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Fission et fusion nucléaires Au coeur des centrales et des bombes atomiques (I) Qu'est-ce que l'énergie nucléaire ? Comment fonctionne une centrale nucléaire ? Qu'est-ce que l'uranium enrichi ? Qu'est-ce que la radioactivité ? Telles sont quelques-unes parmi les nombreuses questions auxquelles nous allons répondre dans cet article qui nous servira également d'introduction à celui consacré aux effets des explosions nucléaires. Nous allons devoir faire un peu de théorie, assez simple rassurez-vous, car il faut bien saisir le rôle de l'uranium et des autres éléments dans les réactions nucléaires. Nous expliquerons ensuite comment fonctionne une centrale nucléaire, cette dernière n'étant qu'une version contrôlée d'une explosion atomique et dont les militaires laissent le soin à dame Nature de "contrôler" ou plutôt gérer les conséquences ! Vous verrez que dans ses grandes lignes, le principe de base des réactions nucléaires n'est pas bien compliqué. La mise en application en revanche, requiert un peu plus de savoir-faire et des années d'expériences car la bête est très nerveuse et à des réactions si pas imprévisibles du moins parfois surprenantes si on ne prend pas certaines mesures de sécurité. Mais malgré le risque d'irradiation et de contamination engendré par ces expériences, quand l'homme se donna l'idée de vouloir maîtriser l'énergie de l'atome à partir des années 1930 et concrètement à partir de 1942 avec le Projet Manhattan, il ne faisait aucun doute que s'était pour y parvenir coûte que coûte, financièrement, humanitairement ou éthiquement parlant. On en reparlera. Commençons par la matière première nécessaire à la production d'énergie, le combustible nucléaire. L'uranium enrichi La production d'électricité par une centrale nucléaire (ou la réalisation d'une bombe atomique) exige une source d'énergie, en l'occurrence de l'uranium la plupart du temps car il offre un potentiel énergétique très important du fait qu'il est constitué de nombreux nucléons (au moins 235 protons et neutrons). C'est un métal très lourd, d'une densité de 19.05 constitué d'une structure cristalline orthorhombique qui existe dans la nature sous forme de minerai de couleur brun clair. Sous forme pure et cristallisée il est fragile et se brise facilement. La Belgique s'approvisionne en Afrique du Sud, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, au Kazakhstan et en Russie. Parmi les autres pays producteurs citons la République Démocratique du Congo et le Niger. Le minerai d'uranium est constitué de différents isotopes, c'est-à-dire des mêmes atomes mais disposant d'un nombre différent de neutrons : l'uranium-238 pour 99.3% et l'uranium-235 pour 0.7%. L'uranium-238 n'est pas un bon combustible nucléaire. La fission ne se produit qu'en présence de neutrons très énergétiques et le plus souvent l'uranium-238 absorbe le neutron sans fissionner puis décroît sous forme de plutonium-239 en émettant un rayonnement β (électrons). Quant aux neutrons de faible énergie (20-100 keV), ils réagissent peu avec l'uranium-238, mais en revanche ils brisent facilement les noyaux d'uranium-235. Reste à utiliser ce dernier isotope, mais il est rare. Puisque seule la petite fraction d'uranium-235 réagit sous l'impact des neutrons, les physiciens atomistes l'utilisent donc dans les réactions de fission pour alimenter les centrales nucléaires et servir de combustibles aux bombes atomiques. L'uranium-238 est un "déchet" qui est soit stocké à défaut de pouvoir être éliminé vu sa radiotoxicité soit retraité à d'autres fins (munitions à l'uranium appauvri notamment dont nous reparlerons).
