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La Bible face à la critique historique

L'origine du Dieu unique (II)

La transition des dieux païens vers Yahvé

Au IXe siècle avant notre ère, à l'époque du roi Omri, père du roi Akhab, le souverain du royaume d'Israël trouva un compromis pour faire cohabiter le dieu Yahvé aux côtés du dieu Baal phénicien dans un temple situé à Béthel. Mais cela révolta les juifs yahvistes, ce qui conduisit à la destruction du temple de Baal érigé à Samarie par le putschiste Jéhu qui mit fin à la dynastie des Omrides et monta sur le trône d'Israël entre 841 et 814 avant notre ère (2 Rois 10:21-27). Notons que ce sanctuaire de Samarie n'a pas encore été découvert. Ceci dit, le putsch de Jéhu se solda tout de même par un échec car il dut faire allégeance aux Assyriens et reconnaître la suprématie de leurs dieux en s'acquittant d'un tribut (les Assyriens considéraient Jéhu comme le "fils" d'Omri) comme le relève une inscription de Salmanasar datant de 841 avant notre ère. On reviendra sur la puissance du roi Omri et sur la stèle de Mesha qui évoque la révolte du roi de Moab contre le royaume d'Israël.

Le choc des cultures. A gauche, le tétragramme YHWH gravé en paléohébreu sur une pierre découverte sur la montagne de Shomeron en Samarie, dans le royaume du Nord. Au centre, une stèle de Baal (Baal au foudre) de 142x50 cm datant du XIVe ou XIIe siècle avant notre ère découverte à Ougarit et exposée au Musée du Louvre (réf. AO 15775). Le petit personnage gravé sur la droite est probablement le roi d'Ougarit que protège le dieu guerrier. A droite, représentation contemporaine de Baal, l'idole sémitique cananéenne et phénicienne surmontée du disque solaire.

C'est à cette époque que la représentation du dieu Baal évolua dans le royaume du Nord, passant progressivement vers une symbolique d'influence phénicienne; le dieu de l'orage représenté par un taureau parfois humanisé est accompagné par un dieu solaire ailé ougarite (ou parfois le taureau est ailé et surmonté d'un disque solaire). Sous cette représentation, ce dieu s'appelle Baal shamem (le Seigneur du ciel) qui est une divinité phénicienne qui peut aussi représenter Baal ou Yahvé. Le Psaume 104 fait justement référence à ce dieu Baal shamem (ou Baal shamim) qui assure la transition entre les deux formes divines, le dieu de l'orage et le dieu solaire entouré de serviteurs ailés : "il s'enveloppe de lumière et déploie le ciel comme une toile, il prend les nuages pour char et s'avance sur les ailes du vent". Nous ne sommes plus très loin des représentations de Dieu résidant dans les cieux, auréolé de sa Gloire et accompagné des anges. On retrouve également cette représentation d'un dieu païen surmonté d'un disque solaire divin ailé sur des sceaux appartenant à des personnalités du royaume du Nord. Sur ces sceaux figurent des noms comme "Yoab" (Yahvé est père) ou "Padayahu" (Yahvé sauve), ce qui indique clairement que Yahvé est devenu le dieu tutélaire.

On en déduit qu'entre 1200-1000 avant notre ère, plus ou moins inconsciemment, les habitants du royaume du Nord ont d'abord accepté la cohabitation du dieu Yahvé aux côtés de leurs idoles puis sa suprématie sur celles-ci, tandis que Yahvé l'emporta sur les dieux païens à partir du putsch de Jéhu en 841 avant notre ère.

A gauche, stèle du dieu de l'orage néo-hittite Tarhunz (ou Tarhunza, Tarhuwant) debout sur un taureau et portant lui-même des cornes, tenant dans ses mains la foudre et le tonnerre surmonté du dieu solaire ailé. La stèle fut découverte dans le nord de la Syrie, sur le site de Tell Ahmar, juste à côté de l'ancienne cité néo-assyrienne de Til Barship, près de l'Euphrate. Cette stèle gravée vers 900 avant notre ère contient un texte en akkadien commémorant la campagne militaire du roi Hamiyatas de Masuwari. Elle est exposée au musée d'Alep. Au centre, "l'obélisque noir" sculpté sur ses quatre faces dans du calcaire noi découvert en 1846 à Nimrod (Kahlu), ancienne capitale de l'Assyrie. Erigé en 825 avant notre ère, il décrit les victoires militaires de Shalmaneser III. A droite, l'agrandissement de la partie supérieure de l'obélisque illustrant le tribut de Jéhu, "fils" d'Omri, aux Assyriens après son putsch en 841. L'obélisque mesure 197.8x45.1 cm et est exposé au British Museum.

