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  1. Fragments de vide au bord du monde - Episode II : Touche le vide

    Episode précédent : “Vers l'horizon” http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/001657.html


    Et au milieu était une colline. Et sur cette colline, un observatoire. Voici l’endroit, voici le lieu, le théâtre des contemplations. C’est un cirque, un cirque lunaire, planté de buissons. Des genévriers ? Raymond m’en donne le nom espagnol. Je l’oublie aussitôt.
    L’observatoire lui-même est une construction en bois à toit roulant, qui abrite un C14. Le terrain alentours accueillera les autres instruments, qu’ils appartiennent à l’Hacienda ou qu’ils soient de passage. En villégiature australe.

    Il y a là-haut une heure, et c’est une belle heure. Au crépuscule, le ciel se pare de teintes exotiques. Des oranges purs, des jaunes claquants, qui s’assombrissent, virent au grenat, puis à la violine. Sombre. Le vent du nord, qui s’était essoufflé avec légèreté toute la journée, tombe. C’est un moment de grâce. Le silence se fait. Et dans l’atmosphère ultra-stable, les étoiles s’allument. Différemment : ici nul scintillement. Elles brillent fixement.

    Guy en profite pour pré-collimater son flying dobson sur la grosse Jupiter, qui se traîne à l’Ouest. On jette un coup d’oeil : c’est beau, déjà. Malgré le manque de contraste, la grosse exhibe des couleurs pâles.
    J’ai décidé de commencer aux jumelles, mais je serai bien vite déboussolé. Débordé. Car là-haut, tout s’allume. La nuit, la nuit est là. Et elle claque violemment sur la terre. J’essaye de trouver les premiers repères. On murmure dans la nuit. Il y a une révérence, une humilité, car la cathédrale est hors de proportions. Son volume est inhumain. Le mammifère sent confusément, face à ce colosse de vide et d’énergie mêlés, la vie petite, faible.

    Mais les murmures reviennent, insistants : -“Attention à la fausse croix”, me dit-on d’un air entendu...“ Je prends un air de connivence, invisible dans le noir. -“Euh oui, oui bien sûr. La, euh, fausse croix”... -“Oui mais : méfie-toi de la Fausse Croix” ! "La Fausse Croix, pense à la Fausse Croix". Je me pénètre de cette idée. Il faudra que je fasse, désormais, bien attention à la Fausse Croix. Oh oui ! On ne m’y prendra pas, à oublier la Fausse Croix, pendant le séjour ! Ca non. Mais... Eh oh, où vais-je ? Dans quel état j’erre ? Est-ce une secte ? Meuh non, me murmure-t-on avec indulgence : la fausse croix n’est qu’une constellation factice, un astérisme matérialisé par des étoiles des Voiles et de la Carène !
    C’était évident, voyons. Je ne suis qu’un bleu austral. Et d’ailleurs, je trouve bien vite la Vraie croix. Celle du sud. Ah oui, plus petite que la fausse et stupide croix. Elle est accompagnée du sac à charbon. Le bien nommé semble irradier de matière noire. C’est une densité et une profondeur de noir... une qualité de noir. Voir ce noir se détacher sur le noir du ciel, c’est sentir une qualité de vide. Je touche le vide, me dis-je avec émotion.