A l'inverse des centrales nucléaires où la réaction de fission est contrôlée en jouant sur la température et la pression (au moyen d'un modérateur constitué de barres de graphite, d'eau lourde - HDO - ou d'eau légère), dans une bombe atomique la réaction ne dépend que des quantités de combustible en présence et des ajustements de certains paramètres réalisés au moment de son assemblage (distance séparants les blocs d'uranium, forme de la cavité, durée de confinement, explosif, etc). Dans la plupart des centrales nucléaires modernes, la fonction modératrice de la réaction est assurée par de l'eau ordinaire (eau légère). La production d'énergie n'est assurée que si le combustible contient entre 3 et 5% d'uranium-235. Il faut donc au préalable enrichir l'uranium en isotope 235. Mais ce processus est excessivement complexe car par nature les isotopes réagissent tous de la même manière dans les réactions chimiques. Il faut donc inventer des procédés physiques particuliers tels que la diffusion gazeuse d'hexafluorure d’uranium (on retient les molécules d'UF6-238 tandis que les molécules d'UF6-235 enrichissent peu à peu l'uranium. Le processus est répété 1400 fois !) ou l'ultracentrifugation d'hexafluorure d’uranium pour réaliser cet enrichissement. Au terme de la réaction on obtient un uranium-235 presque pur contenant à peine 10% d'uranium-238. Notons qu'on parle d'uranium "très enrichi" lorsque le combustible fissile contient plus de 90% d'uranium-235. Il est principalement utilisé dans l'industrie de l'armement. Peu de pays ont la capacité de fabriquer de l'uranium hautement enrichi (HEU). La plupart des utilisateurs passent commande soit aux Etats-Unis soit à la Russie, bien que l'HEU russe n'offre pas toutes les garanties de qualité. Son utilisation est bien entendu très réglementée et fait l'objet d'une surveillance très étroite de la part de l'AIEA ou des instituts de contrôle, notamment du NCI. Que l'Euratom vienne à contourner les polices américaines pour satisfaire les besoins d'une centrale nucléaire quelconque d'un pays membre et c'est la voie directe vers un incident diplomatique. Nous avons ce que cela peut donner avec les incidents en Iran et en Corée du Nord. Les réacteurs de fission naturels En 1971 au Gabon, dans la mine d'uranium d'Oklo, les géologues ont découvert des minerais présentant des concentrations variables d'isotopes d'uranium, au point que certaines roches vieilles de 1.7 milliard d'années contenaient environ 3% d'uranium-235 contre 0.7% aujourd'hui. En présence d'un peu d'eau qui suintait de la roche, ces minerais réalisaient une réaction de fission naturelle ! Non les extraterrestres n'y étaient pour rien ! Selon le DOE, la réaction était lente mais entretenue tandis que les déchets restaient confinés en surface sans vraiment migrer dans le sous-sol granitique. Dame Nature avait inventé la centrale nucléaire 100000 ans avant l'homme moderne ! Plusieurs réacteurs de fission naturelle furent découverts dans ce gisement, une découverte qui passionna les scientifiques, en particulier pour la gestion des déchets nucléaires et la mesure des variations des constantes nucléaires fondamentales (cf. Alexander I. Shlyakhter). Un article intitulé "A Natural Fission Reactor" fut également publié dans la revue "Scientific American" par George Cowan en juillet 1976 (N°235, 1, p36). Notons qu'une théorie similaire (fission nucléaire planétocentrique) a été proposée par R.S.Raghavan et discutée par J.Marvin Herndon pour expliquer l'existence du champ magnétique généré par la Terre et même celui de Jupiter. Toutefois cette théorie est très peu supportée et même jugée irréaliste mais on ne peut pas l'écarter. La réaction de fission nucléaire A présent que nous avons le combustible, comment libérer son énergie ? Ainsi qu'Einstein le découvrit en 1905 avec sa fameuse équation d'équivalence E=mc2, la masse représente potentiellement de l'énergie. Pas celle du ballon par exemple qui vous frappe par maladresse (c'est de l'énergie cinétique) mais celle contenue dans les forces (l'interaction forte) maintenant la cohésion des nucléons (protons et neutrons) dans les atomes constituant ce ballon (l'énergie nucléaire). En fait, dans une réaction nucléaire, l'énergie libérée correspond au réarrangement des protons et des neutrons dans les nucléides (espèces d'atomes) formant la matière fissile ainsi que de ceux formant les nouveaux éléments résultants de la réaction (produits de fission). Toute la difficulté est de contrôler cette réaction nucléaire. Si on y parvient on peut par exemple produire une énergie constante et alimenter un réseau électrique. Si on n'y parvient pas, soit la réaction de fission ne se déclenche pas et le réacteur s'arrête, soit on obtient une réaction en chaîne et...soit une fusion du coeur du réacteur soit une explosion nucléaire s'il s'agit d'une bombe. Comme vous l'avez compris la réaction contrôlée est réalisée dans les centrales nucléaires, la réaction non contrôlée fait la fierté des militaires, les deux faisant la convoitise de nombreuses nations en voie de développement. Une réaction de fission consiste à briser le noyau d'un atome. Comme dans toute expérience mettant en jeu des particules atomiques, le nombre de produits de fission, c'est-à-dire les fragments résultant de la fission et le nombre de neutrons produits au cours de la réaction sont régis par les lois des probabilités (statistiques). Même après plus d'un siècle de recherche et presque autant d'expériences en cette matière, aucun ingénieur atomiste ne pourra vous dire à quel instant va se briser le noyau ou quels seront précisément les produits de fission. Toutefois, les lois de conservation stipulent que le nombre total de nucléons et l'énergie total du système doivent être conservés. Cette loi s'applique à tout ce que nous connaissons et ce à travers tout l'univers, à quelques exceptions près touchant par exemple l'antimatière que nous verrons dans d'autres articles.
