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Les retombées de satellites

En 2023, plus de 36500 débris spatiaux pesant au total plus de 8000 tonnes étaient en orbite autour de la Terre entre 400 et 1500 km d'altitude. Document adapté de Johan Swanepoel/Shutterstock.

Des débris encombrants et dangereux (I)

Depuis 1957, l'environnement spatial proche de la Terre voit chaque année de nouveaux débris s'accumuler en raison de la prolifération des vols spatiaux. Au fil des années des dizaines de tonnes de matériels devenus inutiles ont été abandonnés sur orbite en attendant une lente dégradation, leur récupération ou leur chute dans l'atmosphère.

Selon un rapport du NORAD établi le 1/1/2004 et suite au recensement effectué par le Space Surveillance Network de l'Air Force Space Command (USSPACECOM, dissoute fin 2019 et reprise par l'United States Space Force, USSF), en 60 ans, entre le 4 octobre 1957 et le 4 octobre 2017, la Russie, les Etats-Unis, l'Europe, le Japon, la Chine, l'Inde et Israël ont procédé à 8593 lancements d'engins spatiaux soit une moyenne de 143 lancements par an ou toutes les 60 heures.

Selon l'ESA, en décembre 2023 environ 16990 satellites artificiels (17852 selon l'UNOOSA) avaient été lancés depuis 1957. Selon l'UNOOSA, plus de 12827 satellites sont toujours en orbite dont environ 65% étaient encore opérationnels à cette date.

En 1996, J.W. Campbell du centre Marshall de la NASA estimait dans son projet ORION qu'il existait en orbite environ 100000 débris mesurant entre 1 et 10 cm. En 2005, on dénombrait environ 12600 débris de plus de 10 cm orbitant entre 400 et 1500 km d'altitude.

Selon l'ESA, en décembre 2023 on avait recensé 35150 débris de satellites (contre 19894 débris en 2017) d'au moins 10 cm. 1 million d'objets mesurent entre 1 et 10 cm et gravitent en orbite basse. S'y ajoutent quelque 130 millions de débris si on s'attarde aux particules mesurant entre 1mm et 1 cm. L'ensemble représente une masse de 10900 tonnes animés d'une vitesse propre très élevée.

Parmi ces débris spatiaux 41% sont constitués de fragments, 13% sont des débris opérationnels, 17% des étages supérieurs de lanceurs et 22% sont des satellites qui ne sont plus en état de fonctionner sans compter les éclats de peinture, les éjections de combustible, de liquide de refroidissement...

On dénombre enfin au moins 170000 débris de plus de 1 kg susceptibles de retomber sur Terre, dont 1.5 tonne de matière radioactive.

A gauche, plus de 7000 débris sont représentés sur cette image. Ils se concentrent sur des orbites situés à 800 et 1500 km d'altitude. Au centre, plus de 30000 débris de plus de 10 cm sont dispersés autour de la Terre jusqu'à l'orbite géostationnaire (l'image en affiche ~8500). L'USSF suit en permanence l'évolution de chacun d'entre eux. A droite, l'inventaire de tous les impacts de plus de 2.54 cm (1") sur la navette spatiale Columbia entre 1983 et 2002. Documents NASA/JSC et NASA.

Mais en réalité, selon une étude présentée en septembre 2017 lors du 60e Congrès International sur l'Astronautique (IAC) qui s'est tenu à Adelaïde en Australie et résumée dans un article publié dans le webzine "Physics World", des spécialistes parmi lesquels des représentants des sociétés SES et Inmarsat ont montré à travers une nouvelle analyse des risques que la probabilité de collision avec des débris de satellites géosynchrones (GEO) avait été largement sous-estimée jusqu'à présent. Les résultats de leur analyse ont montré que les risques de collision avec un GEO sont jusqu'à 4 ordres de grandeur supérieurs aux précédentes estimations et que les collisions se produisent à des vitesses qui peuvent atteindre 4 km/s, bien supérieures à celles précédemment estimées. Ainsi, les chercheurs prédisent que l'ensemble des satellites GEO opérationnels devrait subir un impact potentiellement fatal tous les quatre ans en moyenne. On devrait également assister à la collision avec des objets de 20 cm de diamètre tous les 50 ans en moyenne.

Non seulement la NASA et toutes les agences spatiales mais le Secrétariat américain de la Défense est également préoccupé par ce problème et envisage sérieusement de suivre de plus près tous ces débris. Malheureusement la plupart des radars utilisés par l'USAF opèrent à une longueur d'onde d'environ 70 cm et peuvent pas détecter des objets inférieurs à 10 cm de diamètre.

