guy il y a seulement quelques heures ? La Blue snowball, cet oeil vert solitaire, qui me fixait pour l’éternité, en serait-elle magnifiée ? Et que penser de NGC 3324, la nébuleuse Gabriela Mistral ? La poétesse chilienne, née précisément ici, dans cette région de la vallée de l’Elqui, révélait hier son profil aquilin dans le flying dobson de Guy, avec un filtre à bande étroite. Serait-elle flattée par l’oeil du cyclope ?
    Mais il semble que la question ne soit pas pertinente. L’oeil humain ne saurait collecter le faisceau optique... Seules les CCD et autres robots ont ce privilège. Images perdues dans leurs rêves de machines...
    Non loin, un boîtier de raccords électriques et une inscription : “No desconectar cables sin avisar” : ne pas débrancher les fils sans prévenir. Pas idiot, pour un télescope de 90 millions de dollars...
    Dans les couloirs des affichettes : “be sure, not sorry”. “Soyez certains (sous-entendu : de ce que vous faites), pas désolés”. On les comprend.
    La visite se conclut à l’extérieur. Un grand soleil écrase les Andes. Salutations, remerciements et adieux...
    Le retour se fait suivant les mêmes modalités : en avance rapide. Encore 4 bonnes heures de route. Au total, plus de 8h pour descendre de nos collines, changer de vallée, gravir une montagne, saluer le cyclope et en revenir. Une journée privilégiée. Avant d’aborder une nouvelle nuit d’exception.
    Car faut-il le répéter ? Ici le ciel est inéluctable, inexorable. Irrévocablement présent. Massif. On y brasse des flambées de soleils. Des soleils exotiques. Des étoiles anciennes... Les planètes sont d’or, d’argent pur. De temps à autre, une aiguille de lumière raye la nuit d’un trait de diamant.
    Guy danse avec son Dobson, Xavier croque le ciel. Tout est bien.

    A la fin du séjour, je commence à trouver des chemins. J’ai ouvert quelques sentiers dans le fourmillement d’astres antiques. Mais je dois repartir de l’autre côté du ciel, au pays de peu d’étoiles.
    Que reste-t-il du Puma des Andes, alias Raymond le coquin, venu juste avant l’aube poser silencieusement la main sur l’épaule de Xavier ? Son cri de terreur doit encore résonner au fond des vallées...
    Où est Grisette, qui me raccompagnait à l’aube en bondissant de buisson en buisson dans la colline ?
    Baladin course-t-il toujours les chèvres égarées ? Est-ce que l’âne Nanou braie encore aux étoiles ?
    Que reste-t-il de mon rêve, enfin ?
    Je fais le voeu de revenir. Oui je reviendrai jouer à la marelle dans les constellations, avec le chat, le chien et l’âne du désert...

    Merci à Guy et Xavier de m’avoir fait découvrir le lieu de Paix.
    Merci à Nadine et Raymond, propriétaires de l’Hacienda, pour leur accueil, leur disponibilité constante et leur gentillesse. Sans oublier les bons petits plats. Ni le vin Chilien. Ni, bien sûr, au grand jamais, le Pisco du soir.
    Merci de m’avoir lu.

    Séjour du 26 janvier au 11 février 2011. Chili, Hacienda des Etoiles. 30° 32' 02 S, 70° 47' 47 O.

    Pierre.

    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 27-09-2011).]

    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 28-09-2011).]

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  7. *Splendide* NGC3532 !
    Et l'amas de galaxies de la Machine Pneumatique est luxuriant, exotique...
    C'est beau !

    -> "Le 4x4 monte sur la colline aux cactus (c'est Pierre qui va se connecter à Internet). Drôle d'idée à cette heure-ci, surtout sous un tel ciel qui envoûte les astronomes. Etat de manque avancé vis à vis de la cyber-technologie ?"

