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La théorie de la Relativité

Article sur la déviation des rayons lumineux publié en 1913.

Les doutes

Rappelons ce qui différencie la théorie de la relativité des autres théories concurrentes. Le succès de la courbure des rayons lumineux dans le cadre de la théorie d’Einstein a été présenté comme un exemple typique de la façon dont la “vrai” science fonctionne, en opposition avec les sciences humaines telle que la psychanalyse.

Bien que le succès de la relativité n’est pas étranger à son acceptation générale, la plupart des scientifiques ne lui accordent pas plus de place que le fait d’avoir prédit l’avance du périhélie de Mercure (phénomène connu de longue date).

Le fait que les scientifiques utilisent le mot “prédiction” pour décrire la déduction d’un fait connu antérieurement suggère que la nouveauté présente peu d'avantages quand il s’agit d’évaluer les théories. Elle peut même jouer un contre-rôle destructeur jusqu’à ce que les théories concurrentes soient clairement mises en difficultés devant l’accumulation des faits nouveaux.

En 1989, les planétologues considéraient que la sonde spatiale Voyager 2 avait conduit à son terme “l’examen final” concernant les prédictions de la relativité générale lorsque Neptune dévia légèrement les émissions de la sonde spatiale transmises à la Terre. Jupiter à son tour confirma qu’il était capable de dévier les rayons lumineux issus de lointaines radiogalaxies. Les mesures récoltées à ce jour coïncident merveilleusement avec la théorie de la relativité générale.

Ces prédictions avaient été conduites sous l’instigation de A.J. Dressler[2] qui avait considéré que “le test classique d’une théorie est sa capacité à prévoir. Les prédictions réussies sont si rares qu’elles sont habituellement considérées comme une collection de preuves en faveur de la théorie qu’elles sous-tendent."

Comme le disait Karl Popper[3] et d’autres philosophes après lui, la prédiction est une fonction essentielle des théories scientifiques, la confirmation d’une prédiction avant que les faits empiriques ne soient connus étant une preuve très forte en faveur de la théorie testée. Une théorie doit prendre le “risque” d’être falsifiée pour accéder au statut de théorie scientifique. Ce “critère de falsification” découvert par Popper marque la ligne de démarcation entre la science et la pseudoscience.

Ainsi que nous y avons fait allusion, Popper rapporta qu’il énonça son critère de falsification en partie du fait de la spectaculaire confirmation de la prédiction d’Einstein concernant la courbure des rayons lumineux durant l’éclipse de 1919. Cet exemple est tout à fait adapté à l’évaluation que nous allons faire de cette découverte.

Dans l’esprit des experts, il était évident que l’explication du mouvement de Mercure apportait une preuve essentielle de la courbure de la lumière en relativité générale.

Si la courbure était plus importante, ce n’était pas parce que l’effet avait été prédit antérieurement à sa découverte, mais bien parce que les données observationnelles étaient plus nombreuses, plus précises, plus définitives et parce que les calculs dépendaient en grande partie de la théorie elle-même[4].

Le fait d’avoir prédit la courbure de la lumière fit passer au second plan les résultats de la mesure de l’avance du périhélie de Mercure.

En fait, seul Willem de Sitter[5] comprit toute l’importance de l’effet de courbure découvert par Einstein. Toutes les preuves découvertes précédemment confortant la théorie de la gravitation de Newton supportaient également la vaste majorité des exemples cités dans le cadre de la relativité générale, où les conséquences empiriques étaient identiques. Cela signifiait que tous les phénomènes prédits par la théorie de Newton mais non par celle d’Einstein ne comptaient pas plus pour son inventeur que pour son illustre descendant.

De gauche à droite, Willem de Sitter, Arthur Eddington et Albert Einstein dans son bureau de Princeton vers 1947.

L’argument le plus significatif que l’on opposa à la reconnaissance de la relativité générale est le fait que dans les années qui suivirent cette découverte, les scientifiques reconnurent que n’importe quel résultat empirique donné pouvait s’expliquer par une ou plusieurs théories alternatives. Les anomalies de l’orbite de Mercure étaient connues depuis bien longtemps et bien que les scientifiques avaient eu toutes les opportunités pour les expliquer dans le cadre de la mécanique newtonienne, ils avaient échoué sauf en injectant quelques théories ad hoc et peu plausibles[6]. Ceci rendit le succès d’Einstein plus impressionnant encore et il semblait très peu probable que quelqu’un d’autre puisse trouver une meilleure explication alternative.