Déjà en 1976, Donald J. Kessler, expert en débris spatiaux auprès de la NASA, avait découvert que les capsules du programme Gemini présentaient des impacts provoqués par des débris cosmiques. A l'époque si les données de chaque objet satellisé étaient cataloguées, elles n'étaient pas maintenues sur une base régulière ni avec suffisamment de précision pour connaître leur position exacte et avertir le cas échéant les équipages en orbite. Ce problème est depuis connu sous le nom du "Syndrome de Kessler".

Le problème est complexe car toute collision éparpille des milliers de débris dans l'espace. Si on connaît les trajectoires et vitesses de l'impacteur et de la cible, on peut calculer la dispersion des débris et leurs trajectoires. Mais cela se complique car ces débris peuvent eux-mêmes percuter d'autres débris en cascade qui se dispersent sur des orbites inconnues. Si les orbites les plus basses ne font courir aucun risque à personne, certains débris représentent une vrai menace pour les stations spatiales habitées et les satellites opérationnels.

Pour étudier réellement ce qui se passe en orbite et obtenir une image plus complète du temps que met un débris pour retomber sur Terre, depuis 1985 les militaires américains font volontairement entrer en collision des satellites inactifs. Ainsi, en septembre 2001 le satellite P-78 pesant 850 kg fut intentionnellement frappé par un projectile de 16 kg. La collision donna naissance à 285 débris, tous catalogués et donc suivis par le NORAD.

Mais ces tests doivent être effectués loin des orbites des satellites opérationnels et des stations spatiales au risque de gravement les endommager. En effet, si les modules vitaux de la station ISS sont blindés comme un char d'assaut, son revêtement ne pourrait pas résister à l'impact d'un objet de plus de 2 cm de diamètre propulsé en sens contraire à son vol. C'était déjà le cas des navettes spatiales. Pour rappel, un débris d'aluminium de 1 mm propulsé dans l'espace à 5 km/s présente autant d'énergie cinétique qu'une boule de bowling lancée à 100 km/h. Un débris de 10 g propulsé à 11 km/s présente une énergie cinétique de 1.21 mégajoule (c'est équivalent à celle d'une masse de ~180 kg propulsée à 140 km/h).

A gauche, l'effet provoqué par une bille de 12 mm en aluminium pesant 1.7 g projetée à 6.8 km/s (24480 km/h) contre un bloc du même métal de 18 cm d'épaisseur. Edifiant ! La bille s'est volatilisée et forma un cratère d'impact de 9.0 cm de diamètre et de 5.3 cm profondeur qui provoqua un décollement de l'aluminium sur la surface opposée... A l'impact, la pression et la température dépassèrent celles qu'on rencontre au centre de la Terre, soit plus de 365 GPa et plus de 5700°C. Au centre, impact météoritique dans un hublot de la navette spatiale Challenger au cours de la mission STS-7 en 1983. A droite, un impact dans la protection du Télescope Spatial Hubble. Imaginez les conséquences que cela pourrait avoir si cela devait tomber sur un astronaute lors d'une sortie extravéhiculaire... Ce risque d'impact est un danger permanent qu'il faut considérer très sérieusement. Documents ESA et NASA.

A l'époque des navette spatiales, les hublots de certaines navettes ont dû être remplacés 80 fois en l'espace de 20 ans en raison des impacts (certaines navettes effectuant jusqu'à 7 missions par an) ! Atlantis fut égratignée par ces débris, entaillant le revêtement de son bord d'aile sur 2.5 cm. Quand on sait que le bord d’attaque des ailes subit l’une des chaleurs les plus élevées lors de la rentrée atmosphérique, rappelez-vous l'accident de Columbia, il est judicieux de tirer la sonnette d’alarme. Même les revêtements métalliques et les panneaux solaires du Télescope Spatial Hubble ont été endommagés par des débris. La situation devint tellement critique qu'en 2005 la NASA reposa la question du nettoyage de l'orbite terrestre car il était évident que la majorité des fragments ne retomberaient pas d'aussitôt sur Terre.

Le risque de collision

Avec les milliers de satellites en orbite et les millions de débris qui s'y mêlent, en 1993, au cours d'une mission d'inspection, on constata que l'une des antennes du Télescope Spatial Hubble qui orbite à ~610 km d'altitude présentait un trou d'impact de 1 cm de diamètre. Entre 1993 et 2002, on remplaça deux fois les panneaux solaires sur Hubble qui avaient été endommagés ou percés par des météorites jusqu'à former des cratères de plusieurs millimètres de diamètre (cf. ESA).  En 1996, un débris d'Ariane 1 V16 percuta le satellite Cerise à 14.7 km/s et l'endommagea (cf. F.Alby et al., 1997).

Au cours des missions sur la station ISS, les astronautes ont relevé sur les surfaces extérieures, sur les instruments et sur les navettes spatiales des impacts inférieurs au millimètre pouvant entraîner une dégradation des propriétés optiques, électriques, thermiques, d'étanchéité ou d'autres propriétés.

