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La Lune, fille de Gaïa Y a-t-il de l'eau sur la Lune ? (V) De l'eau dans le manteau lunaire Selon une étude publiée dans la revue "Nature" en 2008, à partir d'échantillons de roches lunaires récoltés par les astronautes de la mission Apollo 17, le géochimiste Alberto Saal de l'Université Brown de Rhodes Island et ses collègues ont montré que certaines régions du manteau lunaire contenaient de l'eau et étaient riches en éléments volatils (CO2, F, S, Cl). Cette eau fut découverte dans des sphérules vitrifiées de lave analysées par spectrométrie de masse à ionisation secondaire (SIMS). Les chercheurs estimaient la quantité d'eau à l'intérieur des basaltes à 46 ppm (parties par million), ce qui excluait une contamination terrestre. Sachant qu'une partie de cette eau s'est sublimée dans l'espace lors de l'éjection de la lave, les géochimistes estimaient la quantité d'eau avant l'éruption entre 260 et 745 ppm. Mais faute de données suffisantes, à l'époque ils ne pouvaient par préciser la quantité d'eau présente dans la totalité du manteau de la Lune. A consulter : Orange soil, lunar thin section 74220, Apollo 17 Puis, à partir de l'analyse d'autres échantillons de roches récoltés par les astronautes des missions Apollo 15 et 17, Saal et son équipe annoncèrent ans un article publié dans "Nature Geoscience" en 2015 que les inclusions volcaniques contenant de l'eau avaient été éjectées en surface par une fontaine de lave riche en matière volatile suite à une éruption explosive remontant à 3.64 milliards d'années. Ayant été enfermées dans des sphérules minérales, ces gouttelettes apportaient de nouvelles données pour quantifier l'abondance de l'eau présente dans le magma lunaire juste avant l'éruption. Ils ont découvert que certaines inclusions contenaient 100 fois plus d'eau que prévu. Leurs concentrations en éléments volatils sont également comparables à celles des basaltes qu'on trouve sur les crêtes médio-océaniques terrestres. Cela signifie que certaines parties du manteau lunaire contiennent autant d'eau que le manteau supérieur de la Terre. Reste à évaluer précisément les quantités présentes dans la Lune. Grâce à la sonde spatiale Chandrayaan-1, en 2017 les géochimistes Ralph E. Milliken et Shai Li ont annoncé dans la revue "Nature Geoscience" avoir découvert de l'eau dans les dépôts pyroclastiques lunaires. A défaut de pouvoir sonder la Lune sur le terrain, ils ont analysé les données spectroscopiques enregistrées en différents endroits de la Lune par la sonde spatiale indienne. Ils ont ainsi pu estimer le contenu chimique des dépôts laissés par les éruptions volcaniques et ont découvert que ces laves contenaient autant d'eau que les roches récoltées par les missions Apollo 15 et 17. Ils en ont déduit que l'ensemble du manteau lunaire contient bien plus d'eau que le suggère les simulations de la collision de la Terre avec Théia (voir page suivante). Cette conclusion signifie surtout que l'eau aurait donc déjà été présente dans le manteau supérieur de la Terre dès la formation de notre planète puisque le manteau lunaire en contiendrait autant. Cette eau est donc présente dans les deux astres depuis 4.5 milliards d'années, époque de la collision avec Théia. Toutefois, sans sondage in situ, les géochimistes ne sont toujours pas en mesure d'estimer la quantité d'eau réelle présente dans la Lune. Enfin, ainsi que nous l'expliquerons dans l'article consacré aux roches lunaires, la météorite lunaire AP007 découverte en Arabie en 2015 contient de l'apatite minérale aquifère - du phosphate - prouvant que la croûte lunaire primitive était fortement enrichie en eau il y a plus de 4 milliards d'années, contrairement à ce qu'on pensait auparavant. En attendant que l'homme retourne explorer la surface lunaire, si on sait maintenant qu'il existe de l'eau dans le manteau et la croûte lunaires, les chercheurs ont voulu savoir s'il existe de l'eau glacée à la surface de la Lune. De la glace en surface Selon une étude publiée dans la revue "Nature Communications" en 2016 par Jessica J. Barnes et ses collègues de l'Open University de Milton Keynes, sur base des simulations tenant compte de la teneur isotopique des roches terrestres et lunaires, le deutérium typique des comètes n'a contribué qu'à moins de 20% de l'eau qui serait présente sur la Lune, c'est-à-dire en surface. Autrement dit, ce sont les impacts météoritiques des astéroïdes plutôt que des comètes qui auraient apporté plus de 80% de l'eau qu'on trouvera peut-être sur la Lune.