    ...Nâoon surtout pas d'état de manque ! Mais l'exigence de rassurer Madame, restée au pays.
    Pour ce qui est de l'heure, Raymond m'assurait qu'on ne pourrait se connecter qu'à ce moment précis, quand les chiliens dorment (et on y parvint en effet, mais après 36 échecs).
    La connexion est très "low-tech" (sous-tech, quoi !) et c'est tant mieux !

    Pierre (Grisette for ever)


  8. ... Merci à toutes et tous !

    Joël, dis-toi que la première lumière de ton 406 est déjà depuis longtemps émise et qu'elle est pratiquement arrivée à destination... (reste à assurer côté réception !)

    Salut à toi, austral Gordon !

    Bonjour Serge. J'ai vu une antenne de chaque côté (deux antennes, de part et d'autre, donc). Dans mon carnet j'ai noté : papillon ; deux fines antennes.
    C'est peut-être exceptionnel, je ne sais pas : c'était ma première (et j'espère, pas la dernière !) vision des antennes. Ce qui est certain, c'est que l'atmosphère pure et très sèche (env. 20% d'humidité) de l'Hacienda, se marie vraiment bien avec le 406...

    Merci Anne pour ton sympathique commentaire et ta fidélité de lecture malgré des délais extrêmement longs !...

    Bonjour Carmela et merci : oui, suite il y aura !

    Pierre


  9. Episode III : Des ponts de matière noire.

    Episode précédent : “Touche le Vide” http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/001689.html


    Puis nous assemblâmes le T406. C’était une belle journée d’été austral, forcément. Raymond me demanda si je pouvais l’aider. Je décidai de sauter la sieste. Tant pis pour mon cycle de sommeil. Sous l’éclatant soleil, nous nous rendîmes au sommet de la colline. Le léger vent du nord qui souffle ici toute la journée atténuait la sensation de chaleur. Ce même vent qui, le soir venu et peut-être à la faveur d’une inversion de température, a le bon goût de tomber d’un coup. Pour se ranimer à l’aube...
    Mais pour l’heure nous sommes sous le soleil. Assemblons rapidement les différents éléments du gros Dobson. Reste le miroir. Dans l’abri-observatoire, nous ouvrons sa boîte. Une seconde boîte à bijou(x), me dis-je... Le voici, belle assiette de 406mm. Formidablement lisse. Nous le saisissons en évitant soigneusement de toucher sa surface. Pas simple, et l’animal pèse son poids en zérodur ou en pyrex, que sais-je. Nous sortons le Précieux à la lumière. Et je manque m’éborgner lorsqu’il accroche le soleil. Screugneugneu, me dis-je, deux pieds nickelés promenant un miroir dans un semi-désert des Andes en plein cagnard. Il faut le faire. Si ça se trouve, en l’orientant vers un cactus, on pourrait le griller...
    Trêve de bêtises, nous le déposons vite au fond de son logement. Trop dangereux. Et envisageons maintenant de le fixer pour de bon. Mmmhh. Il y a une sangle. Elle doit faire le tour du miroir et le contraindre. Moui mais est-ce dans ce sens-ci, ou dans ce sens-là ? A moins que, comme ceci ? Ou encore, comme cela ? Voyons, nous sommes dans l’hémisphère sud. La sangle doit-elle être enroulée à l’envers ? Ah non, je retire ma question sous l’œil éberlué de Raymond. N’empêche, que de questions existentielles. Il y a bien un piton, ici, et un autre là. Doublé d’un crochet qui... Posément, nous envisageons toutes les solutions. Procédons par élimination. Par déductions. Par inductions. Finalement, après avoir discuté, débattu, supputé et mûrement réfléchi puis écarté toutes les solutions, nous n’en retenons qu’une seule. La mauvaise. Car le soir venu, il s’avère que le miroir bouge au gré des mouvements du télescope. Ca c’est de l’optique active, me dis-je, hé hé.
    ...Il faudra retendre le tout, faute de mieux. Et surtout attendre : attendre l’arrivée de Xavier. Enfin il se hâte lentement, après sa sieste vespérale (il maîtrise son cycle de sommeil lui ; l’ai-je dit ?) et se penche sur nos soucis. Mh, il doit y avoir une erreur de montage. Est-ce possible ? Je me concentre sur la pointe de mes chaussures. Bon, on va tenter une collimation quand même. Oeilleton laser en place, oh mais il est complètement à l’ouest, attends, tourne les vis ici... et là... Non dans l’autre sens... Ah voilà. Nous visons, au hasard, le gros machin brillant qui se traîne à l’ouest. Je manque m’éborgner une deuxième fois, Jupiter claque ! Elle est trop brillante, ses teintes saumon trop douces. Je la trouve belle, mais sans gloire. Sur le ciel profond par contre, le gros donnera du bon. Certes, sur les bords du champ l’image restera moyennement définie, mais les deux-tiers sont parfaitement exploitables. Il faudra le recollimater régulièrement. Xavier s’y colle et recolle avec dextérité. Pour moi il est définitivement : “El Collimator”.