En 2009, la NASA estimait que le risque de collision était de l'ordre 0.0002% ou 1/50000 par satellite et par an. Avec quelque 3000 satellites en orbite à l'époque en comptant les grands débris, la probabilité d'un impact était de 6.25% chaque année soit 1 chance sur 16. Avec les dizaines de milliers de satellites qui seront lancés les prochaines années et les collisions qui se produisent chaque année, selon l'ESA, le risque de collision atteindra 20% en 2038.

Pour lutter efficacement contre le risque potentiel de collision, les grandes agences ont pris ce problème à bras le corps depuis 1993 et ont créé un comité dénommé "Inter-Agency Space Debris Coordination Committee" (IADC) chargé de prendre des mesures concrètes en cas de besoin. Ouf !

Que coûte la "dépollution" des orbites ? Une première estimation faite en 1996 indique que le nettoyage des orbites jusqu'à 800 km d'altitude de tous les débris mesurant entre 1 et 10 cm coûterait environ 80 millions de dollars et nécessiterait 2 ans de travail. Un nettoyage jusqu'à 1500 km d'altitude prendrait 3 ans et coûterait environ... 160 millions de dollars ! (soit un peu moins de la moitié du prix d'une nouvelle navette spatiale).

Si les États acceptent d’y consacrer un peu d’argent plutôt que de prendre des risques bientôt inconsidérés, il est probable que d'ici quelques années les experts des Services du Département Environnement du Centre Goddard de la NASA devront envoyer un ferrailleur "dépolluer" l'espace qui, faut-il le rappeler, est une ressource pour toute l'humanité.

En 2019, un nouvel outil présenté ci-dessous fut proposé au public pour démontrer à quel point l'orbite terrestre est encombré de satellites opérationnels et de débris. Appelé "Conjunction Streaming Service Demo" (Démo du service de diffusion en continu de Conjonction), l'outil graphique développé par l'Université du Texas dans le cadre du projet ASTRIA illustre en temps réel le grand nombre d'objets spatiaux - sur un assortiment de 1500 objets en orbite basse (LEO) - qui se rapprochent dangereusement les uns des autres.

A consulter : The current state of space debris, ESA, 2020

Conjunction Streaming Service Demo

Le trafic spatial en temps réel

A gauche, illustration de l'encombrement de l'espace et du risque de collision provoqué par les débris spatiaux. A droite, le statut des satellites en orbite et des débris spatiaux. Documents Dotted Yeti/Shutterstock et ASTRIA

L'axe des abscisses indique le temps, l'axe des ordonnées indique la distance qui sépare deux objets en approche, allant de 5 à 0 km. Sur le graphique figurent une série d'arcs qui représentent la distance entre deux objets spatiaux. Chaque arc présente une couleur indiquant les types d'objets concernés. Les arcs verts indiquent deux satellites opérationnels susceptibles de se déplacer l'un par rapport à l'autre. Ceux-ci sont sous contrôle et en principe manoeuvrables. Les arcs jaunes indiquent un satellite mobile ou un objet non manoeuvrable. Les arcs rouges indiquent deux objets incontrôlables ou des débris qui évoluent sur une trajectoire susceptible de conduire à une collision. La plupart des arcs sont rouges...

Plus l'arc s'étend vers 0 km, plus les deux objets spatiaux se rapprochent l'un de l'autre avec un risque potentiel de nearmiss quand ils se frôlent d'un peu trop près voire de collision. Toutes les 10 minutes il y a au moins 2 objets dont la séparation descend sous 1 km. Ces objets ont une vitesse propre variant entre 1 et 16 km/s. Si vous suivez le graphique pendant quelques heures, vous avez toutes les chances d'observer un nearmiss à moins de 100 m de distance.

Soulignons que le graphique montre les prédictions basées sur les données maintenues par l'USAF mais les positions des objets peuvent être légèrement décalées. Il est également important de rappeler que même si ces objets se rapprochent les uns des autres, la plupart de ces satellites sont relativement petits et donc les collisions sont peu fréquentes. En effet, même si les objtes se rapprochent à moins de quelques centaines de mètres, leur taille réelle étant beaucoup plus petite, le risque de collision reste exceptionnel.

Pour éviter d'éventuelles collisions dans l'espace, l'USAF avertit les opérateurs de satellites si leur engin spatial risque de heurter quelque chose et émet des notifications lorsque les probabilités d'une collision sont élevées. Si cela est possible, les opérateurs éloigneront alors leur satellite pour éviter tout impact potentiel. C'est un processus qui est surveillé en permanence et généralement sans publicité.