Vu les conditions régnant sur la Lune, s'il y a de l'eau, elle n'est évidemment pas à l'état liquide mais glacée et généralement mélangée à des roches. C'est en 1994 que les radars de la sonde Clementine ont détecté la présence de glace près du pôle Sud lunaire, tandis qu'au bout de 8 mois d'exploration, en 1998 la sonde Lunar Prospector détecta de l’hydrogène dans le régolite de surface. L'endroit est localisé au fond d'un cratère qui ne reçoit jamais la lumière du Soleil. Mais il n’est pas certain que ces mesures soient associées à de l’eau glacée. Selon le géologue Harrison Smitt, ancien astronaute d’Apollo 17, cet hydrogène pourrait provenir du vent solaire qui se concentrerait à raison de quelques pourcents dans cet environnement polaire particulier. En revanche l'hydrogène est volatile mais pas l'eau... Après des millions d'années de stagnation par des températures de -230°C, tout ce qui pourrait subsister aux pôles de la Lune, c'est justement l'eau, ce qui rend les astronomes confiants. On estime que la quantité d'eau congélée qui existerait dans la région du pôle Sud de la Lune représente moins de 10 milliards de mètres cubes (10 milliards de tonnes), l'équivalent du Grand Lac Salé de l'Utah, le sel en moins ! Si dans l'absolu cela représente un vaste volume, cela représente à peine 12% du lac Léman. Selon les mesures effectuées par la sonde Lunar Prospector, William C. Feldman du LLNL et ses collègues estimaient en 1998 et 2001 que les régions polaires lunaires contiendraient chacune 3 milliards de tonnes de glace jusqu'à 2 m de profondeur. Elle serait contenue dans un régolite ferroanorthosite dans les 40 cm supérieurs de l'écorce (voir plus bas). Selon un article publié dans la revue "Icarus" en 2019 par l'équipe d'Ariel N. Deutsch de l'Université Brown, les dépôts de glace détectés au fond des cratères du pôle Sud par la sonde LRO sont âgés d'au moins 3.1 milliards d'années mais dans les petits cratères < 15 km il existe des dépôts plus récents. Reste à les expliquer (bombardement micrométéoritique ou du vent solaire). D'autres études ont également trouvé des indices de glace dans les grandes régions d'ombre permanente (PSR) proches du pôle Sud, notamment dans les zones des cratères Cabeus, Haworth, Shoemaker et Faustini (cf. P.O.Haynes et al., 2015; A.R. Tye et al., 2015; C.J. Tai Udovicic et al., 2023). Une confirmation définitive de la présence d’eau glacée sur la Lune ne pourrait à présent provenir que d'un échantillonnage effectué par un véhicule de surface et vraisemblablement par la prochaine mission lunaire habitée. Mais c'est plus facile à dire qu'à réaliser ! En effet, par -230°C plus rien ne fonctionne : les composants électroniques faits de silicium ou de céramique ne fonctionnent plus et les batteries ordinaires perdent tout leur rendement et leur capacité en dessous de -20°C car leur résistance augmente provoquant une baisse de tension (cf. ce document) et de toute façon elles ont gelé depuis longtemps (-40°C pour certaines batteries spéciales Li-ion et -80°C pour les batteries Mesa au Li/SOCl2). La seule solution serait de limiter les missions à quelques heures, histoire de ne pas refroidir le matériel sous des températures extrêmes ou, plus intelligemment, de faire le nécessaire pour maintenir tous les éléments "au chaud" mais certains éléments calorifugeurs devront tout de même être exposés au froid extrême.
Mais pour découvrir et exploiter ces éventuelles réserves d'eau glacée, il faut plonger au fond d'un cratère de 10 km de profondeur dont les images ont révélé un relief très escarpé avec des montagnes et des versants de cratères abruptes. On peut imaginer envoyer un pénétrateur équipé d'un forret qui analyserait cette matière. Mais il faut trouver un système efficace pour piloter la sonde automatique et pour relayer ses signaux à une sonde en orbite polaire autour de la Lune afin que les informations puissent être renvoyées vers la Terre. Le défi technologique est à la hauteur de nos espérances. De la glace d'eau dans le cratère Clavius Jusqu'à présent, on avait découvert de la glace d'eau dans les PSR proches du pôle Sud de la Lune. Cette fois, l'équipe de Casey I. Honniball alors doctorant à l'Université d'Hawaï et aujourd'hui au GSFC annonça dans la revue "Nature Astronomy" en 2020 avoir, pour la première fois, découvert de la glace d'eau sur la surface ensoleillée de la Lune.
Grâce à l'observatoire aéroporté SOFIA (Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy) de la NASA disposant d'un télescope de 2.5 m de diamètre embarqué à bord d'un B-747SP modifié, les auteurs ont détecté des molécules d'eau dans les zones ombragées du cratère Clavius, l'un des plus grands cratères situé dans l'hémisphère sud de la Lune mesurant 225 km de diamètre et 4900 m de profondeur. Grâce à SOFIA, les astronomes ont pu observer différemment la Lune. Volant jusqu'à 13500 m d'altitude, le B-747SP évite plus de 99% de la vapeur d'eau de l'atmosphère terrestre pour obtenir une vue plus claire de l'univers infrarouge. En utilisant sa caméra infrarouge FORCAST, SOFIA a pu capter la longueur d'onde spécifique de la molécules d'eau à 6.1 microns dans le cratère Clavius. Des observations antérieures avaient détecté une certaine forme d'hydrogène, mais n'avaient pas permis de distinguer l'eau (H2O) de son proche parent chimique, l'hydroxyle (OH). Les nouvelles données révèlent que de l'eau est présente à des concentrations de 100 à 412 parties par million emprisonnée dans un mètre cube de sol lunaire soit à peu près l'équivalent de 35 ml d'eau. À titre de comparaison, une surface équivalente du désert du Sahara contient 100 fois plus d'eau que ce que SOFIA a détecté dans le sol lunaire. Malgré les petites quantités, la découverte soulève de nouvelles questions sur la façon dont l'eau est créée et comment elle persiste connaissant les conditions extrêmes régnant sur la surface lunaire. Il faut à présent déterminer si l'eau détectée par SOFIA est facilement accessible pour être utilisée comme ressource. Plusieurs mécanismes pourraient expliquer la création et le piégeage de cette eau. Les micrométéorites tombant sur la surface lunaire, transportant de petites quantités d'eau, pourraient déposer de l'eau sur la surface lunaire lors de l'impact. Une autre possibilité est qu'il pourrait y avoir un processus en deux étapes par lequel le vent solaire apporte de l'hydrogène sur la surface lunaire et provoque une réaction chimique avec les minéraux du sol contenant de l'oxygène pour créer de l'hydroxyle. Pendant ce temps, le rayonnement provenant du bombardement micrométéoritique pourrait transformer cet hydroxyle en eau. On reviendra sur ce processus (voir plus bas).