    Raymond est encore là, nous montons au C14. Il est massivement, puissamment ici et maintenant. Avec cet air trapu et nonchalant qu’arborent tous les Schmidt-Cassegrain. Sur son tube d’aluminium il pleut des étoiles. Le ciel de cristal goutte.
    Nous pointons Rigil Kentaurus, basse sur l’horizon. Deux composantes apparaissent, parfaitement bien résolues. Leur éclat est d’or. Il est émouvant de contempler ce système, triple en fait, dont la troisième composante est l’étoile la plus proche. Le voisinage est beau, me dis-je. Il est en or vivant. J’y passe un moment.
    Je reviens à la croix du sud, trouve la boîte à bijoux. Elle explose dans le Panoptic 41. Comme dans les récits de pirates, le coffret est rempli de gemmes. Leur eau est pure. Claire. Au centre brille un Rubis. Autour, des saphirs frais. Tous reposent sur un lit d’éclats de lumière blanche.
    J’oriente le C14 à la main. Son système de pointage est aux fraises. Ou plutôt à l’Ouest, bien entendu. Mais une fois positionné, son suivi est sans faille. C’est une main de fer, j’y mets des gants de velours... Très vite nous devenons amis.
    Je pointe dans la frénésie. Mais je reviendrai souvent, et longuement, sur tous les objets cités. Je commencerai en fait chaque nuit en reprenant d’abord les objets de la veille. Chaque début de nuit est un recomencement. A la longue, je commencerai à m’y retrouver... Mais alors il faudra repartir. C’est une autre histoire.
    Pour le moment, donc, la frénésie. Je pointe M42, qui était renversant aux 15x70 le premier soir. La deuxième nuit, elle déborde du champ. Elle sort du Panoptic 41. Les ailes vertes se déploient très largement, tourmentées de volutes, enrichies de nodules. Le vert émeraude trouve du relief dans des enroulements de marron et, oui, de rouge très sombre. Le centre est saturé de bleu. Et son coeur, d’une eau très blanche.

    A l’extérieur de l’observatoire, nous sommes sur une île entourée d’espace. Oui, cette colline entourée d'une vaste dépression : nous sommes sur le piton central d'un cratère, à la surface d'un astre dépourvu d'atmosphère. Les étoiles brillent d’un éclat fixe. La sphère des fixes, me dis-je.
    Je rejoins un fauteuil en osier, qui me tend les bras. Nous devenons instantanément amis. Décidément, je ne trouve ici que d’excellentes fréquentations. Aux jumelles, j’entame l’exploration des riches amas stellaires qui se bousculent dans la voie lactée.
    Amas ouverts, rivières de perles. J’égrène NGC 2516, dans la Carène. “The Diamond Cluster”, le bien nommé, montre une cinquantaine d’étoiles bleues et orangées, assez serrées. C’est un regroupement de gemmes colorées, qui reposent sur du velours noir.
    NGC 2547, non loin dans les Voiles, est plus discret, plus lâche aussi. Moins clinquant, il s’offre après une contemplation plus longue. Il révèle alors le charme discret d’une trentaine d’étoiles dispersées, comme une poignée de poussières égarées.
    Plus haut, NGC 2451, dans la Poupe, est une petite structure charmante. Quelques étoiles bleutées encadrent une compagne orangée. C’est discret et éloigné, on y entend chanter la nostalgie des lointains.
    Tout à côté, NGC 2477 apparaît nettement plus dense et peuplé. J’ai du mal à en dénombrer les membres. C’est une communauté, une cité unie par la gravité.
    Non loin, IC 2391, dans les Voiles, est un charmant village d’une vingtaine d’étoiles. Bien regroupées, elles sont d’aspect semblable, blanc-bleuté. Le charme d’une miniature.
    Au fil des nuits, je reviendrai sur ces amas, cultures perlières dans la Voie lactée. Je reprendrai chacun des objets avec divers instruments. J’y retournerai également aux jumelles. Je referai chaque nuit le parcours de la veille, avant d’ajouter de nouveaux joyaux.

    Dans la nuit, les murmures reprennent. Est-ce une prière ? Non, ce sont Guy et Estelle qui chuchotent aux étoiles. Xavier m’initie à la notion de cycle de sommeil. Des petits coups de fatigue ponctuent en effet la nuit. La fatigue du voyage s’ajoute au décalage horaire qui s’ajoute à un recalage sur un cycle non pas diurne, mais nocturne. Il faut trouver son rythme. De sommeil et d’éveil. Le principe m’apparaît simple : ne jamais interrompre un cycle de sommeil ; se contenter d’un cycle, par exemple, suffit à se reposer. Ah oui, il faut également déterminer la durée de son cycle personnel. Pour cela, attendre le prochain coup de barre. Mh, ce sera facile. D’ailleurs, le coup de barre arrive. Je me rends, à la frontale rouge, dans l’observatoire où m’attend un petit lit de fortune. Je m’y étends. Au plafond, des milliers d’étoiles. L’hôtel le plus étoilé au monde... La voie lactée enroule ses volutes dans une arche qui passe à mon zénith. C’est presque plus impressionnant allongé... Je me réveille une heure et demie plus tard. Ahhh cette fois ça y est, me dis-je, je le tiens enfin, mon fameux cycle de sommeil. Une heure trente, ni plus ni moins. Je croise Xavier et l’informe fièrement du score. - Hein ? Ah mais non, il faut résister au sommeil entre deux coups de pompe, me dit-il goguenard, et noter cette valeur-là ! Ré-si-ster ! ...Groumph, moui bon. Résister. C’est sûr, on doit pouvoir procéder comme ça aussi... Bon : ce sera pour la prochaine fois : au moins ai-je bien dormi !

