yapo

NGC 5632, 5651 et 5658...

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...observées en 1863 ! (ce qui justifie un peu l'emplacement de ce fil dans cette rubrique)

Avant tout chose, allez chercher dans votre catalogue, atlas ou logiciel de cartographie céleste préféré ces trois références : cela devrait piquer votre curiosité pour la suite. Ce qui suit est certainement romancé, mais reste balisé par des faits historiques établis, ce qui suffira à assoir sa véracité.

Par une belle nuit de mai 1853, George Philip BOND menait obstinément un travail astronomique de routine. Pourtant, l'instrument utilisé et l'observatoire l'hébergeant n'avaient rien d'ordinaire pour l'époque. Pensez-donc : une lunette de 381mm de diamètre sous la coupole principale de l'illustre observatoire du Collège d'Harvard aux Etats-Unis ! Pourtant le travail dévolu à cet astronome (et son équipe) ne pouvait être que répétitif et fastidieux puisqu'il s'agissait de recenser le maximum d'étoiles jusqu'à la magnitude 11 dans les "zones d'Harvard" (une bande de ciel à 1° au Nord de l'équateur), de noter chaque position et d'estimer chaque magnitude.


Lunette d'Harvard : optique achromatique de Merz, ø381mm à F/18, mise en service en 1846 (©Harvard University Archives).

Fils du premier directeur de l'observatoire, William Cranch BOND, George était membre de l'équipe d'assistants de cette institution parmi les plus importantes aux USA dédiées à la science d'Uranie. Ce travail de recensement stellaire débuté en 1852 convenait parfaitement à son caractère patient et méthodique ainsi qu'à son désir d'homogénéité dans les résultats obtenus. Cela allait d'ailleurs l'amener à poursuivre cette entreprise jusqu'en 1860, soit après la mort de son père et sa promotion à la tête de l'observatoire…


Observatoire du collège d'Harvard vers 1865 (©Harvard University Archives).


Situation dans la coupole, schéma de 1856. Notez la monumentale chaise pour l'observateur. (©Harvard College Observatory).

Au cours de cette fameuse nuit, donc, à proximité de l'étoile n°118 de la zone horaire 54 (un astre qu'il estima de magnitude 11), George nota la présence de trois nébuleuses proches dans le champ de son micromètre en mica grossissant 141x. Bien que ce ne fut pas l'objectif premier de son travail, il nota la position de celles-ci, comme le faisaient également ses collègues lorsqu'une nébuleuse "équatoriale" était décelée. Le caractère mystérieux de ces objets bien mal compris à cette époque rendait leur recensement éminemment important. A leur propos, il stipula dans son carnet de notes :

"Une nébuleuse ronde précède [l'étoile] 118 de 39 secondes, à 7' Nord de celle-ci. Une nébuleuse plus faible suit 118 à 6 secondes et 4' Nord. Une autre nébuleuse précède 118 à 2 minutes 30 secondes et se trouve à la même déclinaison que 118." [On retrouve ces notes dans la marge de la page 283 des Annales de l'observatoire pour 1852-3 (volume 1, partie 2).]


Exemple du champ d'environ 12' d'arc offert par le micromètre de BOND. (©Harvard College Observatory).

Puis, imperturbable, George reprit avec abnégation son arpentage céleste à l'aide de la grande lunette, car après tout, les nébuleuses n'étaient pas son soucis principal : il avait déjà bien à faire avec les étoiles…

Ces trois nébuleuses furent citées fidèlement par Arthur AUWERS (Astronomische Beobachtungen auf der Koniglichen Unversitats-Sterwarte zu Konigsberg, volume 34, p.224, nébuleuses n°32, 33 et 34) ainsi que par le découvreur lui-même dans une liste de nouvelles nébuleuses parue en 1863 (List of new nebula and star clusters seen at the observatory of Harvard College, p. 5, sous les numéros respectifs 20, 21 et 19) et dans le célèbre journal Astronomische Nachrichten (volume 61, n°1453, p.195, nébuleuse n°20, 21 & 22), avec des coordonnées quasi-similaires.

Pourtant, AUWERS décidait le 15 avril 1861 de diriger son héliomètre vers ces nébuleuses et il rapporta à leur propos : "[...] und die drei Bond'schen in 13u und 14u nicht bestimmt zu erkennen" que je traduirais par "[...] et les trois nébuleuses de Bond à 13h et 14h n'ont pas été reconnues avec certitude".


Arthur AUWERS, l'héliomètre (achromatique de Bessel, ø159mm à F/16.3, mis en service en 1829) et l'observatoire Königsberg à Göttingen. (©Wolfgang Steinicke).

Ensuite ces nébuleuses furent citées dans le "General Catalogue of Nebulae and Star Clusters" de John HERSCHEL en 1864 (Phil.Trans., vol.151, p.116, sous les numéros 3898, 3912 et 3918) et enfin également dans le fameux "New General Catalogue" de John DREYER en 1888 (Memoirs of the RAS, vol.49, p.156, sous les numéros 5632, 5651 et 5658). Cependant, nul ne réussit à retrouver les nébuleuses de BOND depuis lors et ces objets sont encore actuellement non-identifiés dans les dernières versions historiquement corrigées du catalogue (comme par exemple sur le site NGC-IC project (http://www.ngcicproject.org) ou bien sur la version de Wolfgang STEINICKE (http://www.klima-luft.de/steinicke/index_e.htm).