A voir : Climb Aboard Boeing 747SP SOFIA, Wired, 2017 The Moon's Clavius Crater, NASA La manière dont l'eau est ensuite stockée et s'accumule soulève également des questions intrigantes. L'eau pourrait être piégée dans de minuscules sphérules dans le sol, formées par la chaleur élevée créée par les impacts micrométéoritiques. Une autre possibilité est que l'eau pourrait être cachée entre des grains du sol lunaire et à l'abri de la lumière du Soleil, ce qui la rendrait potentiellement un peu plus accessible que l'eau emprisonnée dans des sphérules. A l'avenir, les vols de suivi de SOFIA rechercheront de l'eau dans d'autres endroits ensoleillés de la Lune et pendant différentes phases lunaires pour en savoir plus sur la façon dont l'eau est produite, stockée et déplacée sur la Lune. Les données s'ajouteront aux travaux des futures missions lunaires, telles que VIPER (Volatiles Investigating Polar Exploration Rover) de la NASA, pour créer les premières cartes des ressources en eau de la Lune pour la future exploration spatiale humaine. Notons que dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2021, Paul O. Hayne du Laboratoire de Physique de l'Atmosphère et de l'Espace (LASP) de l'Université du Colorado et ses collègues ont utilisé des modèles théoriques et des données de LRO et suggèrent que l'eau pourrait être piégée dans de petites zones ombragées où les températures restent en dessous de zéro, sur une plus grande partie de la Lune que prévu. De l'eau dans le régolite Jusqu'aux années ~2010, les scientifiques pensaient que la Lune était aride et que l'eau existait principalement sous forme de poches de glace dans les PSR, en particulier au fond des cratères ombragés en permanence (PSR) situés près des pôles. Plus récemment, des scientifiques ont identifié des eaux de surface dans des molécules éparses liées au régolite. En effet, en utilisant le spectrographe UV LAMP (Lyman Alpha Mapping Project) embarqué à bord de la sonde spatiale LRO, l'équipe d'Amanda R. Hendrix du Planetary Science Institute a pu enregistrer la signature d'une couche d'eau collée temporairement à la surface supérieure du régolite lunaire. Les chercheurs ont ainsi pu caractériser les changements d'hydratation lunaire au cours d'une journée. Les résultats de cette étude publiés dans les "Geophysical Research Letters" en 2019 montrent que cette eau est plus abondante aux latitudes plus élevées et a tendance à se déplacer lorsque la surface lunaire se réchauffe. On y reviendra. Comment de l'eau peut-elle se former sur la Lune ? La question reste ouverte car à l'heure actuelle les chercheurs n'ont que des indices d'explications, des réactions chimiques partielles et rien ne prouve qu'elles conduisent à la formation d'eau sur la Lune. Il faut donc être prudent avant de conclure et tenter d'approcher la question grâce à des simulations aussi proches que possible de la réalité, et donc en tenant compte des données enregistrées par les différents missions d'exploration lunaires dont LRO et LADEE dont les instruments sont capables d'analyser la composition du régolite et d'identifier la présence de molécules d'eau, entendons des molécules d'H2O ou OH.
A partir des protons du vent solaire frappant la Lune, les chercheurs ont découvert qu'une réaction chimique avec la silice ou l'oxyde fer permet de former de l'eau qui se colle au régolite. Pour libérer cette eau dans l'exosphère de la Lune, une réaction mécanique tributaire des impacts de météorites suffit ou l'effet d'une évaporation thermique ou encore de la photoionisation du régolite. Voyons chacun de ces mécanismes. Le physicien des plasmas William M. Farrell du centre Goddard de la NASA et ses collègues ont simulé numériquement la chimie qui se développe lorsque le vent solaire frappe la surface de la Lune. On sait que le vent solaire composé de particules chargées atteint la surface de la Lune à la vitesse moyenne de 450 km/s soit près de 1 million de km/h et est susceptible de se lier à d'autres atomes ou molécules présentes sur la Lune. Comme illustré ci-dessous, les chercheurs ont constaté que les protons émis par le Soleil interagissent avec des électrons présents sur la surface de la Lune, produisant des atomes d'hydrogène. Ces atomes migrent ensuite à la surface et se fixent aux nombreux atomes d'oxygène liés dans la silice (SiO2) ainsi qu'à d'autres molécules contenant de l'oxygène comme le FeO composant le régolite. La molécule est ensuite réduite en ses composants soit chimiquement soit mécaniquement, libérant les atomes d'oxygène. Les simulations montrent qu'à mesure que le vent solaire souffle sur la surface de la Lune, il rompt les liaisons entre les atomes de silicium, de fer et d’oxygène qui constituent la majeure partie du sol lunaire. Cela produit des atomes d'oxygène ionisés et donc exposés aux liaisons hydrogène. Lorsque les atomes d’hydrogène arrivent sur la surface de la Lune, ils sont temporairement piégés par les atomes d'oxygène, et plus longtemps dans les régions froides que dans les régions chaudes. Ces atomes d'hydrogène rebondissent ensuite d'un atome d'oxygène à l'autre, formant une molécule hydroxyle (OH), un composant de l’eau, avant de s'échapper dans l’exosphère de la Lune et finalement dans l’espace. Selon Farrell, "l'ensemble du processus fonctionne comme une usine chimique [...]. Une conséquence essentielle du résultat est que chaque élément de silice exposé dans l'espace, de la Lune au petit grain de poussière, a le potentiel de créer un groupe hydroxyle et de devenir ainsi une usine chimique pour fabriquer de l'eau. Il est incroyable que chaque rocher ait le potentiel de produire de l'eau, surtout après avoir été irradié par le vent solaire." Quant à conclure que cette réaction produit de l'eau, il faudra d'autres études pour l'affirmer. Les scientifiques ont émis l'hypothèse que les ions hydrogène du vent solaire pourraient être la source de la plupart des traces d'eau présentes à la surface de la Lune. En effet, les molécules d'eau restent étroitement liées au régolite jusqu'à ce que les températures de surface atteignent leur maximum vers midi lunaire. Ensuite, les molécules se désorbent thermiquement et peuvent rebondir vers un endroit suffisamment froid et proche pour que les molécules adhèrent à nouveau au régolite ou s'échappent dans l'exosphère de la Lune, jusqu’à ce que la température baisse et que les molécules retombent sur la surface.