La réaction de fission est donc une réaction en équilibre qui doit respecter certaines proportions entre les différents éléments entrant et sortant de l'expérience. La réaction de fission de l'uranium-235 enrichi génère deux fragments de nucléides appelés les "produits de fission" tels que le baryum (Ba), le krypton (Kr), le strontium (Sr), le césium (Cs), l'iode (I) et le xénon (Xe) dont les masses atomiques sont comprises entre 95 et 135. Notons que la réaction de spallation est une réaction de fission nucléaire. Que se passe-t-il durant la réaction de fission ? Percuté par un neutron, l'uranium-235 va le capturer et son énergie cinétique va se distribuer entre les 236 nucléons constituant maintenant son noyau. Le noyau d'uranium devient instable, il va se déformer et éclater en deux fragments de masse à peu près équivalente. Ces produits de fission sont les éléments qui se situent à peu près au milieu du Tableau Périodique des Eléments (tableau de Mendéleïev) mais la nature probabiliste de la réaction fait qu'il existe plusieurs centaines de combinaisons possibles de fissions du noyau d'uranium. Les réactions générales de fission sont les suivantes : 235U + neutron → 94Sr + 140Xe + 2 neutrons + hν 235U + neutron → 139Te + 94Zr + 3 neutrons + hν (197 MeV) 235U + neutron → 141Ba + 92Kr + 3 neutrons + hν (170 MeV) 235U + neutron → 144Ba + 90Kr + 2 neutrons + hν. Dans chacune de ces réactions, le nombre total de nucléons (protons + neutrons) est conservé : 235+1 = 94+140+2, etc. En réalité une petite partie de l'énergie est utilisée pour maintenir la cohésion des nucléons, c'est l'énergie de liaison ou défaut de masse car le poids du noyau est inférieur au poids total de tous les nucléons pris individuellement. Dans les années 1930, on découvrit qu'en appliquant la loi d'équivalence d'Einstein à cette énergie (défaut de masse x c2) on obtenait une énergie d'environ 200 MeV (1 MeV = 1.609 x 10-13 J). Einstein avait raison ! Le terme hν résultant de la fission représente donc la masse "perdue" au cours de la réaction ou plus exactement la quantité de matière convertie en énergie au cours du processus de fission. Si elle paraît accessoire dans notre équation, sur le terrain c'est elle qui produit l'énergie des centrales nucléaires ou celle libérée par l'explosion d'une bombe atomique. On y reviendra dans un instant. La réaction en chaîne Outre les produits de fission tels que le strontium-94 et le xénon-140, la fission génère 2 neutrons (ou 3 dans d'autres combinaisons) qui vont déclencher à leur tour d’autres fissions; il se produit une réaction nucléaire en chaîne comme indiqué ci-dessous. La capacité à la contrôler dépend uniquement de la présence d'une petite quantité de neutrons retardés issus de la fission (voir plus bas).
Dans une centrale nucléaire, la réaction est amorcée ou plutôt démarrée en insérant un mélange de béryllium et de polonium ou de radium ou d'autres émetteurs alpha. C'est l'émission de particules α (des noyaux d'hélium ou hélions, voir plus bas) au cours de la décroissance des éléments qui provoque l'émission de neutrons par le béryllium lorsqu'il se transmute en carbone-12 pour devenir stable et inerte. Si le neutron présente une énergie cinétique trop faible (neutron dit "thermique", < 20 keV) il rebondira sur le noyau d'uranium et trop rapide (neutron dit "rapide", > 8 MeV) il le traversera sans être capturé. Les neutrons présentant une énergie cinétique d'au moins 100 keV conviennent bien à cette réaction. Le graphique suivant présente les sections efficaces (probabilité d'une réaction nucléaire entre des particules nucléaires et des noyaux ou d'autres particules atomiques) pour obtenir une fission de l'uranium et du plutonium. Ce type de schéma est très souvent utilisé par les physiciens. La section efficace ("cross-section" en anglais) représente en quelque sorte la zone entourant le noyau-cible dans laquelle le neutron incident doit pénétrer pour qu'une réaction se produise. Ainsi qu'on le constate sur ce graphique, la fission et les autres sections efficaces augmentent fortement lorsqu'on utilise des neutrons relativement lents, dit "thermiques". C'est pourquoi les noyaux atomiques présentant un nombre impair de neutrons, tel que l'uranium-235, offrent une section efficace de fission élevée aux énergies thermiques.
Dans le cas de l'uranium-235, les produits de fission comptent parmi les radionucléides les plus actifs. Les produits de fission comprennent le strontium-90, l'iode-129, le césium-135 et le césium-137, autant de radionucléides de triste mémoire. Prochain chapitre
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