Les collisions de satellites artificiels - entre charges utiles et non avec des débris - sont extrêmement rares. La dernière collision remonte au 10 février 2009 entre les satellites Iridium-33 (560 kg) et Kosmos-2251 (900 kg) qui se sont percutés à 11.6 km/s sur des trajectoires perpendiculaires à 776 km au-dessus de la péninsule de Taïmir, dans l'Arctique sibérien. La collision engendra plus de 2300 débris qui sont suivis plus d'innombrables débris trop petits pour être inventoriés (cf. NASA).

A voir : Iridium 33 and Cosmos 2251 Collision, AGI

A lire : Collision entre deux satellites artificiels (sur le blog, 2009)

Mais à mesure qu'on place de nouveaux satellites en orbite, les experts estiment que ce type d'incident sera plus fréquent. En effet, le nombre de satellites placé en orbite basse devrait augmenter considérablement, en particulier suite aux projets de sociétés privées comme SpaceX (12000 satellites StarLink), OneWeb (600 satellites vers 2022) et Amazon (3236 satellites) qui s'engagent à placer sur l'orbite LEO des milliers de satellites pour assurer la couverture Internet de toute la planète.

Le débris ENVISAT

Savez-vous qu'il y a en orbite un débris grand comme un camion et du poids de la Tour Eiffel ? En effet, il y a toujours là-haut le satellite de télédétection ENVISAT (Code COSPAR 2002-009A) construit par Astrium pour la modique somme de 2.3 milliards d'euros. Lancé par l'ESA en 2002 pour une mission de 5 ans, l'opérateur prolongea sa mission jusqu'en 2012, tout en sachant qu'il n'aurait plus de carburant pour être désorbité ! Aujourd'hui il est inactif.

Hors tout, ENVISAT mesure 26x10x5 m et sa masse représente 8140 kg. C'est le plus gros débris en orbite ! Il dérive à 768 km d'altitude et coupe régulièrement la trajectoire des autres satellites. Vu sa masse, il est impossible de le tracter avec un Cubesat de 10 cm3 et vu ses dimensions il est impossible de le capturer avec un satellite de désorbitation de type Medusa.

A gauche, le satellite ENVISAT lors de sa construction chez Astrium le 18 août 2009. A droite, une vue d'artiste du satellite en orbite (la barre noire sous le satellite est l'antenne du radar ASAR en bande C). Documents ESA.

L'ESA a proposé une mission spéciale pour le désorbiter mais en 2013 elle estimait son coût à 300 milions d'euros. Depuis c'est le status quo. En 2021, lors d'une conférence de l'ESA, des chercheurs de l'Université de Padoue ont proposé de percuter ENVISAT avec un impacteur de 100 kg basé sur le satellite SDS-1 de la JAXA ou un étage de fusée basé sur le second étage de 4 tonnes de la fusée chinoise Long March CZ2C. Tout a été prévu, en particulier la distribution des débris qui résulteraient de la collision. Selon la masse et la vitesse de l'impacteur ainsi que l'altitude de la collision, le nombre de débris peut être multilplié par quatre.

Bref, dans ce scénario les chercheurs préfèrent prendre le risque d'avoir encore plus de petits débris entre 500 et 2000 km d'altitude plutôt qu'un seul grand satellite à la dérive. Mais il reste toujours la solution de le conduire vers une orbite basse pour qu'il se consumme dans l'atmosphère. Pour l'heure, l'ESA n'a toujours pas pris de décision, alors que le risque de collision, lui, augmente tous les jours.

Les near miss entre satellites

Pour la première fois le 2 septembre 2019, le satellite StarLink 44 de SpaceX mis en orbite le 24 mai s'était trop rapproché du satellite Aeolus de l'ESA. Malheureusement, SpaceX n'était pas au courant de la nouvelle estimation de probabilité de l'USAF et ne prit aucune mesure pour corriger la trajectoire de son satellite. Selon SpaceX , "Un bug dans notre système de paging (la radiomessagerie sur appel) empêcha l'opérateur de Starlink de consulter le suivi de la correspondance sur cette probabilité qui augmenta. Si l'opérateur de Starlink avait vu la correspondance, nous nous serions coordonnés avec l'ESA pour déterminer la meilleure approche avec la poursuite de leur manœuvre ou notre exécution d'une manœuvre." Le risque de collision étant de 1 pour 1000 soit 10 fois au-dessus des critères de sécurité, finalement les responsables de l'ESA ont décidé de déplacer leur satellite pour éviter une collision.

Le 2 septembre 2019, l'ESA effectua une manœuvre d'évitement de collision pour protéger son satellite Aeolus d'une collision avec le satellite StarLink 44 de la méga-constellation de SpaceX. Document ESA.