Mais lorsque la Lune passe derrière la Terre et est à l'abri du vent solaire, jusqu'à présent les chercheurs pensaient que l'apport d'eau devait s'éteindre. Or, il ne faiblit pas. En effet, les chercheurs ont constaté que la quantité d'eau mesurée par LAMP ne diminue pas lorsque la Lune est protégée par le bouclier de la Terre et que la région est influencée par son champ géomagnétique. Cela suggère que l'eau s'accumule avec le temps et ne tombe pas uniquement du ciel grâce à une réaction entre le vent solaire et le régolite. Les analyses ont montré que l'exosphère lunaire contient une faible proportion d'eau. On imagine que cette eau provient du régolite comme expliqué ci-dessus, mais comment a-t-elle migrée du sol à l'exosphère ? Le mécanisme illustré ci-dessus à droite permet d'expliquer comment l'eau piégée dans le régolite peut s'échapper dans l'exosphère de la Lune. Dans une étude publiée dans la revue "Nature Geoscience" en 2019, Mehdi Benna du centre Goddard de la NASA et son équipe ont montré que les mesures effectuées par la sonde spatiale LADEE (Lunar Atmosphere and Dust Environment Explorer) permettent d'associer la libération d'eau dans l'exosphère lunaire avec les impacts des essaims de météorites. Quatre nouveaux essaims ont même été identifiés. Les modèles prédisent que les impacts de météorites peuvent théoriquement libérer sous forme de vapeur l'eau piégée dans le régolite lunaire, mais les scientifiques n'avaient pas encore observé ce phénomène. Au cours de la mission LADEE qui se déroula entre octobre 2013 et avril 2014, l'équipe de Benna trouva des dizaines d'évènements dans les données de la sonde spatiale qui était en orbite autour de la Lune afin de recueillir des informations détaillées sur la structure et la composition de l'exosphère lunaire, et déterminer si de la poussière flottait dans le ciel lunaire.
Pour les chercheurs, il est essentiel de connaître la quantité d'eau ou de composants chimiques disponibles sur la Lune si on envisage un jour sa colonisation afin de savoir où l'on peut exploiter ces ressources. Il faut donc comprendre quelle est l'origine de cette eau, sa distribution et sa quantité. Selon Richard Elphic, responsable scientifique du projet LADEE au centre Ames de la NASA, "la plupart du temps, la Lune ne contient pas d’importantes quantités d’H2O ou d’OH dans son exosphère. Mais lorsque la Lune traverse un essaim de météorites, suffisamment de vapeur peut être éjectée pour que nous puissions la détecter grâce au spectromètre de masse de LADEE. Après le passage de l'essaim, les molécules H2O ou OH disparaissent." Pour libérer de l'eau du sol lunaire, les simulations indiquent que les météorites doivent pénétrer au moins jusqu'à 8 cm sous la surface. Sous la couche supérieure de régolite déshydraté qui ne mesure que quelques centimètres d'épaisseur se trouve une mince couche de transition, puis une couche hydratée qui s'étend sur plusieurs mètres dans laquelle les molécules d'eau collent probablement à des fragments de régolite. Les analyses ont montré que l'exosphère lunaire contient une faible proportion d'eau. On imagine que cette eau provient du régolite comme expliqué ci-dessus, mais comment a-t-elle migrée du sol à l'exosphère ? Le mécanisme illustré ci-dessus à droite permet d'expliquer comment l'eau piégée dans le régolite peut s'échapper dans l'exosphère de la Lune. Dans une étude publiée dans la revue "Nature Geoscience" en 2019, Mehdi Benna du centre Goddard de la NASA et son équipe ont montré que les mesures effectuées par la sonde spatiale LADEE (Lunar Atmosphere and Dust Environment Explorer) permettent d'associer la libération d'eau dans l'exosphère lunaire avec les impacts des essaims de météorites. Quatre nouveaux essaims ont même été identifiés. Les modèles prédisent que les impacts de météorites peuvent théoriquement libérer sous forme de vapeur l'eau piégée dans le régolite lunaire, mais les scientifiques n'avaient pas encore observé ce phénomène. Au cours de la mission LADEE qui se déroula entre octobre 2013 et avril 2014, l'équipe de Benna trouva des dizaines d'évènements dans les données de la sonde spatiale qui était en orbite autour de la Lune afin de recueillir des informations détaillées sur la structure et la composition de l'exosphère lunaire, et déterminer si de la poussière flottait dans le ciel lunaire. En montrant comment les atomes d'hydrogène se comportent sur la Lune, les chercheurs ont compris pourquoi les sondes spatiales ont découvert des fluctuations de la quantité d'hydrogène dans différentes régions de la Lune. Moins d'hydrogène s’accumule dans les régions plus chaudes, comme l'équateur de la Lune, parce que les atomes d'hydrogène qui s'y déposent sont activés par le Soleil et s'évadent rapidement de la surface dans l'exosphère. Inversement, une plus grande quantité d'hydrogène semble s'accumuler dans les zones plus froides près des pôles car le rayonnement solaire est réduit et le dégazage est ralenti.
