Benj Poup

[Récit] Excursion d'hiver, de Persée à Orion

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En parcourant mes archives astronomiques, je me rends compte que cette sortie est ma première véritable excursion étoilée depuis à peu près 3 mois. Je pourrais déplorer le mauvais temps – excuse facile, surtout en cette saison – mais en fait, la rareté de mes sorties tient plus à un manque de volonté qu’à un manque de ciel dégagé. Car des soirées dégagées, cet automne, il y en a eu quelques unes. Ce manque de volonté pourrait tenir en une expression bien connue : « il n’y a que le premier pas qui compte ». Vous savez, c’est le genre de premier pas qui peut se traduire ainsi : on a rien à se mettre pour affronter le froid car le gros pull est au sale, il n’y a plus de piles dans la lampe frontale, et en plus, on a pas préparé de programme d’observation. En astronomie, la bonne volonté serait donc une affaire de voiture chargée et de pull propre car une fois la portière fermée, une fois le moteur allumé, il me semble que le plus dur est fait.

Pour ma part, je crois la mauvaise volonté était alimentée par l’attente de la nouvelle motorisation du T410 de l’observatoire de Beine Nauroy. Pendant deux longs mois, en attendant le remplacement de l’antique système Quadrant par une motorisation FS2, nous avons été privé de notre gros tube. Mais depuis peu, l’engin a retrouvé ses moteurs. Et moi, ma volonté.

J’étais donc en route vers l’observatoire, avec mes gros pulls (propres), une lampe frontale aux piles usées, un magnéto aux piles franchement mortes, et, faute de programme vraiment établi, l’épais volume « automne-hiver » du Night Sky Observer’s Guide.

Arrivé au pied de l’observatoire, il fait plutôt froid : l’herbe craque sous le pied, et le thermomètre, à l’intérieur de la coupole, affiche –1°C. Je me réchauffe en me livrant à l’exercice de l’ouverture du cimier – 150 tours de manivelle, hissez la grand’voile ! – et attaque la mise en route du système de pointage. Franck Dussart, le patron de TRASSUD, qui nous avait vendu le matériel, m’avait fait une démonstration « ultra-express » du FS2 lors des dernières Rencontres du Ciel et de l’Espace, mais ça semblait relativement simple. La réalité est très différente. Ce n’est pas simple, c’est intuitif ! En moins de deux minutes, le télescope est initialisé, prêt à pointer dans toutes les directions, alors que c’est la première fois que je l’utilise. Les moteurs ronronnent agréablement – à la limite, on s’en fiche – et pointent plus rapidement que l’ancien système. Après un premier test entre Bételgeuse et la nébuleuse d’Orion, je file vers Persée, décidé à me garder le meilleur pour la fin.

Je commence d’ailleurs mon programme de façon assez modeste, avec 56 Per, une étoile double que j’avais noté, à l’origine, pour ma lunette de 80. Elle est facilement séparée à 115x, mais le fort écart de magnitude doit rendre la détection de la compagne délicate dans un petit instrument. Une belle étoile double, mais dont l’observation est toutefois perturbé par l’instabilité de l’escabeau sur lequel je suis perché… La principale me semble banc-bleutée à 185x, mais les oscillations de l’escabeau m’empêchent de m’attarder sur le compagnon. Dans le NSOG, la principale est pourtant donnée de couleur jaune. Voilà ce que l’on gagne à faire l’équilibriste en haut du mât !

Je poursuis ma route, et file sur NGC 1514, une superbe nébuleuse planétaire qui fera l’objet d’un dessin un de ces jours. Elle ne saute pas aux yeux au premier abord, mais il faut dire que son étoile centrale lui vole un peu la vedette ! Visible à 115x sans filtre, elle occupe une place conséquente dans le champ de l’oculaire. Je regrette que son étoile centrale soit si brillante, car toute cette lumière empêche de détailler la nébuleuse. Elle dessine un large disque, dont le bord semble plus lumineux que le cœur. Mais je n’arrive pas à être catégorique sur ce point : peut-être que je me laisse abuser par son souvenir photographique ? Après vérification, je me rends compte que non. L’image que j’avais en mémoire était celle d’une autre nébuleuse, mais je n’ai pas rêvé : la nébuleuse est plus sombre vers son centre.