Enfin, comme le rappellent Nahman Avigad et Benjamin Sass[4], on a découvert à Jérusalem des sceaux datant du VIIIe siècle avant notre ère représentant le dieu solaire par un scarabée ailé. L'un de ces sceaux porte l'inscription "Yw'r est [ma] lumière". Les sceaux provenant de Lakish datant de l'époque du roi Ézéchias (c.739-687 avant notre ère) qui régna sur le royaume de Juda, représentent le dieu tutélaire de Jérusalem et de Juda sous les signes du dieu solaire égyptien. D'ailleurs le psaume 84 établit un lien direct entre YHWH et le dieu solaire : "Car YHWH Elohim est un soleil et un bouclier, YHWH donne la grâce et la gloire, il ne refuse aucun bien à ceux qui suivent la voie de l'intégrité" (Psaume 84:12).

Dans d'autres cités antiques, les archéologues James L.Starkey (fouilles de 1932) et David Ussishkin (fouilles de 1973, 1994), découvrirent plus de 300 jarres de stockage datant de l'époque d'Ézéchias portant des estampilles avec l'inscription "l-mlk" (pour le roi) suivi du nom de la localité (Hébron, Lakish, Sif, Sochon, etc.). Voici une jarre "l-mlk" destinée à Hébron.

A l'époque monarchique, il existait donc bien un lien étroit entre YHWH considéré comme "roi des nations" (version primitive du Psaume 47 dans le Psautier elhoiste) et le dieu solaire mais les idoles étaient encore vénérées à l'écart des grandes villes, non seulement par les populations vivant dans le nord mais également par les tribus vivant près du golfe d'Aqaba.

On constate également en passant du Psaume 30 où Yahvé est impuissant fasse à la Mort au Psaume 49:16 où il est aussi puissant que la Mort, que c'est à la fin du VIIIe siècle avant notre ère que Yahvé affirma sa supériorité sur le dieu des Enfers (le Shol où résident les morts).

Mais il faudra encore patienter quelques générations pour formaliser le concept du Dieu unique Tout-Puissant et réunir tous les Israélites sous la même bannière. Ce sera l'oeuvre du roi Josias à partir de 639 avant notre ère puis du prêtre Esdras après le retour de la déportation à Babylone, à partir de 536 avant notre ère. On y reviendra.

En résumé, entre le IXe et le VIIIe siècle avant notre ère, dans le royaume de Juda (nous avons moins de données concernant le royaume d'Israël), Yahvé est devenu le dieu national de la dynastie davidique et principal roi des nations. Il combina les fonctions des dieux El et Baal et absorba celles du dieu solaire. Le temple de Jérusalem fut consacré comme le seul lieu de sacrifice bien qu'il existait encore quelques sanctuaires et autres bamôt (hauts lieux) yahwistes dans les compagnes, tant au Nord qu'au Sud comme le précise le deuxième livre des Rois (2 Rois 12, 14, 23, etc.).

En guise de conclusion, selon Leuenberger les preuves suggèrent que YHWH a une origine méridionale. L’alternative nordique n’est basée que sur le matériel biblique des premiers Psaumes. En revanche, la théorie du Sud repose sur des preuves extra-bibliques et des matériaux bibliques qui mènent indépendamment au même paradigme, tandis que le matériau du Psaume peut également être intégré pour aider à décrire la transformation de YHWH dans le contexte des monarchies en évolution d’Israël et de Juda.

L'origine et la provenance de YHWH ont également des répercussions sur l’ensemble de l’évolution de la Bible et de la religion israélite. Ses débuts historiques doivent être entièrement reconstruits, en tenant compte des traditions de l’Exode, du mouvement de YHWH dans le pays et de son ascension vers le statut de dieu unique. Retracer l’ascension de YHWH dans les traditions régionales d'Israël, avec ses diverses fonctions et caractéristiques en tant que dieu soleil, dieu cité, etc., peut aboutir à une histoire complète de YHWH, le dieu de la Bible.

Vers un monothéisme interne ou externe

En dehors de Jérusalem, la pratique religieuse était moins orthodoxe. Le théologien et bibliste Pierre Grelot[5] (1917-2009) étudia notamment les textes datant du Ve siècle avant notre ère découverts à Éléphantine, située dans le sud de l'Égypte, en face de Syène. On apprend que la communauté judéenne locale faisait encore des sacrifices à une triade divine associée à Yahvé comprenant Yahô (Yahvé), Asim-Bêt'el et Anat Bêt'el. Anat est le parèdre de Yahô, Bêt'el est une divinité araméenne locale tandis que Asim-Bêt'el serait le fils. Cette communauté était en contact épistolaire avec les autorités de Jérusalem et de Samarie qui visiblement toléraient cette vénération peu orthodoxe à Yahvé.