Ces découvertes pourraient expliquer les dépôts de glace observés dans des cratères situés près des pôles évoqués plus haut. La majeure partie de l'eau détectée sur la Lune se trouve dans des pièges froids, où les températures sont si basses que la vapeur d'eau et les autres substances volatiles rencontrant la surface peuvent rester stables pendant plusieurs milliards d'années. L'eau existant sur la Lune est très ancienne, remontant à la formation de la Lune ou s'est déposée au début de son histoire. C'est grâce aux impacts des météorites que l'eau piégée depuis des milliards d'années peut être transportée à la fois dans et hors des pièges froids. L'équipe de Benna citée plus haut a exclu la possibilité que toute l'eau détectée provienne des météorites eux-mêmes. En effet, selon les chercheurs, une partie de l'eau doit provenir de la Lune car la masse d'eau libérée est supérieure à la masse d'eau contenue dans les météorites. On peut donc supposer car on ne peut pas encore le démontrer que l'eau diffuse également des profondeurs vers la surface de la Lune. De plus, l'analyse indique que les impacts de météorites libèrent de l'eau plus rapidement que ne le font les réactions qui se produisent lorsque le vent solaire frappe la surface lunaire. Les dépôts de glace dans le régolite sont plus étendus que prévu Finalement, dans un article publié dans le "Planetary Science Journal" en 2024, Timothy P. McClanahan du centre Goddard de la NASA et ses collègues ont annoncé que l'analyse des données de LRO indique que les dépôts de glace dans le régolite sont plus étendus que prévu. Selon McClanahan : "Nous constatons qu'il existe de nombreuses preuves de la présence de glace d'eau dans les régions d'ombre permanente (PSR) en dehors du pôle Sud, jusqu'au moins 77° de latitude sud."
Les chercheurs ont utilisé l'instrument LEND (Lunar Exploration Neutron Detector) de LRO pour détecter des signes de dépôts de glace en mesurant les neutrons épithermiques (des neutrons dont l'énergie cinétique est supérieure à celle d'un neutron thermique) d'énergie modérée. Plus précisément, ils ont utilisé le capteur CSETN (le capteur collimaté pour neutrons épithermiques) du LEND, qui possède un champ de vision fixe de 30 km de diamètre à l'altitude de ~50 km (35-65 km) à laquelle LRO survole la Lune. Comme nous l'avons expliqué, les neutrons sont créés par des rayons cosmiques galactiques de haute énergie qui percutent la surface lunaire, brisent les atomes du régolite et dispersent des neutrons. Ces neutrons, qui peuvent provenir d'une profondeur d'environ 1 mètre, se frayent un chemin à travers le régolite, en heurtant d'autres atomes. Certains s'échappent dans l'espace, où ils peuvent être détectés par le LEND. Comme l'hydrogène (le proton) à la même masse qu'un neutron à 10-29 près (mp = 1.673 x 10-27 kg, mn = 1.675 x 10-27 kg), une collision avec l'hydrogène fait perdre relativement plus d'énergie au neutron qu'une collision avec la plupart des éléments ordinaires du régolite. Ainsi, lorsque l'hydrogène est présent dans le régolite, sa concentration crée une réduction correspondante du nombre observé de neutrons d'énergie modérée. Ensuite, les chercheurs ont développé un modèle à partir d'une étude théorique qui démontra comment les PSR "améliorées" par l'hydrogène seraient détectées de manière similaire par le CSETN. La corrélation fut démontrée en utilisant les émissions de neutrons de 502 PSR d'une taille comprise entre 4 et 1079 km2 qui contrastaient avec les zones environnantes moins "améliorées" par l'hydrogène. La corrélation était comme prévu faible pour les petites PSR mais augmentait pour les PSR de plus grande surface.
Selon McClanahan, "Nous avons émis l'hypothèse que si toutes les PSR ont la même concentration en hydrogène, alors le CSETN devrait détecter proportionnellement leurs concentrations en hydrogène en fonction de leurs surfaces. Ainsi, davantage d'hydrogène devrait être observé dans les PSR de plus grande surface", ce qui est illustré ci-dessus à droite. Dans ce graphique, le terme "WEH wt%" est le rapport de masse (wt%) de l'hydrogène équivalent en eau (water-equivalent hydrogen). Il décrit l'abondance des atomes d'hydrogène résidant dans le mètre supérieur de surface lunaire qui peuvent influencer le flux d'échappement des neutrons épithermiques par rapport à une surface anhydre, dépourvue d'eau. Les chercheurs ont également cartographié les endroits où l'on s'attend à ce que les dépôts de glace soient moins nombreux, plus petits ou moins concentrés, correspondant principalement aux zones plus chaudes et périodiquement ensoleillées. Les cartes publiées par les chercheurs aideront également les planificateurs des missions lunaires à identifier les caractéristiques de surface où la glace est susceptible ou non d'être trouvée, avec des preuves expliquant pourquoi il en est ainsi. Selon McClanahan., "Notre modèle et notre analyse montrent que les plus grandes concentrations de glace devraient se produire près des endroits les plus froids des PSR, en dessous de 75 K (-198 °C) et près de la base des pentes des PSR orientées vers le pôle." Les chercheurs n'ont pas pu déterminer avec précision le volume des dépôts de glace dans les PSR ni identifier s'ils pourraient être enfouis sous une couche sèche de régolite. Cependant, ils estiment que "pour chaque mètre carré de surface résidant sur ces