    Je reprends le C14 et retourne sur NGC 2516. Au Panoptic 41, c’est une explosion de couleurs, de lumières. Les teintes sont pures, franches. The Diamond Cluster tient à peine dans le champ ; mais non, il déborde. Il éclabousse de lumière les bords du champ. Les bleus frais et les oranges tièdes sont bien sûr évidents, éclatants. Leur juxtaposition donne du relief, restitue la troisième dimension. Entre les étoiles, le vide lui-même semble peuplé. J’y passe un long moment, avant de sombrer à nouveau.

    En fin de nuit la chatte de l’Hacienda, Grisette, me raccompagne. Je la vois bondir de buisson en buisson, alors que je redescends la colline... Grisette, chat libre du désert...

    Demain, avec Raymond, nous assemblerons le T406.

    A suivre.

    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 09-05-2011).]


  2. Merci à tous pour vos commentaires. Je ne passe pas souvent...

    Oui 15 journées et nuits loin des pollutions électromagnétique, électronique (que j'utilise en écrivant ceci, je ne suis pas à une contradiction près), et autres, ça fait un bien fou.
    Je n'ai jamais été plus heureux que sur ce bout de terrain désolé... mais si riche d'étoiles. C'est nous, ici, qui sommes pauvres !

    Une suite viendra, mais il faut que toutes les conditions d'écriture soient réunies : bulle(s) de silence, apparition de la Muse...

    Merci encore,
    Pierre

    PS : salut Joël !

    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 18-04-2011).]


  3. Episode I : vers l'horizon.

    Mercredi 26 janvier 2011, 12h06 heure locale. Je quitte Strasbourg sous une pluie froide. Me reviennent les vers du poète :

    The woods are lovely, dark and deep,
    But I have promises to keep,
    And miles to go before I sleep,
    And miles to go before I sleep.

    Stopping by Woods on a Snowy Evening, 1923
    Robert Frost

    Au bout du voyage, le bord du monde m’attend. Le Chili. L’Hacienda des étoiles. Promesse d’un ciel de cristal.
    Le train à grande vitesse égrène les kilomètres en répétant obstinément “tougoudoum-doum”... The woods are lovely... But I have promises to keep... And miles to... before I sleep... before I sleep...
    J’arrive à Roissy à 14h30. Le vol de nuit doit décoller à 23h20. 9h d’attente. Le terminal 2E est un mélange de Tati, de vaudeville, de comédie humaine. Les valises dégringolent. Les couples se houspillent. Les japonais passent.
    Vers 20h, je fais la connaissance de Guy, Estelle, Xavier. Nous avons correspondu de temps à autre, un peu. Rêvé de ce voyage depuis près de 2 ans, beaucoup sûrement. J’apprends que nous embarquons un T406, qui restera à l’Hacienda. C’est bien, me dis-je ironiquement : on a toujours besoin de petit matériel... D’ailleurs nous sommes abondamment pourvus. Guy embarque son flying dobson de 300mm, une tv 76, et la gamme complète d’oculaires Nagler. Xavier son Strock 250, et quelques Naglers bien sentis. Estelle voyage léger, avec une paire de 10x50. Mais elle utilisera abondamment la tv 76. Moi qui me sentais un peu nerveux, tel un diamantaire d’Anvers, à trimballer mes 2 Naglers, une paire de 15x70, un reflex et quelques objectifs. J’ai finalement bien peu de verroterie.
    23h20. Le vol de nuit s’en va, comme disait la chanson. Nous planons au-dessus de l'Atlantique, en descente sur une très longue pente sud-ouest. Ni vivants ni morts, dixit Brel. Dans un état intermédiaire, comme en animation suspendue. Boîte de Schrödinger... Un monde s’éloigne. Un autre appelle.
    Quelques turbulences au-dessus de l’Atlantique sud. Des coffres à bagages s’ouvrent. Claquements impératifs. J’ouvre un oeil. Puis somnole. And miles to go... And miles to go... Je relève le volet du hublot à intervalles réguliers, ne vois rien ou si peu d’étoiles. Je tente de somnoler encore...
    Jusqu’au matin. Lumière solaire. Les Andes s’étendent à perte de vue. Les pentes sont vertigineuses. Les sommets, enneigés. Diversité des teintes, ocre, terre brûlée, marron, brun, blanc. Le ciel est d’un bleu coronal. La lumière, très blanche.