    L’engin envoie de la lumière. Et de la belle lumière. Guy pointe des objets avec son 300, puis nous comparons avec le Gros. Ahh oui. Tel détail, deviné au 300, est maintenant évident au 406. Et nous discernons d’autres détails. Jeff pointe Eta Carina, avec un Ethos 13. L’hypergéante explosée montre clairement deux lobes. La nébuleuse de l’Homoncule. J’ai l’impression d’être positionné au-dessus, de trois quart : le lobe supérieur est gigantesque. L’explosion est hors de proportions, inhumaine. Le lobe inférieur, quoi que partiellement masqué, est évident. Il donne une profondeur, une perspective étonnante à l’ensemble. Ce double champignon, littéralement atomique, est hallucinant de relief.
    Plus loin, la galaxie du Sculpteur exhibe un long fuseau ponctué d’un noyau brillant. Des zones sombres permettent de deviner une amorce d’enroulement, au bout d’un bras. La galaxie de la Dorade, par contre, ne laisse aucun doute sur sa nature spirale : vue du dessus, une double hélice apparaît facilement au 406. C’est une fleur antique, enroulée sur elle-même.
    La galaxie du Sombrero est une bande sombre, épaisse, ponctuée d’étincelles. Elle irradie une qualité de noir particulier, que j’assimile, mais oui, à de la matière noire. C’est un bouillonnement de matière et d’énergie sombres.
    Les pointages s’enchaînent et je comprends l’essence du Dobson : il faut l’étreindre. Le prendre, pour le déplacer. Il y a une dimension charnelle, c’est un corps à corps. Une danse.
    Le pas suivant est plus mesuré, c’est un entrechat : M1 dévoile sans ambiguïté sa structure. De longs filaments s’étendent de part et d’autre, irréguliers, comme parcourus de frissons.
    La galaxie des Antennes, pas de deux, est un papillon. Ses antennes justement forment deux arcs, de part et d’autre. En son centre, un cœur. C’est un cœur épinglé sur du velours noir.