Dans une interview accordée au webzine "Forbes", Holger Krag de l'ESA déclara : "Personne n'a rien fait de mal. L'espace est là pour que tout le monde puisse l'utiliser. Fondamentalement, sur chaque orbite, vous pouvez rencontrer d'autres objets. L'espace n'est pas organisé. Et nous pensons donc que nous avons besoin de la technologie pour gérer ce trafic". Le problème est que les incidents se repètent, on en parle, mais personne n'agit.

Puis un second near miss se produisit le 29 janvier 2020 à 23h39 UT entre deux satellites défunts : l'observatoire spatial IRAS lancé en 1983 pesant 1 tonne frôla le satellite GGSE-4 de l'USAF lancé en 1967 et pesant 85 kg entre 15 et 30 m de distance à la vitesse de 14.7 km/s (cf. cette vidéo sur YouTube).

Un autre cas est survenu en mars 2021, lorsque le 18e squadron de contrôle spatial de l'US Space Force (18SPCS) signala sur le réseau Twitter un "breakup", une collision avec Yunhai 1-02 (matricule 44547, 2019-063A), un satellite militaire chinois lancé en septembre 2019 qui orbite à 780 km d'altitude.

Selon l'astrophysicien et traqueur de satellites Jonathan McDowell du Centre Harvard-Smithsonian d'Astrophysique de Cambridge, au Massachusetts, le 14 août 2021, la base de données de Space-Track.org que le 18SPCS propose aux utilisateurs enregistrés, contenait un nouveau commentaire à propos d'un objet catalogué "48078, 1996-051Q" où il était précisé : "Collided with satellite" (entré en collision avec un satellite). C'était la première fois que ce type d'entrée était mentionnée dans un commentaire officiel.

L'objet 48078 est un petit morceau de débris spatial, probablement de 10 à 50 cm de longueur, provenant de la fusée Zenit-2 qui lança le satellite espion russe Tselina-2 en septembre 1996. Huit débris provenant de cette fusée ont été suivis au fil des ans, mais l'objet 48078 ne dispose que d'une seule entrée dans la base de données, des paramètres qui furent collectés en mars 2021. 

Vu le peu de données orbitales disponibles, McDowell conclut : "Je conclus qu'ils ne l'ont probablement repéré dans les données qu'après qu'il soit entré en collision avec quelque chose, et c'est pourquoi il n'y a qu'un seul ensemble de données orbitales. La collision s'est donc probablement produite peu de temps après l'époque [de calcul] de l'orbite. Qu'a-t-elle touché ?"

Selon McDowell, le satellite Yunhai 1-02, qui s'est séparé le 18 mars 2021, était "le candidat évident" et les données confirmèrent qi'il était bien la victime. Yunhai 1-02 et l'object 48078 sont passés à moins de 1 km l'un de l'autre - dans la marge d'erreur du système de suivi - à 3h41 HAE soit 07h41m TU le 18 mars 2021, "exactement lorsque 18SPCS rapporta que Yunhai se brisa", rapporta McDowell dans un autre tweet. A ce jour, 37 débris engendrés par cette collision ont été détectés mais il y en a probablement d'autres que les autorités devront suivre si elles veulent éviter une nouvelle collision.

TLE du satellite 44547, 2019-061 :

1 44547U 19063A 21245.81699274 .00000157 00000-0 73933-4 0 9995

2 44547 98.5292 271.1405 0001420 24.6459 335.4792 14.32664822101494

TLE de l'objet 48078, 1996-051Q :

1 48078U 96051Q 21075.18227694 .00001278 00000-0 63347-3 0 9996 

2 48078 71.0590 233.6196 0132231 41.5133 319.5940 14.14595323901851

Sources: Space-Track.org

Malgré les dégâts, Yunhai 1-02 a apparemment survécu à cette violente rencontre. En effet, les radioamateurs ont continué à détecter les signaux du satellite bien qu'ils ne puissent pas certifier si Yunhai 1-02 assure toujours la fonction pour laquelle il fut conçu.

Impact et near miss avec la station ISS

En 2022, cela fait 23 ans que la station ISS est en orbite. Évoluant sur une orbite basse à 408 km d'altitude à 7.66 km/s, c'est une cible très vulnérable car elle évolue dans la région orbitale la plus peuplée par les satellites en orbite LEO (400-2000 km d'altitude). A ce jour, on dénombre plus de 30 near miss ou rencontres rapprochées avec des débris orbitaux dont certains nécessitèrent une manoeuvre d'évitement comme en 2001 où la station ISS manoeuvra pour éviter un débris de 7 kg. Selon la NASA, il y eut 25 manoeuvres d'évitement entre 1999 et 2018, un near miss en 2019, trois near miss en 2020 et trois near miss en 2021.