Peu avant 407 avant notre ère, le temple juif d'Éléphantine fut détruit par le clergé égyptien sous la protection du saprate perse. Les juifs demandèrent l'autorisation de le reconstruire au gouverneur perse de Judée (Yehoud) mais nous ne connaissons pas la réponse car la correspondance s'arrêta en 399 avant notre ère. A posteriori, ce temple ne fut pas reconstruit.

Autrement dit, au Ve siècle avant notre ère, il était encore possible de trouver des sanctuaires en dehors de Jérusalem où les juifs vénéraient Yahvé en même temps que d'autres dieux.

Ensuite, après la disparition de l'Empire perse, durant l'époque hellénistique (332 à 141 avant notre ère) on constate que la religion monothéiste caractérise de plus en plus le judaïsme et démarque le peuple juif des autres nations et notamment du polythéisme des citoyens de l'Empire romain. Au début, cette nouvelle religion intrigue autant que séduit une certaine partie de l'aristocratie romaine mais elle ne s'impose pas encore dans l'Empire, si bien que les dieux païens continuent à être vénérés de l'Égypte jusqu'en Europe.

Selon le bibliste et auteur jésuite Pierre Gibert[6], professeur émérite de la Faculté de théologie de Lyon, la raison est que "le monothéisme est très difficile à penser". A l'époque de la Grèce antique, à cette étrange doctine juive, les philosophes grecs lui opposaient la "doxa polutheïá".

Le mot "polythéisme" apparut au Ier siècle de notre ère dans les textes de Philon d'Alexandrie (25 avant notre ère - 45 de notre ère) qui décrivit les pratiques des Grecs et des juifs de la Diaspora d'Alexandrie. Philon, qui croit au Dieu unique utilise le néologisme "poluthéïá" (polythéisme) pour critiquer l’ancienne religion grecque. Selon l'historienne Mireille Hadas-Lebelle[7] de l'Université Paris-Sorbonne, la majeure partie des juifs d'Alexandrie étaient convaincus de la supériorité de la civilisation grecque mais s'expliquaient mal la survivance du polythéisme.E n revanche, le néologisme "monothéisme" ne fut probablement inventé qu'au XVIIe siècle.

En fait, même au sein des deux principales communautés monothéistes, la juive et la chrétienne il existait deux manières de concevoir le monothéisme : interne et externe. Dans les deux religions, il y avait des laïcs prônant une doctrine ségrégationniste, interne, et des sacerdotaux revendiquant l'ouverture aux autres peuples, un monothéisme externe. Encore aujourd'hui, le judaïsme reste une religion ségrégationniste alors que le christianisme est une religion oecuménique.

Noms théophores inspirés de YHWH

Sur le plan historique, on retrouve dans les chroniques akkadiennes antérieures au Xe siècle avant notre ère des noms théophores composés utilisant la forme YHWH comme "YHWH, elohe sebaot" ou Yahvé-Sabaot qui signifie Yahvé ou Dieu des armées. Ce nom est mentionné 284 fois dans la Bible, le plus souvent dans les livres des prophètes et jamais dans le Pentateuque ni le livre d'Ezéchiel. Yahvé-Sabaot désigne la plupart du temps des armées célestes et non terrestres. On trouve également quelquefois le nom Yahvé-Shalom qui signifie Yahvé ou Dieu de la paix qui est également mentionné dans la bible hébraïque et Serayahu qui signifie Yahvé règne élaboré à partir de la racine s-r-r signifiant régner, gouverner, commander.

On retrouve également la racine de Yahvé HWH (et non pas HYH) probablement dérivée de la racine sémitique hyy ou hwy signifiant "être", chez les Phéniciens (XII-Ve siècle avant notre ère) qui auraient adoré un dieu nommé Yo, nom qui figure dans la bible hébraïque auprès de Yah (YH) et Yahu, généralement associés à des formes composées théophores (relatives à Dieu), préposées ou liturgiques : Yoiakin, Yaho, Yah Elohim, y compris Alleluia qui dérive de l'expression "hallelû-yah" signifiant "louez-Yah". On retrouve également cette racine théophore dans des noms propres comme Isaïe ou Ésaïe (Yesa'yahu), Jérémie (Yirmeyahu), Jonathan (Yehonatan), etc.

La forme YHW et sa forme accentuée YHWH (la lettre H sacralise le nom comme dans Abraham ou Sarah) furent aussi utilisées par les Judéens installés en Haute-Égypte au tournant du VII-VIe siècle avant notre ère qui appellent leur Dieu YHW qui se prononce "Yahô" et par les juifs exilés à Babylone au Ve siècle avant notre ère qui l'appellent "Yahû" qui se prononce "Yaiwa" (Yahva). C'est ce nom qui par affaiblissement de la terminaison et déformation du a en é devint le nom "Yahvé" adopté par les Pères de l'Église. Mais nous verrons plus bas que ce n'est pas pour autant que de nos jours le Saint Siège accepte cette traduction à laquelle il préfère le mot "Dieu" et rien d'autre.