Non identifiées... jusqu'à samedi dernier. Je travaille actuellement sur une liste complète (autant que faire se peut) de références d'observations d'objets du ciel profond, parues de tous temps jusqu'à environ 1915. Chemin faisant, j'ai croisé les références citées ci-dessus et dans le cas particulier de ces objets, j'ai pointé la zone concerné sur un logiciel de cartographie (Guide, Project Pluto). C'est là qu'en élargissant le champ quelque peu, j'ai trouvé une coïncidence troublante entre la répartition spatiale relative des trois objets de BOND avec trois galaxies découvertes par William HERSCHEL bien auparavant, situées à une dizaine de minute vers l'E (2.2°).


William HERSCHEL et son télescope de 20-pieds (herschélien à miroir métallique, ø475mm à F/12.8, mis en service en 1786). (©Wikipedia & Royal Astronomical Society).

Il m'apparaissait alors légitime de supposer une erreur de BOND, ayant bien observé des objets "réels" mais leur attribuant de mauvaises coordonnées, ou à tout le moins, s'étant basé sur une mauvaise étoile de référence... Je partageais donc mon questionnement avec Wolfgang STEINICKE ("Observing an Cataloguing Nebulae and Star Clusters", 2010) et Harold CORWIN (NGC-IC project, http://haroldcorwin.net).


Carte de champ avec en jaune les objets d'HERSCHEL (NGC 5719, 5713 & 5691), en blanc les objets de BOND (NGC 5658, 5651 & 5632) et en rouge les étoiles de références citées par BOND dans la première référence (118, 128 & 129). (©Wikipedia & Royal Astronomical Society).

S'en suivie une petite discussion par emails allant de l'enthousiasme à la prudence, mais les arguments ci-dessous font valider mon identification sans aucun doute pour CORWIN et avec de petites réserves pour STEINICKE [Edit: mais dans sa version du Revised NGC-IC à http://www.klima-luft.de/steinicke/ngcic/rev2000/NI2015.zip en date du 24 mars, il adopte ma version]. L'hypothèse retenue serait donc que BOND a bien observé les trois objets d'HERSCHEL, mais que les décalages mesurés l'ont été à partir de l'étoile #129 (et non pas #118 comme BOND le mentionne). Cela établit que NGC 5632 = NGC 5691, NGC 5651 = NGC 5713 et que NGC 5658 = NGC 5719.

Les arguments en faveur de mon hypothèse sont les suivants :
-les écarts relatifs et d'orientations réciproques entre les objets sont quasi-identiques,
-l'allongement perçu sur NGC 5658 correspond à celui de NGC 5719,
-si l'on substitue l'étoile de référence #129 à #118, on tombe bien sur les objets d'HERSCHEL,
-l'objet d'HERSCHEL NGC 5713 est également noté par BOND sous une référence indépendante dans les Annales de la zone correspondante [u]à sa position correcte[/u] (p.283, quelques lignes plus bas par rapport à sa description des trois nébuleuses) : "There is a small nebula between n° 128 and 129" [Il y a une petite nébuleuse entre l'étoile n°128 et n°129]; les mesures ayant été faites lors de nuits différentes, il est fort possible qu'il n'ait vu qu'une nébuleuse dans des conditions moins favorables (avec l'étoile de référence correcte) et qu'il en ait repérée trois lors d'une nuit plus transparente (avec une étoile de référence erronnée).

J'aurais pu intituler cet épisode "Trois références perdues du NGC enfin identifiées", mais l'effet de surprise aurait été atténué, non ?

Yann

[Ce message a été modifié par yapo (Édité le 24-04-2015).]

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Excellentissime !
Un récit vivant et passionnant sur un sujet à priori austère, assorti d'un bel hommage historique au travail de fourmi accompli par nos anciens : merci

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Mais c'est de l'archéoligie ton histoire ! ca semble vraiment exceptionnel. Belle documentation, et belle enquête. Je souhaite que tu résolve cette énigme.

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Merci !
serge> pour que l'énigme soit complètement solutionnée, il faudrait aller farfouiller dans les archives à Harvard pour voir ce que Georges avait noté dans ses cahiers de notes... si un jour vous passez par là
sinon, ça va rester comme une hypothèse fortement plausible.

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Quelle recherche Yann !!! Dommage de ne pouvoir aller jusqu'au bout...pas possible de faire faire les recherches sur place à Harvard par quelqu'un sur place ?

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Christian> c'est vrai que qui ne tente rien n'a rien. Je vais essayer de contacter un archiviste d'Harvard et lui soumettre le problème. Est-ce que des registres ou notes originales existent encore? Et trouver les bonnes, là réside le problème... Je vous tiendrais au jus

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