dépôts, il devrait y avoir au moins environ cinq litres de glace de plus dans le mètre supérieur de surface, par rapport aux zones environnantes." Que pourrait-on faire avec cette eau ? Si nous voulons un jour coloniser la Lune, les équipes en place doivent disposer d'eau et de carburant. Grâce à l'hydrogène, on dispose du carburant et l'oxygène apporté depuis la Terre servirait de comburant à de futurs moteurs cryogéniques. On pourrait ainsi se servir de la Lune comme d'une base de lancement pour nos fusées. L'eau ainsi fabriquée pourrait également servir à la culture des légumes et des plantes de nos futurs colons lunaires. Des essais concluants ont été fait sur Terre à partir d'échantillons lunaires ramenés par les missions Apollo. Bien que stérile, correctement alimenté le régolite lunaire verdit et les plantes y poussent ! L'eau lunaire peut également être utilisée pour la protection radiologique ou la gestion thermique. Si ces matériaux peuvent être élaborés sur place, cela rendra ces futures missions lunaires plus abordables. Reste à établir une base lunaire près du pôle Nord ou Sud, ce qui pour l'instant reste tout au mieux du domaine de la prospective chère aux illustrateurs de la NASA. La glace et le basculement de l'axe de rotation A propos des calottes polaires, les planétologues ont remarqué que des dépôts d'hydrogène qui représentent les traces d'anciennes calottes glacières ne se trouvent pas exactement à l'emplacement des pôles actuels de la Lune. Ils correspondraient à l'ancienne position des pôles comme on le voit ci-dessous. En effet, le planétologue Matt Siegler de l'Institut des Sciences Planétaires (LPI) de Tucson, Az., et ses collègues ont analysé les données de la mission Lunar Prospector de la NASA et découvert que ces dépôts sont antipodaux, c'est-à-dire qu'ils sont placés juste aux antipodes sur une ligne passant par le centre de la Lune. De plus, ces dépôts d'hydrogène sont situés à égale distance de leur pôle respectif mais dans des directions opposées. Pour les chercheurs, c'est la preuve que l'axe de rotation de la Lune a basculé d'environ 6° en 3.5 milliards d'années. A voir : Déplacement des pôles de la Lune, SMU
Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2016, Siegler et ses collègues expliquent que les planètes peuvent changer d'orientation si la masse des éléments qui les composent change ou se déplace; dans ce cas elles peuvent basculer sur leur axe. C'est ce qui serait arrivé à la Lune. La région de Procellarum est une grande mer lunaire située à l'ouest de la face visible. Il y a plus de 3.5 milliards d'années, c'était une région volcanique très active. Du fait de cette activité géologique, la région était envahie de lave chaude et était moins dense. En se solidifiant, les épanchements magmatiques ont changé la masse volumique de la région de Procellarum qui aurait entraîné un déplacement de l'axe de rotation de la Lune. Le visage de la Lune que l'on voit aujourd'hui était donc légèrement différent il y a plusieurs milliards d'années (le "visage" a basculé vers l'avant). Notons que très peu d'astres ont subi un tel basculement axial. Il y a la Terre, Mars, Uranus, la lune Europe de Jupiter et Encélade de Saturne. La Lune appartient donc à un club très fermé. La Lune a-t-elle un champ magnétique ?
Les échantillons lunaires récoltés par les équipages des missions Apollo révèlent que la Lune généra sa propre magnétosphère globale entre environ 4.25 et 1.5 milliard d'années puis il disparut suite au refroidissement interne et l'affaiblissement de l'effet dynamo. Le champ magnétique ne pouvait pas être généré durant la phase initiale de la formation de Lune où l'intérieur de l'astre n'était pas encore différencié et était soumis à une convection thermique. Il faudra attendre environ 800000 ans pour que l'effet dynamo apparaisse. L'effet dynamo est probablement apparu suite aux nombreux impacts de météorites massives et de comètes qui provoquèrent des variations de sa rotation combinés, il y a environ 2 milliards d'années, à un important mouvement de précession puis probablement par la cristallisation du noyau lunaire comme illustré à droite. Au pic de l'intensité magnétique lunaire il y a ~4 milliards d'années, la Lune était volcaniquement active, générant probablement une atmosphère très ténue. A cette époque, on estime qu'elle se trouvait à une distance de 18 rayons terrestres contre ~60 rayons terrestres aujourd'hui. Grâce à une modélisation simplifiée du champ magnétique lunaire dipolaire confiné dans une magnétopause de forme parabolique, James Green de l'Université de Rochester et ses collègues ont montré dans un article publié dans la revue "Science Advances" en 2020 que les magnétosphères couplées du système Terre-Lune peuvent résister à un vent solaire intense, réduisant la perte atmosphérique de la Terre dans l'espace. En utilisant une toute autre méthode d'analyse, une autre équipe a également montré que ce bouclier magnétique avait la capacité de préserver les éléments volatils dans le sous-sol lunaire. Le rôle du champ magnétique dans les ressources lunaires Pendant des années, le géophysicien John A. Tarduno de l'Université de Rochester a été un chef de file dans le domaine du paléomagnétisme, étudiant le développement du champ géomagnétique comme moyen de comprendre l'évolution planétaire et les changements environnementaux.