YHWH, dieu unique et universel

A l'inverse des cultes polythéistes où un couple voire plusieurs divinités se partagent le bien et le mal, la protection et la souffrance, le Dieu unique YHWH est également la source du bien comme du mal : "Je suis Yahvé, il n'y en a pas d'autre, moi excepté, il n'y a pas de Dieu [...]. Je façonne la lumière, et je crée les ténèbres, je fais le bonheur et je crée le malheur; c'est moi, Yahvé qui fais tout cela" (Isaïe 45:5 et 7).

La Bible nous dit que Yahvé exigea de son peuple une fidélité et une loyauté absolues plutôt que de l'amour. Notons que cette loyauté est également exigée par Jésus. En fait, selon la Bible, Yahvé est un dieu sévère, jaloux, accusateur, vengeur et même dangereux puisqu'il est capable de frapper à mort les infidèles, y compris les patriarches de son propre peuple : "C'est Yahvé ton Dieu que tu craindras, lui que tu serviras, c'est par son nom que tu jureras. Ne suivez pas d'autres dieux, d'entre les dieux des nations qui vous entourent, car c'est un Dieu jaloux que Yahvé ton Dieu qui est au milieu de toi" (Deutéronome 6:13-15).

Ce Dieu se battit avec Noé : "Je vais effacer de la face de la terre l'homme que j'ai créé, depuis l'homme jusqu'au bétail, aux reptiles, et aux oiseaux du ciel ; car je me repens de les avoir faits. Mais Noé trouva grâce aux yeux de Yahvé" (Genèse 6:7-8).Yahvé se battit également avec Jacob et envisagea même d'assassiner Moïse : "Pendant le voyage, en un lieu où Moïse passa la nuit, Yahvé l'attaqua et voulut le faire mourir. Séphora prit une pierre aiguë, coupa le prépuce de son fils, et le jeta aux pieds de Moïse, en disant : Tu es pour moi un époux de sang !" (Exode 4:24-25). Ce Dieu imposa également sa Loi, les Dix Commanderments, et étant donné qu'il conclut une alliance avec le peuple juif, il n'hésita pas à le condamner à mort en cas d'infidélité. Depuis son "invention", Yahvé est donc avant tout un dieu guerrier, bon mais vengeur et même à tendance meutrière à l'occasion si les hommes lui sont infidèles.

Adoration du veau d'or sous Jéroboam qui régna sur la partie nord du royaume d'Israël entre 931-909 avant notre ère.

On en déduit que le Dieu des juifs est un Dieu exclusif et Tout-Puissant, unique et universel. Mais nous verrons qu'il n'est pas encore officiellement établi dans sa fonction car dans l'esprit des Hébreux il partage encore son royaume avec d'autres divinités. En effet, entre l'Exode et l'arrivée en pays de Canaan, on constate que Yahvé ne représente pas encore le Dieu d'Israël. Rappelez-vous le "veau d'or" du temps où Moïse errait avec son peuple dans le Sinaï. Pendant qu'il recevait les "Tables de la Loi" gravées par Yahvé (les Dix Commandements), en attendant son retour, le peuple hébreu fabriqua un veau d'or (Exode 32) et se vautra dans la débauche. Finalement Moïse détruisit le faux dieu et rétablit le culte de Yahvé non sans punir les infidèles et que Dieu ensuite punisse Moïse en l'empêchant de poser les pieds en terre de Canaan.

A l'époque de Salomon, Yahvé doit encore partager son trône avec des dieux païens. En effet, lorsque le roi Salomon bâtit le premier temple à Jérusalem, le premier livre des Rois donne une description détaillée du temple (extérieur et intérieur dans 1 Rois 6:1-38) tandis que second Temple est décrit dans le deuxième livre des Rois (2 Rois 23:4-6) qui précise notamment que du temps du roi Josias sur lequel nous reviendrons on y trouve encore des figurines et des sceaux représentant une statue divine associée à la déesse Ashera (Astarté), la reine du ciel.

Les fouilles réalisées en Israël ont confirmé ce paradoxe. Dans tout le pays, on a découvert des déesses de la fertilité, la compagne de dieu, des animaux sacrés comme le taureau se référant aux dieux Baal et El. Ils apparaissent autant à l'Âge du bronze en pays de Canaan que dans les sites israélites de l'Âge du fer. Il y a donc une continuité entre les différents cultes pratiqués tout au long de l'Histoire de l'Israël antique.