Le trou de 5 mm provoqué par l'impact d'un débris cosmique dans le Canadarm2 constaté en mai 2021. Document NASA/CSA.

Comme on le voit à gauche, en mai 2021 les astronautes à bord d'ISS ont constaté qu'il y avait un trou de 5 mm dans le Canadarm 2, le bras robotisé construit par le Canada. Il s'agit d'un impact provoqué par un débris cosmique. Heureusement, cela n'a pas affecté le fonctionnement du bras et ne toucha personne.

Le 11 novembre 2021, la station ISS fut contrainte de manœuvrer pour éviter une collision potentielle avec des débris spatiaux du défunt satellite météorologique Fengyun-1C, détruit en 2007 par un test de missile anti-satellite chinois. Le satellite explosa en plus de 3500 débris qui sont suivis dont la plupart sont toujours en orbite, auxquels s'ajoutent de nombreux plus petits débris non identifiés (cf. NASA). Beaucoup débris sont retombés à l'altitude orbitale de la station ISS. Pour éviter la collision, le vaisseau de ravitaillement russe Progress amarré à la station alluma ses fusées d'appoints pendant un peu plus de six minutes. Cela modifia la vitesse de la station ISS de 0.7 m/s et releva son orbite d'environ 1.2 km.

Le 15 novembre 2021, l'équipage de la station ISS fut réveillé par le contrôle au sol qui les alerta que des débris spatiaux risquaient d'entrer en collision avec la station orbitale et qu'ils devaient regagner d'urgence leur capsule spatiale Dragon ou Soyouz respective par mesure de sécurité. Selon la NASA, les Russes auraient lancé un missile ASAT (anti-satellite) pour tester leur capacité à détruire un satellite, dans ce cas-ci Cosmos-1408, un ancien satellite russe inactif qui orbitait 65 km plus haut que la station ISS qui orbite à environ 420 km d'altitude.

D'après les calculs des spécialistes en balistique du centre Johnson de la NASA, la destruction de ce satellite généra un nuage de plus de 1500 débris à une altitude proche de celle de la station ISS qui devait passer à trois reprises près ou dans le nuage de débris. Elle risquait d'être touchée lors du deuxième ou du troisième passage entre 7 et 9 h GMT. Pendant cette période, l'équipage d'ISS se mit en sécurité. Heureusement, finalement les débris passèrent loin de la station ISS et la menace fut écartée.

Ensuite l'affaire se déplaça rapidement sur le plan politique.

Dans un tweet publié le même jour, Bill Nelson, l'administrateur de la NASA depuis avril 2021, déclara "Il est impensable que la Russie mette en danger non seulement les astronautes partenaires internationaux de l'ISS, mais aussi leurs propres cosmonautes."

La station ISS le 4 octobre 2018, lors de l'Expédition 56 après le désamarrage du vaisseau russe Soyouz. Document NASA/Roscosmos.

La Russie n'a d'abord pas confirmé ou nié officiellement les faits mais peu après cet incident l'agence Roscomos signala un retour à la normale. Si tout s'est bien terminé, cet incident souligne le risque réel que prennent les astronautes face aux débris abandonnés dans l'espace et les tirs irresponsables de la Russie.

Le Secrétaire d'État américain Anthony Blinken déclara lors d'une interview que le test démontre clairement que la Russie, "malgré ses prétentions à s'opposer à la militarisation de l'espace extra-atmosphérique, est prête à [...] mettre en péril l'exploration et l'utilisation de l'espace extra-atmosphérique par toutes les nations par son comportement imprudent et irresponsable" (cf. ABC News, 2021)

L'agence Roscosmos répondit aussitôt que "la sécurité inconditionnelle de l'équipage a été et reste notre principale priorité."

Finalement, le 16 novembre 2021 le ministère russe de la Défense Sergueï Choïgou confirma avoir effectué un test et détruit un satellite défunt qui est en orbite depuis 1982, mais insista sur le fait que "les États-Unis savent avec certitude que les fragments résultants, en termes de temps de test et de paramètres orbitaux, n'ont pas été et ne constitueront pas une menace pour les stations orbitales, les engins spatiaux et les activités spatiales". Il qualifia les responsables américains d'"hypocrites".

Le ministre russe de la Défense déclara que la frappe avait été menée "avec une précision chirurgicale" et ne représentait aucune menace pour la station spatiale. Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov qualifia également "l'hypocrisie" américaine de dire que la Russie crée des risques pour les activités pacifiques dans l'espace.

De fait, il faut rappeler que les Américains ont la même technologie que les Russes et les Chinois et la teste dans l'espace parfois sans le dire à personne. En effet, un essai d'arme similaire fut réalisé par la Chine en 2007, par les États-Unis en 2008 et par l'Inde en 2019 mais à des altitudes beaucoup plus basses, bien en dessous de la station ISS. De plus, ce n'est plus un secret, les équipages de la station ISS assurent également des missions militaires dont on ne sait quasiment rien.