Dans un article publié dans la revue "Science Advances" en 2021, Tarduno et ses collègues de sept autres institutions ont expliqué que la présence dans un lointain passé d'un bouclier magnétique durable autour de la Lune influença les types de ressources qui peut y trouver. En effet, la présence d'un champ magnétique global protège les corps astronomiques des rayonnements solaires ionisants. Les conclusions des chercheurs contredisent certaines hypothèses de longue date et bouleversent nos connaissances du champ magnétique lunaire. Sachant que la Lune ne possède pas de champ magnétique de nos jours, depuis l'analyse des échantillons de roches lunaires ramenés par les équipages des missions Apollo, on a supposé que la Lune avait eu un champ magnétique qui était aussi fort voire plus fort que le champ magnétique terrestre il y a environ 3.7 milliards d'années. Mais quelques facteurs ont depuis fait réfléchir les chercheurs. D'abord le noyau de la Lune est vraiment petit et il lui serait difficile d'entretenir ce type de champ magnétique. Ensuite, selon Tarduno, "les anciennes données qui indiquent l'existence d'un champ magnétique élevé n'ont pas été effectuées à l'aide d'expériences de chauffage. Les chercheurs avaient utilisé d'autres techniques qui n'enregistrent pas avec précision l'intensité du champ magnétique". De plus, "l'un des problèmes avec les échantillons lunaires est que les porteurs magnétiques qu'ils contiennent peuvent être modifiés par la méthode d'analyse, notamment lorsqu'ils sont chauffés trop longtemps. En les chauffant avec un laser, il n'y a aucune altération des mesures et on peut donc éviter les problèmes que les chercheurs ont rencontré dans le passé." Tarduno et ses collègues ont donc analysé des échantillons de verre lunaire (plagioclase et pyroxène) de 200 microns à 1 mm collectés lors de missions Apollo, mais en utilisant des lasers au CO2 pour chauffer les échantillons pendant un bref instant pour éviter de les altérer. Ils ont ensuite utilisé des magnétomètres supraconducteurs très sensibles pour mesurer précisément les signaux magnétiques des échantillons. Selon les chercheurs, la magnétisation présente dans les échantillons pourrait être le résultat d'impacts d'objets tels que des météorites ou des comètes, et non le résultat de la magnétisation due à la présence d'un bouclier magnétique. D'autres échantillons présentant potentiellement une forte magnétisation en présence d'un champ magnétique n'ont montré en réalité aucune magnétisation, indiquant en outre que la Lune n'a jamais eu de bouclier magnétique prolongé, confirmant d'anciennes études. L'absence de champ magnétique signifie une abondance d'éléments. En effet, sans la protection d'un bouclier magnétique, la Lune était sensible au vent solaire, ce qui peut avoir favorisé l'accumulation d'une variété de substances volatiles dans le sol lunaire. Ces éléments peuvent inclure le carbone, l'hydrogène, l'eau et l'hélium 3. Selon Tarduno, "Nos données indiquent que nous devrions regarder la limite supérieure des estimations de l'hélium 3 car l'absence de champ magnétique signifie que plus de vent solaire atteint la surface lunaire, ce qui entraîne les réservoirs d'hélium 3 beaucoup plus profondément que ce que l'on pensait auparavant."
Cette étude pourrait être le point de départ de nouvelles expériences lunaires basées sur les données qui seront recueillies par la mission Artemis prévue en 2024 qui devrait voir le débarquement d'astronautes sur la Lune. Les données des échantillons recueillis au cours de la mission permettront aux scientifiques et aux ingénieurs d'étudier la présence des composés volatils et de mieux déterminer si ces matériaux peuvent être extraits pour un usage humain. L'hélium 3, par exemple, est actuellement utilisé en imagerie médicale et en cryogénie et constitue une future source potentielle de combustible. On y reviendra. L'absence de bouclier magnétique signifie également que les anciens sols lunaires peuvent contenir des enregistrements très anciens des émissions du vent solaire. L'analyse de carottes d'échantillons de sol lunaire pourrait donc aussi permettre aux scientifiques de mieux comprendre l'évolution du Soleil. Le champ magnétique crustal Dans un article publié dans la revue "Science Advances" (et les annexes) en 2020, l'équipe de Saied Mighani du MIT a effectué des analyses paléomagnétiques et isotopiques du rapport 40Ar/39Ar de deux brèches (ou breccia) lunaires froides et pratiquement inertes (< 0.1 μT) rapportées par l'équipage d'Apollo 15 (échantillons 15465 et 15015). Les chercheurs ont découvert que la dynamo qui produisait le champ magnétique de la Lune s'est arrêtée il y a environ 1.5 milliard d'années (entre 0.80 à 1.92 milliard d'années).
Si la Lune n'a plus de champ magnétique global, en revanche les roches aimantées situées près de la surface lunaire créent de petites taches localisées de champ magnétique qui s’étendent de quelques centaines de mètres à plusieurs centaines de kilomètres. Ce champ magnétique crustal varie autant en intensité qu'en direction. Des écarts d'un facteur 500 ont été relevés (6 à plus de 3000 nT), alors que sur Terre le champ géomagnétique double localement (30000 à 60000 nT). Des rochers présentent encore actuellement une aimantation très forte. Le manteau de la Lune étant pratiquement solide, le magnétisme actuel serait la trace d'une époque passée où le manteau lunaire était nettement plus fluide, induisant un champ magnétique bien plus intense comme expliqué plus haut. Origine de la structure Reiner Gamma La structure Reiner Gamma présentée ci-dessous est une zone claire allongée en forme de tourbillon présentant des anomalies magnétiques. Elle mesure environ 60 km de longueur et se situe dans Oceanus Procellarum, aux coordonnées sélénographiques (7.5°, -59°), entre les cratères Reiner (au sud-ouest) et Galilaei (au nord-est). Cela fait des décennies que les spécialistes cherchent à comprendre comment elle s'est formée, d'autant plus qu'il existe d'autres tourbillons similaires tout aussi mystérieux. Les tourbillons lunaires ont jusqu'à présent défié toute explication simple, mais des modélisations récentes et des données provenant des missions spatiales ont permis de lever le voile sur cette énigme tortueuse. Deux principales théories ont été proposées pour expliquer ces tourbillons : - Première théorie, les impacts météoritiques pourraient provoquer ce type d'anomalie magnétique car ils apportent régulièrement des matériaux riches en