On peut alors se demander pourquoi y a-t-il toujours eu un conflit en ces deux cultes dans l'Israël antique ? Pour cela il faut remettre les découvertes archéologiques en perspective avec le rôle même du culte dans la culture et l'économie du pays. Pour les Hébreux puis les Israélites, Yahvé représente le Dieu national au même titre que les Ammonites (royaume d'Ammon, en Jordanie) vénéraient leurs divinités dont le dieu Molk. Pour les deux peuples, ce ou ces dieux étaient très importants car ils les protégeaient, ils assuraient la fertilité autant des femmes que des champs, ils commandaient les forces de la nature, guidaient leurs chefs de guerre, etc. Nous verrons que même à l'époque de Jésus, il était impensable qu'un Romain puisse croire en l'existence du Messie car son vaste Panthéon divin assurait déjà toutes les tâches attribuées au Messie.

Quant à la question du thème du Dieu vivant évoqué par les prophètes et ensuite par Jésus et les apôtres, il rappelle celui du surhomme né d'une mère humaine fréquemment utilisé dans la littérature sacrée. Géant ou normal, séparé des hommes ou vivant parmi eux, il est doté de pouvoirs surnaturels. Dans l’interprétation judaïque comme des Pères de l’Église, Yahvé et le Christ n'ont pas échappé pas à cette image. On y reviendra à propos du Messie.

Les noms de Dieu

Dans la tradition juive (les Talmuds), en vertu du Troisième Commandement, YHWH (ou YHVH) ne se prononce pas. Or ce tétragramme revient 3018 fois dans la bible hébraïque. Comment dès lors peut-on le lire, ce sont un jour demandés les massorètes (les savants juifs) chargés de l'orthodoxie des textes sacrés et la manière de les lire dans les synagogues.

Document T.Lombry.

Les scribes juifs ont d'abord proposé d'utiliser les voyelles du nom "Adonay" (ou "Adonaï") signifiant "le Seigneur" (Josué 3:11), titre solennel à connotation noble que les chrétiens ont repris. "Adonay" est utilisé dans 417 versets. Grâce à cette substitution, on obtient le nom "Yahweh" (version courte) ou, si on change de syllabe, "Yehwah" et "Yehowah" (version longue) qui furent traduits en grec par le nom "κύριος" (Kyrios, le Seigneur) dans la Septante. Bien plus tard, les Samaritains qui étaient opposés aux Judéens lui ont substitué le nom "Has-sem" ou "Has-Shem" signifiant "le Nom" qui pourrait provenir du nom araméen "sema" (le nom) pour éviter que les païens et les chrétiens ne puissent le nommer.

Si le nom de "Dieu" est universel, son usage et sa traduction dans chacune des langues y compris en hébreu et en grec est très variable. En effet, aux variations orthographiques près, rien qu'en hébreu (cf. la bible hébraïque de Sefarim) il existe au moins 21 noms de Dieu dont 18 sont repris dans l'Ancien Testament, en particulier dans les livres de la Genèse et de l'Exode : YHWH, Yahvé, Je suis (Ehyeh), El, Elohim, al-elohim, Adonay, El-Roï, El-Shaddaï, El-Olam, El-Elyon, El-Elohé-Israël, Yahvé-Jiré, Yahvé-Sabaot, Yahvé-Shalom. Les langues étrangère sont moins riches pour citer en français les noms Dieu, Très-Haut, l'Éternel, Seigneur et Père. Pour expliquer cette diversité, comme éviqué à propos des différentes versions de la Bible, il faut comprendre le style de la Bible et la difficulté du travail des traducteurs.

Les auteurs de la bible hébraïque font souvent des jeux de mots ou des jeux phonétiques, en particulier lorsque Dieu s'exprime lui-même. Ainsi, quand Moïse demande à Dieu quel est son nom, il répond "Ehyeh asher ehyeh" c'est-à-dire "Je suis celui qui suis" (Exode 3:14) une manière de dire que mon nom ne vous regarde pas et afin de ne pas être comparé aux autres dieux. "Ehyeh" (Je suis) dérive du verbe "être" qui en hébreu ressemble phonétiquement à "yhwh" ("Yahweh" ou "Yahvé") par insertion des voyelles manquantes dans le tétragramme à partir du nom "Adonaï" et signifie "l'existant". Pour un linguiste, le jeu de mot ne fait aucun doute.

Hors contexte ou pour un lecteur étranger non familié avec la Torah, la réponse de Dieu peut sembler bizarre mais si on se remplace à l'époque, sachant que les Hébreux étaient plutôt sceptiques et risquaient d'ajouter ce nouveau dieu au Panthéon des dieux païens existants, ne les distinguant que par leur nom, on comprend que Dieu ait choisi de ne pas révéler son nom.