A voir : Gravity" continuous shot. Opening Scene. Space debris hits Explorer

Le Secrétaire Général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, déclara dans une interview accordée aux journalistes au siège de l'organisation à Bruxelles, que les actions de la Russie mettaient en danger la station spatiale : "C'était un acte imprudent de la part de la Russie d'abattre et de détruire un satellite dans le cadre d'un test d'un système d'armes anti-satellites." Stoltenberg déclara que c'était une préoccupation supplémentaire "parce que cela démontre que la Russie développe actuellement de nouveaux systèmes d'armes qui peuvent abattre les satellites, peuvent détruire d'importantes capacités spatiales pour les infrastructures de base sur Terre, comme les communications, comme la navigation, ou comme l'alerte précoce des lancements de missiles."

Le tweet de Jim Bridenstine, alors administrateur de la NASA, rappela que POTUS alias the President Of The United States, a demandé 15 millions de dollars au Congrès pour que le Bureau du Commerce Spatial assure la surveillance des objets spatiaux et coordonne les alertes. Sa demande n'a toujours pas été entendue.

Sur le plan légal, le Traité de l'Espace de l'ONU entré en vigueur en 1967 qui interdit l'usage d'armes nucléaires dans l'espace n'est pas contraignant pour les armes conventionnelles et malheureusement les grandes puissances spatiales profitent de cette faille pour tester de nouvelles armes dans l'espace. Par ailleurs, l'existence même de l'US Space Force et des satellites espions, y compris européens et même français, confirme que l'espace est le nouveau champ de bataille géopolitique et représente un enjeu stratégique pour les grandes nations au même titre que le sont certains territoires, détroits, passages maritimes et îles sur Terre.

En résumé, comme toutes les puissances spatiales, la Russie se croit en dehors de toute juridication là-haut et fait ce qu'elle veut. Les puissances spatiales sont des hors-la-loi une fois dans l'espace, ne respectant plus aucune loi ni éthique, ce qui ne présage rien de bon !

Face à ce danger de collision qui devient tous les jours plus concret, une étude de la NASA estima que pratiquement tous les satellites des méga-constellations en orbite LEO devront être éloignés de tout danger tous les cinq ans, sans quoi le risque de collision augmenterait de manière exponentielle. Avec l'outil présenté ci-dessus, il est clair que dès aujourd'hui l'orbite basse est très encombrée, ce qui signifie qu'il est urgent de gérer tout le trafic spatial si nous voulons que l'espace reste propre et sans danger.

Mais si on en juge par le taux auquel Elon Musk lance ses satellites, il sera bientôt trop tard pour éviter le pire. En effet, sachant que les collisions sont proportionnelles au carré du nombre d'objets en orbite, s'il y a 10 fois plus de satellites, le risque de collision est 100 fois plus élevé. Etant donné que la densité du trafic augmente (on passera de ~4000 satellites en 2021 à plus de 110000 dans quelques années), il est inévitable que les collisions qui jusqu'ici restaient une préoccupation mineure du problème des déchets spatiaux deviendront une préoccupation majeure qui exigera des actions concrètes de dépollution de l'espace.

La NASA a souhaité que cette surveillance des débris spatiaux soit confiée à un service civil. En 2020, Jim Bridenstine, alors administrateur de la NASA, publia un tweet dans lequel il rappela que le président Biden a demandé 15 millions de dollars au Congrès pour que le Bureau du Commerce Spatial, un service civil, prenne en charge la surveillance des objets spatiaux et coordonne la gestion des alertes aux opérateurs de satellites privés en cas de risques de collision. Sa demande n'a toujours pas été entendue. A ce jour, c'est toujours une unité de l'USAF qui est chargée de la surveillance spatiale. En complément, depuis 2020 la société privée Leo Labs publie des prédictions de near miss et possibles collisions entre satellites en orbite basse parmi d'autres informations.

Cataloguer les objets artificiels dans l'espace cislunaire

Dans la perspective du prochain vol habité vers la Lune et de sa colonisation ultérieure, on apprenait en 2023 que des chercheurs de l'Université d'Arizona (UAz) développent des moyens de détecter, de caractériser et de suivre des objets dans l'espace cislunaire, c'est-à-dire la région de l'espace située entre la Terre et la Lune.

Dans ce but, Roberto Furfaro du Département du génie des systèmes et de l'industrie de l'UAz et Vishnu Reddy du Département des sciences planétaires à Biosphere 2 (qui est également géré par l'UAz) ont reçu une enveloppe de 7.5 millions de dollars du laboratoire de recherche de l'USAF, l'AFRL (Air Force Research Laboratory).