D’un autre côté, la courbure des rayons lumineux n’avait pas fait l’objet de discussions théoriques antérieures, à de rares exceptions près, mais étant donné que le phénomène existait à présent, on pouvait s’attendre à ce que d’autres explications aussi satisfaisantes soient proposées.

Bien avant que ce résultat ne soit publié, R.Jonckherre et O.Lodge[7] firent remarquer que si cette prédiction de la courbure des rayons lumineux était vérifiée, cela ne confirmerait pas immédiatement la théorie d’Einstein, mais stimulerait la recherche d’une autre explication de la courbure de la lumière. Et de fait, c’est ce qui se produisit bien que H.Newall[8] admit que “la critique n’était pas bien sérieuse pour s’opposer de façon qualitative à un résultat quantitatif”. Parmi les suggestions évidentes, il y avait celle de E.Wiechert et J.Larmor[9], considérant que cette courbure était tout simplement le résultat de la réfraction atmosphérique dans l’enceinte du Soleil, Einstein[10] lui-même ayant admis que l’observation de la courbure de la lumière ne pouvait pas se distinguer d’un effet de “réfraction cosmique”, ce que H.Kienle et A.Kopff ont réfuté quelques mois plus tard, la trop faible densité du milieu ne permettant pas à ce phénomène de se produire.

Même le célèbre philosophe Alfred North Whitehead[11] souvent cité pour avoir été l’un des premiers à décrire les résultats de l’éclipse, n’était pas convaincu d’adopter les idées d’Einstein sur la courbure de l’espace-temps.

Toutefois, la plupart des commentaires scientifiques publiés dans les deux ou trois années qui suivirent l’observation de l’éclipse de 1919 indiquaient que la courbure des rayons lumineux et le déplacement de l’orbite de Mercure s’expliquaient parfaitement dans le cadre de la relativité générale. Ce n’est que dix ans après la publication de cette découverte que les adeptes de la théorie d’Einstein purent enfin partager leurs sentiments, reprenant les propos de R.Trumpler : “Aucune autre théorie n’est aujourd’hui capable de tenir compte des valeurs numériques des déplacements observés. La présomption selon laquelle il existe une courbure de l’espace dans le voisinage immédiat du Soleil, ce qui est induit par la théorie d’Einstein, semble en effet fournir la seule explication satisfaisante de la courbure des rayons lumineux et sa grandeur deux fois supérieure à celle prédite par la théorie de Newton.

Reprenant l’idée d’Einstein, de nombreux scientifiques[12] ont affirmé qu’aucun test empirique ne pouvait être aussi convaincant que la cohérence et la beauté de la théorie elle-même. Lors d’un débat public sur le sujet, W.MacMillan[13] cite toutefois quelques opposants farouchement convaincus que même si la théorie est en parfait accord avec les résultats observationnels, il ne s’agirait pas encore d’une théorie acceptable. L’avocat de la relativité R.Carmichael[14] rappela toutefois que “les explications alternatives ne portaient pas nécessairement un “souffle” sur la théorie de la relativité aussi longtemps que cette dernière était en accord avec les faits de la manière la plus correcte et la plus agréable qu’il soit.

Pour sa part, Eddington considérait la confirmation de la courbure des rayons lumineux comme la découverte ayant conduit au succès de la relativité générale. Dans la littérature d’après 1923, le seul physicien ayant explicitement considéré que la courbure de la lumière était une preuve essentielle, parce que prédite, fut Richard Tolman[15] : “La vérification de la théorie d’Einstein par les trois tests dits cruciaux furent tous très significatifs, car l’avance du périhélie de Mercure fut le seul des trois phénomènes en question qui était connu à l’époque du développement de la théorie d’Einstein, et parce que les effets de la gravitation déterminés à la fois par la trajectoire et la longueur d’onde de la lumière n’avaient jamais été observés qualitativement avant leur prédiction par la théorie de la relativité.