De même, quand Dieu demande à Jérémie ce qu'il voit, le prophète lui répond qu'il voit une branche d'amandier ("shaqed" en hébreu). Dieu le prend alors au mot et lui répond qu'il veille ("shoqed" en hébreu) à ce que sa parole (sa révélation) s'accomplisse (Jérémie 1:11-12).

Usage pratique des noms de Dieu

En pratique, un traducteur peut recopier la forme YHWH comme telle, ce qui évite toute interprétation. Se pliant à la convention judaïque, la plupart des auteurs dont le bibliste Thomas Römer utilisent la version minuscule du tétragramme quand ils doivent écrire le nom de Dieu : yhwh. Néanmoins, dans la version françaises de la bible hébraïque (y compris la Bible Segond) le tétragramme est remplacé par translittération (on reproduit les sons du mot lettre par lettre) par le nom "Yahvé" qui apparaît dans 6220 versets selon les mots codés Strong et jusqu'à 6828 fois dans la "Biblia Hebraïca" publiée en hébreu par Rudolf Kittel en 1906 (Bible BHK basée sur le Codex Leningradens B19A, le plus ancien et le plus complet des textes bibliques).

Document T.Lombry.

Comme au début du livre de la Genèse (vv.1:1-2) ou dans les Psaumes (v.68:19), on trouve souvent le nom "Elohim" (ou Elohiym), une forme pluriel mentionnée dans 2598 versets à l'exception du Lévitique. On traduit généralement ce nom par "Dieu" au sens large, le Dieu créateur.

On utilise également le nom "al-elohim" pour insister qu'il s'agit du "vrai dieu" par opposition à "Elowahh", le terme d'origine éthymologique également traduit par "Dieu" mais aussi par "faux dieu".

Ensuite, comme évoqué plus haut, il y a plusieurs synonymes ou plutôt divinités ancestrales associées à El (Dieu) utilisées dans des cas particuliers. Ainsi, la toute puissance de Dieu se traduit par "El-Shaddaï" signifiant "Dieu Tout-Puissant" quand il se manifeste par la création de toute chose ou quand il soutient tout ce qui vit (Genèse 17:1). Pour insister sur son éternité et son immensité, on emploie le nom "El-Olam" signifiant "Dieu d'éternité" ou simplement "L'Éternel" (Genèse 21:33). Le Dieu souverain et protecteur du peuple élu est appelé "El-Elohé-Israël", c'est-à-dire le "Dieu d'Israël" (Genèse 33:19-20). A une seule occasion, pour insister sur l'omniscience de Dieu, sa bonté et sa puissance, il est également appelé "El-Roï" signifiant "Dieu qui me voit" (Genèse 16:13).

Il existe également quelques noms composés. En plus de "Yahvé-Sabaot" et "Yahvé-Shalom", quand on veut témoigner de la capacité de Dieu à soutenir ses fidèles dans l'épreuve et la tentation, on le nomme "Yahvé-Jiré" signifiant "Dieu pourvoit" (Genèse 22:13-14).

En pratique, en fonction du contexte il existe donc des "synonymes" du nom Elohim, tous au singulier. Or pour un linguiste, la terminaison "-im" est celle d'un nom pluriel; il faut donc lire "les Dieux". Du coup, les exégètes s'en sont mêlés. L'Église catholique a même vu dans ce pluriel le signe de la Trinité mais peu d'exégètes partagent cette interprétation. En pratique, la plupart des traducteurs ont trouvé un consensus en associant simplement la forme longue du nom avec la forme courte "Yahvé".

A voir : Le dieu YHWH ses origines, Thomas Römer, Collège de France

(Ses origines, ses cultes, sa transformation en dieu unique)

Supports de cours : YHWH-1 et YHWH-2

Les traductions des noms de Dieu

Concernant la traduction du nom de Dieu en langues étrangères, sachant que les voyelles n'ont pas été transcrites dans les textes les plus anciens et que la forme des temps n'est bien définie en hébreu, les auteurs de la Bible remplacent le tétragramme YHWH ou "Ehyeh" (Je suis) par le verbe "être" à tous les temps et toutes les formes : "Je suis celui qui est" (Exode 3:14), "Je suis qui Je serai", "Je serai qui Je suis", etc. Même Jésus s'en inspira quand il dit "Avant qu'Abraham fut, je suis" (Jean 8:58) ce qui lui valut toutefois quelques jetés de pierres. Par ce nom, les juifs comme les chrétiens sont priés de voir en Dieu l'unique et seul vrai Dieu, mais il échappe également à toute projection ou représentation. Les formes passées et futures indiquent également sa toute-puissance (omnipontentia) éternelle.

L'expression "Je serai" ("Ehyeh 'immak", cf. Exode 3:12) fait également référence à la promesse faite par Dieu à Moïse d'une assistance divine dans le sens "je serai avec toi".