    Je quitte un temps la danse, le 406, pour revenir au C14. Saturne est déjà haute dans le ciel, j’aimerais y voir la fameuse tempête. Je crois la discerner vers 2H du matin. Varie les oculaires : Naglers 16, 13, 7, 5... C’est au 13mm qu’elle m’apparaît le mieux, très fine, découpée au rasoir. Sur l’un des hémisphères une large déchirure. Je hèle les autres, doucement d’abord. Puis plus fort. Nom d’une pipe, je suis dans la banlieue terrestre moi, et j’observe une géante gazeuse en rotation rapide. Je n’ai pas des heures devant moi, la planète aura tourné, et la tempête avec elle... Je veux être certain que je ne suis pas victime d’auto-suggestion, tel un Schiaparelli austral. Mais tous, les uns après les autres, observons la déchirure. Ce doit être une tempête shakespearienne ! Elle balafre tout un hémisphère. Quels navires se fracassent sur ses vents hypersoniques ? Sa couleur est équivoque. C’est un blanc, oui. Mais un blanc très légèrement nuancé de bleu. Estelle trouvera la teinte, le mot juste : c’est un blanc glacier.
    Puis je pointe Oméga du Centaure. Il occupe les deux-tiers du Panoptic 41, et emplit le Nagler 16. Il est bien sûr complètement résolu : c’est un bouillonnement d’étoiles. Une flambée de soleils. Par un effet optique, l’oeil le fait s’animer, bouillonner. C’est une seule matière, une matière d’étoiles vivante. Nous le contemplons un moment. Evoquons Nightfall, le roman de Asimov et Silverberg. L’action y est située dans un amas globulaire.
    Guy me demande de pointer doucement vers le nord. A environ 1°, je trouve NGC 5128, ou Centaurus A. La galaxie à émission se détache remarquablement bien sur le fond de ciel. Je vois parfaitement les deux lobes, reliés par un pont, un pont de matière noire. Je suis toujours surpris par cette qualité de noir. Sur le fond parfaitement noir du ciel, ici, il devrait disparaître, se diluer... Mais non, il irradie. On y voit la matière. Mais noire. Etrange sensation.

    Dehors, sur la colline, la nuit est très avancée. Des renards se répondent dans la vallée. Grisette, chat du lieu, apparaît et se déchaîne : elle veut à tout prix entrer dans la base du 406, se lover sur le miroir. Pour mieux se rendormir. A moins qu’elle souhaite que nous n’ayons d’yeux que pour elle. En réponse nous la chassons, épouvantés à la perspective des dégâts ainsi occasionnés au Précieux !
    Quelques Centaurides rayent le ciel. J’entends Xavier s’exclamer : “Oah !” et me retourne juste à temps pour voir une belle flamme s’éteindre, suivie d’une traînée persistante, large et bleutée... Elle s’effiloche en zigzags. Il pleut des météores danseurs, me dis-je.

    Je reprends mes 15x70 et observe NGC 3532. Poudroiement d’étoiles dans la Carène. Feu d’artifice austral que cet amas ouvert. Flamboiements bleu et jaune. L’ensemble brille d’un éclat fixe, surnaturel. Il est bien délimité et repose sur le fond parfaitement noir du ciel, avec une étrange sensation de profondeur. C’est hypnotique. Pris entre la veille et le sommeil, je suis aspiré dans un état hypnagogique. Je tombe la tête en haut.
    Sortant du vertige, j’aborde IC 2602. Les Pléïades du Sud. Je les trouve moins peuplées et plus clinquantes. Mais c’est un joyau. Une quinzaine d’étoiles bleues s’affirment puissamment dans le champ. Paradoxalement, ce côté plus claquant me repose les yeux. J’avais failli tomber dans NGC 3532...
    Régulièrement, des traits de diamants : les satellites rayent la voûte de verre noir. J’en vois de temps à autre passer dans le champ des jumelles.
    Un matin nous observons le lever d’une conjonction Lune - Vénus. Avec l’aube naissante, le vent du nord a repris. Il fait froid. Le vent siffle sur les contreforts des Andes. Intense sensation d’être là, ici et maintenant. Vivant.
    De la montagne surgit une lumière. “La Lune”, m’écriais-je ! Je pensais à une corne lunaire enfantée par la crête bleuie. Mais c’est Vénus qui apparaît la première. Perdu sur la colline, le vent aux oreilles, dans une lumière de début des mondes, la sensation de liberté est intense. L’air est vif. Ici le ciel est puissant.

    A suivre

    Pierre

    PS : conjonction de parution avec Xavier (pas fait exprès !), que je salue au passage !


    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 21-06-2011).]

    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 28-09-2011).]

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