    Aéroport de Santiago, 30°. Couleurs, lumières et sons, la belle langue espagnole. J’ai ouvert une porte sur l’été ; je pénètre dans une serre tropicale. Fais connaissance avec Raymond, propriétaire de l’Hacienda, qui est exceptionnellement venu chercher ses hôtes, car porteurs il est vrai du précieux 406. Nous filons bon train sur la panaméricaine. Au bord de l’autoroute, tout un peuple de vendeurs essaye d’attirer notre attention : fruits, légumes, eau. Des fanions et autres bouts de tissu sont agités, pour nous convaincre de stopper sur la bande d’arrêt d’urgence faire quelque emplette.
    A gauche, le Pacifique développe ses rouleaux. Il est gris, aujourd’hui, me dit-on. Mais je ne sais comment il est, les autres jours... Raymond accélère encore, pied au plancher. Nous remontons vers le nord, direction Ovalle - La Serena. Tout défile, c’est une frise colorée, un dessin animé accéléré, je suis en état d’hypnose : je n’ai pas dormi depuis plus de 24h.
    Ovalle, au bord du Pacifique. Je rassure la France d’un coup de fil, ou plutôt de fils, fils emmêlés d’une boutique de télécommunications "internacional", aux cabines de bois grinçantes. Beaucoup de bricolage, beaucoup de sympathie, beaucoup de bonne humeur. Beaucoup de fils. Et de vieux modems. J’espère que vous allez bien... Que le vaya bien !