Le file maintenant droit vers le zénith, direction Omega du Cocher, une double a priori facile, puisque je l’avais notée pour ma lunette. En fait, la position du tube rend le zénith quasiment inaccessible, et les objets du Cocher devront attendre de passer le méridien pour être observables dans de bonnes conditions. Je décide de laisser le ciel courir un peu, et retourne vers le Taureau.

Le Taureau est une constellation finalement assez pauvre… Quand on a observé les Pléiades, la nébuleuse du Crabe et NGC 1514, on a presque fait le tour de la question. Reste à voir 30 Tauri, une jolie double avec un écart de magnitude assez important, mais très facilement séparée, même à 115x.

47 Tauri promet un défi un peu plus sportif. Ses deux composantes ne sont séparées que d’1.1’’, mais de plus de deux magnitudes. Cet écart, très faible, est en dessous de la résolution d’un télescope dont la collimation attend d’être refaite. A 185x, j’avais cru voir une étoile allongée, qui semblait vouloir se résoudre entre deux vagues de turbulences. Puis je me suis rendu compte qu’elle ne s’allongeait pas dans la même direction suivant la mise au point...

Comme le Cocher, M1 est encore mal placée par rapport au télescope. En attendant qu’elle soit du bon côté de la monture, je file vers Cassiopée et Andromède, qui descendent sur l’horizon ouest.

Je commence avec NGC 891, et avec une immense satisfaction, je me prends enfin une vraie grosse claque avec cette fameuse galaxie. Mes précédentes tentatives, au C8, avait été assez décevantes, sauf une fois où je me rappelle avoir vu cette tranche de galaxie coupée en deux par une bande de poussière. Mais ça n’avait alors rien d’évident. Ici, elle saute littéralement aux yeux, et occupe la moitié du champ de l’oculaire. Un champ rempli d’étoiles. Je m’y attarde longuement, avant de filer vers NGC 404, autre galaxie que l’on peut classer dans un tout autre registre.

NGC 404 est beaucoup plus petite, et noyée dans la lumière de son étoile voisine, qui submerge littéralement le champ de son éclat. Toutefois, la galaxie apparaît, au premier coup d’œil, comme une tache légèrement ovale.

Parti pour observer M31, je change d’avis et file sur NGC 7662, la célèbre Blue Snowball. Celle-ci me conduit pratiquement à me coller au sol tellement elle est proche de l’horizon. Elle est toutefois terriblement brillante, mais il est difficile de détailler quoique ce soit quand on se retrouve à devoir prendre des positions yogiques derrière un oculaire, alors qu’il fait –1°.

La suite de la navigation me mène vers NGC 7331, encore plus près du plancher ! Mais cette fois, la galaxie est perdue dans la brume, et ne révèle rien de bien intéressant. Ses multiples compagnes sont invisibles.

Avant que ma navigation ne dégénère franchement et que je me retrouve à pointer le télescope en direction des maisons du lotissement d’à côté, je décide de reprendre un peu de hauteur, en direction de Cassiopée.

Les piles du magnéto ayant décidé de lâcher prise au moment où je me promène devant NGC 7789, c’est de mémoire que je vous livre ma description de cet amas ouvert. La mémoire d’un objet incroyablement riche en étoiles – à vue de nez, entre 150 et 200- dominé par une couronne d’une trentaine d’étoiles plus brillantes. Le hic, c’est que NGC 7789 est tellement large qu’il occupe tout le champ à 115x, et qu’il me faudrait un grossissement plus faible pour apprécier la densité de cet amas par rapport au champ d’étoiles environnant.