Dans la version grecque de l'Exode, il est écrit : "εγώ ειμι η ων" (ego eimi ho on), c'est-à-dire littéralement "Je suis Le Etant". Sachant que Dieu se nomme et utilise donc un nom propre, on peut également traduire "η ων" (ho on) par "Le Devenir", "Le Vivant" ou de manière moin littérale par "Celui qui Est".

Dans les vieux textes grecs, certains synonymes du nom de Dieu comme El-Elyon furent traduits par Elioun. A l'époque de la Septante écrite en grec (Septuaginta), on traduisit Yahvé et la plupart des noms théophores par "Kurios" (ou "Kyrios" signifiant "Maître" ou "Seigneur") qui fut même utilisé par certains copistes zélés pour traduire le tétragramme YHWH.

Quant aux traductions du nom de Dieu en français, cela dépend des confessions et donc de la version de la Bible. Ainsi la Bible de Jérusalem et la Bible Crampon ont remplacé "YHWH" par "Yahvé" très proche de sa prononciation. La Bible Segond (ou Segond 21) le remplace généralement par "L'Eternel" ("El-Olam") ou par "Je suis" (cf. Exode 3:14), deux expressions assez proches du verbe "étant", à l'exception du livre de la Genèse et de certains prophètes (Josué, Samuel) où elle a conservé les différents synonymes. En revanche, la Bible TOB préfère le nom de "Seigneur" ("Adonaï" en hébreu) par référence à la Septante mais qui s'éloigne du sens du tétragramme. Enfin, quelques sectes ont préféré le nom de "Jéhovah" mais qui repose sur une erreur de prononciation[8].

Toutes ces traductions du tétragramme YHWH, sans parler des discours d'ecclésiastiques de Rome qui prononçaient le nom "Yahvé" quand ils lisaient YHWH, finirent par agacer le pape (très) conservateur Benoît XVI qui fit publier en 2008 une Notitia ou note d'information adressée au clergé catholique, résumée ci-dessous. En deux mots, la seule traduction de YHWH acceptée par Rome est "Dieu" en français et aucun autre nom.

La traduction de YHWH : Dieu

Lors du Synode des évêques qui s'est tenu à Rome du 5 au 26 octobre 2008, à la demande du Saint Siège sous les ordres du pape Benoït XVI, le cardinal nigérian Francis Arinze, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements demanda de ne plus employer dans les traductions, « les célébrations liturgiques, dans les chants, et dans les prières » de l’Eglise catholique, la transcription du tétragramme sacré YHWH par les formes phonétiques "Yahweh", "Yahwè", "Jahweh", "Jahwè", "Jave" et "Jehovah".

Il s'agit en fait d'un rappel d'une note d'information publiée le 29 juin 2008 (cf. Notitiae, 501-502, mai-juin 2008, pp.185-188) émise par la même Congrégation qui stipule :

« Quand il s'agit du saint nom de Dieu lui-même, les traducteurs doivent faire preuve, au plus haut point, de fidélité et de respect. En particulier, comme le dit le no. 41 de l'Instruction "Liturgiam authenticam" de 2001, « en se conformant à une tradition immémoriale, évidente déjà dans la Bible Septante [Bible Juive traduite en grec, par les juifs, 250 ans avant la naissance de Jésus], le nom de Dieu tout-puissant, exprimé en hébreu dans le tétragramme, et traduit en latin par le vocable “Dominus”, doit être rendu dans chaque langue vernaculaire par un mot de la même signification » » [...]

« Dans la traduction grecque de l'Ancien Testament, appelée « Septante », qui date des derniers siècles précédant l'ère chrétienne, on avait pris l'habitude de rendre le tétragramme hébreu par le mot grec Kyrios, qui signifie « Seigneur ». Puisque le texte de la Septante constitua la Bible des premières générations chrétiennes de langue grecque, et que c'est aussi en grec qu'on écrivit tous les livres du Nouveau Testament, ces chrétiens des origines n'ont jamais prononcé le tétragramme divin. Il en fut de même, d'une manière semblable, pour les chrétiens de langue latine, dont les premiers écrits datent de la fin du 2e siècle, comme l'attestent, tout d'abord, la Vetus latina, puis la Vulgate de saint Jérôme : dans ces traductions, le tétragramme était aussi habituellement substitué par le mot latin « Dominus », qui correspond soit à l'hébreu Adonaï, soit au grec Kyrios. Ce que l'on vient d'affirmer vaut aussi pour la récente Nova Vulgata, que l'Église [catholique romaine] utilise dans la liturgie. » [...]