fer sur la surface de la Lune. Mais personne ne sait comment un impact pourrait créer ce genre de forme et de cette taille. - Deuxième théorie, il est plus probable qu'un autre mécanisme ait localement magnétisé les tourbillons. Des laves souterraines par exemple, qui se refroidissent lentement dans un champ magnétique peuvent créer ce genre d'anomalie magnétique. Si la première théorie est difficile voire impossible à tester, la seconde a été vérifiée par plusieurs équipes de chercheurs. Douglas J. Hemingway et Sonia M. Tikoo de l'Université de Californie à Berkeley ont étudié les champs magnétiques crustaux de la Lune sur base des données de la mission Artemis de la NASA, en particulier la structure Reiner Gamma (cf. D.J. Hemingway et al., 2019). A première vue, l'image est compatible avec des tubes ou tunnels de lave (voir page suivante), de longues cavités étroites formées par de la lave fluide pendant les éruptions volcaniques ou avec des dykes de lave, des couches verticales de magma injectées dans la croûte lunaire. Mais cela soulève un problème : comment les tubes de lave et les dykes peuvent-ils être si fortement magnétisés ? De nos jours, la Lune n'a pas de champ magnétique global. La réponse réside dans une réaction qui pourrait être propre à l'environnement lunaire à l'époque de ces éruptions, il y a plus de 3 milliards d'années. Des expériences antérieures ont montré que de nombreuses roches lunaires deviennent très magnétiques lorsqu'elles sont chauffées à plus de 600°C dans un environnement sans oxygène. En effet, certains minéraux se décomposent à haute température et libèrent du fer. S'il se trouve à proximité d'un champ magnétique assez puissant, le fer nouvellement formé se magnétise dans la direction de ce champ. Cela ne se produit normalement pas sur la Terre où l'oxygène libre se lie au fer. Cela ne se produirait pas non plus de nos jours sur la Lune, où il n'y a pas de champ magnétique global pour magnétiser le fer. A voir : Magnetic Bubbles on the Moon Reveal Evidence of "Sunburn"
Hemingway et Tikoo sont arrivés à la conclusion que les champs magnétiques de certaines régions agissent localement comme un "écran solaire magnétique". Les chercheurs ont découvert que l'ancien champ magnétique de la Lune avait duré entre 1 et 2.5 milliards d'années de plus que prévu et était peut-être toujours présent lors de la création des tubes de lave ou des dykes dont la teneur en fer aurait été fortement magnétisée avant de se refroidir. Selon les auteurs, le champ magnétique lunaire forme des petites bulles de "protection solaire" magnétique mesurant typiquement entre 1 et 5 km de longueur. Ces zones peuvent dévier les particules du vent solaire mais à une échelle beaucoup plus petite que le champ magnétique terrestre. Ce phénomène provoque également un effet sur l'apparence de la surface lunaire. En effet, sous ces parapluies magnétiques miniatures, le régolite est protégé des particules émises par le Soleil. Lorsque ces particules arrivent sur la Lune, elles sont déviées autour des bulles magnétiques, où les réactions chimiques avec le régolite assombrissent la surface. Ce mécanisme crée des tourbillons distinctifs de matériaux clair et sombre visibles depuis la Terre. Des simulations ont montré qu'il faut une intensité magnétique d'environ 300 nT pour créer ces tourbillons tandis que l'aimantation de la roche doit être > 0.5 A/m même pour des sources peu profondes et probablement plus proche d'au moins 2 A/m. De leur côté, Michael J. Krawczynski, professeur associé au McDonnell Center for the Space Sciences à l'Université Washington de Saint-Louis (WUSL) et le doctotant Yuanyuan Liang ont conçu des expériences pour tester l'hypothèse des laves souterraines qui se refroidissent dans un champ magnétique (cf. Y.Liang et al., 2024). Les deux auteurs ont mesuré les effets de différentes combinaisons de chimie atmosphérique et de taux de refroidissement magmatique sur de l'ilménite (un minéral riche en fer et pauvre en aluminium de formule chimique FeTiO3) pour voir s'ils pouvaient produire un effet magnétisant. Selon Krawczynski, "Les roches terrestres sont très facilement magnétisées car elles contiennent souvent de minuscules morceaux de magnétite, qui est un minéral magnétique. De nombreuses études terrestres qui se sont concentrées sur les objets contenant de la magnétite ne s'appliquent pas à la Lune, où ce minéral n'existe pas sous forme hypermagnétique." Mais les deux auteurs ont découvert que l'ilménite, qui est abondant sur la Lune, peut réagir et former des particules de fer qui peuvent être magnétisées dans les bonnes conditions. Selon Liang, "Les grains plus petits avec lesquels nous travaillions semblaient créer des champs magnétiques plus forts car le rapport surface/volume est plus grand pour les petits grains que pour les grains plus gros. Avec une surface plus exposée, il est plus facile pour les petits grains de subir une réaction de réduction." Krawczynski conclut que "Nos expériences ont montré que dans des conditions lunaires, nous pouvions créer le matériau magnétisable dont nous avions besoin. Il est donc plausible que ces tourbillons soient causés par du magma souterrain. [...] Si vous voulez créer des anomalies magnétiques par les méthodes que nous décrivons, alors le magma souterrain doit avoir une teneur élevée en titane. Nous avons vu des indices de cette réaction créant du métal ferreux dans des météorites lunaires et dans des échantillons lunaires d'Apollo. Mais tous ces échantillons sont des coulées de lave de surface, et notre étude montre que le refroidissement souterrain devrait considérablement améliorer ces réactions de formation de métal. [...] Si nous pouvions simplement creuser, nous pourrions voir si cette réaction se produit. Ce serait formidable, mais ce n'est pas encore possible. Pour l’instant, nous sommes coincés avec la surface." Déterminer l'origine des tourbillons lunaires est essentiel pour comprendre les processus qui ont façonné la surface lunaire, l'histoire du champ magnétique lunaire et même comment les surfaces des planètes et des lunes affectent l'environnement spatial qui les entoure. La prochaine étape consistera à visiter la structure Reiner Gamma et à l'étudier in situ. La NASA a prévu d'y envoyer un rover en 2025 dans le cadre de la mission Lunar Vertex. Cette structure Reiner Gamma est un exemple de plus confirmant le passé volcanique et magnétique de la Lune. Dernier chapitre
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