    Nous changeons de véhicule. La camionnette cède la place au 4x4. Je suis parti depuis près de 30h et me crois, bien naïvement, au bout de mes peines. Que nenni. Sur les chapeaux de roues, nous franchissons les dernières routes praticables. Virages sur lacets, en boucles infinies. Le temps lui-même se distord : il passe par des phases d’accélérations, puis de ralentissements. Les pneus crissent. Un dernier village, El Romeral. Puis la piste. Ah, la piste de l’Hacienda. Nous bondissons, tangage, roulis et lacet tout ensemble. Une bande d’astrams bondissants, voici ce que nous sommes devenus, me dis-je ! Une bonne heure plus tard, nous abordons le petit pont de bois. Celui qui ne tient plus guère. Mais Raymond le négocie, comme on négocie avec un vieil ami. Et la piste reprend, renaît, repart de plus belle. La notion de fatigue elle-même est dépassée. Trépassée. Incongrue.
    Au détour d’un virage rebondissant, l’Hacienda. Sur un vaste terrain de collines semi-désertique, une poignée de bungalows dispersés. Et au centre était une colline. Et au sommet de cette colline... Mais c’est une autre histoire.
    Nous sommes accueillis par Nadine. Prenons possession de nos bungalows. Posons enfin nos lourdes malles. Je suis parti depuis 32h. M’étale de tout mon long sur cet accessoire obscènement confortable : un matelas. La sensation de confort est inouïe, presque insupportable. Je suis rappelé à la réalité par quelques fourmis urticantes, qui seront vite chassées et ne reviendront plus.
    Il y eut un premier Pisco, il y eut un premier dîner. Je ne pensais plus. Mon âme s’était détachée de mon corps. Elle flottait là, dérivant mollement et, je dois dire, un peu stupidement, quand quelqu’un qui pensait, lui, cria : la NUIT !!
    Nous ne fîmes qu’un bond. Passage de la lumière au noir absolu, sans accoutumance. Le ciel... Le Ciel est un Dali sous hallucinogène. Je sens venir un rire nerveux. Ce n’est pas possible. La voie lactée s'étire d'un horizon à l’autre, est - ouest. Mais quelle voie lactée. Elle est extrêmement contrastée, tourmentée de volutes noires, de nébuleuses obscures qui donnent, c’est impossible, une sensation de relief, de, mais oui, de volume. Je suis dans un volume d’espace. Les nuages de Magellan sont éclatants. Je discerne aisément la Tarentule. Il me semble que ses yeux luisent.
    Proche du zénith, Orion. Le chasseur familier est dans une position étrange, tête la première. Coeur battant, je lève les yeux vers M42. Elle est brillante. Etendue. Elle brûle. Il me semble distinguer des flammèches ! Je tangue, bascule, c’est impossible. Je dois être dans l’avion encore, fantasmant un ciel de folie dans un rare micro-sommeil... Je pivote, tombe en pâmoison devant un gigantesque globulaire qui perce le ciel sans pudeur. Il me semble énorme et très brillant. Dans le noir total nous nous frôlons, je m’entends bêler stupidement : - est-ce Oméga ? Mais je réalise en le disant que le Centaure ne peut être levé. - Non, c’est 47 Toucan, répond la voix de Xavier. Je sens la démence me guetter, comment Omega du Centaure doit-il être si ce monstre qui embrase le ciel, qui me restitue presque une ombre, n’est “que” 47 Toucan ?
    Vite, dans le noir total éclairé seulement par le ciel fou, le ciel-qui-rend-fou, je me précipite vers mon bungalow, éventre mon sac de voyage à la recherche de la lampe frontale et des jumelles. Le rouge me paraît éblouissant, mais je ne crains plus d’embrasser un cactus géant. Car ici ils mesurent couramment 2 mètres et plus ! Courir follement dans le noir est pour le moins périlleux. D’ailleurs je ne suis pas le seul, le terrain est vaste mais j’entends qu’on s’agite. Devine que devant le bungalow de Guy, on met fébrilement la tv76 en batterie. J’ai un moment d’hésitation en portant mes 15x70 aux yeux. Après tant d’années de ciels approximatifs, mon échelle de qualité vient de connaître sa révolution copernicienne. Le ciel de proche campagne alsacienne que je croyais correct par grand beau temps, trois fois l’an, est subitement devenu passable. Tout juste passable. Et ce que je croyais passable est devenu médiocre. Quant à ce que je croyais médiocre mais praticable, dans mon environnement urbain...
    Alors pour m’achever, d’un geste résolu je porte les jumelles à mes yeux. Le grand nuage de Magellan déborde largement du champ. La Tarentule est comme perchée dessus. Elle ne luit pas, elle brille. Ses petits yeux sont perçants, son corps tourmenté de volutes, de nodules... Le petit nuage est à peine plus discret ; il raconte déjà l’histoire d’une petite galaxie errante...
    47 Toucan est un puits de lumière granuleux. C’est certes une sphère... Mais la perspective se renverse, c’est un puits... A moins que ce ne soit une fontaine. Une fontaine blanche. Oui les cartes, les atlas mentent. 47 Touc est en réalité une fontaine blanche, d’ailleurs je perçois distinctement les billes, les bulles de lumière mousseuse qui en éclaboussent les rives obscures...
    Ah c’en est trop, la raison déraisonne. Pour me calmer, je pense revenir sur un terrain familier. M42. La vision de la plus connue, de la plus courue des nébuleuses boréales devrait calmer mon coeur. Rien de tel qu’un terrain familier, bien balisé, me dis-je en pivotant, pour calmer la précédente bouffée délirante qui ne devait être qu’un épiphénomène dû à la fati... Le signal désespéré que mes yeux m’envoient tait d’un seul coup la voix de la Raison. Je croyais tant avoir vu et revu M42. Enfant déjà, à l’âge de 12 ans, dans le jardin familial, je... OH. C’est un gigantesque oiseau de feu qui emplit le champ. Le coeur brillant étincelle de lumière. Les ailes sont vastes, très largement déployées. Vertes, elles laissent aussi deviner de grandes extensions marron. Des fibres se déploient dans des voiles de fumée. Des volutes s’enlacent. La sensation de profondeur est évidente. Je suis encore pris de vertiges. Et ce ne sont que les premières fois. J’en parlais avec Guy qui me confiait qu’on lui demande, parfois, pour quelle raison il se rend dans l’hémisphère austral si c’est pour observer aussi des objets boréaux. J’ai la réponse, vertigineuse, sous les yeux. Ce vaste oiseau de feu qui incendie la nuit ne saurait être un parent, ni même un cousin germain, de l’oisillon étique que je visitais blasé sous nos cieux de campagne. Je réalise que les vertiges seront nombreux.
    Encore tant de nuits. J’entends qu’on s’exclame dans cette nuit. Le ciel qui rend fou est au rendez-vous. La bonne compagnie aussi. Le séjour sera exceptionnel.
    Ce jour-là, cette nuit-là, je ne sais plus, cela doit faire 40h que je n’ai pas réellement dormi, j’écris une seule phrase dans mon carnet, la première :