« le tétragramme sacré n'a jamais été prononcé dans le contexte chrétien, ni traduit dans aucune des langues dans lesquelles on a traduit la Bible." [...] "Pour établir les traductions liturgiques des textes où sont présents, l'un après l'autre, soit le mot hébreu Adonay, soit le tétragramme YHWH, on doit traduire Adonay par « Seigneur », et le tétragramme par la forme « Dieu », comme dans la traduction grecque de la Septante, et latine de la Vulgate. »

Ainsi la nouvelle Bible Crampon en 6 volumes publiée en 2022 revendique se conformer à Rome et de traduire par exemple "Yahweh" par "le Seigneur", "Yahweh Dieu" par "le Seigneur Dieu" et "Yahweh Sabaoth" par "le Seigneur des armées".

Une religion portative

Pour les juifs, trois mots suffisent à définir leur religion : filiation, loi divine et promesse messianique. Cette idée est écrite dans la Torah et peut-être recopiée. Les juifs ont justement une fête qui honore la Torah, la Chavouot ou "Pentecôte juive" qui se célèbre durant le mois juif de Sivan (entre avril et juin selon les années), sept semaines après Pessa'h.

Selon Römer, grâce au Tanakh (pour appel TNK est l'acronyme des trois principaux livres hébraïques, T pour la Torah (la Loi, c'est-à-dire le Pentateuque), N pour les Nevi'im (les Prophètes) et K les Ketouvim (les Autres Écrits ou Hagiographes) et au Talmud mais en particulier la Torah, de manière très ingénieuse les théologiens juifs ont inventé une "religion portative", c'est-à-dire centrée uniquement autour de quelques livres sacrés transportables, les fidèles n'ayant donc plus besoin de terre, de représentant, de statue ou de temple pour croire et vénérer leur Dieu, ce dont Pompée s'était étonné en l'an 63. Le judaïsme inventa la séparation entre le pouvoir politique et la pratique religieuse ainsi qu'entre le territoire clos spécifique et la pratique religieuse, donnant naissance à une religion de Diaspora. Ce n'est qu'à partir de cette transformation que Yahvé est devenu le Dieu unique par le refus du judaïsme de l'appeler par son nom et de le représenter, risque potentiel de retour à l'idolâtrie. Grâce à la traduction de la Torah en grec puis en latin et finalement dans les langues vernaculaires, le monde gréco-romain découvrit Dieu et le cas échéant se tourna vers lui. Ensuite, l'avènement du Christ consolida l'assise de Dieu dans le monde chrétien et finalement à travers le monde. On y reviendra.

Rappelons qu'on retouve ce projet du dieu unique dans d'autres civilisations polythéistes antiques, en particulier en Égypte, d'abord initiée sous le règne du pharaon Khéphren (vers 2500 avant notre ère) qui affirma la préséance du dieu Atum (Atoum) sur Rê et les autres dieux et déesses, puis affirmée concrètement sous le règne du pharaon Akhenaton (Amenhotep IV) vers 1350 avant notre ère qui imposa le culte du seul dieu solaire Aton. Mais ses descendants n'y ont pas cru et sont revenus à leur religion polythéiste jusqu'à son interdiction par les empereurs romains chrétiens au IVe siècle de notre ère.

Dans le prochain article, nous chercherons à savoir si Moïse a réellement écrit la Torah et ce qu'il faut en déduire.

A lire : Moïse a-t-il écrit la Torah ?

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[4] Nahman Avigad et Benjamin Sass, "Corpus of West Semitic Stamp Seals", Israel Academy of Sciences & Humanities, 1997, p1175.

[5] Pierre Grelot, "Documents araméens d'Égypte", Le Cerf, 1972, p95 document 10 et p383 document 89.

[6] Pierre Gibert, "Le Monde la Bible", 124, 2000, pp.50-51.

[7] Mireille Hadas-Lebel, "Philon d'Alexandrie. Un penseur en diaspora", Fayard, 2003, p376.

[8] Le nom "Jéhovah" repose sur une erreur de prononciation du tétragramme YHWH. En effet, pour pouvoir lire et prononcer le tétragramme, les massorètes (les érudits sacerdotaux juifs) ont combiné les voyelles extraites du nom "Adonaï" au tétragramme YHWH que le dominicain Raimundus Marti au XIIIe siècle traduisit phonétiquement mais erronément par le nom "yeh(o)wah". Suite aux travaux de Galatius qui reprit cette adaptation, en 1520 l'Église des Témoins de Jéhovah choisit le nom "Jéhovah". Les Mormons (l'Église des Saints des derniers jours fondée au début du XIXe siècle par Joseph Smith) ont adopté le même nom. Mais de toute façon, la bible des Témoins de Jéhovah et celle des Mormons ne sont pas conformes aux bibles chrétiennes car les livres bibliques sont différents et à plusieurs reprises ils ont adapté le texte à leur doctrine que finalement très peu de fidèles suivent.


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