Jusqu'à présent, personne ne sait exactement combien d'objets artificiels se trouvent au-delà de l'orbite cislunaire ni où ils se trouvent à un moment donné. Sans moyen de suivre le trafic, l'espace orbital entourant la Lune pourrait rapidement devenir encombré et représenter une menace pour les missions spatiales. Furfaro et Reddy estiment qu'en 2023 il n'y a que quelques dizaines de charges utiles en orbite autour de la Lune.

Alors que les collaborations antérieures de l'USAF avec les chercheurs civils se concentraient sur la détection d'objets à portée géostationnaire, ce projet s'étend à 40000 km de la Terre et au-delà.

Roberto Furfaro et Vishnu Reddy devant un télescope dobsonien de 61 cm d'ouverture construit par les étudiants de premier cycle en génie de l'UAz.

Les charges utiles lancées en orbite cislunaire sont pour la plupart connues mais ne sont pas surveillées par une agence internationale centrale. L'équipe de l'UAz a mis sur pied une cyberinfrastructure pour caractériser et identifier les objets afin de baliser une route sécurisée vers la Lune. Comme on balise une nouvelle voie de communication terrestre, le but n'est pas d'augmenter l'efficacité des routes vers la Lune, mais d'étudier les premières sources de trafic pour mieux éclairer la prise de décision avant même que les routes n'existent.

Selon Benjamin Seibert, responsable de la zone de contrôle de mission des petits satellites autonomes ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance) à l'AFRL, "Les capacités de détection, de suivi et de catalogage d'objets de la Terre à la Lune et au-delà permettent une liberté de navigation essentielle à l'utilisation civile et commerciale de l'espace. Nous sommes très heureux de poursuivre nos collaborations avec l'Université d'Arizona."

Le but du projet est de suivre les nouveaux objets artificiels en orbite cislunaire et au-delà et de les avoir tous catalogués avant le début des missions habitées vers la Lune.

Furfaro se consacrera à la mécanique orbitale et l'apprentissage automatique pour les objets artificiels spatiaux tandis que Reddy s'occupera de la détection et du suivi.

Reddy et ses étudiants du Lunar and Planetary Laboratory utilisent des capteurs dédiés déjà utilisés à Biosphere 2 pour caractériser les objets dans l'espace. Leur équipement comprend plusieurs télescopes dédiés à la reconnaissance du domaine spatial, dont un modèle de 61 cm (24") de diamètre présenté à droite construit par un groupe d'étudiants de premier cycle en génie de l'UAz. Deux télescopes furent construits pour un coût total de 30000$, à peine le tiers de ce que coûterait des modèles similaires achetés dans le commerce.

Le défi est moins simple qu'il n'y paraît. En effet, le suivi d'objets artificiels dans l'espace cislunaire plutôt que d'objets naturels tels que des astéroïdes s'accompagne d'un ensemble unique de défis à relever. Les objets situés dans l'espace cislunaire sont plus difficiles à voir, non seulement parce qu'ils sont plus éloignés que les objets en orbite autour de la Terre, mais parce qu'ils peuvent être noyés dans l'éclat de la Lune. Selon Reddy, "C'est comme suivre une luciole qui vole autour d'un projecteur."

On ne peut que leur souhaiter bonne chance et que ce projet aboutisse.

Nettoyer l'espace de ses débris

On constate que les nations gèrent l'espace comme elles gèrent la Terre, c'est-à-dire comme une poubelle et cela n'inquiète pas les opérateurs ni les agences spatiales ! Après le triste exemple de la pollution que nous avons exportée en Antarctique et en Himalaya, nous reproduisons dans l'espace les mêmes erreurs que nous avons commises sur Terre ! Et en toute impunité puisqu'il n'y a pas d'autorité, l'espace appartenant à tout le monde et donc à personne.

Mais si on ne veut pas risquer un accident grave lors d'une prochaine mission spatiale habitée, il faudra bien un jour nettoyer l'espace proche de ses débris. Des chercheurs ont proposé diverses solutions, notamment pour les petits satellites inactifs. On pourrait par exemple les tracter avec un Cubesat (des cubes modulables de 10 cm de côté et 1.3 kg) ou les capturer dans les bras tentaculaires du satellite Medusa et les emmener jusqu'à une orbite basse où ils pourraient se consummer dans l'atmosphère. Sauf qu'aucune nation n'est vraiment emballée par ce travail. En effet, qui payera ce grand nettoyage sachant que ce sera un travail sans fin et très onéreux qui ne rapporte rien ? La question reste ouverte. Allons-nous ici aussi attendre un accident fatal pour réagir ? Avis aux (riches) bonnes volontés.

Deuxième partie

Pourquoi un satellite artificiel retombe-t-il sur Terre ?

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