    “Ici le ciel est sauvage, dévorant et fou ; chaque soir il prend la terre et l’étreint dans un accès de beauté”.

    A suivre : 2e partie.


    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 05-04-2011).]

    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 05-04-2011).]

    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 06-04-2011).]

    • J'adore 1

  4. Bonsoir,

    Je reviens du Chili, où j'ai résidé à l'Hacienda des étoiles (30° 32' 02 S - 070° 47' 47 O) du 26 janvier au 11 février.
    Le ciel y était d'une limpidité extraordinaire, sans aucune contamination lumineuse. 15 nuits parfaites. Les instruments sont à disposition, parmi lesquels un C14 sous abri et, tout récemment, un Dobson 406.
    Et l'accueil de Nadine et Raymond, propriétaires du site, est extrêmement convivial et chaleureux.
    Cerise sur le gâteau : une visite du Gemini South, au sommet du Cerro Pachon (2715m).
    Voici leur site : http://astrochili.free.fr/ qui n'est plus très à jour faute de connexion internet sur place (et c'est tant mieux, ça participe du repos... .

    Amicalement,
    Pierre


    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 23-02-2011).]


  5. Bonjour...

    ...et merci, c'est vraiment un voyage au pays des rêves, des sélénites, des canaux martiens...

    Ah j'aurais aussi aimé être astronome au 19e siècle, une astronomie encore essentiellement visuelle...
    Comme l'a écrit quelqu'un nous avons à Strasbourg notre grande lunette, vénérable vieille dame de 1880, 3e de France par la taille (487mm). Entendre sa coupole tourner en ferraillant est déjà une expérience. Mais je n'ai encore pu y observer. A faire...

    Quelques images de la coupole entr'ouverte : http://refletsduciel.over-blog.com/album-1046670.html

    Amicalement,
    Pierre-Vesper


  6. Bonjour à toutes et tous,

    Je viens de voir ce petit chef-d'oeuvre où l'auteur, Patricio Guzman, établit des correspondances entre ciel et terre, étoiles et désert, quête du passé de l'univers et de la mémoire humaine...
    Ce beau film documentaire présente une histoire du Chili, en même temps qu'il donne à voir les splendides paysages de l'Atacama et quelques "time lapse" de Stéphane Guisard sur grand écran.
    A voir, donc, et rapidement car ce docu un peu confidentiel ne restera pas longtemps à l'affiche...
    http://www.telerama.fr/cinema/films/nostalgie-de-la-lumiere,410551.php

    Amicalement,
    Pierre

    [Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 31-10-2010).]