Mais l’idée de Tolman n’était partagée que par une minorité de personnes. La plupart des scientifiques se rapprochaient des idées de Sachs[16] : “Le test de l’orbite de Mercure n’était pas aussi spectaculaire... parce que l’on trouva le résultat théorique après avoir connu les faits expérimentaux. Mais ce test fut certainement aussi important que les deux autres. Il n’y avait aucun rapport entre le timing de la confirmation expérimentale et la signification de la véracité scientifique de cette théorie.” Cet argument trouvait en fait ses fondements dans la signification philosophique des prévisions.

La confirmation de la prédiction de la courbure des rayons lumineux a certainement forcé les scientifiques à prendre sérieusement en considération une théorie qui, autrement, aurait pu être ignorée ou rejetée.

C’est alors qu’un homme nouveau apparut dans une époque bien tourmentée, un homme canonisé par les hommes et porté en triomphe comme le messager de son temps, porteur de la lumière divine et de l’ordre cosmique; le légendaire “Docteur Einstein” était né.

Plus tard Einstein s’amusa de sa célébrité, s’en irrita parfois, mais il sembla toujours apprécier ses rendez-vous avec la presse, le public ou les jeunes étudiants. Esprit génial, il s’adaptait à son auditoire mais aimait également, si possible, pouvoir s’effacer.

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[2] R.Kerr, Science, 245, 1989, p588 - A.Dressler, Geophysical Research Letters, 14, 1987, p889.

[3] K.Popper, “La logique de la découverte scientifique”, Payot, 1973.

[4] A.Eddington, “New Pathways in Science”, Cambridge University Press, 1934 et réimprimé chez University of Michigan Press, 1959 - L.Rougier, “La Matière et l’Energie selon la Théorie de la Relativité et la Théorie des Quanta”, op.cit., p76 - W.Will, “Theory and Experiment in Gravitationnal Physics”, Cambridge University Press, 1981 - P.Bergmann, “Introduction to the Theory of Relativity”, Prentice-Hall, 1942, p217 - W.Kaufman III, “The Cosmic Frontiers of General Relativity”, Little, Boston, 1977, p70 - S.Weinberg, “Gravitation and Cosmology”, Wiley & Son’s, 1972, p198.

[5] W.de Sitter, “Kosmos: A Course of Six lectures on the Development of Our Insight into the Structure of the Universe”, Harvard University Press, 1932.

[6] N.Roseveare, “Mercury’s perihelion from Le Verrier to Einstein”, op.cit.

[7] R.Jonckherre, Observatory, 41, 1918, p215 - O.Lodge, Nature, 104, 1919, p15 et p82.

[8] H.Newall, Observatory, 42, 1919, p395.

[9] E.Wiechert, Annals of Physics, 63, 4th serie, 1920, p310 - J.Larmor, Philosophical Magazine, 45, 6th serie, 1923, p243 - J.Larmor, Nature (suppl.), 119, 1927, p49.

[10] A.Einstein, Zeistschrift für Physik, 24, 1923, p484. Les arguments opposés à cet effet sont repris dans A.Eddington, “Space, Time and Gravitation”, op.cit., p121 - H.Kienle, Zeistschrift für Physik, 25, 1924, p1 - A.Kopff, Zeistschrift für Physik, 25, 1924, p95.

[11] A.Whitehead, “Science and the Modern World”, Macmillan, 1925, réimprimé chez Mentor en 1948 - N.Whitehead, “The Principle of Relativity”, Cambridge University Press, 1922, p10.

[12] E.Whittaker, Nature, 120, 1927, p368 - P.Bergmann, “Introduction to the Theory of Relativity”, op.cit., p211 - L.Infeld, “Albert Einstein : His Work and its Influence on Our World”, Scribner, 1950, p58

[13] R.Carmichael, H.Davies, W.MacMillan et M.Hufford, “A Debate on the Theory of Relativity”, Open Court, Chicago, 1927, p117-127.

[14] R.Carmichael, H.Davies, W.MacMillan et M.Hufford, “A Debate on the Theory of Relativity”, op.cit., p128 et suivantes.

[15] R.Tolman, “Relativity, Thermodynamics and Cosmology”, Clarendon, 1934, p213.

[16] M.Sachs, “Einstein versus Bohr : The Continuing Controversies in Physics”, Open Court, Lasalle, IL., 1988.


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