Je poursuis vers sigma Cas – dans un dernier sursaut, le magnéto a bien voulu en conserver le témoignage – une jolie double baignée dans une champ d’étoiles somptueux.

Ensuite, je me suis tourné vers NGC 278, une galaxie que j’observe pour la première fois. Elle apparaît quasiment circulaire, et a l’apparence d’un amas globulaire, tel qu’observé dans un instrument de petit diamètre. Elle est surmontée d’un couronne de 4 étoiles.

La troisième claque de ma soirée, après NGC 1514 et NGC 891, c’est M 76. Dans un magnifique champ d’étoiles, elle saute littéralement aux yeux à 115x, même sans filtre, et ce en dépit de la présence d’un lampadaire du lotissement voisin, en plein dans mon champ de vision. On retrouve sa forme rectangulaire coupée en deux lobes en son milieu. L’un des deux lobes semble d’ailleurs plus lumineux. Un examen plus attentif révèle les extensions circulaires de la nébuleuse.

M1 étant maintenant mieux placé, je peux tourner le télescope en sa direction. Mais l’impression est … mitigée. D’accord, la nébuleuse du Crabe est immanquable : brillante, imposante, on ne peut pas ne pas la voir ! Mais j’ai dû voir trop d’images de cette nébuleuse, trop de détails, trop de filaments colorés. La nébuleuse me semble pour le coup un peu fade. Mais dans le fond, je fais la fine bouche, car elle reste superbe.

Je quitte le Taureau, et file vers M78, dans Orion. M78 m’offre mon premier dessin de la soirée : un dessin paresseux, puisque le champ de l’oculaire ne compte qu’une dizaine d’étoiles. Le cœur de la nébuleuse est marqué par deux étoiles de même luminosité, et un troisième, un peu plus loin, qui apparaît beaucoup plus faible. Le dessin reste délicat, car la transparence de ciel n’est pas fabuleuse, et la nébuleuse apparaît peu contrastée.

En guise de bouquet final, je termine sur M 42… Et c’est effectivement très très beau. Je me promène autour de la nébuleuse, et me rends compte que c’est en effectuant ces petits voyages d’un bord à l’autre que l’œil parvient le mieux à capter les nuances entre régions sombres et régions claires. Progressivement, des détails de plus en plus petits apparaissent ; la nébuleuse ne révèle ses mystères qu’aux plus patients ! On pourrait d’ailleurs passer des heures et des heures à relever le moindre détail et à essayer de poser des coups de crayon sur la feuille de papier. En revanche, les couleurs restent enfouies, cachées, bref… invisibles.

Il est maintenant une heure du matin, et cela fait donc deux bonnes heures que je navigue sous les étoiles et la brume. La fatigue commence à monter, et je referme le cimier de la coupole, pleinement satisfait de ma soirée, et impatient de remettre ça.

Benjamin

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Tiens c'est marrant, je n'habite pas loin de Beine Nauroy. J'observe depuis chez moi à Mailly Champagne avec un C11 (entre autres).
Quand peut-on aller observer depuis l'observatoire? Celui-ci est-il ouvert tous les soirs de beau temps?

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Joli !

C'est très agréable à lire et plein de détails intéressants. Vivement les dessins

Ca me fait regretter le T400 de l'observatoire de Besançon ...

Bon cieux !

Brandobras

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oué, ça c'est le genre de soirée comme je les aime :-)

Une visite (pas trop expresse quand même) de classiques (enfin... sortis du Messier quand même) sous un bon ciel et avec un instrument conséquent et qui pointe tout seul : que demande le peuple ? ;-)

a + yann

PS: pour M1, je l'ai toujours appelée (injustement) la crotte cosmique, non seulement parce que sa forme globale l'évoque, mais aussi parce que les détails qu'elle recèle demeurent très difficiles à percevoir...

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